Chapitre 11 - Partie 1
Parfois, vaincre l'ennemi s'avère plus compliqué qu'on ne le pense. Certes, la victoire est tout un art de vivre, mais ça ne veut pas dire pour autant qu'on peut l'atteindre facilement. Mais après tout, que serait le goût du triomphe s'il n'y avait aucune difficulté ? C'est tout du moins la réflexion qui me traverse l'esprit alors que je reste devant la salle de conférence avec Mathis, Erwan et Claire.
J'attends ce moment depuis des jours. J'ai l'impression que mon estomac s'est tordu dans tous les sens au cours des dernières heures. Je n'en peux plus de patienter. Voilà maintenant des semaines que je me prépare psychologiquement pour cet instant précis. Je me sens comme un lion dans sa cage. Pour être honnête, même le lion, aussi royal puisse-t-il être, n'évoque pas mon sentiment à propos de cette épreuve. Je ne pense plus qu'à ça depuis des jours. Chaque soir, j'ai imaginé des milliers de scénario ; la nuit a hanté mon cerveau des possibles déroulements de cette finale, et chaque fois, je me suis posé encore plus de questions.
Je ne saurais trop comment définir cette impression, ce sentiment qui parcourt mon corps. Comme une pile électrique chargée à bloc, je suis sous tension. Je n'ai que très rarement ressenti ça, du moins aussi intensément. C'est comme si je m'étais préparé toute ma vie pour participer à la finale de cette épreuve.
Je me demande si Mathis a eu une bonne idée en m'inscrivant à ce concours. Honnêtement, je ne sais toujours pas quoi répondre à cette interrogation qui me taraude encore souvent l'esprit. Au final, je décide que ce n'est actuellement pas un non définitif.
– T'es prêt ? me demande Mathis.
– Pour la centième, et j'espère la dernière fois, oui, Mathis ! répliqué-je, assez agacé d'être déconcentré.
Et pour la centième fois, je ne peux m'empêcher de remettre droit mon col et de boutonner à nouveau mon pull. Mes parents disent que c'est un geste nerveux qui me permet d'évacuer une partie de l'angoisse qui m'étreint. Occuper mon corps pour ne pas penser à mon cerveau. Ce n'est pas la méthode la plus efficace, mais ça a au moins le mérite de ralentir mon flux de songes.
– Encore le nez dans ton portable ? commente Claire.
Erwan, à côté de moi, pousse un grognement en guise d'approbation. Je sors également le mien, ce qui provoque chez la littéraire un soupir :
– Et quoi ? On va attendre tous les quatre sur nos portables ? Sans rien se dire ?
– Tu voudrais quoi ? Tu voudrais qu'on parle de fleurs et de licornes ou qu'on se concentre sur cette finale jusqu'à ne plus pouvoir en entendre parler ? Très peu pour moi, dis-je.
– T'es pas drôle.
– Je ne cherche pas à l'être.
Le nez en face de l'écran, je perds mon temps sur les réseaux sociaux. Bien que je n'y entretienne que très peu de liens, ils n'étaient pas inutiles pour autant. En l'occurrence, ils pouvaient même me donner un avantage stratégique.
– Tu fais quoi, Tom ? me demande soudainement le brun.
– Rien.
Le petit s'approche de moi et passe sous mon bras pour regarder ce que j'étais en train de faire. Ses yeux s'agrandissent quand il voit ce que je faisais réellement.
– C'est pas vrai ! T'es sérieux ? s'exclame-t-il.
– Eh ! C'est à moi de dire ça !
– Quoi, quoi ? se réveille Claire.
– Rien !
– Tom est en train de regarder le compte de Vénus !
– Mathis !
Je presse ma main contre sa bouche, le forçant à se taire. Il se débat et finit par se libérer. Je lui lance un regard plus noir qu'une nuit d'orage, avec le petit bonus des éclairs qui tombent. Je me demande d'ailleurs combien d'éclairs suffiraient pour éclairer une maison et pour combien de temps... Non, cerveau ! Range tes questions pour plus tard, et occupe toi du dossier le plus important à présent : l'impertinent camarade révélateur de secrets !
– La ferme, Mat !
– Non mais sérieux ? Le profil de ton adversaire ? gronde doucement la blonde. C'est de la triche, non ?
– C'est stratégique. Rien de plus.
– Ouais, ouais... On ne nous la fait pas, à nous ! m'informe gentiment Mathis.
– T'es amoureux d'elle, Tom ? intervient Erwan dans le plus grand des calmes.
Cette question me met très mal à l'aise. Non, je ne suis pas amoureux d'elle. Ce n'est qu'une adversaire redoutable que je vais vaincre, le plus vite possible. Une adversaire absolument féroce. D'une incomparable beauté. Et qui ne laisse apparemment personne indifférent. Mais ce n'est qu'une lycéenne. Je crois. J'en suis sûr. Bien sûr que ce n'est qu'une lycéenne, un peu différente des autres. Pas comme je le suis. Comme elle l'est, elle. Pourquoi suis-je en train de débattre du statut d'une simple adversaire ?
Je me passe une main sur le visage. Peut-être pour ne pas montrer aux autres la teinte écarlate qu'arbore actuellement mon visage. Je me gratte ensuite les joues, technique efficace pour dissimuler mes rougeurs naturelles par une cause artificielle.
– N'importe quoi. Ce n'est que mon adversaire. Elle est intéressante mais ça s'arrête là.
Je fourre mon portable dans ma poche, me détourne d'eux et leur tourne les talons, ignorant leur mine se parant d'incompréhension, et leur lance :
– Je vais prendre l'air.
– Toto, l'épreuve commence bientôt !
– Eh bien ils attendront ! Ils ne sont plus à quelques minutes, non ? Annoncez leur que je suis parti aux toilettes ou je ne sais où, ça fera l'affaire.
Trouvez une excuse, n'importe laquelle, et débrouillez vous pour que tout se passe correctement. S'ils sont dignes d'être mes amis, ils trouveront une solution et je disputerai la finale dans les temps. Et puis, ne dit-on pas qu'on garde le meilleur pour la fin ?
Mon comportement peut paraître insouciant aux yeux des gens qui ne me connaissent pas et qui pourtant osent porter un jugement de valeur. Mais évidemment, avec mon quotient intellectuel, je ne suis pas idiot, bien au contraire. La sortie de l'établissement se situe à une quarantaine de mètres de la salle de conférence, aussi il ne me faut que deux minutes pour la rejoindre en marchant tranquillement, le temps de saluer quelques membres du personnel, toujours plus enclins à bavarder au moment le moins opportun.
L'hiver qui pointe doucement le bout de son nez est loin d'être ma saison préférée, mais l'air glacé me permet au moins de déloger quelques pensées néfastes. Aujourd'hui, ni Mathis ni moi n'avons eu besoin des conseils de Camille pour prendre une écharpe, que je resserre dans une vaine tentative pour me réchauffer. Là, tout de suite, j'aimerais beaucoup un grand café, si ça n'était pas aussi excitant pour le corps, surtout avant une activité aussi gourmande en énergie.
Devant la grille, quelques élèves s'échangent des banalités, mais aucun ne s'arrête pour me saluer. Bien qu'on ne me considère pas comme un fantôme, il semble que j'en ai toutes les caractéristiques. Ou alors, j'ai juste affaire à une bande d'abrutis malpolis et trop suffisants pour ne pas saluer un camarade qui a partagé un banc une ou plusieurs années.
Parmi mes activités, l'une de mes préférées consiste à observer les gens. Combien d'entre eux ont participé au concours cette année ? Combien d'entre eux ont été déçus ? Heureux ? Soulagés ? Et l'année dernière ? Ont-ils jalousé Vénus d'avoir gagné le prix de la meilleure lycéenne à l'oral ? Et si je gagne, vont-ils me jalouser ? Me respecteront-ils ? Ont-ils respecté Vénus il y a des mois quand elle s'est située à ma place ? S'est-elle posé les mêmes questions ?
Et surtout, pourquoi suis-je incapable de renoncer à toutes ces questions ? Non. Il faut que je me repose. Inspire. Expire. Je joins mes mains et les presse l'une contre l'autre. Je ferme les autres. Je me masse les paumes.
Trop concentré sur mon exercice, je n'aperçois la silhouette devant moi qu'au moment où elle se trouve sous mon nez. Mon coeur rate un battement. J'espère que ça ne va pas devenir une habitude. J'essaie de ne pas prêter attention à cette ombre.
– Depuis quand les gagnants ont besoin de prier ?
Je relève les yeux. Il ne manquait plus que ça.
– Depuis quand deux ennemis doivent se parler avant la bataille ? répliqué-je, en massant mes poignets.
– Pourquoi pas ? répond Vénus. Ce serait une sorte de pré-rencontre avant la guerre. Comme dans un film, où les deux belligérants se parlent avant l'inéluctable bataille.
– Nous ne sommes pas dans un film.
– Qu'est-ce que tu en sais ?
En remettant une mèche de cheveux en place, Vénus pointe du doigt la façade de l'établissement. Je regarde dans la direction qu'elle désigne.
– Il y a très probablement des caméras de surveillance, dit-elle sur un ton professoral qui me déplaît. Nous sommes probablement enregistrés. Donc nous sommes dans un film, en quelque sorte, non ?
– Non, on pourrait être dans un film effectivement, mais il n'y a pas de scénario ni de réalisateur.
– Et tu vas me faire croire que ce lycée n'est pas qu'un décor ? Tu vas me faire croire que le comportement de chaque élève n'est pas qu'une mascarade ?
Je prends le temps de réfléchir à son propos et hoche la tête.
– Tu marques un point, mais dans les faits, ce n'est et ne sera pas un film. Il n'y a même pas de côté artistique à toute cette farce.
Elle hausse les épaules. Le froid commence à engourdir mes jambes, mais ça ne m'apparaît pas bien grave.
– Franchement, ça pourrait faire un superbe débat pour la finale. J'aime bien l'art. Pas toi ?
– Si, beaucoup. Mais on aura sûrement l'occasion d'en reparler, n'est-ce pas ?
Elle esquisse un sourire.
– Certainement !
Un silence gênant s'installe, durant lequel mon portable se met à vibrer au creux de ma poche. Je ne réponds pas. Vénus observe le ciel d'un regard tout à fait curieux. Je ne sais même pas si elle se rend compte que je la regarde. A-t-elle seulement conscience de ma présence ?
– Toi, tu te masses les poignets et tu te dégourdis les jambes malgré le froid ; moi, je regarde le ciel et j'imagine ma vie ailleurs, débite-t-elle sans même me regarder.
– Hein ? dis-je, surpris.
– Un rituel, avant quelque chose d'important, répond-elle.
– Important ? Ce sera une formalité.
– Tu es bien sûr de toi, Toma Stern.
– Aurais-je tort de l'être, Vénus Andersen ?
Nous nous défions du regard un court instant, puis elle sourit, un air satisfait peint sur le visage. Elle désigne un groupe de gens qui se dirigent vers le lycée en piaillant. Il est autant composé d'élèves que d'adultes, de gens proches d'élèves que des professeurs. Au final, ils doivent bien être une bonne dizaine à venir.
– Le plus important, au final, c'est de leur offrir un spectacle inoubliable.
J'acquiesce mais ne trouve rien de bon à ajouter. Mes pensées vont à l'épreuve. Et dire que je souhaitais être seul un court instant. Je quitte Mathis et les autres et je gagne Vénus. Fantastique.
Heureusement, le froid me titille assez pour me donner une raison de partir. Je me décolle du mur contre lequel je me suis appuyé tout au long de notre discussion. Vénus se tourne vers moi et m'interroge du regard :
– Bon, je vais te laisser, dis-je. Moi, je suis prêt, je retourne à l'intérieur.
– D'accord. On se retrouve sur scène. Tu sais, ça m'a fait plaisir de parler avec toi.
– Ouais.
– Bonne chance. J'espère que tu crois aux miracles, me lance-t-elle.
– De la chance ? Tu crois vraiment que la chance suffirait ?
– Parfois, oui. Parfois, tu as juste besoin de chance.
– Je ne me base pas sur la chance. C'est un truc de perdant, ça.
– Je ne perdrai pas contre toi.
– Moi non plus, Vénus. Je ne compte pas échouer.
– Ce sera difficile... Mais ce ne serait pas amusant si ça ne l'était pas, non ?
– Exactement.
Je commence à passer l'entrée du lycée quand elle me lance :
– Comme je te l'ai dit, ce sera loin d'être facile. Espérons qu'un miracle arrive, parce que je crois bien qu'il en faudra un.
– Je ne suis pas vraiment le genre de personne à croire aux miracles. Je ne crois qu'en moi-même... ce qui revient au même.
Je laisse Vénus qui ne réplique rien, trop occupée à offrir au ciel un sourire rayonnant. C'est ça. Prépare toi bien. Ma victoire n'en sera que plus belle.
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