Chapitre 7 - Partie 2
Et sans plus de mots, ils s'en vont, nous laissant dans un coin de la salle, tranquillement, si toutefois c'est possible. Alors que je n'ai pas envie de discuter. Traîtres ! Fourbes ! Faux frères ! C'est quoi, cette excuse stupide ? Je regarde Arthur et me balance d'un pied sur l'autre, nonchalant, et assez pressé que la cérémonie commence. Non pas qu'Arthur me mette mal à l'aise – je l'aime beaucoup – mais je ne me sentais pas dans un environnement serein pour discuter.
– Je ne m'attendais pas à te voir ici, dis-je, tu participes ?
L'autre ricane en se frottant le nez.
– Oui, évidemment. Toi aussi, j'imagine.
– Pourquoi, « j'imagine » ?
– C'est évident, Tom.
– Comment ça, c'est « évident » ?
– Une telle épreuve sans toi, ce ne serait pas drôle.
Il sourit discrètement, mais je vois bien où il veut en venir. Il est heureux que je participe à ce concours, même si ce n'était évidemment pas prévu.
– On sera adversaires, du coup.
– Oui.
Silence. Il me tend la main. Je ne comprends pas.
– C'est-à-dire que, la prochaine fois qu'on sera en face à face, nous nous affronterons.
– Oui.
Ma réponse laconique le fait rire.
– Essaie de te donner à fond, me lance-t-il en souriant.
Je lui sers la main.
– Essaie de ne pas me décevoir.
Une promesse. Je ne sais pas si je vais affronter Arthur, mais si ça se produit, je vais tout donner. Il est hors de question que je perde face à lui. Ce combat risque d'être épique. J'espère de tout cœur qu'il sera à la hauteur de mes attentes. Parfois, je le soupçonne d'en être un. D'être comme moi. Un zèbre. J'ai toujours eu un doute sur lui. On verra bien.
Il me fait un petit signe de la main et s'éloigne de son côté.
Il me faut jouer un peu des coudes pour rejoindre les autres, mais j'y parviens finalement en quelques enjambées, avant de m'installer à côté de Mathis, qui, les bras croisés, m'observe, interdit et presque blasé.
– Vous avez bien blablaté ? me demande-t-il.
Ses yeux brillent légèrement. Mon dieu, c'est une blague. Mat est jaloux ? Il est jaloux. Sinon, il ne croiserait pas les bras. Il ne le fait que quand quelque chose ne lui plaît pas, et surtout, quand il est contrarié. Or, là, il est clairement contrarié. Je ne comprends pas.
– Ouais. On a surtout parlé du concours, à vrai dire. Il m'a dit qu'il participait.
– D'accord, boude-t-il. T'es content, je suppose ?
– Je m'en fiche pas mal. Ça fera un adversaire de plus à écraser. En revanche, ça aurait été moins amusant si vous n'aviez pas été là, tous les trois.
Visiblement, vu le petit sourire qu'il me lance, ma tentative de réconfort semble être un succès.
Le vacarme dans la pièce semble se taire alors peu à peu. Je regarde autour de moi, et j'observe le proviseur du lycée se diriger vers l'estrade. Je n'aime pas cet homme. Je n'aime ni son nez aquilin, ni son regard froid et calculateur, ni ses pieds qui claquent quand il marche. Il est toujours sous tension. Je ne le considère certainement pas comme un allié, mais... c'est un bon proviseur. Je ferais une erreur en le niant. Il monte sur l'estrade et s'approche du micro, l'air plus serein que d'habitude. Il le met à son niveau et s'en approche. J'ai presque pitié pour ce pauvre appareil qui va devoir supporter ses postillons et son haleine fétide. Je secoue la tête :
– Il va encore nous faire son show, cet imbécile.
Les autres tournent la tête vers moi :
– Ce proviseur a vraiment un impérial besoin de reconnaissance et de contrôle, c'est incroyable. Regardez ne serait-ce que sa posture. Je dirais presque qu'il se sent dévalorisé en dehors de ces quatre foutus murs.
– Ou bien, il veut juste se sentir respecté par les autres, répond Erwan. Il est proviseur d'un lycée, tout de même. Et ce concours est important. C'est normal d'adopter une telle posture.
– Ce n'est qu'un concours local. Rien d'extraordinaire.
– Oui, mais ce truc est un évènement exceptionnel pour ce lycée. En quelque sorte, il va déterminer pas mal des meilleurs lycéens et va permettre à d'autres de se démarquer.
– Ce n'est pas comme si on ne connaissait pas le nom du meilleur élève de ce lycée, lancé-je en souriant avec orgueil.
– Ouais, achève-t-il en un haussement d'épaules peu convaincu.
Le directeur s'avance et se racle la gorge, sûrement à la recherche de ses premiers mots, et de son assurance pour le traditionnel discours que personne ne prend la peine d'écouter. Je croise les bras et me cale au fond de mon siège. C'est toujours amusant.
– Bonjour à toutes et à tous. Nous avons l'honneur de vous présenter...
J'écoute ce discours ennuyant sans vraiment y prêter trop d'attention. Les autres étudiants sont soit trop concentrés sur leur portable, soit absorbés par leur discussion. Il est aussi amusant de voir le personnel s'efforcer de faire les chiens de garde en prononçant des « chut » à l'assemblée, ce petit sifflement incroyablement inutile et qui ne fait, finalement, que m'agacer. Le proviseur lance son discours bien formaté en nous remerciant d'être ici – vous remercierez Mathis, je n'ai pas vraiment choisi de venir –, en nous disant que de nos jours il est de plus en plus important de savoir débattre – merci d'avoir énoncé une évidence –, que le débat est ce qui lie l'humanité – vous avez été chercher ça dans le fond de votre tiroir à sous-vêtements ? – et donc, par conséquent, ce concours peut aussi être une manière de se développer en tant qu'individus – félicitations, vous gagneriez le concours de logique, s'il y en avait un, ou de phrases évidentes, à vous de voir.
Il nous rappelle ensuite les différentes étapes du concours et qu'il ne s'agit, pour le moment, que des éliminatoires. Une formalité, évidemment. Je ne compte pas perdre aux éliminatoires. Je suis venu pour remporter le tout et écraser mes adversaires. Perdre seulement au début de la compétition ne fait clairement pas partie de mes plans.
– Rappelez-vous également, jeunes gens, qu'il ne s'agit pas forcément de gagner : il s'agit de donner le meilleur de soi-même. C'est à ce prix-là que la victoire en est encore plus délicieuse. Je vais à présent laisser la parole à l'organisatrice de ce concours. Aussi, je vous souhaite bonne chance à tous !
De la chance ? C'est un concours où il ne faut pas gagner ? Je secoue la tête et lui lance un regard de mépris. Quel discours de perdant. Pourtant, c'est avec le sourire et satisfait qu'il se recule du micro et laisse la place à une dame, ni trop âgée, ni trop jeune, qui s'avance, l'air à la fois sérieux et amusé, vers le micro pour nous expliquer en quoi consiste le début de ce concours. Alors qu'elle rabâche quelques règles pénibles et inutiles, quelque chose me saute aux yeux, ou plutôt au cerveau. Vénus n'est toujours pas arrivée. Ou du moins, je ne l'ai toujours pas aperçue. Ça ne m'inquiète pas plus que ça, mais sa victoire lors de l'an passé fait d'elle une adversaire redoutable. Sans sa présence, ce concours ne pourra finir que d'une seule manière : sur mon écrasante victoire et sur un ennui mortel. Pour une fois que je peux faire quelque chose d'intéressant, ce serait dommage que la seule variante qui m'autorise de m'amuser ne soit pas là.
Je me tourne dans tous les sens pour essayer de repérer un visage familier, mais je me heurte à un mur de faces inconnues et lassées par le discours. Au moment où je me remets correctement sur cette chaise affreusement dure, Mathis me donne un coup de coude dans le bras. Je le regarde, intrigué, et il me lance :
– La gagnante de l'année dernière va arriver... Il paraît qu'elle est très impressionnante.
– Sans plus tarder, dit l'organisatrice, nous accueillons notre dernière gagnante... Vénus Andersen.
Une porte derrière l'organisatrice s'ouvre, et une silhouette en sort, balançant derrière elle de longues mèches de cheveux caramélés. La voilà. Splendide, charismatique, absolue. Elle est vêtue simplement, d'un pull rouge et d'un pantalon qui, malgré sa simplicité, lui confère presque une assurance absurde. Elle n'est pas si différente de la dernière fois. En la regardant, on pourrait presque peiner à croire qu'il s'agisse de la grande gagnante. Mais un œil avisé, un œil qui sait repérer les victorieux, ne sera en aucun cas trompé par son apparente normalité. Je sais très bien qu'elle n'est pas normale. Un rictus idiot s'empare de mon visage. Elle est resplendissante ; c'est la Hélène de Troie du lycée. Et à ce moment précis, j'aimerais être Pâris.
– Eh bien... commence-t-elle, bonjour à tous et à toutes. Je suis vraiment ravie d'être là, aux côtés de Monsieur le Proviseur et de Madame l'Organisatrice pour présenter et participer à ce concours...
Quand elle commence son discours, une seule réflexion tourne dans ma tête : elle mérite sa victoire. Je pense sincèrement que c'est évident pour tout le monde ; je ne suis pas le seul à comprendre son talent à l'oral. La plupart des lycéens la regardent, absorbés par son discours frais et authentique. Certains restent pourtant sur leur appareil, à s'envoyer des messages, ce qui m'agace – et c'est un euphémisme. J'ai envie de le leur arracher et de le balancer contre le mur, avant de leur filer une bonne paire de claques.
– Alors je vous souhaite à tous et à toutes du courage, et puissions-nous faire briller ce concours une nouvelle année !
Elle termine sa prise de parole sous quelques applaudissements, qui me paraissent un peu trop discret à mon goût. Vénus descend de l'estrade dans un pas léger, fluide, et retourne s'asseoir sur une chaise légèrement à l'écart. L'organisatrice reprend sa place devant le micro :
– Bien, merci à toi, Vénus, pour ce joli discours. Maintenant que tout a été expliqué, nous allons débuter. Les élèves participant au concours sont priés de se mettre en rang.
Une petite trentaine d'élèves se lèvent et commencent à se rassembler. Arthur passe à côté de moi et me fait un petit signe de la main. Mathis, Claire et Erwan, tous les trois debouts, n'attendent plus que moi. Je ferme les yeux et soupire. Le creux qui s'est logé dans mon estomac éclate, et c'est le regard déterminé que je me lève à mon tour.
On reste néanmoins à l'écart, attendant tranquillement la suite. La dame – j'ai cru comprendre qu'elle se nomme Carole –, nous appelle un par un, par ordre alphabétique. Nous avançons donc petit à petit, et, dans mon dos, Mathis me demande :
– Tu sais en quoi va constituer cette épreuve ?
– Je n'en sais rien Elle a juste dit qu'il s'agissait des éliminatoires. Ça ne doit pas être très compliqué.
Je sens Erwan soupirer dans mon dos, ce qui m'irrite passablement, puisque ce n'est pas la première fois que je l'entends.
– On peut savoir ce que tu as ?
– Ce concours m'ennuie. J'aurais mieux fait d'abandonner dès le début.
– Alors que moi, je m'y suis pointé ? Certainement pas, mon coco.
– Mais...
– Écoute-moi bien, dis-je en me retournant, un doigt accusateur venant se planter dans son torse. Si je suis cassé le cul à venir ici, autour de ces abrutis pour participer à ce truc de clowns, ce n'est certainement pas pour te voir abandonner si près du but, pigé ?
Il me regarde avec de grands yeux ronds, l'air surpris. Moi-même, j'ai du mal à me reconnaître vu mon ton plus agressif que d'habitude. Il considère un instant ma remarque dans un silence intense.
– Euh... Ok.
– Bien, parce que ça va bientôt être à notre tour.
Les deux autres s'échangent un coup d'oeil que je fais mine de ne pas voir. Mon regard est attiré vers les autres. Leurs expressions pathétiques s'entremêlent dans un désir vain de victoire, une angoisse, un ennui ou une excitation. Globalement, tous ceux qui sont là ne sont pas mauvais, mais on est loin d'atteindre l'excellence réservée à certains d'entre nous. Au fur et à mesure que nous avançons dans la file, je me rends compte que quelques lycéens ne sont là que pour frimer, ce qui m'agace encore plus, et ça me rend fou de rage lorsque je constate que c'est pour des raisons sentimentales. Qu'y a-t-il d'extraordinaire à vouloir impressionner une fille ou un garçon que vous finirez par rejeter un mois plus tard ?
Je me masse les tempes dans un inutile espoir de faire cette migraine qui commence à me prendre. Le brouhaha, à peine contenu par les remarques désobligeantes et les aboiements des différents adultes, me vrille les tympans. Heureusement, le cauchemar est presque fini. À mesure que les secondes s'égrènent, la file rétrécit et je me rapproche de l'organisatrice. Cette dernière finit par appeler tous mes amis. D'abord Claire, puis Erwan, et enfin Mathis.
– Toma Stern !
Quand mon nom éclate dans la salle, je sors de ma torpeur et m'avance, victorieux. Je compte bien les réussir, ces éliminatoires.
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