LETHERIA p.I
SEUNGLIX
"Je te laisserai des mots, en dessous de ta porte"
Patrick Watson
I.
Quand tu m'as abordé à l'orée de la forêt, j'ai cru à un mirage. Une âme en peine, esseulée, blessée, j'étais celui que tu es parvenu à récupérer de son naufrage. Les jambes tremblotantes dû à mon long voyage ; j'avais survolé toutes les étoiles du monde pour te rencontrer, sans même me douter une seule seconde que tu étais celui que j'attendais.
Je me souviens de la paume de ta main, lumineuse, scintillante, argentée ; de ton geste soudain, se poser sur mon front puis vérifier ma respiration. Tout était doux, rassurant, empli de bonté. Plus que jamais, je me suis senti protégé alors même que ta présence aurait dû m'effrayer. C'était cette chose dans ton regard qui m'a charmé. On m'avait conté mille et une fois les dangers de l'autre côté de notre contrée et pourtant, face à toi, les barrières étaient tombées, sous la force du vent. Tels deux aimants indéniablement attirés, on ne pouvait se résister.
Tes yeux me parlaient. Ils me disaient tout bas qui tu étais, pourquoi tu m'aidais. L'eau au bord de mes lèvres me rassérénait tandis que le froid de la neige bleue contre mes mollets me brulait. Ta maison était à ton image, chaleureuse, chaude et sage. Perdue au fin fond d'un millier d'arbres, engloutie par une solitude lugubre que tu n'avais pas méritée, ta présence était inespérée.
« Apprends moi les couleurs de ton monde. »
Seul le gris me venait en tête, vestige d'une vie pour le moins abstraite. Fade et maussade, voilée d'un filtre, d'une barricade ; si je le pouvais, je l'achèverais d'une traite.
« Le blanc : la pureté, la sincérité, la simplicité. Elle représente le tout, la complétude, la vie et son contraire. C'est la naissance, la mort, la vieillesse et la sagesse. L'origine du monde dans sa forme la plus vraie. C'est la tendresse. »
Tes mains me caressaient. Les épaules, le torse, le visage, avec innocence tu me découvrait. Nous nous ressemblions plus que ce que nous pouvions penser.
« Chez moi, le blanc s'oppose à la verdure. Il vient ternir le monde de toutes les coutures. Il efface et il reprend la vie comme il l'a donné. Mais il n'est pas parfait, il a fait l'erreur de me laisser. Moi, je n'ai pas recommencé car ça fait bien longtemps que cela dure. »
Autour de moi, le décor faisait peine à voir. La nuance était omniprésente, je comprenais sans nul doute que l'envie d'apprécier cette vue ravissante puisse se faire bien rare.
« Les couleurs ne sont que le fruit de notre imagination. Par tous les moyens, elles veulent nous faire céder à la tentation mais il suffit de fermer les yeux pour voir le pallier de notre véritable maison. L'entrée vers les cieux, la rêverie, le merveilleux. »
Aussitôt, ton attention s'est porté sur le ciel. Je n'avais jamais rien vu de tel. Tes cils étaient longs, noirs, ils allongeaient ton regard dans lequel les étoiles se reflétaient, ricochaient et sur tes joues, se projetaient. Tes pommettes parsemées de supernovas attestaient de ta vitalité, te remerciaient d'exister.
« Je ne vois que du vide, le néant quand mes paupières sont closes.
- Alors laisse toi aller et apprends. Si tu prends ton temps, tu observeras des milliers d'éclats, de feux follets multicolores qui se courent les uns après les autres. Tu observeras, des centaines de cascades pailletées se déverser dans un océan de gaieté. Tu observas des dizaines d'oiseaux virevolter, se croiser et s'éviter, sans jamais s'épuiser. Et enfin, tu observeras une rivière, le flot de tes pensées les plus profondes, celles que tu avais enterrées. Tu le verras, si tu attends assez longtemps. »
Quelle beauté irréelle !Si ta peau n'effleurait pas la mienne, j'aurais pu douter de ton existence. Dela bouche d'un inconnu, les mots ont coulés et en toute confiance, tu t'en es à ton tour abreuvé. Avec soulagement, tu as saisis ta chance et je ne t'en remercierais jamais assez.
"This is a place where I don't feel alone. This is a place where I feel at home"
The Cinematic Orchestra
II.
Quand nos chemins se sont croisés sur cette planète pratiquement déserte, je te pensais invincible. Tu en avais fait ta force : être invisible. Tu étais un être sensible pourtant doté d'une maturité naturelle, une immaturité presque humaine, une maturité quasiment immature au service d'un cœur à la fois enthousiaste et réservé.
Des années-lumière, j'en avais parcouru. Hors toi, tu les avais vécues. Tu avais vu la vie se créer, puis se retirer et se régénérer. Une fois apparu devant toi, tu avais cru à un mirage dans l'oasis que tu avais fabriqué. Une âme débarquée de l'espace, une âme que tu n'avais jamais inventé, qui à toi, s'opposait et en toi, se fondait : l'une et l'autre étaient destinées, promises, réunies.
L'espoir était une notion subtile, difficile à manier et toi, tu avais réussi à l'apprivoiser. Comme moi, tu savais comment la gérer, tu en avais la clef, le don, le talent : ça partait d'un bon sentiment. C'était elle qui t'avais aidé à tenir, à m'attendre. Je m'en excuse, j'aurais voulu être plus rapide, je ne voudrais pas entendre ton esprit se fendre au beau milieu de ce glacier aride.
« Ces terres, elles agissent comme une prison et ne veulent pas entendre raison. Si j'avais la prétention de m'envoler et de derrière moi les laisser, elles me retiendraient. Comme ces arbres aux stalactites, j'ai pris mes racines dans le sol et grimper dans cette océan transcendant ne me paraît plus si évident. Je ferais une bien piètre stalagmite. »
Ton visage est contrit. Il ne demande qu'à explorer, découvrir le monde, s'y aventurer comme on plonge dans le regard de l'être aimé, lorsque celui-ci se trouve à nos côtés.
« Que souhaiterais tu voir, au-delà de ta bastille ? »
Délicatement, ta paume s'est levée vers le ciel. Une pluie glaciale tomba dru. Tu n'en était pas l'instigateur mais cette vague rafraichissante te fit reprendre vigueur. Quand tu remarquas que je tremblais comme une feuille, tu étendis tes bras pour que je m'y recueille. La chaleur de tes mots, combla celles de mes maux.
« Je voudrais faire un 'roadtrip' des étoiles. Parcourir l'univers et m'arrêter quand l'une est susceptible de me plaire afin de lever le voile. Je voudrais traîner ci et là, retrouver mon chez moi. Si ça ne te dérange pas, il y aurait même de la place pour toi. »
Seul ton toucher m'assurait de tes dires, tu le pensais fortement, c'est pour dire. Entre nous ce lien nouveau ne me pressait pas tel un étau. Il était seulement là pour rendre l'instant plus beau.
« Pourtant que faire de cet enfer. Très peu noir et bien plus blanc, il mérite quand même un peu de temps. Sans même toi à ses côté, comment crois tu qu'il survivrait ? »
Un soleil noir se leva à l'horizon. L'orage noir pris part à cette réunion. Ainsi, associés dans cet union, un air sombre ancré sur nos minois, nous les regardions. Si plaisir et douleur pouvaient se partager, à petite dose, ils nous soigneraient.
« Il me semble que dans ton monde, on parle déjà de cette légende. Ce fleuve limpide et insipide dont s'écoule des âme arides. Un paradoxe, génie du mal, faisant le bien ; ceux qui le franchisse connaisse un premier lendemain. Ce fleuve limpide et insipide gît dans des souterrains et des courants torrides. Il clapote, regorge d'anecdotes ; en homonyme, on l'appelle Léthé. Il est cette femme ou ce vieillard trop peu vantés.
- Ainsi, tu ne crains rien face à demain. Cette planète insignifiante, personne n'y vient. Oubliée par ses pairs, n'est pas tête en l'air mais subit cette atmosphère qui la transforme en verre. Si nul n'y naît, nul ne la connaîtra et seul toi, pourra en devenir roi. »
Comment ne pas être surpris face à tant d'émoi ! Les larmes perlent sur tes joues mais aucun mortel ne les voit. En revanche, j'efface les sillons creusées du revers de ma manche. Ces tâches aux couleurs rosées n'ont pas besoin de loupe pour me donner envie de les saisir en coupe. Qu'est-ce que j'aimerais que tes yeux soient étanches.
"You've been locked in here forever. And you just can't say goodbye"
Cigarettes After Sex
III.
Quand la nouveauté eut fini de m'aveugler, une sensation de manque commença a douloureusement s'installer. J'avais trouvé la paix à tes côtés mais elle ne suffit pas. Tant d'années ont passées, sans que je ne t'ai auprès de moi. Cette vie que j'ai vécu était peut-être semée d'embuches, or, pour rien au monde je n'aurais fait l'autruche.
Quelques fois il m'est arrivé d'imaginer, ne jamais t'avoir rencontré. Si ce fil rouge dressé autour de mon doigt n'existait pas, comment aurais-je pu faire sans la douceur de ta voix ? Tu n'étais pas le premier, sûrement le dernier ; avant toi, j'avais aimé : jamais assez.
Ce que j'avais confondu avec une peur bleue d'être fleur bleue, n'était que le destin qui me retient. Un peu de toi dans l'univers, remonter jusqu'à toi, avoir du flair. Mon cœur réservait une place sacrée, qu'il n'était pas encore prêt à donner. Sans scrupules, tu en as brisées les barrières, avec cette force d'Hercule et je t'ai laissé faire.
« Il était une fois, un petit garçon très intelligent. Avec ses calculs savants, il embêtait ses parents. Un jour, le petit garçon fit déborder le vase ; on l'envoya apprendre plus de chiffres dans une base. Sans même se rendre compte qu'ils avaient réalisé le rêve de l'enfant, les parents décidèrent de l'y envoyer tous les ans. »
Suspendu à mes lèvres, tes pupilles avaient ce reflet mièvre. Tu t'effaçais le temps d'un baiser ou d'une histoire à raconter. Pas de temps pour s'abandonner à la fièvre, les mots coulaient flots : on avait une histoire à rattraper.
« L'enfant découvrit toutes sortes de données et un nouveau jour, on lui proposa de s'entraîner. »
Doux comme le miel, allongés dos à plats sur le sol froid, tout droit sur nous, plongeait le ciel. Cette couverture parsemée d'éclats nous recouvrait, comme une mélodie à l'oreille, ta tessiture m'envoûtait.
« Pourquoi demander si tu le sais ? »
Ton rire grave pris possession de l'instant présent. C'était suffisant. Je voulais transformer le moment en tableau mais n'en avais définitivement pas le niveau. Sans interrompre ta symphonie, je décidai de reprendre mon récit.
« Pour que nos mots contribuent à former un pays enchanté dans lequel nous évader. Je ne cesserai jamais de t'écouter me raconter toutes sortes de contes de fée. »
Un baiser s'égara. Pris le large et se perdit dans des limbes d'embarras. Je n'avais pas le choix, tu étais si proche de moi et me le demandais tout bas. Parfois, il est trop difficile de renoncer à une partie de soi.
« L'enfant, c'était moi. Quand les parents comprirent, ils furent pris d'effroi. Pour les rassurer, je leur ai dit que tout ce que je cherchais se trouvait là-bas. Je m'étais fait des amis ici-bas et même si j'aime quand je suis près de toi, je crois qu'ils me manquent. Des fois.
- Quand nous nous libérerons de ces chaînes qui nous retient sur la terre ferme, je te promet de faire le détour, pour que tu les revoies et mes les présente. Un jour. »
Que pouvais je faire pour t'exprimer ma gratitude ? Certains hivers allaient s'annoncer rudes, mais ne parviendraient pas à m'éloigner de cette beauté qui dans ton cœur se cachait. Dans ton esprit, tout un projet s'était formé. Il ne manquait plus qu'à trouver comment le réaliser. Et ça, s'avérait être le plus compliqué. Nous étions coincés sur une planète qui ne voulait pas de nous et il nous fallait déguerpir sans créer trop de remous.
½ SHOTS pour shirokeur
Le Jeu du Hasard
[1ère édition]
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