Partie 10 : La Forteresse Folâtre
" Il dort ?
- Il est mort ?
- Non il dort.
- Il est tout nu ?
- Pourquoi il est tout nu ?"
Christopher sentait peu à peu son esprit immergé d'un long sommeil. Le plus long depuis des mois et définitivement le plus reposant. S'était comme de sortir d'un coma et quelque part, il aurait préféré y rester car l'odeur marine qui planait, celle de l'humidité mêlée à l'huile moteur lui donnait subitement mal à la tête alors même qu'il n'avait pas ouvert les yeux.
Des petites voix chuchotaient juste à côté de lui, ricanaient et ne comprenant pas trop s'il était encore en train de rêver, il leva simplement une paupière et manqua de faire une crise cardiaque en voyant deux petites filles le visage presque collé au sien. A peine avait-il sursauter qu'elles éclatèrent de rire avant de s'enfuir en courant du wagon.
" Il est réveillé !
- Il est réveillé !
- Maman ! Il est réveillé !"
Christopher se frottait les yeux, se sentait de plus en plus mal à l'aise alors qu'il était seul allongé sur la banquette, nu. Heureusement il avait un drap sur lui mais ce n'était pas comme ça qu'il imaginait se réveiller ce matin-là. Renvoyant les évènements de la veille, il regarda tout autour de lui, à la recherche de la silhouette gracile de celui qui avait partagé sa chaude nuit, avant d'entendre un raclement de gorge et de sentir l'odeur piquante de la fumée de cigarette.
" Il est parti."
Une femme d'une quarantaine d'année se trouvait face à lui. Appuyé contre la porte coulissante dans son tailleur noir et sévère. Parfaitement bien coiffé et le visage anguleux. Son fort accent allemand avait titillé les souvenirs de Christopher qui la reconnaissait pour l'avoir aperçu dans des publicités et des vidéos de présentations des Plasmides.
Le Docteur Brigid Tenenbaum.
" Où ça ?
- Aux appartements de l'Olympie."
Christopher fronça les sourcils, méfiant. Ce qui sortait de sa bouche était aussi sincère que le sifflement d'un serpent perfide. Le brun était déjà quelqu'un de difficile à convaincre mais quand il s'agissait ni plus ni moins que de la scientifique en charge du Projet Petite Soeur, il devait bien avouer qu'il peine même à rester calme en sa présence.
La scientifique esquissa un sourire sachant parfaitement ce qu'elle pouvait représenter à ses yeux. Elle tira une longue bouffée sur cigarette avant de recracher sa fumée, gardant un ton serein.
" Nous avons retrouvé des traces de votre fille et quand je lui en ai parlé ce matin, il a décidé de partir.
- Seul ?! S'étrangla Christopher. Pourquoi ? Pourquoi vous ne l'avez pas arrêté ?
- Il a dit que c'était sa seule chance. La chance de pouvoir être enfin pardonné."
Imbécile, retint de jurer Christopher. Ses poings se serraient et il retira le drap sans aucune pudeur. Il s'habilla sous l'œil neutre de la scientifique qui continuait de fumer, l'observer de son oeil curieux sans être intrusif. C'était un regard qui ne s'arrêtait nullement à la plastique du brun, plutôt une manière peu discrète de sonder l'homme, sa façon d'être et ce qui avait bien pu trouver grâce aux yeux de Hyunjin pour qu'il se lance seule dans une mission aussi suicidaire que de retrouver sa fille, si près d'Andrew Ryan.
Christopher chercha furieusement autour de lui ses affaires, il bouscula presque le Docteur Tenenbaum en sortant de la cabine, récupérant ses chaussettes et ses chaussures avant de descendre du wagon. Il fut heurté par les innombrables voix d'enfant, elles couraient tout autour de la station, sans ne se soucier ni de lui ni du lieu. Dix-neuf petites filles entre six et huit ans qui chahutaient et criaient, le renvoyant péniblement à des souvenirs aussi difficiles que chéris au fond de son esprit. Des fragments de lui et sa fille, la déposant à l'école pour la première fois, jouant au milieu de ses camarades et saluant une dernière fois son père qui était bien plus sensible que ne laissait à penser sa carrure et son regard froid d'aujourd'hui. A une époque, c'était Alice qui le sermonnait parce qu'il retenait ses larmes de papa ours.
Dans les couloirs froids des eaux de Rapture, il ne souriait plus aussi tendrement, il n'avait personne pour rire de ses sensibleries. Ici, il était craintif, il leva les bras instinctivement en voyant les petites filles jouer autour de lui, le traitant comme s'il ne s'agissait ni plus ni moins que d'un obstacle parmi tant d'autres au milieu de leur jeu. Leur vie de Petite Sœur semblait totalement anecdotique, elles avaient retrouvé la vivacité de petites filles ordinaires. Rien qu'à les regarder, il se sentait débarrasser d'un poids. Le poids du remord en tant qu'homme responsable d'une façon ou d'une autre de leur destin, comme pouvait l'être tous les hommes à la surface en voyant les actions collectives conduire à des guerres, des famines, des déluges à travers le Monde.
" Maman ! Maman ! On va prendre le train bientôt ?"
Le Docteur Tenenbum descendait à son tour du wagon, souriant tendrement aux enfants qui s'accrochaient à ses jambes.
" Oui, très bientôt."
Tout comme Hyunjin, elle avait une certaine douceur lorsqu'elle s'adressait aux petites filles, comme si elle était émerveillée de les voir rire, courir. Elle avait un réel attachement pour les enfants et chaque fois que l'un d'entre elle l'appelait "maman", son regard pétillait de fierté.
Christopher avait pourtant du mal à avaler la couleuvre. Brigid Tenenbaum incarnait à ses yeux l'image même des monstres qui lui avaient volé sa fille, si Hyunjin ne lui était jamais apparu, de près ou de loin pour présenter les progrès scientifiques de Fontaines Futuristics, ce n'était pas le cas de l'allemande qui avait fait la une de la presse, des émissions télévisées. Elle était la Mère des Petites Sœurs. La concernant, il était certain de ne jamais pouvoir ressentir une once d'empathie.
Ca le rongeait d'autant plus qu'il savait que concernant Hyunjin, son sentiment était totalement différent, il se mordait la langue rien qu'à penser que le blond puisse imaginer qu'il pouvait encore nourrir les même ressentiments à son égard. Christopher n'était pas le genre à verbaliser mais peut-être que cette fois, il aurait pu faire l'effort. Cela aurait évité une telle situation frustrante et surtout angoissante.
" Il est parti il y a longtemps ? Demanda Christopher.
La brune releva son regard sur le père de famille. Son sourire ne s'effaçait pas et elle se contenta de pousser doucement les petites pour qu'elles partent s'amuser plus loin.
- Environ trois heures. La Résidence de l'Olympie est gardée par des tourelles et des sous fifres de Ryan. Il faut passer par la Forteresse Folâtre, Ryan a donné le contrôle du quartier à Sander Cohen. Il a totalement perdu l'esprit mais c'était déjà le cas avant. Je ne sais pas si cela existe, un artiste sain d'esprit.
- Autant que de scientifique, je suppose."
Christopher récupéra son fusil, comptant le nombre de balles qui lui restait avant de prendre son sac. Une fiole d'Adam était toujours à l'intérieur, Hyunjin lui en avait laissé une, une attention qui lui ressemblait bien alors qu'il avait bien fait en sorte de partir seul. Imbécile, continuait à le fustiger le brun, non sans être quelque part touché par sa générosité autant qu'elle l'énervait.
Il remonta rapidement les marches de la station sans même se retourner ou donner plus d'explications au Docteur qui restait en retrait, sachant parfaitement où il se dirigeait.
En traversant à nouveau le parc Dionysos, il se rendait compte que son cœur battait à tout rompre et cognait dans ses oreilles d'un tambour nerveux. Hyunjin était parti sans lui, pour une raison qu'il pouvait comprendre mais qui le mettait en rogne. Il n'avait pas besoin de gagner son pardon ! Ne l'avait-il pas compris hier ? Peu importe ce qui il était, peu importe ce qu'il avait fait. C'était l'homme d'aujourd'hui qui avait réussi l'exploit de lui faire oublier sa haine. Le pardon n'avait plus d'importance.
" Rah merde Hyunjin, si tu meurs, je te tue..." grommela Christopher.
***
La Forteresse Folâtre était un quartier des plaisirs luxueux, demeure d'artistes, de danseurs et surtout un lieu de perdition en ces temps sombres. Contrairement au reste de Rapture, cette partie de la ville semblait encore en vie, moribonde, occupée par des personnes dotées encore de raison mais cette dernière était au service de mal.
Sander Cohen en était un parfait exemple, tuant pour le plaisir, sadiquement, son théâtre était un des rare encore ouvert et ce qu'il s'y passait restait de l'ordre des rites sataniques. S'y faufiler était compliqué, les sous fifres de l'artistes et a fortiori d'Andrew Ryan était un peu partout, patrouillant et n'hésitant pas à ramener des survivants capturés au détraqué qui les dirigeaient. Pour lui la chute de Rapture était une grande récréation, il pouvait faire ce qu'il voulait, laisser libre à cours à sa folie comme il ne put jamais le faire auparavant. Attachant parfois de pauvre victime à la roulette du Casino avant de la dépecer à chaque mauvais coup, obligeant des personnes à danser jusqu'à en tomber morts épuisés ou après avoir utilisé leur visage comme nouvelle toile.
C'était un monstre humain, une catégorie bien plus effrayante que les créatures consumées par l'Adam car il pouvait penser, juger, raisonner mais il le faisait pour son plaisir malsain.
Hyunjin savait qu'il ne servait à rien de se cacher, passer la Forteresse était impossible à moins d'essayer de massacrer tout le monde. Alors il devait être plus intelligent. Il marcha simplement jusqu'à rejoindre le début de l'aile et automatiquement les caméras se tournaient vers lui, suivant son ascension d'un silence curieux. Les occupants postés dans les coins des halls et corridors étaient surpris de voir un homme s'avancer sans tenter de fuir, à tel point qu'ils en étaient décontenancés une seconde, ne sachant pas comment réagir. Reconnaissant finalement le scientifique, ils restaient immobiles, n'ayant toujours pas décider de l'attitude à adopter. Ennemis ou allié, ils ne savaient comment le traiter. Une chose était sûr, il n'était pas leur ami.
Certains présentaient des signes évidents d'une addiction déjà bien entamé par le Plasmide, fumant et découvrant des cicatrices qu'ils avaient essayé de cacher par des masques ou des maquillages plus qu'outrancier, grotesque mais effrayant, comme le pouvait l'être un clown meurtrier. S'ils ne mouraient pas du manque, ils finiraient comme les autres à chasser les Petites Sœur ou se chasser entre eux pour un peu de liquide miracle.
" Docteur Hwang !" S'exclama soudainement la voix guillerette de Sander Cohen.
En haut d'une estrade, dans un costume en queue de pie, le visage fardé et les moustaches remontées comme un peintre fou, il ouvrait grand les bras et découvrait ses dents d'un sourire pervers.
" Bienvenue à la Forteresse Folâtre ! Je suis heureux de vous voir vous joindre à notre fête !
- Une fête, retenue Hyunjin en regardant d'un œil méfiant les habitants qui grimaçait de leur air cruel.
- Une fête sans fin Docteur Hwang ! Sans fin et sans faim ! Tout est possible en ces lieux, tout ! Et c'est à vous que nous le devons, n'est-ce pas Docteur ? Les Plasmides, votre chef d'oeuvre...", gronda l'artiste d'une voix basse et menaçante, sans pour autant se défaire de son sourire. " En tant qu'artiste, je dois vous tirer mon chapeau Docteur..."
Hyunjin ne pouvait baisser les yeux devant Sander Cohen, il ne pouvait montrer un signe de faiblesse et pourtant il se doutait que malgré toute sa folie, l'artiste savait ce qu'il venait faire ici et ce n'était certainement pas pour jouer avec eux. Le peintre pencha la tête sur le côté, pivota sur lui-même comme un acrobate avant de descendre de son estrade et rejoindre le scientifique. Il était euphorique, enivré de tous ces évènements qui abreuvait sa santé mentale défaillante.
Sander Cohen avait sa place dans un asile, Rapture lui correspondait en tout point, s'il ne restait que ces malades pour reconstruire, alors il pouvait mourir avec elle et sombrer dans l'Océan, Hyunjin n'avait aucun remord les concernant. Cependant, il n'était pas en position de force, il devait passer la Forteresse et il se doutait qu'il devait avoir quelque chose à offrir pour pouvoir s'en sortir vivant.
" J'ai besoin d'aller à la Résidence de l'Olympie.
- Pourquoi ? Monsieur Ryan te manquerait ? Lui qui a été si bon envers toi et toute ta communauté. Il vous a donné tout ce dont vous aviez besoin, vous ouvert les portes de la liberté, sans censeurs, sans entraves éthiques, vous n'aviez qu'à demander et vous étiez exaucé. Tu as un cadeau à lui remettre ?
- Je ne compte pas le voir, ce n'est pas lui que je cherche."
Cohen était intrigué, il gardait son sourire. Ils ne s'étaient jamais appréciés auparavant. Que ça soit au différent gala, conférences, aux réunions avec les dirigeants, aux visites de Ryan au laboratoire, des éloges dont il ne tarissait pas à son égard, rendant complètement malade de jalousie l'artiste. Les deux hommes se jugeaient chacun comme l'antinomique de l'autre. Hyunjin était autant pétri de culpabilité à chaque tape d'Andrew Ryan sur son épaule, que l'artiste était fou de rage de voir l'excellence dans un domaine qu'il ne maîtrisait pas.
Son chef d'œuvre. Lorsqu'il avait prononcé ses mots, il en avait senti tout le venin, toute la rancœur qu'elle suscitait chez homme qui n'avait reçu pareil qualificatif par celui qu'il respectait plus que sa vie elle-même. S'il y avait bien quelqu'un pour qui Sander Cohen était dévoué, c'était Andrew Ryan. Il ne vivait que pour l'impressionner, pour le rendre fier et lui donner la fameuse approbation qu'il attendait tant. Elle dépassait tout, même sa folie.
" Qui cherche tu alors ?
- Une Petite Sœur.
- Oh..."
La bouche de l'artiste fermait la lettre dans une expression exagérée. Il tapota son menton d'un air faussement songeur.
" C'était donc vrai, tu cherches à sauver ces petits monstres, comme si cela pouvait suffire à réparer ce que tu avais fait."
Sander secoua la tête désapprobatrice et d'une petite mine boudeuse il s'approcha de Hyunjin, jusqu'à presque coller son visage au sien mais Hyunjin ne cillait pas le moindre geste. Se refusant à lui donner la satisfaction de montrer une quelconque crainte. Il savait qu'il était capable de lui arracher le cou, simplement pour se délecter du goût de son sang sur son visage cruel, mais il n'en ferait rien. Parce qu'au fond Sander voyait en lui un privilégier, un protégé d'Andrew Ryan car le dirigeant de Rapture n'était pas sans connaître sa quête rédemption et n'avait à ce jour ordonner aucune attaque à son encontre. Hyunjin aimerait voir là, la propre culpabilité du fondateur de Rapture mais rien n'était moins sûr. Ce dernier était cloîtré dans sa tour depuis le nouvel an et ne s'était manifesté publiquement en aucune façon, lui qui aimait temps les longs discours.
" Alice Bang, c'est ça ?" Chuchota presque Sander.
Cette fois Hyunjin ne put retenir une parfaite expression de stupéfaction et Sander en jubilait.
" Monsieur Ryan nous a ordonné de la chercher, à nous aussi."
Il recula, mains dans le dos et partagea un regard complice avec quelques-uns des sbires qui étaient resté silencieux jusque-là mais qui était prêt à attaquer, si l'artiste leur en donnait l'ordre.
" Difficile à attraper !
- Qu'avez-vous fait ? Souffla Hyunjin sentant son cœur au bord de la rupture.
- Nous ? Rien du tout. Nous l'avons apporté à Monsieur Ryan, comme demandé. Pour qui nous prends tu ? On ne tue pas les petites filles, ça c'est ton travail, Monsieur le scientifique.
Hyunjin ravala l'accusation. Il ne devait pas réagir à ses provocations.
- Sander, je dois passer. Dis mois ce que tu veux, je n'ai pas de temps à perdre.
- Détrompe toi Hwang Hyunjin, du temps c'est bien tout ce que tu as à m'offrir."
Le ton devenait bien moins amusant, même pour Sander qui perdait à son tour son air joyeux. Les autres derrière lui se mirent à bouger, il entendait des armes artisanales frapper des coins de murs. Ils étaient prêts à lui sauter dessus et Hyunjin dut se préparer mentalement à se battre avec la horde qui se regroupait dans son dos. L'un d'autre eux s'approchait de Sander Cohen avec un immense couteau. Ce dernier le pris entre ses doigts et le fit passer de main en main, nonchalamment puis il appuya le pointa d'un geste sec, juste entre ses yeux avant de redescendre sans le toucher sur sa joue, sa mâchoire et revint vers ses lèvres et la courbure qu'il toucha très délicatement.
" J'ai toujours trouvé ton visage fascinant Hwang Hyunjin, tu es un scientifique, intelligent, adulé et en plus tu as la beauté pour toi. Ton visage est harmonieux, androgyne et donnerait des frissons à quiconque se perdait dans ses traits. De tes yeux jusqu'à cette bouche. Cette bouche qui me donne envie de l'étirer tu vois...l'étirer jusqu'à la déchirer...Tu comprends ? Je vais la trancher et défigurer ton air supérieur pour qu'enfin tu baisses tes yeux en me voyant. Sauf que je n'ai pas le droit de te toucher, tu comprends mon dilemme ? Alors..."
Sander fit pivoter le couteau et lui tendit le manche.
" Tranche toi la bouche. Et je te laisserai passer Hwang Hyunjin."
***
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