Chapitre 15 - Partie 1
NDA : Bonjour à tous ! :D
Voici le quinzième chapitre de Rayés... Déjà ! En commençant ce roman, je ne savais pas que ça m'emporterait dans une telle aventure. Et en rédigeant ce chapitre, je me suis dit : "Eh bien si. Si, c'est une grande aventure.". J'ai mis toutes mes tripes dans ce chapitre-là. J'espère que vous apprécierez de le lire autant que moi j'ai pris de plaisir à l'écrire.
Au cours de votre lecture de ce chapitre, je vous conseille d'écouter "Clair de lune" de Claude Debussy, notamment à partir de "Et soudain, tout change.". Elle est en média. Je vous souhaite à tous une bonne lecture.
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Dire que j'attends chaque vendredi impatiemment serait un euphémisme de taille. Il s'agit en effet de mon jour préféré, puisqu'il signe la fin de la semaine avec panache. Toujours est-il qu'en arrivant à ma séance d'échecs hebdomadaire, j'affiche un grand sourire. Déjà, lors de mon cours d'histoire, j'étais plus guilleret que d'habitude, ce qui avait ravi mes deux compères. Je dois, hélas, reconnaître que les jours où je ne suis pas blasé sont assez rares. Donc quand je n'arbore pas un air au mieux ennuyé, au pire sinistre, tout devient prétexte à la rigolade et à la bonne humeur.
Lorsque je débarque dans la salle, je constate que les conversations sont animées. Je vois aussitôt Arthur et Marina en plein débat, autour d'une table. Simon, quant à lui, se tient un peu en retrait, aux côtés d'un autre garçon, lui ressemblant légèrement, à ceci près que lui arbore une chevelure presque rousse. Ils sortent et installent les plateaux d'échecs en discutant de leurs cours. Enfin, en arrière, une jeune lycéenne, chétive, reste un peu à l'écart. Ses cheveux d'ébène coulent dans son dos, alors que son front est serti d'un serre-tête violet. Ses yeux bridés aux prunelles noisettes regardent en direction de la conversation animée entre le grand et notre chère camarade aux cheveux roses. Elle est accompagnée d'Hélène. Les filles discutent calmement autour d'une tasse de café.
– Salut ! dis-je à mes camarades.
Tous se retournent et répondent d'une même voix à ma salutation. Je souris, pose mon sac sur une chaise vide et aide Simon et Guillaume à tout installer. Je leur serre la main mais n'échange pas beaucoup avec eux. Simon est très sympathique mais nous n'avons pas grand chose en commun, malheureusement. Quant à Guillaume, je ne le connais tout simplement pas. Pourtant, il n'est pas méchant. Loin de là, même !
Le presque roux s'avère être le dernier arrivé dans le club, l'ayant intégré dès sa rentrée au lycée, puisqu'il vient de sortir du collège. Du peu que j'ai parlé avec lui, l'adolescent est agréable et assez intelligent. A dire vrai, la première chose qui m'a fait lui prêter une attention toute particulière furent ses yeux. En effet, son visage est orné de yeux vairons, l'un bleu, l'autre marron. Il devient même difficile de lui parler sans être captivé par son regard.
– Alors, ce contrôle ? lui demande Simon.
– Oh, eh bien... ça... ça s'est pas trop mal passé...
– Cool ! dis-je. Tu as pris tes marques au lycée ?
– Eh bien... Oui...
En plus d'être légèrement à part à cause de ses yeux et de son âge, faisant de lui le plus jeune tant au niveau du nombre d'années que du temps passé au club, Guillaume est aussi légèrement timide.
– Et tout se passe bien ? enchaîné-je.
– Oui, oui, me dit-il avec un petit sourire.
M'approchant de lui, je lui pose une main sur l'épaule. Surpris, il se met presque à rougir.
– Si quelque chose ne va pas, dis-le nous, surtout. Ici, au club d'échecs, on est en quelque sorte une famille.
– Je pourrais être l'aînée ? clame Marina. Comme ça, Arthur pourra m'écouter quand je lui dis quelque chose !
– Hélène est plus vieille que toi, répond calmement le capitaine.
– Je ne suis pas vieille, intervient cette dernière en ronchonnant.
– Et Marina, ce n'est pas poli de laisser ses oreilles traîner !
– Je t'emmerde, Simon !
– Je te rends le compliment !
– Tu vois ? dis-je à Guillaume. On se dispute, mais au final, on s'aime.
– Personne ne dira le contraire, ajoute le sportif. Hein, Yuki ?
La jeune japonaise, en retrait, écarquille les yeux et acquiesce avec vivacité.
– Bien, bien sûr ! reconnaît-elle. Je ne suis pas très bavarde, mais si tu as besoin de quoi que ce soit, Gui...
– Oh, merci, c'est gentil ! dit le plus petit.
Alors qu'on échange une poignée de main et qu'il me promet de nous dire si quelque chose cloche, derrière nous, un bruit de claquement de mains retentit. C'est Arthur.
– Bon, et si on se met au travail ? propose-t-il avec un grand sourire.
Ce n'est que lorsque la deuxième sonnerie du lycée retentit que je me rends que cela fait deux heures que nous jouons, passons d'adversaires en adversaires. Aujourd'hui, j'ai eu le plaisir d'affronter Arthur, Guillaume et Yuki. Hélène, devant partir plus tôt, n'a pas joué très longtemps. Si je devais être tout à fait honnête avec moi, je dirais que nous n'avons pas fait grand chose. C'était une séance très tranquille.
En réalité, je suis presque content d'en finir. Je n'ai pas arrêté de sentir mon portable me chatouiller dans ma poche, mais je ne voulais pas le sortir en pleine partie. Je ne supporte pas d'être déconcentré dans ce que je fais... Même si visiblement, mon cerveau est premier sur le podium des éléments perturbateurs ! Pourquoi faut-il que je réfléchisse sur le prochain véhicule du futur en me récitant les passages cultes des oeuvres de Corneille ? Saloperie de cerveau, qu'est-ce que je t'aime !
Lorsque je consulte mon portable, après avoir salué mes compagnons de jeu, je constate qu'une ribambelle de messages m'attend ; la plupart venant de notifications de réseaux sociaux, mais aussi un de Mathis et un de mes parents. Et au milieu de tout ça...
« Salut, Tom. Comment vas-tu ? Tu te souviens quand on parlait des compositeurs de génie, et que je t'ai dit que mon préféré était Debussy ? Je viens d'apprendre que le morceau qu'on joue est une de ses compositions majeures ! Je suis trop contente ! Du coup, ça te dit de venir me voir répéter ? »
Si l'on m'avait dit un jour que j'irai à un cours de musique pour observer une de mes camarades jouer, j'aurais sûrement ri au nez de l'impertinent qui m'aurait dit ça. Néanmoins, mon coeur se déplace violemment tandis que je fais défiler le message. Rares sont les fois où j'ai des activités en dehors du lycée et d'autres passions comme les échecs. Alors oui, sans mentir, je me sens honoré. Je n'hésite pas longtemps avant de lui répondre.
« Salut ! Oui, je m'en souviens. C'est au lycée ? Et la prof est d'accord, ça ne pose pas de problème si je viens ? »
Debout au milieu du couloir, planté comme un imbécile, j'appuie sur la touche pour envoyer. Je referme mon portable et le range dans ma poche pour avancer. Je ne peux pas m'empêcher de regarder l'écran de l'appareil tous les cinq mètres dans l'espoir d'un message.
Cinq minutes plus tard, le Saint Graal tombe enfin. Mon manteau se met à vibrer.
« Oui, et oui ! Ma prof accepte qu'on soit accompagné, tant que ce n'est pas tout le temps, qu'il n'y a pas de désagrément, que tout le monde ne le fasse pas au même moment et qu'on n'est pas trop nombreux ! »
Mes doigts s'agitent et je lui demande à quelle heure est le cours. Comprenant que j'accepte sa proposition, Vénus réplique par une réponse enjouée dans laquelle elle m'explique que c'est dans vingt minutes, et, anticipant ma future question, que le cours dure environ une heure. Dans un deuxième message, elle m'indique également de la rejoindre dans le hall d'entrée.
Ravi, je préviens Erwan qui voulait me voir pour faire les exercices du week-end que je ne viendrai pas. Je me trouve un peu embêté de dire non à mon ami alors qu'il avait prévu ça en premier. Mais connaissant Vénus, je suis sûr que ça la vexerait si je ne venais pas.
– Bon, il me reste vingt minutes... Hum...
Je décide, après mûres réflexions, de retourner au CDI. Une flopée de livres qui m'attendent s'y trouve. Puis c'est un excellent moyen de faire passer le temps.
Une boule creuse mon estomac, et pendant que je rejoins la salle de lecture, j'imagine les notes flotter. Mes pas résonnent comme des touches de piano ou des coups de triangle perdus. Pareilles au coup de l'archer sur le violon, les rares feuilles solitaires chuintent dans le vent, dans un ballet auditif tourbillonnant. Les conversations des élèves tapent comme le chant un clavecin. Tournant, tournant, les notes fantasmées s'éparpillent dans le chuchotement du monde qui ferme ses paupières, berçant le soleil qui disparaît au loin. Tantôt, je mets un pied sur le sol froid et austère du lycée, tantôt mon pied bat la mesure sur le bois du parquet de la scène rêvée. L'astre dominant s'écroule et s'éclipse derrière les toits, ne laissant échapper qu'une faible lueur plus parfaite que l'éclat cinglant des projecteurs au milieu de la nuit. Et tandis que je monte les marches d'un escalier en colimaçon, la symphonie de l'espoir souffle dans l'air comme les applaudissements de tout un univers, qui, l'espace d'une seconde, a résonné dans une complète harmonie inespérée.
Les vingt minutes s'écoulent lentement. Un morceau de musique classique dans les oreilles et agréablement calé dans un des fauteuils de la salle, je termine une lecture débutée avant-hier. Ce n'est pas une oeuvre très facile, et je me félicite d'avoir mis moins de temps que d'ordinaire pour l'avoir terminée. Au bout d'un quart d'heure, je range tranquillement mes affaires, salue le documentaliste, qui, comme par hasard, est le même que lors de ma première rencontre avec Vénus et sors de la pièce.
Comme convenu, je rejoins le hall. Assise dans un des sièges normalement réservés aux parents d'élèves et aux professeurs lors de réunions et rendez-vous, Vénus m'attend patiemment. Elle est vêtue d'une jupe noire et d'un petit haut tout à fait charmant, le tout caché par son habituel manteau grisâtre.
– Salut.
Nous nous faisons la bise avec une certaine timidité.
– Salut, Tom. Contente de voir que tu es venu !
– Je n'allais pas rater ça, tout de même.
– J'espère bien ! Debussy est mon compositeur préféré. Et là, on va répéter Clair de lune. Tu peux pas savoir à quel point je suis excitée !
– Si, si, je vois.
– Au fait, il est possible que tu ne sois pas seul ! m'informe-t-elle en bifurquant.
– Comment ça ?
– Je crois que Sonia a dit qu'elle ramènerait son frère, mais je ne suis plus sûre ! J'ai un doute entre aujourd'hui et lundi.
– Ah, je vois. On verra bien.
– On dirait que ça ne te fait pas plaisir...
– Pas particulièrement. Disons que ça ne me déplaît pas non plus, ajouté-je en apercevant l'ombre planant sur son visage. De toute façon, ce n'est pas comme si je vais avoir le choix, une fois que je serai dans la salle. Vous êtes nombreux ?
– Moins de dix. Six, précisément...
J'acquiesce. Nous continuons de discuter tranquillement en marchant. Chaque pas qui nous rapproche de la salle fait augmenter de manière irrationnelle mon adrénaline. Finalement, nous arrivons à destination. Devant la salle campent quelques adolescents. J'en connais un ou deux de vue. Je reconnais notamment un des camarades d'Erwan qu'il côtoyait en seconde.
Je les salue rapidement et m'installe dans un coin, sans rien dire. Effectivement, une des amies de Vénus, Sonia, a ramené son frère. C'est un jeune garçon un peu plus jeune que moi. Il me semble qu'il s'appelle Alex. La prof se met en bout de salle et chacun gagne sa place. Ma camarade lettrée, elle, se met derrière un piano. Après une petite tirade, la répétition commence.
Un silence solennel flotte dans les airs, puis les notes explosent comme une première vague sur la plage, à l'aube. L'écume laissée par les instruments se dissipe doucement, attendant avec patience d'être remplacée. D'abord, seuls certains se mettent à jouer... Les premiers remous du matin soupirent doucement et murmurent le chant de l'iode contre le sable d'une plage déserte. Je suis sur cette chaise et je suis aussi ailleurs, là, sur cette étendue dorée, tantôt errant entre mes pensées, tantôt sur cette plage fantasmée, et totalement dans cette salle close. Ah, tiens, une légère fausse note retentit, tel le vent strident. Ce n'est pas bien grave, n'est-ce pas ? N'est-ce pas là un accident de la vie comme tant d'autres ? Pourtant, ne retiendrons-nous pas ce vent frais au milieu de ce paysage ?
Le vent cesse de souffler. Une nouvelle vague chatouille mes pieds. Je sursaute lorsque les premières notes de la flûte traversière jouée par Sonia parviennent à mes oreilles. Assis à côté de moi, son petit frère la regarde avec des yeux prêtés à tout cadet admiratif. Comme je le comprends ! Sonia est une belle jeune femme. Elle joue bien. La dame qui encadre ce cours reste concentrée. Elle coordonne le tout comme un chef digne. Le capitaine du navire ne sourit pas, il ne se satisfait que quand le cordage qui hisse sa voile est bien tiré.
Le chant s'arrête. Quelques ordres sont donnés. Des mots écrits dans le sable. Ils s'effacent. La vague recommence. Il ne lui manque pas grand chose. Vénus n'a pas encore joué. Je ferme les yeux. Et soudain, tout change.
La brise bat les cheveux solitaires du voyageur que je suis. Je marche, doucement. Les autres instruments s'effacent au profit d'un seul. Je la vois. Elle est là, elle m'attend, elle chante sur la plage. Assise à son piano, dans le sable, son regard mélancolique détaille la surface de l'océan. Ses doigts, graciles et puissants, filent. Douceur, précision, passion. Les cheveux de la belle se secouent au rythme des soubresauts de ses épaules. Ils filent comme les gouttes d'eau qui se répandent sur la plage. Je suis là. Sur son tabouret, le dos bien droit, Vénus, au milieu de la pièce, ne joue pas. Elle ne joue pas, non, elle danse avec la brise, elle virevolte sur son tabouret de velours, elle s'envole au-dessus des cieux. Un rai de lumière illumine ses épaules, et elle se tient au milieu du monde comme une épiphanie. Ses bras ne sont plus des bras, ils s'entourent de plumes.
Sur cette plage, les ailes clouées au sol, je tends la main vers cette créature, ce don du soleil, ce cadeau sans pareil. Elle ne me fait pas face. La mélodie emporte le navire de sa passion sur des mers lointaines. Parfaitement immobile, elle fait tourner le monde sous une lune qui brille bien fort. Je ne peux marcher dans sa direction.
Les notes glissent. Son regard sur son piano noir et le mien sur elle, il n'y a plus de professeur, plus d'autres instruments, plus de Sonia à la flûte traversière, plus d'Alex au sourire béat. Juste elle, elle et moi, elle et moi, et son piano noir, sa musique et son talent, moi et mon imagination débordante. Juste elle, moi, cette salle tantôt pièce tantôt plage, juste elle et mon âme qui pleure mille sentiments.
Par le plus grand des hasards, son visage se tourne vers moi, moi, ce spectateur muet et invité. Ses yeux brillent de mille feux, de ce feu qu'on ne parviendra jamais à éteindre, d'un feu sacré surpassant même l'éclat des astres. Un feu qui ferait briller les abysses, un feu rempli des larmes les plus sincères, celles-là même qu'on retient avec toute la difficulté du monde. Ce n'est qu'un contact visuel, mais cet instant dépasse jusqu'à la magie des dieux.
Le murmure des sirènes, lui, file comme une étoile. Les autres peuvent bien jouer, je m'en moque. Il n'y a plus que Vénus, son clair de lune et moi. Vénus porte bien son nom. La planète de la beauté, la déesse de l'harmonie, celle qui transcende la voie lactée et l'univers entier. Vénus est à part, elle transcende même ce clair de lune.
Une seconde, une minute, une heure ; j'ignore le temps qu'elle passe à jouer. Je pourrais lui accorder toute l'éternité pour partager avec elle une symphonie. Et soudain, la mélodie se tarit comme la pluie quand l'averse finit enfin de tomber. Les âmes ne dansent plus. Elles admirent seulement le calme plat de la mer, celui qui endort les âmes et réveille les coeurs.
Lorsque je rouvre les yeux, personne ne parle plus. Le temps s'est arrêté, la musique a tout dit. Et ce soir, des sanglots silencieux étranglent mon corps tout entier.
Le monde se réveille alors peu à peu. La professeure, Alex et tous les autres applaudissent. Mais au milieu de tout ça, Vénus et moi, nous regardons, les yeux brillants.
J'ai passé le reste de la séance, silencieux, à observer le cours se dérouler. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cet instant de pur bonheur a défilé à la vitesse de l'éclair, comparé au reste de l'heure, tout en conseils, en reprises et en objections venant de la professeure.
Finalement, lorsque nous sortons, j'ai bien du mal à retenir les larmes qui perlent au coin de mes yeux. Je passe une main lassée sur mon visage, ce qui suffit à les garder au fond de moi. Mais pour combien de temps ? Je l'ignore. Je salue tout le monde à la fin et remercie l'intervenante de m'avoir accueilli.
Dehors, Vénus m'attend. Sans un mot, nous quittons le lycée. Ce n'est qu'une fois à l'extérieur, sous les étoiles, que nous pleurons, sans un mot. Nous ne pleurons pas vraiment, d'ailleurs. Une larme perle juste au coin de nos yeux, avant de rouler sur nos joues et de disparaître, glacée par les mains de la nuit.
Nous prenons le même chemin que la dernière fois. Nous nous voyons un peu plus souvent, et nous avons même repris un café depuis la dernière fois. C'est pourquoi aucune hésitation n'émane de nos pas quand nous nous dirigeons vers le café qui nous a accueillis.
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