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5. Sylvia


— Sérieux, Noona, on part en mission sauvetage, pas à un défilé de mode !

— On s'arrête chez Karen Rodriguez, et pour elle, une femme n'a jamais trop de bagages.

— Et tu fais toujours ce que Mama Karen te dit de faire ?

Avec son air moqueur, Young-Jae me scrute sans savoir ce que cette simple phrase évoque en moi. Je ferme le coffre de la vieille Cadillac Eldorado bleu ciel et le mitraille du regard.

— Non. Et arrête de faire le malin, on peut décoller.

Ses ricanements de gamin me font sourire malgré le boomerang d'émotions négatives qui m'habite. Un mauvais pressentiment m'accompagne quant à cette mission périlleuse dans laquelle on s'engage. Ma détermination ne vacille pas pour autant.

Mon coéquipier Nord-coréen doit percevoir mon trouble puisqu'il s'approche de moi et me prend dans ses bras. Bien qu'il fasse ma taille, la puissance de ses muscles ne fait pas l'ombre d'un doute et m'écrase contre son torse vigoureux.

Il y a bien longtemps que l'on ne m'avait pas étreinte de la sorte. Une forte impression de sécurité m'enveloppe aussitôt. Je ferme les paupières, le temps de me perdre dans cette illusion éphémère, mais revigorante.

— J'aurais voulu te retrouver dans de meilleures circonstances, murmure-t-il contre mon oreille. Mais je suis tout de même content que tu sois de retour.

Attendrie, je relève la tête vers son visage encadré de ses cheveux épineux d'un noir de jais que j'ebouriffe rapidement.

— Arrête, tu vas me faire pleurer ! le taquiné-je gentiment. Alors c'est dans cette voiture-là que nous allons parcourir la moitié du territoire américain ?

— Ne laisse pas les apparences te tromper ! Cette merveille date des années 70, mais avec les extras que j'ai posés dessus elle est capable de battre le plus moderne des bolides.

— Hmm, je vois. C'est moi qui conduis !

Young-jae ricane à nouveau et, dans un geste théâtral, m'invite à prendre les commandes.

— Ton téléphone ? me questionne-t-il après avoir pris place dans l'habitacle à son tour.

— Je l'ai laissé chez moi. Je ne suis plus une newbie comme tu peux le constater.

Young-Jae pouffe de rire face à ce rappel de ses propres paroles prononcées il y a deux ans.

— T'as la rancune tenace, j'aime ça. Tiens, ajoute-t-il en reprenant son sérieux. C'est un téléphone avec carte SIM prépayée. J'en ai un moi-même. Au cas où ça tourne mal et qu'on soit obligés de se séparer, mais encore et surtout, pour contacter Hernán. Je sais pas toi, mais moi, il m'a foutu une pression monstre en mode « c'est moi le chef, je veux savoir tout sur tout ».

— Il me l'a mise aussi, je te rassure. Et je t'interdis de faire la moindre blague graveleuse ! le préviens-je en voyant l'ébauche d'un sourire coquin s'installer sur ses lèvres.

Je récupère le vieux Nokia et le range dans la poche extérieure de ma veste.

— Et puis... poursuit Young-Jae en affichant un air plus sérieux, presque religieux. Je sais que tu te trimballes partout avec une arme, mais on est jamais trop prudents. Garde ce bijoux avec toi.

J'observe avec intérêt l'arme à feu que me tend Young-jae et reconnais en elle le pistolet artisanal que j'avais récupéré chez Duncan avant l'assaut d'El Sereno et qui m'avait sauvé la vie face aux hommes de Laora.

— Il t'avait porté chance la dernière fois, m'explique Young-Jae comme s'il lisait dans mes pensées. Garde-le sur toi. C'est un héritage précieux.

Je récupère l'objet et l'examine avec soin. Ce lourd édifice au manche doré, gravé de trois lettres M, A et G dont j'ignore la signification, m'avait fascinée dès lors que j'ai posé mes yeux dessus. Je le fais tournoyer entre mes doigts, admirative du travail artistique effectué sur cet instrument à tuer.

— Il est l'heure, me chuchote Young-Jae, me ramenant à l'instant présent. Nerveuse ?

— Ça va aller, dis-je en rangeant l'arme sous mon siège.

— Moi je le suis.

Je le regarde en biais, mi-surprise, mi-touchée par sa sincérité.

— Bah quoi ? C'est pas parce que je suis un gangster que j'ai pas peur. Le but, c'est pas de pas avoir peur. C'est de pas la laisser te contrôler.

Je cogite sur ces dernières paroles, tout en tournant la clé de contact. La peur est un sentiment des plus puissants... j'ignore si j'ai ce qu'il faut pour m'empêcher de tomber sous son emprise, mais je n'ai pas d'autre choix.

Animée par une vague d'adrénaline, je fais vrombir le moteur de l'engin.

— ATTENDS ! s'exclame Young-Jae comme s'il avait le diable aux trousses.

— Quoi ?! Que se passe-t-il ?!

— Il faut qu'on se mette d'accord sur le choix des musiques!

— Mais enfin Young-Jae ! soupiré-je exaspérée en portant une main sur mon cœur. Tu m'as fait une de ces peurs ! Je m'en fiche de la musique, mets ce que tu veux.

— Cool ! Je mets de la K-pop alors. Tu verras, le dernier album de BTS est une tue-rie !

— Très gangsta tout ça, le taquiné-je en enclenchant la première.

— Oh, ça va, t'as le jugement facile, toi. Il est interdit d'écouter ce genre de musique en Corée du Nord. Imagine-moi, ado boutonneux et privé de BTS... un calvaire !

Une boule de culpabilité s'abat dans mon ventre à ces paroles.

— Excuse-moi, Young-Jae... je n'ai pas... je n'ai pas pensé à ça...

— T'inquiète, rit-il avec une nonchalance surjouée. On s'arrangeait pour écouter en scred. On est pas des bleus !

Dans un refrain de rire, nous gagnons enfin l'autoroute principale. Je secoue la tête face à la nonchalance dont fait preuve Le jeune asiatique, mais je me doute que ce n'est qu'une couverture pour cacher les traumatismes qu'une vie sous dictature a pu causer en lui. Être privé de sa liberté, de son droit le plus basique... je pense qu'il n'y a rien de pire.

Pendant longtemps, j'ai combattu ma mère parce qu'elle voulait m'imposer ses choix et son mode de vie. Mais j'étais loin de mesurer ma chance. Après mon séjour en Afrique et les histoires des Chemises Noires, je me dis qu'après tout, j'étais née sous une bonne étoile.

— C'est parti ! annoncé-je par-dessus les voix des chanteurs coréens.

— Destination : San Antonio, Texas.

Deux mille cent quatre-vingt kilomètres.

C'est la distance qui me sépare de l'homme que j'aime.

L'homme que j'aime, oui. Il est inutile de nier cette vérité plus longtemps. L'homme que je n'ai pas réussi à oublier en deux ans. L'homme pour lequel j'ai tué. Non pas une, non pas deux, mais plusieurs fois. L'homme que je croyais m'avoir abandonnée lâchement. L'homme qui finalement, ne m'avait pas oubliée, lui non plus.

J'avale les kilomètres, un à un, sans jamais m'arrêter malgré les recommandations de Young-Jae. Je ne veux perdre aucune minute. Plus vite nous y serons, plus vite je reverrai Duncan.

J'ignore toujours ce qui lui est arrivé. Tout ce que je possède, c'est cette adresse écrite sur un vulgaire bout de papier à laquelle je me rattache comme à une bouée de secours.

Après trois heures de conduite, nous arrivons presque aux portes de l'Arizona quand je sens Young-Jae s'activer anormalement sur le siège passager.

— Qu'est-ce qui se passe ? questionné-je anxieuse.

— Rien... envie de pisser.

Mes iris se détachent de l'asphalte noir pour aller se greffer au ciel, mais percutent le rétroviseur en cours de route.

Des sueurs froides envahissent alors tout mon corps.

— Young-Jae...

— Je sais. Surtout, reste calme et concentre-toi sur la route.

— Rester calme ? On est suivis !

En effet, deux grosses Mitsubishi grises sont lancées à notre poursuite.

Noona ! Garde tes yeux droit devant toi et ton joli escarpin sur l'accélérateur ! Je m'occupe d'eux.

— Comment peux-tu être sûr qu'ils nous suivent ? C'est une autoroute. Peut-être qu'ils sont simplement...

Brusquement, mon compagnon se saisit du volant et le tourne avec violence vers la droite, ce qui a le mérite de me faire taire, et occasionnellement, nous faire emprunter une voie de sortie. Paniquée, je tente de reprendre le contrôle du véhicule.

— T'ES MALADE ! TU VEUX NOUS FAIRE TUER OU QUOI ?!

— On a en a semé un, répond-il avec un calme olympien.

En effet, mon rétroviseur ne m'indique la présence que d'une seule voiture derrière nous. Nous avons dévié si vite que la première n'a pas eu le temps de suivre le mouvement. La Chemise Noire à mes côtés guette le moindre mouvement en se retournant de temps à autre, alors que je poursuis une conduite nerveuse.

— Débarrasse-moi d'eux, Young-jae, on a perdu trop de temps.

— On peut pas se permettre d'agir dans le vent. Faut savoir ce qu'ils veulent avant.

— Ce qu'ils veulent ? A ton avis ?! Nous empêcher d'arriver à destination, ou nous ralentir ! Auquel cas, ça n'arrange pas nos affaires ! Alors fais ce qu'il faut pour qu'ils échouent leur manœuvre s'il te plaît !

— Non, je pense qu'ils sont là pour moi.

— Hein ?!

— Concentre-toi sur la route ! Pour le moment, ils semblent pas vouloir attaquer.

— Alors, attaquons-les avant qu'ils ne le fassent ! C'est dingue ça, j'ai l'impression que la gangster ici, c'est moi !

— C'est vrai ça ! Je vais t'appeler « patronne ».

Patronne.

Cette appellation m'émoustille plus que de raison. Comme si j'en avais rêvé toute ma vie, sans même le savoir. La première fois que l'on m'a appelée « docteur » j'étais heureuse, fière, satisfaite. Mais là, l'effet est plus fort. J'ai toujours aimé diriger. Lorsque j'étais en maternelle, je passais mon temps à donner des ordres à mes petits camarades de classe. Je prenais plaisir à me faire obéir, ce qui plaisait assez à ma mère. C'est en grandissant que j'ai appris l'humilité, le bonheur d'être tous égaux, quoi que l'on soit.

Un coup de feu retentit et m'arrache un cri nerveux. J'ignore si nous sommes touchés mais heureusement, je ne perds pas le contrôle de la machine à quatre roues.

— YOUNG-JAE ! FAIS QUELQUE CHOSE !

Young-Jae sort un revolver de la poche de son blouson en cuir et sort son buste par la fenêtre.

— Han-Gyun, ne me laisse pas faire une chose que je risque de regretter ! rugit-il avec une rage qui ne lui ressemble pas.

Deuxième coup de feu raté de la part de nos poursuivants. Un bruit assourdissant qui me fait sursauter et manque de me faire perdre le contrôle du véhicule.

Dans un grondement guttural, Young-Jae envoie un coup de feu vers les pneus de la japonaise qui nous suit. Celui-ci dérape et vient s'écraser contre les champs de maïs environnants.

Un soulagement de courte durée m'accapare. Du coin de l'œil, j'observe l'homme qui transpirait l'insouciance et la bonne humeur serrer les poings comme s'il se retenait de frapper contre quelque chose, un rictus amer au bord des lèvres.

— Young... si tu veux qu'on s'arrête quelque part ?

— Gare-toi à droite.

— On est au milieu de l'autor...

— Fais ce que je te dis !

Je m'exécute tout en prenant soin d'activer les clignotants. A peine la Cadillac immobilisée que Young-Jae se précipite à l'extérieur pour examiner ses moindres recoins.

— C'est bien ce que je pensais...

J'ignore ce qu'il a trouvé mais en à peine quelques secondes, il reprend sa place initiale et m'invite à démarrer de nouveau.

— On va aller en ville. Je sais que tu voulais pas t'arrêter mais là, on a pas trop le choix. Ils ont fait poser un tracker GPS sur l'arrière de la caisse.

— C'est qui « ils » ?

Mon compagnon de route ne me répond pas et préfère pianoter sur son téléphone avant de le porter à son oreille.

— Ouais, hyung, c'est moi... Il m'a retrouvé... on a réussi à le semer mais je pense que c'est plus prudent si on s'arrête en Arizona pour la nuit... j'en sais rien, putain ! Ils sont sortis de nulle part.

Après un bref silence, il laisse couler un long regard vers moi.

— Elle va bien, ouais, t'inquiète... Ok, on te tient au courant.

Sur ces mots, il raccroche et se frotte nerveusement le visage. Je continue à slalomer entre les routes de La Paz Valley, tout en essayant de me montrer la moins imposante possible.

— C'était Hernán ?

— Ouais. On va se trouver un petit motel pour passer la nuit. On reprendra la route à l'aube. Désolé pour ce contretemps.

— Ce n'est pas de ta faute, et tu as raison, c'est mieux qu'on s'arrête. Je commence à fatiguer, et il faut qu'on mange.

— J'ai pas faim.

— Tu mangeras quand même.

Pour appuyer mes propos, je m'arrête sur le parking d'un fast-food dont la pancarte renversée indique « Charly's Dinner ».L'endroit n'inspire pas confiance, mais au point où nous en sommes, il fera l'affaire.

— T'es sérieuse ? soupire Young-Jae.

— A cette heure-là, on ne trouvera pas mieux. Allez, viens.

Non sans râler, le jeune asiatique me suit vers le restaurant. Un homme moustachu vêtu d'un tee-shirt gris, des auréoles sous les aisselles, nous salue très chaleureusement. Un peu trop pour être honnête. Nous devons être les seuls clients qui pénètrent son établissement depuis un bon bout de temps. Je nous commande deux burger, extrêmement bien cuits, puis invite Young-Jae à me rejoindre sur une table située sur une terrasse extérieure. Bien qu'il soit minuit passé, l'air est tiède et agréable.

Muet comme jamais, je perçois tout de son état accablé. L'appétit n'y est pas, mais nous dévorons notre repas qui, finalement, n'était pas aussi mauvais qu'il en avait l'air.

— Si tu as besoin de me parler... je peux être une oreille très attentive.

Voyant qu'il ne réagit pas, je reprends la parole.

— Quand j'étais adolescente, j'adorais écouter du rap. Tupac, Eminem... je connaissais leurs paroles par cœur. Ma mère n'a jamais apprécié cette nouvelle passion pour une musique qui, si je reprends ses mots, « n'est pas classe et distinguée ». Elle m'avait confisqué tous mes CDs. J'étais tellement en colère contre elle que je me suis enfuie. Et c'est à ce moment-là que j'ai rencontré les bikers de San Antonio. J'ai passé je ne sais combien de jours avec eux. C'est eux qui m'ont appris à fumer. Et c'est l'un d'entre eux qui m'a tatouée... Je te laisse imaginer la réaction de ma mère quand elle a découvert ça.

Une chaleur apaisante enveloppe mon cœur quand je vois le léger sourire qui se dessine sur les lèvres de Young-Jae. Mais très vite, il l'efface et lâche le plus las des soupirs.

— Quand tu nais en Corée du Nord, tu n'as aucune connaissance de ce qui se passe à l'extérieur. C'est le meilleur moyen qu'ils ont pour nous endoctriner et nous amener à penser que nous sommes le pays le plus puissant du monde, que c'est normal qu'on n'utilise pas notre cerveau et qu'on suive la marche comme des moutons. De toute façon, dès que tu commences à douter et fouiner un tout petit peu, on te punit. J'avais dix-sept ans et avec mes potes, on a un peu trop fouiné. On a commencé à monter un mouvement de résistance. Mais on nous a dénoncés.

Il abat son poing sur la table, ce qui me fait sursauter. Mais il ne semble pas le remarquer, happé par son passé qui le torture.

— Au départ, on croyait que c'était l'un d'entre nous qui avait vendu la mèche. On se méfiait les uns des autres, on se faisait plus confiance. Jusqu'au jour où j'ai vu les autorités débarquer chez nous pour m'embarquer. C'est là que j'ai compris que c'était mon frère qui m'avait dénoncé.

— Comment une personne peut-elle envoyer son propre frère à la potence ?!

— Tu connais pas Han-Gyun. Il est endoctriné jusqu'à la racine. Il aurait pu choper une grosse prime s'ils avaient réussi à m'avoir.

— C'est après ça que tu t'es enfui de Corée ?

— Ma mère s'est interposée entre les soldats et moi pour me laisser une chance de me sauver. J'ai pu partir mais... ils l'ont butée. Pour m'avoir aidé.

Choquée par ce que j'entends, je me couvre la bouche de mes mains tremblantes avant de me reprendre et de les poser sur celles de Young-Jae. Le visage noir, il fixe un point invisible sur la table.

— Mon Dieu... Young-Jae... c'est horrible... je suis désolée.

— J'ai même pas eu le temps de lui dire au revoir... mais je pouvais pas les laisser me prendre. Elle serait morte pour rien. Alors je me suis enfui. Je me suis caché pendant des jours, puis j'ai réussi à négocier mon passage clandestin en bateau vers le Japon. Et du Japon, j'ai pu atterrir aux States. Je voulais cette histoire derrière moi et vivre une vie tranquille... et libre. Mais quand t'es un sans papiers aux yeux bridés qui débarque en Californie, c'est dur de survivre sans avoir un dos solide. Les premières semaines ont été rudes. Et puis je suis tombé sur Duncan. Il m'a sorti de la merde. Il m'a présenté au Padre. Et il m'a intégré à sa famille. On est devenus de vrais frères. Mais mon frère biologique n'a jamais arrêté de me chercher. Je le savais. Et il a attendu le moment où j'étais loin des Rapaces pour attaquer. Je serai jamais libre... pas tant qu'il est en vie.

— Tu veux te venger de lui ?

— A quoi ça servirait ? Est-ce que ça rendrait la vie à ma mère ? Non. Je veux juste qu'il me laisse vivre en paix, putain !

— Je t'admire pour ça, tu sais. Si j'avais pu avoir l'occasion de tuer les assassins de mon père, je n'aurais jamais hésité.

C'est la première fois que je formule ce désir interne de vengeance à haute voix. Une lueur luit dans les prunelles de Young-Jae quand il englobe mes mains dans les siennes en fixant son regard dans le miens.

— T'as un mental d'acier, Sylvia. Mais un cœur de verre. Protège-le. Parce qu'une fois brisé, il sera impossible de le réparer.

Une étrange impression me parcourt à cet avertissement. J'ignore la véritable portée des paroles de Young-Jae, mais je suis trop fatiguée pour tenter d'en déceler le sens caché.

— On devrait se chercher un truc pour dormir. On reprend la route dans trois heures.

J'acquiesce la proposition de Young-Jae et me lève pour rejoindre la Cadillac bleu ciel, toujours bien garée sur le parking.

Neuf-cents kilomètres.

Nous roulons depuis une dizaine d'heures sous le soleil écrasant du Nouveau-Mexique. Young-Jae a tenu à emprunter des routes secondaires plutôt que l'autoroute par souci de sécurité. Bien que la perspective de passer plus de temps sur la route ne m'enchante pas le moins du monde, il faut bien avouer que l'absence de péripéties n'en est pas moins réjouissante.

Je somnole sur le siège passager, bercée par le son des pneus qui roulent sur le bitume, pendant que Young-jae trace son chemin en vérifiant le rétroviseur bien plus souvent qu'il ne le faudrait. Il est nerveux, stressé... et il y a de quoi. Son histoire m'a bouleversée. Je me doutais qu'il n'avait pas un vécu facile, mais j'étais loin de me douter de la tragédie qu'il a vécue.

Un point commun nous rapproche cependant : nous avons tous deux assisté, impuissants, à l'assassinat de l'un de nos parents. Nous en avons discuté longuement à coeur ouvert pendant les heures de route.

Ce voyage nous a rapprochés d'une façon que je ne pensais pas possible. Si rapprochés que je me risque à poser les questions qui me brûlent les lèvres depuis que j'ai quitté le Nigéria.

— Cette dernière mission...

— Mmmh ?

— C'est à cause de ça que Duncan a disparu ?

Young-jae ne répond pas et garde les yeux rivés droit devant. Il ne parlera pas, c'est une tombe. A l'image de Hernán, il reste fidèle à son chef et ce jusqu'au bout. Le seul qui était enclin à me fournir des informations était Isaac.

— Qu'est-ce qu'il a fait au Texas avant de disparaître ? En quoi consistait cette dernière mission d'El Padre qu'il devait effectuer ?

— Tu devrais dormir un peu Sylvia.

— Je ne dormirai pas avant que tu me répondes ! Ton silence est la preuve que tu sais quelque chose ! Je ne lâcherai pas l'affaire Young-Jae !

— T'es vraiment une tête de mule ! Bon, Hernán va me tuer, mais... qu'est-ce que tu veux savoir au juste ?

— Déjà en quoi consiste cette fichue mission qu'il devait accomplir ?

— Avant de mourir, El Padre avait demandé à Duncan de retrouver sa fille qu'il a perdue de vue pour lui donner sa part de l'héritage. Depuis la mort d'El Padre, Duncan n'a pas arrêté de rechercher des pistes sur elle. Mais sa mère avait bien fait son travail et a réussi à la faire disparaître de la croûte terrestre.

— Sa mère ?

— Penelope. C'était l'une des femmes qui... comment dire ça de façon classe... qui partageait la couche du Padre. Elle est tombée enceinte et s'est enfuie du manoir. El Padre l'a recherchée pendant des mois. Mais pas moyen de les retrouver. A cause d'elle, il n'a jamais pu connaître sa fille. Il a fini par sombrer dans le désespoir, contraint d'abandonner ses recherches. Il a essayé de se racheter en prenant soin des orphelins des ghettos.

— Comme Duncan...

— Oui, mais pas que. Plein de familles étaient sous sa protection. Malgré tous ses défauts, c'était un homme bien. Un bienfaiteur. A sa mort, c'est Duncan qui a tout récupéré.

— Est-ce qu'il l'a trouvée ? La fille du Padre ? Elle était au Texas ? A San Antonio ?

— Il paraît que oui. Pendant l'année qui a précédé sa disparition, il était très secret. Très speed. Je savais qu'il la cherchait. On le savait tous. Mais il voulait rien nous dire. Il a découvert un truc qui le démange. Quelque chose qui n'était pas à son goût. Le nombre de fois où je le voyais assis dans son coin à cogiter. Je l'avais jamais vu comme ça. C'était comme s'il se battait constamment contre lui-même. Il s'était désintéressé de tout et la seule chose qui l'obsédait, c'était cette mission. La dernière fois que je l'ai vu, il était avec son avocat. Je sais pas ce qu'il mijotait, mais il était pas content. Et depuis, il s'est envolé au Texas, et on a plus eu de nouvelles.

Un mauvais pressentiment m'envahit. Et entre les réponses fournies, des milliers de nouvelles questions germent dans mon esprit. Qui est cette fille cachée ? Pourquoi touche-t-elle autant Duncan ? Il est parti au Texas pour la retrouver et depuis, personne ne l'a revu... se peut-il qu'il soit tombé sous son charme ?

Mais dans ce cas-là, qui nous aurait envoyé les origamis ?

« Tu as un mental d'acier. Mais un cœur de verre. Protège-le. »

Les mots de Young-jae résonnent dans mon esprit et me font lever la tête vers lui. Il me sourit, un vrai sourire bienveillant... mais je lis au fond de ses iris un sentiment tout autre... de la pitié ? De la compassion ?

Il ne me dit pas tout.

Trente kilomètres.

Il est plus de vingt heures quand nous franchissons enfin l'écriteau signalant notre arrivée à la ville de San Antonio. J'y ai vécu pendant une dizaine d'années en compagnie de ma mère et de mes grands-parents. Des souvenirs heureux et moins heureux rejaillissent à la surface au fur et à mesure que l'on avance sur les routes de la ville texane.

Des routes sur lesquelles Duncan a probablement mis les pieds.

Ou sous lesquelles son cadavre est en train de se décomposer...

— Sylvia, il nous faut un endroit pour passer la nuit.

— On verra ça plus tard ! Allons retrouver Duncan pour l'instant !

Noona... On est tous les deux épuisés par le voyage. On sait pas ce qui nous attend là-bas !

— Comment peux-tu croire une seule seconde que je peux encore patienter toute une nuit ?!

— Tu vas attendre, parce que t'es une femme intelligente. Tu sais d'expérience que se jeter dans la gueule du loup ne mènera qu'à des soucis supplémentaires. On doit agir vite, oui, mais on doit agir bien. Et pour le faire, faut qu'on soit au top de notre forme. Pour une fois, écoute ce qu'on te dit, Noona !

Bien qu'il m'en coûte de l'admettre, je sais qu'il a raison. Hernán a été parfaitement clair là-dessus, il ne faut pas faire n'importe quoi. Il serait plus judicieux d'avoir une bonne nuit de sommeil avant de passer aux choses sérieuses.

— Bon, soupiré-je finalement. C'est d'accord. Je vais en profiter pour aller chez ma mère. Elle habite à Terrell Hills dans les quartiers chics.

— Tu préfères pas que je prenne une chambre d'hôtel ?

— Pourquoi ça ?

— Je sais pas... je voudrais pas te causer des problèmes avec ta mère. Vu le portrait que tu m'en as fait, j'imagine d'ici son air indigné en me voyant !

Il me montre son jean déchiré et sa chemise noire toute simple... une tenue dont il n'a pas à avoir honte, mais qui ne rentre effectivement pas dans les codes vestimentaires désirés par ma mère.

— Ecoute-moi bien, Young, il est hors de question qu'on se sépare. Ma mère n'aura rien à y redire, et si elle ne veut pas de toi sous ton toit, c'est ensemble qu'on ira à l'hôtel, c'est clair ?

— Est-ce que je peux savoir quand est-ce que tu vas arrêter de contredire toutes mes idées ?

— Tu connais déjà la réponse. Duncan a essayé maintes fois avant toi.

Une vingtaine de minutes plus tard, nous arrivons enfin à destination. Revoir cette maison déclenche une vague de souvenirs que j'aurais préféré laisser dans l'oubli. Mon adolescence n'était qu'une guerre continuelle entre ma mère qui voulait faire de moi ce que je n'étais pas, et moi-même qui tentait de combler le vide laissé par la mort de mon père par tous les moyens. Nous ne nous sommes jamais comprises. Jamais soutenues.

Young-jae ne peut contenir un sifflement appréciateur à la vue de l'imposante demeure. Les murs hauts sont confits de pierres blanches qui ajoutent un aspect de luxe au tout. La porte d'entrée est encadrée de deux colonnes en pierre enjolivées de sculptures fleuries à leurs extrémités. Un gazon d'un vert flamboyant rajoute une touche de vie à l'ensemble, bien trop fastueux à mon goût.

Le cœur battant, j'appuie sur la sonnette, tiraillée entre l'envie de retrouver ma mère et l'appréhension de lui expliquer qui est ce jeune homme qui m'accompagne. J'ai à peine le temps de réfléchir à un alibi valable que la porte s'ouvre sur l'une des domestiques employées à temps plein dans la demeure. Je ne la connais pas. Il faut dire que cela fait plus de trois ans que je n'ai plus remis les pieds ici. Sa peau est mate et ses cheveux bruns relevés en un élégant chignon. Elle est vêtue d'un uniforme de couleur rose et blanches.

— Bonsoir, comment puis-je vous être utile ? demande-t-elle d'un ton jovial qui transpire l'hypocrisie.

— Bonsoir, je suis Sylvia Rodriguez.

— Oh... toutes mes excuses, madame... euh... docteur... je ne vous ai pas reconnue, excusez-moi. Entrez, entrez, ne restez pas sur le paillasson, voyons.

Mal-à-l'aise, je pose une main rassurante sur l'épaule de la jeune femme.

— Ne vous inquiétez pas, ce n'est rien ! Est-ce que ma mère est là ?

— Oui, elle est dans sa chambre. Installez-vous dans le salon principal, je vais aller la chercher.

Nous pénétrons alors le large salon. Je jette un coup d'œil à Young-jae et le surprends en train de mater le fessier de la servante avec grand intérêt.

Ces hommes... incorrigibles !

Je lui envoie une petite tape au torse à laquelle il répond par un hochement d'épaules nonchalant, avant de venir m'installer sur le canapé d'un blanc éclatant.

— Waouh ! T'es vraiment riche, en fait ! s'exclame-t-il en observant les lustres en cristal qui rappellent ceux du château de Versailles.

— Je ne suis pas riche. Mes parents le sont. Tu as dû déjà entendre parler de la marque Rodriguez & Mayer ?

— Les fringues ? C'est à tes parents ça ?

— C'est bien plus que de simples fringues... mais oui, ça appartient à mes parents. Enfin... à ma mère.

Quand on parle du loup... il fait claquer ses talons sur le carrelage.

Karen Rodriguez fait son entrée dans son propre salon, comme si elle venait d'arriver à un événement de la plus haute importance. Bien qu'elle ait dépassé la soixantaine, elle a conservé des signes de beauté évidents de sa jeunesse. Sa peau blanche est parsemée de taches de rousseurs malgré les batailles amères qu'elle a menées tout au long de sa vie pour s'en débarrasser. Ses cheveux teintés d'un blond vénitien sont soigneusement coiffés en un chignon travaillé. Sa robe signée par l'un des meilleurs créateurs de mode se marie à merveille avec ses talons hauts, tout aussi élégants. Ses bijoux en diamant reflètent la lumière de la pièce.

La veuve d'Horacio Rodriguez est d'une élégance et d'une raffinerie que je n'égalerai jamais.

Elle accourt vers moi et me prend dans ses bras. Je lui rends son étreinte, émue de la voir après tout ce temps. Elle fait une tête de moins que moi ce qui m'oblige à me pencher pour enfouir ma tête dans le creux de son cou. Son parfum n'a pas changé. Il m'assaille et me gonfle de tendresse.

— Sylvia ! Quelle bonne surprise, ma chérie ! Je ne t'attendais pas avant une bonne semaine !

— Oui, j'ai voulu te faire la surprise.

— Seigneur, tu as une mine affreuse, commente-elle en brisant la douceur des retrouvailles ! Et comme tu as maigri, ajoute-t-elle en caressant mes joues ! Ils n'avaient donc pas de bons chefs cuisiniers dans la savane africaine ?

— Je n'étais pas en vacances, maman. Je travaillais !

— Je travaille aussi, je suis pourtant présentable en toute heure. Bon, c'est derrière nous tout ça, maintenant, je suis contente de te voir ma chérie. Installe-toi donc.

Sans aucun regard vers Young-Jae qui se tient, droit comme un piquet, dans l'embrasure de la porte, elle m'invite à m'installer près d'elle sur le canapé.

— Tu sais, j'ai eu une discussion avec le professeur Morris qui part bientôt à la retraite. Avec les bons contacts, tu pourras diriger le service des urgences de l'hôpital de San Antonio. C'est une très bonne opportunité, ma chérie. Penses-y sérieusement.

— Maman, je suis fatiguée. Je viens d'arriver. On peut en reparler plus tard, s'il te plaît ?

— Dieu du ciel, suis-je bête ! Bien sûr, ma chérie. Repose-toi ce soir. On aura tout le temps d'en discuter par la suite. Ton chauffeur souhaiterait peut-être se reposer également ?

— Mon chauffeur ? Non... Young-Jae est...

— Madame est d'une bonté exquise, me coupe-t-il en s'inclinant avec exagération devant ma mère. Je peux sans problème passer la nuit dans la voiture, ne vous inquiétez pas pour moi.

— Mais non, voyons, nous avons assez de chambres pour vous accueillir pour la nuit. Rebecca, pourriez-vous montrer le chemin à Monsieur...

— Lee Young-Jae, madame.

Malgré ma surprise, je tente de conserver un visage impassible. J'ignore pourquoi mon ami persiste à vouloir se rabaisser ainsi, mais il a déjà déserté la pièce en compagnie de celle qui nous a ouvert la porte.

Ma mère en profite pour reporter son attention sur moi.

— Le dîner sera servi d'ici une petite demi-heure, tu dois être affamée.

Les gargouillements de mon estomac vide lui donnent raison. Elle sourit et me caresse les cheveux, geste qui m'agace au plus haut point.

— Je te conseille d'aller te préparer, j'ai une grande nouvelle à t'annoncer. Tu ne peux pas savoir à quel point te voir ici me fait plaisir, ma chérie. Nous allons rattraper le temps perdu, je te le promets.

Avec toute cette histoire, j'avais complètement oublié la nouvelle dont ma mère voulait me faire part. Un violent sentiment de culpabilité vient me faucher. Pour une fois que ma mère tente de renouer avec moi, je ne suis pas émotionnellement capable de lui rendre la pareille.

Toutes mes pensées sont dirigées vers lui... je n'ai jamais été aussi proche de le retrouver. Si proche, et pourtant si loin...

Je n'attends qu'une chose : que le jour se lève et que je me rende à cette adresse.

Demain, nous serons enfin réunis...

Parole de Sylvia Rodriguez !

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