7. Sylvia (Part. 1)
— Un an...
Wayne acquiesce d'un signe de tête, une mine grave assombrissant son visage. Je peine à déglutir. Figée face aux horreurs qu'il vient de me partager. Duncan aurait été capturé par un malade qui se fait appeler « Il Capo », un ancien rival d'El Padre. Pendant de longs mois, et jusqu'à ce jour, il en fait une machine à tuer, un simple pion contraint à obéir pour survivre et tout ceci pour le seul plaisir de cet infâme personnage.
Cigarette au bord des lèvres, ma cinquième de la journée, je ne cesse d'imaginer mentalement le corps parfait de mon homme, ensanglanté, mutilé, déformé par les coups, sans que je ne puisse rien faire pour le soigner.
Pire encore, j'ose à peine imaginer l'état psychologique dans lequel je le retrouverai. Quand je briserai les chaînes de son esclavage prolongé – et je les briserai – comment ferais-je pour panser son âme ?
Mon amour pour lui sera-t-il suffisant ?
Chaque chose en son temps.
Une poigne ferme s'empare du cylindre de tabac à moitié entamé entre mes lèvres.
— Tu vas te rendre malade, petite.
Sans voix, j'observe Wayne écraser l'embout aussi consumé que les fibres de mon cœur contre la base d'un cendrier déjà bien trop rempli.
— Ça sert à rien de se laisser aller, argue-t-il d'une voix qui se veut douce.
— Ce n'est pas mon genre.
— Bien. Parce que j'ai besoin de toi en parfait état pour ce qui va suivre.
Je plisse les yeux et toise l'énergumène d'un œil à la fois curieux et suspicieux.
— Je n'ai toujours pas saisi ce que vous avez à y gagner, Monsieur Bridges.
— Wayne. Et t'as pas besoin d'adopter un ton aussi formel avec moi.
— Alors réponds à ma question... Wayne.
Ce dernier marque un temps d'arrêt au cours duquel il ne détache pas son regard du mien. Je tente de fouiller dans ce bleu profond, d'y extirper la moindre explication qui permettrait de confirmer ce que mon cœur me dicte déjà : lui faire confiance.
— En parallèle de mes activités avec Signor Bellutti, je m'occupe de fournir quotidiennement la bouffe aux détenus du manoir d'Il Capo. Je cautionne pas ses actes, mais c'est mon gagne-pain. Enfin c'était le cas depuis des années. D'habitude, je me tenais à l'écart des prisonniers. Je leur parlais jamais, c'était pas mon taf. Mais quand j'ai appris que le leader des Rapaces était là, j'étais curieux. Je savais qu'El Padre avait laissé la main à un successeur. Je m'attendais à voir un hispanique quarantenaire insensible... à la place, j'ai vu... héhé... j'ai vu mon reflet dans le miroir. Un homme qui aurait pu être mon fils. C'est dingue, cette putain de vie, quand même.
— Qui aurait pu être ton fils ?
— Par son parcours. Par son âme torturée. Cet homme amoureux mais qui, par honneur, ou par devoir, refuse de se l'avouer. Fais pas celle qui comprends pas, ajoute-t-il face à mes sourcils qui se haussent. Tu sais très bien que ce que tu ressens pour lui est réciproque.
— Comment tu sais tout cela ?
— J'suis un dur, mais je sais ce que c'est que l'amour. Ce qui vous unit est rare. Et beau. T'es prête à tout pour le sortir de sa prison. Il est prêt à tout pour assurer ta sécurité. Quitte à se laisser mourir.
Je baisse la tête, touchée par les mots de cet inconnu qui pourtant me semble si familier que c'en est perturbant. Si Duncan ne m'a jamais avoué nourrir des sentiments à mon égard, ses actes parlaient pour lui. J'ai fini par comprendre que la décision qu'il a prise à ma place concernant mon passage au Nigeria était une preuve d'amour. Au même titre que ces origamis qu'il m'a envoyés pour que je vienne lui porter secours.
Notre union faisait notre force par le passé, et elle se prolongera quand on sera à nouveau réunis.
— Comment va-t-il ?
— Tu sais comment il est, non ? T'en fais pas pour lui. Aquila est un dur. C'est pas quelques coups qui vont le faire flancher.
Le cœur un tantinet plus léger, je souris à Wayne et pose ma main sur la sienne, reconnaissante. Depuis mon retour d'Afrique, c'est la première fois que je ressens un semblant de quiétude, et c'est grâce à lui. Duncan a trouvé en lui un confident dans sa prison insalubre. Un confident qui s'est retrouvé pris d'empathie pour le jeune chef de gang.
— Bon, mission évasion alors.
— Pas encore. Il faudra beaucoup d'hommes pour exécuter le plan. Hernàn et Young-Jae vont faire le nécessaire pour rapatrier le plus de troupes possible. Les Rapaces seuls suffiront pas. Va falloir ramener le peuple des ghettos.
— Et ça prendra combien de temps tout ça ?
— Autant de temps qu'il le faudra. Mais t'en fais pas... je t'emmène voir ton homme ce soir.
— Ce soir ?!
—Tiens-toi prête, petite. L'heure du dîner approche. J'espère que t'es souple.
~~~
Dix-neuf heures quarante sept.
C'est l'heure à laquelle Wayne gare son pickup devant la fameuse demeure d'Il Capo. Si, il y a quelques heures, j'ai visité les lieux affublée d'un accoutrement de prostituée d'Europe de l'Est, à présent me voilà recroquevillée en position fœtale dans une caisse en bois supposée transporter de la nourriture.
Peu m'importe ma posture désagréable, pourvue qu'elle m'emmène aux côtés Duncan. Je suis dans le noir quasi-total avec comme seule source d'éclairage un petit rayon lumineux qui se propage dans la boîte à travers le petits trou que Wayne a perforé dans le bois pour faire entrer l'oxygène.
Une bouffée de stress me submerge. Du bout de mes orteils dans lesquels une colonie de fourmis semblent se repaître de mon sang, au haut de ma tête engourdie. Mes articulations sont douloureuses. Si douloureuses que l'idée de m'amputer les membres devient de moins en moins risible. Mon cœur cogne contre ma poitrine. Si fort que j'angoisse à l'idée qu'il soit perçu par les molosses de l'entrée.
J'entends Wayne saluer brièvement l'un d'eux et pousser la lourde boîte vers l'intérieur. S'en suit un trajet long et anxiogène. Et si Wayne se fait attraper ? Et si on lui demande d'ouvrir la boîte ? Et s'il m'avait menti sur ses intentions ?
Et si...
Et si...
Et si...
La caisse qui me transporte s'arrête, à l'instar de mon palpitant qui n'a jamais aussi bien porté son nom.
Le toit qui me recouvre s'ouvre. J'étouffe une exclamation de douleur quand la lumière environnante me picote les yeux mi-clos.
Je réussis tout de même à discerner le sourire réconfortant de Wayne qui me chuchote de sortir de ma prison salvatrice.
Les membres engourdis, je m'en extirpe et prends connaissance des lieux qui m'entourent. Un dépôt ?
Wayne disparaît derrière un mur en me faisant signe de garder le silence. Il réapparaît, quelques secondes secondes plus tard, un chariot de service en inox entre les mains.
— Encore un dernier voyage et on est bons, me chuchote-t-il avec un clin d'œil. Prête à revoir ton homme ?
— Prête !
Suite à ce murmure armé de détermination, je m'engouffre dans la partie basse du chariot, dissimulée à la vue des ennemis par une longue nappe brunâtre dont l'odeur laisse à désirer.
— Accroche-toi, petite !
Cette manie de m'appeler « petite » alors que je vais sur mes trente ans m'agace au plus haut point. Wayne a envers moi cette attitude paternaliste et protectrice que je ne saurais expliquer. Je me sens en confiance à ses côtés malgré le fait que je sache qu'il me cache des choses. Je ne suis pas dupe. Un grand mystère émane de celui en qui j'ai vu mon salut. Il ne me dit pas tout. Mais pour l'heure, la seule chose qui compte, c'est que je puisse voir Duncan.
Même si pour cela, je risque d'y laisser ma peau.
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Hey hey !
La suite de ce chapitre arrive ce soir !
Avec le PDV de Duncan...
On est pas loin des retrouvailles la team !!
Restez à l'affût ;)
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