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4. Sylvia

Les mains vissées au volant de ma voiture, j'arrive enfin dans ce ghetto de South L. A où les Rapaces ont pris refuge en attendant la réouverture du manoir de Roca Buitre. L'adresse fournie par Vera n'est autre qu'un bâtiment de cinq étages dont les murs roses sont teintés de graffitis multicolores. Je décèle entre les dessins l'emblème des Rapaces : un triangle aux bords érigés, rappelant les barbelés de prison, et un cercle noir en son centre. Le même que Duncan et toutes ses Chemises Noires portent comme une marque indélébile sur leur corps. Un symbole puissant d'appartenance au gang, mais surtout d'aliénation éternelle.

« Rapace, ou trépasse. »

— Tu vas où comme ça, ma jolie ?

Accoudé sur le toit de ma Honda Civic, un homme aux cheveux longs et frisés, attachés en une queue de cheval m'observe en affichant un air arrogant. Le tatouage sur son biceps gauche est sans équivoque : c'est bien un Rapaces. Je devine à la direction que prennent ses iris – c'est-à-dire, mon décolleté – celles de ses pensées. Agacée de passer pour un bout de chair fraîche à dévorer, je sors de mon sac-à-main le laisser-passer que m'a donné Vera de la part de son grand frère.

Le jeune homme se reprend sur le champ quand il réalise que je suis une « amie » des grosses têtes du gang et baisse les yeux.

— S'cusez moi, m'dame. Je suis là pour assurer la sécurité du ghetto.

— Bien sûr... assurer la sécurité passe par mater les décolletés des femmes qui y pénètrent, n'est-ce pas ?

— Ben... c'est que...

— Je n'ai pas de temps à perdre, je me rends chez Hernàn Hernandez. C'est quoi ton nom déjà ?

— Raymon.

— Bien, Raymon. Tu peux t'occuper de ma voiture ?

— Bien sûr, grogne-t-il entre ses dents. C'que vous voudrez.

Je récupère mon sac et en sors un revolver que je mets bien en exergue sous l'œil prudent du gardien du bidonville.

— Et pas une égratignure... on est d'accord ?

L'embout de l'arme à feu vient flirter avec sa jugulaire. Il déglutit.

J'avoue que je prends un malin plaisir à jouer les femmes redoutables. Un certain sentiment de pouvoir... de contrôle... prend possession de moi en ces rares moments. Je me sens plus forte. Plus apte à affronter les épreuves qui m'attendent, en attendant de retrouver Duncan.

Mes clés de voiture tombent dans la paume large et asséchée du sous-fifre. Je referme la portière puis m'avance dans les rues nauséabondes de cet endroit, vers l'entrée de l'immeuble rose.

Deux étages. Trois coups sur sa porte. Un long moment de silence au cours duquel les battements de mon cœur effectuent un sprint effréné. Le grincement du bois qui me fait grimacer... Mais pas d'adolescente rebelle aux yeux verts... et encore moins un trentenaire chauve avec son accent cubain.

— Je peux vous aider ?

A la place se tient une jeune femme en tenue plus que légère. Sa peau est d'un blanc diaphane, de longs cheveux noirs comme la nuit encadrent son visage de poupée et ses yeux étirées m'étudient de la tête aux pieds.

— Bonjour, je suis Sylvia Rodriguez, je viens voir Hernán...

— Il est occupé pour l'instant, revenez plus tard.

La pimbêche en lingerie s'apprête à me fermer la porte au nez mais mon talon vient s'y opposer. Toujours dans mes mains, mon arme salue celle qui semble être une call-girl, menaçante.

— Je ne partirai pas d'ici tant que je n'aurais pas vu Hernán, alors tu vas me faire un plaisir d'aller l'appeler. Tout de suite !

— Laisse-la rentrer, Hilda, résonne une voix grave et familière de l'intérieur.

La dénommée Hilda me lance un regard mauvais, mais s'écarte pour me laisser le champ libre. Je dissimule mon revolver sous mon chemisier et m'avance dans le couloir sombre qui débouche vers une grande pièce.

Au fond, sur un large canapé en L, je reconnais le bras droit d'origine cubaine de Duncan. Contrairement à sa demi-sœur, il n'a pas changé depuis la dernière fois que l'on s'est croisés. Crâne entièrement rasé, une barbe de quelques jours sur sa mâchoire carrée, ses lunettes à monture noire voilent ses yeux à la fois perçants et méfiants. Tel un sultan, il est confortablement installé entre deux jeunes femmes aussi peu vêtues que celle qui m'a ouvert.

Un échange de regards silencieux se déroule entre Hernán et moi. Échange au cours duquel je m'efforce de canaliser la colère grandissante qui bout en moi. Duncan est je ne sais où, je ne sais dans quel état, et son supposé « Hermano » se la coule douce ! Bras croisés, j'observe Hernán mettre deux claques sur les fessiers rebondis des deux bimbos qui l'accompagnent pour leur intimer de nous laisser seuls.

Les filles désertent les lieux non sans grimacer. Une fois seuls, je dépose mon sac sur la table basse et dévore la salle du regard. Tout mais pas lui... sinon, je sens que je suis capable de le tuer tellement je suis en colère contre lui.

— Tu t'amuses bien, on dirait, commenté-je sèchement en m'approchant d'un dressoir sur lequel de nombreux cadres photo sont disposés.

— Je prends du bon temps. Je vois pas ce qu'il y a de mal à ça.

— Ce qu'il y a de mal ? répété-je, cette fois en soutenant son regard acéré. Duncan est peut-être en train d'agoniser à l'heure qu'il est ! Et toi, tu te la coules douce avec des prostituées !

J'essaie par tous les moyens de garder mon calme, mais les trémolos cachés dans ma voix, légèrement plus aigüe que ce que je pensais, dévoilent toute ma nervosité. J'ai mal aux veines tant mon sang est acidifié par ma rancœur, ma peur et mon ignorance.

Hernán soupire, puis se lève vers moi.

— Ce sont pas des prostituées, m'explique-t-il dans un calme olympien. Et je me la coule pas douce. Je te trouve gonflée de venir après deux ans d'absence me faire la morale.

— Pardon ?!

— Si toi t'as perdu le gars que t'as laissé tomber quand il avait le plus besoin de toi depuis quelques jours, moi c'est mon frère que j'ai perdu. Alors tes jugements à deux balles, tu peux te les foutre là où je pense !

— Je ne l'ai pas laissé tomber ! C'est lui qui m'a obligé d'y aller. Et ne retourne pas la situation contre moi en me faisant passer pour la méchante, Hernán !

— C'est pas ce que t'as fait y a à peine deux minutes ?

Sourcils froncés et cœur battant, j'observe les traits contractés de l'homme qui se tient face à moi. Il soutient mon regard et j'ai le temps d'y lire toute la peine qu'il accumule depuis des mois, des années peut-être. Je le revois, attaché au lit de l'hystérique Laora, soumis à ses penchants les plus pervers, violenté, brisé dans sa virilité la plus profonde. Son attitude désinvolte n'est probablement qu'un moyen de se purger de ces démons les plus sinistres. Et moi, dans ma peur de perdre l'homme que j'ai moi-même abandonné contre mon gré, je l'ai jugé très fort, sans même lui donner le temps de se défendre.

— Excuse-moi, Hernán... je suis à cran.

— On l'est tous.

Mon attention est alors happée par une vieille photographie, conservée dans un cadre. Le cliché représente un Duncan beaucoup plus jeune, pas plus de treize je dirais, et son acolyte cubain. Sa mâchoire imberbe était beaucoup plus fine, son sourire, beaucoup plus prononcé, et ses yeux... heureux. Mon cœur se serre, et c'est à cet instant-là que je réalise à quel point il m'a manqué.

— Cette photo date d'il y a vingt ans, murmure le frère de Vera dans mon dos. Duncan et moi étions dans les rangs des favoris d'El Padre. On avait tous les deux trouvé une famille. On était comme des frères.

Il se saisit de la photo et semble remonter le temps à ce souvenir si particulier. Ses traits, déformés par la tristesse, contrastent avec les émissions de joie qui transparaissent de la photo.

Pourquoi la vie s'est-elle abattue sur ces deux adolescents pour en faire des adultes si accablés ?

Je n'ai jamais été très proche de Hernán. Contrairement aux autres hommes de main de Duncan, ma relation avec le fidèle cubain était restée formelle. Pour lui, je n'étais qu'une personne à protéger à tout prix, quitte à la maintenir enfermée.

— J'ai reçu un aigle d'origami ce matin. J'en ai quatre en tout. Tu as des nouvelles concernant l'expéditeur ?

— Spike mène l'enquête, me répond-il en fixant toujours la vieille photographie. Les enveloppes ont été déposées en mains propres et par via la poste. Ça rend le processus de traçage compliqué, mais pas impossible.

— C'est trop long.

— On fait ce qu'on peut.

— « Ce que vous pouvez », c'est-à-dire ?

— C'est-à-dire que t'as pas à te mêler de nos affaires. Laisse faire les pro. On gère.

Un éclair de défi traverse ses prunelles et ravive la flamme de colère qui venait à peine de s'endormir.

— Je trouve tes réponses bien trop vagues, Hernán. Tu ne me dis pas tout.

— Qui te dis que je te cache quelque chose ?

— Ton laconisme. Tu en sais bien plus que tu n'en dévoiles. Et je ne partirai pas d'ici avant d'avoir eu toutes mes réponses. Tu me connais depuis le temps, et tu sais que je ne lâcherai pas l'affaire. Alors ne perdons pas nos temps respectifs à tourner autour du pot, si tu veux bien.

Un léger sourire en coin apparaît sur les lèvres de mon interlocuteur. Il sait que les négociations avec moi sont perdues d'avance.

Imperturbable, il regagne son canapé, avale une gorgée de sa bière et reprend enfin la parole :

— Qu'est-ce que tu veux savoir ?

— Où est Duncan ? Vera me dit que tu n'en sais rien, mais permets-moi d'en douter. Qu'est-ce qu'il est allé faire au Texas ? Pourquoi est-il parti tout seul ? Et surtout, Hernán, pourquoi Young-Jae et toi vous ne faites absolument rien pour le retrouver ?!

Le fidèle bras droit prend le temps de s'allumer une cigarette avant de me répondre avec un flegme insoutenable :

— Où est Duncan ? Je sais pas. Tout ce qu'on sait c'est qu'il va bien. Les origamis, t'es pas la seule à en avoir reçu. Qu'est-ce qu'il est allé foutre au Texas ? Duncan avait une dernière mission à exécuter pour El Padre, paix à son âme. Il avait une piste qui se trouvait au Texas et a dû se rendre sur place pour creuser. Pourquoi il est parti tout seul ? Cette mission, il fallait qu'il la fasse seul. Nous, on avait pour ordre de rester sur place et surveiller les affaires. Il a trouvé toutes les réponses à ses questions mais apparemment quelqu'un voulait l'empêcher de revenir à L. A avec l'information. J'étais la dernière personne avec qui il a discuté avant de disparaître, l'été dernier. En ce qui concerne ta dernière question, détrompe-toi. Young et moi avons tout fait pour le retrouver. Je pense que Vera te l'a déjà dit ça sert à rien que je te le répète.

— Je n'en suis pas convaincue. Si Duncan était à votre place il aurait fait l'improbable pour vous retrouver. Et il aurait réussi. Vous ne mettez pas assez d'efforts dans vos recherches.

— Sylvia, il y a une chose qu'il faut que tu saches dans ce monde de gangsters. On se fait confiance. Comme je te l'ai déjà dit, Duncan nous envoie régulièrement des signes de vie à travers les origamis. S'il avait envie qu'on le retrouve, il nous aurait donné un indice sur sa position. Il a rien donné. Donc on lui fait confiance.

— C'est totalement absurde !

— C'est notre mode de fonctionnement. Désolé de te décevoir. On scrute régulièrement les radars pour vérifier si on peut le trouver. J'ai des hommes éparpillés dans les quatre coins du Texas et qui n'attendent que mon signal pour agir. Je vois pas ce qu'on peut faire de plus.

— Je me répète mais je n'en démords pas. Si Duncan était à ta place, il n'aurait jamais attendu un signe de ta part pour agir.

C'est non pas la mort, mais la rage dans l'âme que je retourne auprès de Raymon pour récupérer ma voiture et regagner le centre-ville. Tant de colère accumulée en moi que j'ignore quand et comment j'exploserais.

— Pas une égratignure, comme promis, m'annonce le gangster, tout fier de lui.

Je le remercie en lui filant un billet vert dans la poche arrière de son jean.

— Evite de mater les poitrines des jeunes demoiselles à l'avenir, tu veux ?

— Je vais essayer. Mais j'vous promets rien.

L'ombre d'un sourire amusé au bord des lèvres, je remonte derrière mon volant et démarre vers le centre-ville de Los Angeles.

La nuit est déjà tombée quand je rentre chez moi. Une semaine que je suis rentrée... et à part les origamis, je n'ai aucune indication sur l'endroit où pourrait se situer Duncan. Sous le jet de ma douche, je cogite sur les paroles de Hernán.

« Il avait une piste qui se trouvait au Texas. »

« Les origamis, t'es pas la seule à en avoir reçu. »

« On se fait confiance. »

« S'il avait envie qu'on le retrouve, il nous aurait donné un indice sur sa position. »

Prise d'un doute viscéral, je coupe l'eau chaude, m'enveloppe d'un peignoir de bain et m'en vais récupérer les quatre aigles en papier dans mon sac-à-main. Je les ouvre un à un à la recherche d'une indication quelconque.

Rien.

En une semaine, j'ai eu le temps de les plier, les déplier et les replier un milliard de fois. Mais, à part les traces de plis, aucune indication n'apparait sur les feuilles blanchâtres. Saisie par une vague de désespoir, je caresse le papier que je sens rugueux sous ma peau, comme pour y rechercher le toucher de Duncan.

— Duncan... où es-tu, bon sang ?

Ma voix n'est qu'un murmure impuissant. Une prière silencieuse pour qu'un signe divin me guide sur sa voie... la voie de l'homme que j'aime.

Au coin de la feuille, je perçois une sensation différente du reste du papier.

Comme une inscription mise en relief.

« S'il avait envie qu'on le retrouve, il nous aurait donné un indice sur sa position. »

Mon cœur bondit si fort dans ma cage thoracique que j'en ressens une légère douleur. Mais quelle importance ?

Les mains, les jambes et tout mon corps tremblant, je fouille mon appartement de fond en comble, à la recherche d'un crayon à papier. J'en retrouve un au fond de l'un de mes tiroirs.

De retour sur ma table à manger, je m'empresse de colorier les bords réhaussés.

Bingo !

Les chiffres 3, 7 et 2 font alors leur apparition sur le papier. Je réitère l'opération sur le reste de la feuille.

Pendant une bonne partie de la nuit.

Il est plus de trois heures du matin quand j'achève enfin de colorier l'ensemble des quatre papiers. Je suis épuisée, mais un regain d'espoir me donne la force de rester debout. Cet enchaînement de chiffres cachés n'est pas là par hasard.

« S'il avait envie qu'on le retrouve, il nous aurait donné un indice sur sa position. »

Téléphone en main, j'appelle Hernán. L'insoutenable sonnerie ne cesse de retentir, encore et encore, avant de déboucher sur la messagerie automatique. Loin de me laisser abattre, je le rappelle à quatre reprises, jusqu'à ce qu'il daigne décrocher de sa voix ensommeillée.

— Putain, Sylvia, il est trois heures du mat'.

— Ben alors ? Tes bombasses t'ont trop épuisé ?

No me jodas...

— Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais je ne serai pas longue. Les origamis que tu as reçus... tu les as gardés, j'espère ?

— Pourquoi tu me demandes ça ?

— Ils comportent un code.

Soupir au bout de la ligne.

— Sylvia, je te le redis pour la millième fois, on a creusé toutes les pistes. On a tout fait.

— Et moi, je te dis que j'ai trouvé un message secret dans les papiers d'origamis. Les quatre. Mais je ne sais pas comment déchiffrer ça, alors si tu ne me crois pas, passe-moi le contact de votre super hacker pour que je voie ça avec lui.

— Les origamis contiennent un code ?

— Oui ! Il faut colorier les bords avec un crayon-mine.

Cette fois, je sens mon interlocuteur se bouger enfin, non sans lancer une floppée de jurons en espagnol. J'entends le froissement d'un papier, suivi d'un gribouillis.

— Putain, j'y crois pas ! s'écrie Hernán, la voix tremblante d'émotion. C'est un code !

— Un code qui nous mènerait tout droit vers Duncan !

— Donne-moi tes chiffres. J'appelle Spike de suite pour qu'il nous déchiffre tout ça. Je t'appellerai dès que j'ai du nouveau.

— Madame Rodriguez ? Votre conseillère est prête à vous recevoir, suivez-moi je vous prie.

Avec les récents événements, j'ai failli oublier mon rendez-vous à la banque. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé d'atterrir à L. A, à défaut d'aller directement chez ma mère à San Antonio. Mais la disparition de Duncan a fait repasser mes ambitions de carrière en deuxième position. Si je n'avais pas reçu un courriel de rappel la veille, je serais passé à côté.

Armée d'un courage factice, j'emboite le pas de la banquière dans le long couloir parfumé et aboutit à une salle minuscule. Une autre femme à la peau mate m'accueille avec un sourire aussi forcé que le mien et m'invite à m'installer sur le siège qui lui fait face.

— Bienvenue, Docteur Rodriguez et merci d'avoir choisi notre banque pour effectuer votre demande de prêt.

— Vous m'avez été chaudement recommandés par le professeur Mike Wilson, donc je n'ai pas hésité un seul instant.

— Merci à vous et à lui. Bien, pouvez-vous me parler de votre projet, s'il vous plaît.

— Bien sûr. Alors, je viens de rentrer de mon stage d'internat de deux ans au Nigeria. Avant cela, j'ai été formée à la chirurgie urgentiste à l'hôpital de Dignity Health ici à Los Angeles. Mes deux expériences ont été très différentes, et pourtant, j'étais toujours dans le secteur de la chirurgie urgentiste... j'ai réussi à apporter une réelle aide à ceux qui en avaient le plus besoin au Nigeria, et je me rends compte que des populations démunies, il n'y en a pas que à l'autre bout du monde. Il y en a également ici. Dans les bidonvilles qui entourent notre ville. J'aimerais qu'ils aient accès à ce système de soin quand bon leur semble, et pas uniquement lorsqu'ils ont les moyens de se l'offrir. C'est pourquoi, j'ai décidé d'ouvrir ma propre clinique de chirurgie urgentiste pour ceux qui ne seraient pas en mesure de payer des soins hospitaliers.

La conseillère cligne plusieurs fois des yeux avant d'inscrire des notes sur son cahier. Je comprends à sa moue dubitative qu'elle n'est pas tout à fait convaincue par le projet. Mike m'avait prévenu que ce ne serait pas tâche facile que de convaincre la banque de m'accorder un prêt pour ouvrir une clinique à but non lucratif, mais je tenais à tenter par moi-même, à défaut de solliciter son aide ou – pire – celle de ma mère.

— Et comment comptez-vous financer ce projet et payer les mensualités à la banque ?

— Je travaillerai en collaboration étroite avec l'Association des Médecins Bénévoles de Cali...

— Bénévoles ? Je vois.

— C'est une association qui récolte des millions de dollars de fonds tous les ans grâce à des soirées de gala et des mises aux enchères dans lesquels participent...

— Et vous allez récupérer quel pourcentage de ces fonds ? Il y a un contrat ?

— Non, mais...

— Vous avez un apport ?

— Oui, dix-mille dollars...

— Sur les soixante-mille demandés ? Vous pensez pouvoir les rendre dans combien de temps ?

— J'ai fait une simula...

— Je suis désolée, mais ça ne me semble pas possible.

— Vous ne m'avez à peine laissé le temps de m'exprimer.

— Votre dossier n'est pas assez fort, je suis désolée.

Je plisse les lèvres en me levant, tente de lutter contre mes pulsions violentes qui n'attendent qu'une minuscule échappatoire pour éclater tout ce qui les entoure, et me raccroche au bord du bureau qui, heureusement pour ma conseillère, sert de bouclier invisible entre elle et moi.

— Avez-vous seulement pris le temps d'étudier mon dossier avant de dire qu'il n'est pas assez fort ? articulé-je dans un ton qui se veut intimidant, mais qui n'en est pas moins menaçant.

— Je ne suis qu'une employée, ce n'est pas moi qui décide.

— Tout ce que vous avez fait depuis que je suis entrée dans votre bureau, c'est de me couper la parole à chaque fois que j'essaie de vous expliquer la moindre chose.

— Madame Rodriguez...

— Non, c'est à moi de prendre la parole maintenant ! Dès qu'une personne vient vous solliciter avec un projet humanitaire, un projet d'entraide, vous refusez avant même de considérer les pistes qui peuvent s'offrir à vous. Pire que ça, dès que les mots « association » et « bénévole » ont été prononcés, vous ne vous êtes même plus donné la peine de me respecter !

— C'est...

— Vous vous prenez pour qui ? Sous prétexte que l'aveugle a été levée sur mes comptes et mes projets d'avenir, vous vous permettez de me traiter comme la dernière des dernières ? Savez-vous seulement qui je suis ?

— Non mais...

— Vous me dégoûtez. Vous savez ? C'était une erreur de venir jusqu'ici et de croire que notre système financier aurait pu m'accompagner dans ce projet. Je suis confiante sur mes choix, je le suis moins sur la continuité de votre banque.

— Je vais vous demander de sortir d'ici immédiatement, sinon j'appelle la sécurité.

— Économisez votre salive, je vais sortir par moi-même.

Je m'empare de mon sac-à-main en prenant bien soin de faire tomber le bac à stylos de la banquière et fonce vers la sortie sans aucun regard en arrière.

J'ai une furieuse envie de fumer...

Deux ans que j'ai arrêté cette habitude toxique à cause de laquelle Malik a perdu la vie. Deux ans que l'appel de la nicotine n'a jamais été aussi violent que maintenant... à cet instant précis, où la rage s'est emparée de moi. Elle coule dans mes veines. Elle colonise chacune de mes synapses. Elle rembrunit mon âme. Assombrit mes pensées. Me donne envie de faire des choses... horribles.

Parce que oui, je la sentais cette envie meurtrière qui me démangeait, il y a à peine quelques minutes. Elle me démangeait. Elle me guidait vers cette arme de crime que je trimballe partout avec moi, dans un sac-à-main de luxe, porté dans l'unique but de tromper les apparences. Loin d'ici, je n'y songeais plus. Ce n'était qu'un vil cauchemar qui hantait mes nuits, au même titre que ce tunnel interminable qui m'éloignait du cadavre de mon père.

Il faut que je me calme...

Je monte dans ma voiture et cavale sur les routes bien trop remplies pour un mardi matin. Deux jours se sont écoulés depuis ma dernière entrevue avec Hernán. Quarante-huit heures sans nouvelles de Duncan, et avec pour seule compagnie cette peur sous-jacente de ne plus jamais pouvoir le revoir. Et ma rage...

Pendant que les roues de mon véhicule m'embarquent vers la sortie de la ville, l'écran de mon téléphone s'allume sur un message de la part de Hernán.

[RDV dans une heure, là où tout a commencé entre vous. HH]

Hein ?

Je l'appelle, mais seul son répondeur me répond.

Pourquoi ces gangsters parlent-ils toujours en langage codé ?!

Là où tout a commencé entre vous...

Se peut-il qu'il fasse référence à ma première rencontre avec Duncan ? Nous nous sommes rencontrés au service des urgences de Dignity Health. C'est là que notre histoire a débuté.

Ni une ni deux, je fais demi-tour pour regagner la ville. Je passe par chez moi, gare ma voiture dans le parking et privilégie les transports en commun pour me rendre à mon ancien lieu de travail. Si Hernán a tenu à garder notre lieu de rendez-vous secret, c'est qu'il y a anguille sous roche.

Je suis en avance... de vingt minutes. Et pourtant, le Cubain à la chemise noire est déjà sur place, adossé contre le mur en béton, une cigarette au coin des lèvres. Quand il m'aperçoit, il jette son mégot et m'invite à le suivre d'un signe de tête silencieux.

Nous marchons, chacun de son côté, pendant une bonne dizaine de minutes, avant de rejoindre une forêt à l'écart de la civilisation. Hernán s'engouffre dans un van et ouvre la portière passager.

— Pourquoi tant de mystères ? lui demandé-je une fois installée sur le siège poussiéreux.

— On est peut-être suivis. Je veux courir aucun risque.

— Spike a pu décoder le message ?

— Ouais. On a une adresse.

— San Antonio ?

— San Antonio.

C'était prévisible, et pourtant je n'arrive pas à me soustraire à ce malaise qui m'enveloppe.

— Pourquoi ma ville, Hernán ? De tout le Texas... pourquoi Duncan s'est-il rendu dans ma ville à moi ?

— Simple hasard.

Les yeux fuyants, Hernán se sert une nouvelle cigarette. Les questions se bousculent dans ma tête et y déclenchent un début de migraine. Mais seule une réponse compte, une réponse que nous venons d'obtenir : l'endroit où se cache Duncan.

Et pourtant, mon bref soulagement est rapidement rattrapé par une appréhension grandissante face au manque d'entrain de Hernán.

— Et je suppose que tu préfères attendre d'en savoir plus avant d'aller le chercher ?

— Il se peut que ça soit un piège.

— Et il se peut que non.

— Je sais. C'est pour ça que tu vas y aller à ma place.

L'appréhension grandit, accompagnée de la surprise. Je cherche le regard de Hernán pour tenter de comprendre ce qu'il a en tête, mais celui-ci est fuyant.

— Comment ça se fait ? Tu me fais confiance maintenant ? le taquiné-je.

— D'abord parce que je commence à te connaître, t'es aussi butée que ma sœur, je sais que tu lâcheras pas l'affaire.

— C'est vrai, admis-je dans un sourire.

— Ensuite, parce que je te suis reconnaissant d'avoir trouvé le code.  Sans toi, on serait encore en train de tourner en rond. Alors... voilà. 

— Je sais que tu as fait ce que tu pouvais.

— Et finalement, parce que t'as reçu les origami codés, au même titre que moi. Ce qui veut dire qu'il veut que tu sois de la partie.

— Ça veut aussi dire qu'il voudrait que tu m'accompagnes. Pourquoi tu restes ici ?

— Ça me tue de pas y aller, lâche-t-il dans un soupir résigné. Mais faut que je reste ici pour gérer la galerie auto et les affaires. Depuis le départ de Isaac, tout m'est retombé sur les épaules. Un gang sans leader est comme un serpent sans tête. Inutile. Je suis le remplaçant officiel en attendant le retour de Dunc', pas le choix, faut que je reste.

— Je comprends... et tu peux compter sur moi, je ferais tout pour le ramener au bercail.

— Tu seras escortée par Young-Jae tout au long du voyage. Je veux des comptes-rendus réguliers. Young connaît la procédure, il te montrera comment faire. La sécurité avant tout. Vous foncez vers l'inconnu, faut pas être impulsif et agir n'importe comment... ne me regarde pas comme ça, c'est exactement ce que t'as fait avec Vera et Isaac y a deux ans. Et ouais, ça a porté ses fruits mais là, le risque est trop gros. On connaît pas notre ennemi, ça fait un bail qu'on a pas vu Dunc', faut pas foirer notre coup !

— On sera prudent, je sais que la vie de Duncan est en danger. Je ne vais pas gâcher ma seule chance de le retrouver.

— Au moindre truc, même anodin, faudra me prévenir, moi. Young te briefera sur comment faire. Je veux savoir ce qu'il se passe, minute par minute, ok ?

Malgré son air constamment solennel, j'ai rarement vu Hernán afficher une mine aussi grave.

Et accablée.

Le temps d'un bref instant, ses iris ténébreux me transmettent toute sa peine et sa frustration. L'empathie me gagne et me pousse à poser une main rassurante sur son épaule.

— On fera tout dans les règles. Compte sur nous.

Il hoche la tête,

— Young-Jae t'attend déjà chez toi avec l'adresse et le nécessaire. Vous prenez la route dans deux heures.

— C'est plus rapide en avion, non ?

— En avion vous ne pourrez pas transporter des armes. Et il est hors de question que vous y allez désarmés.

— Et on va loger où ?

— Chez ta mère. Elle habite à San Antonio, non ?

— Oui. Quel hasard ! répliqué-je, pince sans rire.

— Un vrai coquin, celui-là.

Je plisse les yeux, pas dupe pour un sou, mais n'en rajoute pas. Il est temps d'y aller. Je remercie la Chemise Noire cubaine et m'apprête à sortir du van quand je sens la pression d'une main sur mon poignet.

— Sois prudente, doctora. Reviens-nous saine et sauve... et avec Dunc'. 



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