15. Sylvia
Il est l'heure.
Installée sur une chaise du sous-sol de Kirill, j'enfile mes escarpins noirs vernis avec soin.
— Prête ?
La voix grave de Kirill me fait l'effet d'une injection d'adrénaline en plein cœur. J'inspire une grande bouffée d'air et relève les yeux vers son visage soucieux.
— Prête à pénétrer de mon plein gré dans la gueule du loup ? lancé-je, sarcastique. Oui, bien sûr !
— Alors, n'y vas pas...
Je referme la fermeture Éclair de ma veste en cuir en guise de réponse. Ce n'est pas la première fois qu'il tente de me faire changer d'avis. Mais je suis plus déterminée que jamais. Ma mère est restée trop longtemps en compagnie de ce psychopathe. Dieu seul sait ce qu'elle a dû subir. Je tente d'effacer de ma mémoire les scénarios horrifiques qui y ont pris place et me concentre sur mon plan. Les phalanges tatouées du grand russe se saisissent de mon poignet et exercent une légère pression dessus, comme pour me rassurer.
— Ou bien, continue-t-il dans un murmure, laisse-moi t'accompagner.
— C'est mon combat, Kirill, pas le tien. J'ai déjà perdu quelqu'un à cause de mes conneries par le passé. Je ne veux pas que ça recommence.
Un sourire résigné flotte sur les lèvres du grand Russe. Ou peut-être est-ce parce que j'ai prononcé le mot « conneries » ?
— Hey ! beugle une voix masculine dans mon dos. Faudrait p't-être penser à m'libérer !
Je lance un regard exaspéré vers Tobias, le sous-fifre de Duncan que j'ai réussi à capturer il y a de cela deux jours, coincé sur une chaise en bois, et qui n'a pas arrêté de râler. Malgré sa grande gueule et son côté grognon, les informations qu'il m'a communiquées m'ont été primordiales à l'élaboration de mon plan d'action.
— On te libérera quand ce sera le bon moment, riposté-je en portant mon sac en bandoulière.
— Le patron va pas être content quand il apprendra ce que tu t'apprêtes à faire.
— Ton patron n'est jamais content quoi qu'il arrive. Enfin, tant qu'on ne suit pas ses ordres comme un gentil petit toutou.
— T'es franchement cinglée si tu crois que t'es capable de sortir vivante seule de ce manoir. On m'avait prévenu que t'étais une tête épaisse mais je pensais pas que c'était à ce point.
— La tête épaisse t'emmerde !
L'usage d'un tel vocabulaire est le signe ultime que le stress recommence à m'engloutir. Je déglutis péniblement, consciente du danger imminent auquel je m'expose. Mais j'ai assez perdu de temps.
Il est l'heure d'agir.
Mais avant tout, j'ai un dernier détail à régler...
— Tout va bien se passer, tente de me rassurer Kirill. T'es une tueuse, et sans vouloir me vanter, t'as été entraînée par le meilleur.
Je me retourne pour lui faire face. Il me sourit, mais je décèle une pointe d'angoisse dans sa voix, comme s'il tentait de s'en convaincre lui-même.
— Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans toi, Kirill. Si je ne m'en sors pas...
— Tu vas y arriver ! m'interrompt-il en caressant ma joue. Je l'envisage pas autrement.
Ses yeux gris me dévorent avec une intensité qui ferait fondre le métal. L'adolescente que j'étais aurait donné n'importe quoi pour être à ma place à cet instant précis. Les battements de mon cœur atteignent des records encore inconnus de la médecine... et je sais ce qu'il me reste à faire.
Sans plus réfléchir, je presse mes lèvres sur les siennes. A l'instant où mes paupières se ferment, le visage de Duncan se matérialise devant moi. Arrogant... déstabilisant... viril au possible. Kirill me serre contre lui et j'en profite pour le pousser vers le mur tout en faisant danser sa langue avec la mienne.
Un gémissement... un cliquetis.
Le baiser s'arrête.
Et la vision de Duncan aussi.
— Qu'est-ce que...?
— Je suis désolée, Kirill...
Je m'éloigne de lui tandis qu'il me gratifie d'un regard confus, puis colérique quand il réalise ce que je viens de faire. Il tente tant bien que mal de se libérer des menottes qui l'attachent au radiateur de la pièce. J'ignore ses protestations ainsi que les ricanements amusés de Tobias qui se régale de la scène qui se joue sous ses yeux et me dirige vers la sortie.
— Je ne ne peux pas prendre le risque de te perdre. Et je sais que tu vas me suivre, même si tu m'as assuré l'inverse. Si je ne reviens pas, j'ai laissé les clés des menottes sur le bureau de ton assistante. Elle te libérera quand elle viendra à 10h.
— SYLVIA ! REVIENS LA TOUT DE SUITE ! RODRIGUEZ ! RODIGUEEEEEEEEZ !
— Bienvenue au club, frère, raille Tobias.
Je récupère les clés de la moto du Russe et claque la porte du sous-sol derrière moi.
∞
Six heures du matin.
La rue est calme, bercée par le silence matinal. J'observe de là où je me tiens l'entrée du manoir d'Il Capo. Cette même entrée que j'ai traversée aux côtés de Young-Jae dans le but d'apercevoir Duncan.
Duncan...
Il doit être furieux contre moi. Je le suis aussi... mais le manque de lui commence à se faire sentir. Cruellement.
Je passe ma main sur mes lèvres comme pour effacer les vestiges du baiser que j'ai volé à Kirill. Même si je l'ai fait dans un but particulier, je ne peux m'empêcher de sentir que j'ai trahi Duncan.
Assez tergiversé.
La seule façon de revoir mon homme, c'est de réussir à sortir d'ici vivante.
Je hoche ma tête comme pour me débarrasser des pensées négatives, et fonce vers l'extrémité de la rue. Cachée à l'abri des buissons, je repère la petite trappe dont Tobias m'a parlé. Selon lui, une entrée secrète y est dissimulée. Une entrée qui mène tout droit vers les souterrains de la demeure. C'est un moyen qu'ont mis au point les mafieux italiens pour entrer et sortir des QG de leurs chefs incognito. Il parait que la ville de Naples est jonchée de sentiers souterrains et labyrinthes dans lesquels les crimes les plus effroyables de l'humanité sont commis tous les jours. C'est ce qui a permis aux Rapaces d'envahir le manoir lors de la mission-sauvetage de Duncan.
Ce point d'entrée sera mon point de sortie.
Moi, je vais entrer par la porte.
Dénuée de tout déguisement ou camouflage, je me présente devant l'entrée principale. Deux sbires du mafieux italien m'accueillent de leurs œillades grossières. Un grand homme à la peau claire et aux muscles saillants, et un autre, de taille moyenne et à la peau halée. Ils sont tous deux vêtus de tee-shirt blancs et armés.
— Je suis Sylvia Rodriguez, et je souhaite m'entretenir avec Il Capo.
Des ricanements insultants me répondent. L'homme à la peau halée se met à tourner autour de moi comme si j'étais de la chair fraîche offerte sur un plateau d'argent. L'autre croise les bras sur sa poitrine en me fixant avec attention.
— Qu'est-ce qui vous fait croire qu'il est disposé à vous accueillir, surtout aussi tôt ? me répond-il avec un fort accent italien dédaigneux.
— Vous ne semblez pas comprendre ce que j'ai dit. Alors, je vais me montrer plus persuasive.
Je sors deux armes de mon sac à main et les pointe en direction des deux hommes.
— Allez chercher votre chef, ou je vous explose la cervelle.
L'homme qui faisait les cent pas autour de moi s'arrête net, puis porte sa main à sa ceinture en questionnant son acolyte du regard. Ce dernier se contente de me fixer, un sourire mystérieux figé sur son visage.
— Vous avez de bons arguments. Mais je crois pas que vous avez ce qu'il faut pour tirer.
— Tu paries ?
Il ricane tout en me dévisageant de haut en bas. Je m'impatiente, et son attitude arrogante a le don de me provoquer au plus haut point. Je ne suis pas venue ici pour jouer. Et je vais le lui prouver.
Sans plus attendre, j'appuie sur la gâchette. La balle atteint l'épaule de l'homme qui se tient près de moi. Je tire un second coup, cette fois sur sa jambe. Le voilà maintenant à genoux... à mes pieds. Satisfaite, j'envoie un regard entendu en direction du gardien des lieux qui ne bouge pas d'un iota en voyant son coéquipier se tordre de douleur au sol.
— Suivez-moi.
Les portes s'ouvrent et, avec elles, j'inspire une longue bouffée d'air. Le couloir est immense, et l'odeur d'ammoniac qui flotte dans ces lieux est toujours aussi forte que lors de ma première visite. Je m'agrippe à mes armes comme à des bouées de sauvetage tout en suivant la cadence de l'homme de main italien.
Notre trajectoire ne dure que quelques secondes, mais j'ai l'impression qu'elle s'éternise. Nous finissons par déboucher vers une pièce ornée de décoration antique digne de César Palace. Trois hommes s'y trouvent. Me voilà seule contre quatre, dans un endroit clos...
— Vos armes.
La réplique du mafieux est accompagnée d'un signe vers une corbeille vide. J'y dépose mes deux pistolets et relève un regard neutre vers lui.
— Toutes vos armes, précise-t-il, impassible.
Je jette alors les shurikens* et autres lames de rasoir et bombe lacrymogène que j'avais dissimulées dans mon sac au préalable. J'extirpe également la dague d'entre mes deux seins et la laisse retomber dans le panier.
— Fouillez la, ordonne-t-il sans me lâcher des yeux.
Les trois hommes s'exécutent et débutent une longue et dégoûtante investigation de mon corps, à la recherche d'armes supplémentaires. Ils me palpent les seins, mes hanches, mon fessier et mes cuisses. Je frissonne de dégoût, et lutte de toutes mes forces pour ne pas mettre en pratique les enseignements de Kirill, mais tente néanmoins de garder mon calme malgré le sang qui entre en ébullition dans mes veines.
Ils me fouillent pendant un temps infini avant de s'éloigner quand ils constatent l'absence de toute forme d'arme.
— Perfetto. Emmenez-la à l'étage. Il Capo va venir lui faire sa fête.
Il se lèche les babines comme un loup repu puis quitte la pièce, me laissant entre les mains de ses collègues qui m'escortent vers un escalier luxueux. Docile, je me laisse faire en m'efforçant de ne pas céder à la panique.
Nous arrivons devant une porte en bois. L'un des hommes frappe à la porte et annonce mon arrivée en italien.
Un rire glacial s'élève de l'intérieur de la pièce, suivie d'une voix aiguë...
Une voix familière...
Non... ce n'est pas possible... c'est encore l'un de mes cauchemars !
Je me fige sur place, incapable d'esquisser le moindre mouvement.
— Laissez-nous, ordonne la voix. Cette chère... Sylvia et moi avons plein de choses à nous raconter.
L'un des hommes exerce une légère pression sur mon épaule et me pousse vers l'intérieur. Tel un robot, je me laisse faire et hausse le regard vers la confirmation irrévocable de ce que je savais déjà. Deux prunelles aussi perçantes que malsaines m'observent... Une haine incommensurable se déchaîne en moi. L'envie de me ruer sur lui pour l'étrangler à mains nues me tord les tripes. Et pourtant, je suis aussi pétrifiée qu'un rocher qui subit la violence des vagues en plein hiver.
— Vous ! parviens-je à articuler malgré ma gorge trop sèche.
— Sorpresa, cara.
Je serre les poings pour maîtriser le flot de colère qui marque son territoire dans chacune de mes terminaisons nerveuses. Son sourire sardonique ne fait qu'accentuer mon état de nerfs.
Il s'est joué de moi, de ma mère... de tout le monde !
Elle l'aimait. Après toutes ces années, elle s'est enfin autorisée à lâcher prise et se laisser approcher par un homme.
Un homme qui, finalement, ne s'était rapproché d'elle que pour se venger de celui que j'ai choisi. Pourquoi ma mère devrait-elle payer le prix de mes erreurs ? De mes faiblesses ?
Encore une fois... l'un de mes proches souffre par ma faute.
Encore une fois, je me sens minable, écrasée par le poids de la culpabilité.
Soudain, mon cerveau établit une nouvelle connexion : Wayne.
Wayne travaillait pour Luciano.
Il savait.
Il savait et il ne m'a rien dit ! Je me suis fait bêtement manipuler et laissée aveugler par un homme dont je ne connaissais rien. Je lui ai fait confiance, alors qu'il m'a menti depuis la première seconde où l'on s'est croisés.
— Assieds-toi, cara, me susurre la voix frêle et antipathique de Luciano. Fais comme chez toi. Après tout, on fait presque partie de la même famille.
Je lui lance un regard assassin. La pièce fait froid dans le dos et ne m'inspire aucune chaleur. Aucune confiance. Malgré mon état de choc, il faut que je me reprenne. Je suis venue ici pour un objectif bien précis, et je ne repartirai pas avant de l'avoir réalisé.
— J'imagine que tu es venue voir cette chère Karen.
— Je vous préviens, Luciano, si vous avez touché à un seul cheveu de...
— J'aime quand tu te mets en colère, cara. Une vraie lionne. De qui tiens-tu ça, c'est très étrange, ta mère n'était pas comme ça...
Le fait qu'il parle de ma mère au passé me glace le sang. Où est-elle ? Qu'est-ce que ce malade lui a fait ? Est-elle toujours en vie ?
— Qu'est-ce que vous avez fait à ma mère ?! hurlé-je en frappant fort contre le bureau de l'homme aux cheveux blancs.
— Tu veux voir ta mamma ? Molto bene.
Il se dirige alors vers la porte, chuchote des mots inaudibles à l'un de ses hommes planqués derrière la porte avant de la refermer derrière lui. Il s'installe sur son siège, puis sort de son tiroir ce qui me semble être une photographie.
Ses yeux oscillent entre le vieux cliché et moi. Sa manière de me dévorer du regard me met mal à l'aise. Je ne comprends pas ce qu'il veut de moi. Mais pour l'heure, il faut que je trouve un moyen de m'évader d'ici.
Et d'embarquer ma mère avec moi !
— Incroyable, murmure-t-il comme hypnotisé par mon visage.
Je ne relève pas. Cet homme est visiblement fou. La fenêtre ne me semble pas très haute. Après tout, nous sommes au premier étage. Si je réussis à l'occuper assez longtemps pour pouvoir pousser ma mère à ouvrir la fenêtre et s'y échapper, c'est très faisable.
Encore faut-il qu'elle soit en état de sauter... Dieu seul sait ce que ces fourbes lui ont fait.
La porte du bureau s'ouvre à la volée après quelques minutes de silence ponctuées des regards insistants et malsains d'Il Capo sur moi. Un homme vigoureux tient ma mère par les cheveux et la pousse sans aucune pitié vers un coin de la pièce. Je me lève rapidement afin d'amortir sa chute et la réceptionne dans mes bras. Je l'examine avec soin afin de déceler quelconques blessures ou traces de coups sur son corps. Il n'y en a aucune, mais l'état d'angoisse profond dans lequel je la retrouve ne fait que décupler ma haine.
Karen Rodriguez se tient en haillons et pieds nus. Ses cheveux blonds, d'habitude impeccables, sont sales, ternes et décoiffés. Secs, et entremêlés. Des cernes béants creusent son visage blafard parsemé de rides profondes. On dirait qu'elle a pris trente ans en quelques semaines. Son corps frêle tremble contre moi. Elle s'agrippe à moi comme une enfant apeurée se cramponne à ses parents. La voir dans cet état me brise le cœur.
Je la serre tout contre moi et lui murmure « ça va aller, Maman » auquel elle me répond par un signe de tête.
— Bonjour, Karen, jubile le chef italien. Comme c'est touchant, mère et fille sont réunies pour la dernière fois.
— Laissez ma mère en dehors de cette histoire ! Elle n'a rien à voir là-dedans ! C'est moi que vous vouliez. Je suis là, alors laissez-la partir !
— Tu as raison. Je n'ai plus besoin d'elle. Elle n'a servi que d'appât pour que Reed et toi veniez à moi. D'ailleurs, où est-il ? J'étais persuadé que vous viendriez à deux.
Je ne relève pas et me contente de mitrailler Luciano du regard. Celui-ci s'approche de moi et relève mon menton pour que je croise ses iris machiavéliques. Je détourne instinctivement la tête et renforce ma prise sur ma mère, comme si nous nous protégions l'une l'autre contre cet homme.
— Tu ne réponds pas, cara. Alors, je me répète, où est Duncan Reed ? Plus personne ne l'a revu depuis hier soir.
— Je n'en sais rien.
Je tente de garder un visage impassible, mais l'inquiétude ne tarde pas à envahir chacune de mes synapses. Tobias m'a révélé que Duncan était bien rentré à Roca Buitre après ma fuite.
— Vous étiez ensemble lorsque mes hommes vous ont retrouvés à l'auberge après qu'il se soit enfui d'ici comme un lâche au lieu de m'affronter comme un homme.
— Parce qu'à votre avis emprisonner un homme et en faire votre champion de combats illégaux, c'est être un homme ? Ce n'est pas lâche ? Tout ça pourquoi ? Parce qu'il a exécuté un ordre quand il avait quinze ans ?
Une panoplie d'expressions différentes déferle alors sur le visage de mon interlocuteur. D'abord, la surprise, suivie de près par la colère et terminée par une expression de prise de conscience... comme s'il venait de réaliser une chose qui m'échappe.
— Je vois... il ne t'a donc rien dit ? Ce cher Wayne non plus ? Je ne suis pas vraiment surpris.
— Me dire quoi ?
Son sourire s'élargit comme s'il venait de gagner à la loterie.
— Non seulement je gagne le gros lot, mais j'ai, en plus, l'honneur de t'apprendre la vérité moi-même, poursuit-il en me fixant avec gourmandise.
— Quelle vérité ? m'agacé-je.
— L-Luciano non, halète la voix fébrile de ma mère. Pas maintenant... pas ici... pas comme ça...
Je fronce les sourcils, l'incompréhension et le doute me submergent tout entière. Un doute vicieux s'installe dans mon esprit. Mon attention passe de ma mère à Luciano pendant que mon cerveau carbure.
— De quoi vous parlez au juste ? demandé-je d'un air méfiant.
— Tu ignores ta propre histoire, cara.
— L-Luciano, balbutie ma mère de nouveau. S'il te...s'il te plait...
La curiosité me ronge. Si ma mère n'était pas aussi apeurée à l'idée que Luciano me révèle ce qu'il a en tête, j'aurais juré qu'il s'agissait d'un moyen de me déstabiliser et jouer avec mes nerfs.
Je la lâche et focalise toute mon attention sur le mafieux. Je sens son regard peser sur moi mais j'ai besoin d'avoir des réponses.
Il faut que je sache.
Je me lève et pose mes deux mains sur le bureau de Mancini. Il a l'air de se délecter de la situation, de l'état torturé de son ex-fiancée, et surtout, d'avoir éveillé ma curiosité.
— Parlez ! m'impatienté-je.
— Tu n'as jamais eu cette impression d'être étrangère dans le monde ou tu évolues ? De ne pas appartenir à ton propre univers ? Tu ne ressembles ni à ta mère ni à ton père. C'est bizarre, pourtant tu es médecin, tu devrais savoir mieux que personne comment fonctionnent les règles de la génétique...
Mes sourcils sont tellement froncés que j'en ai mal. J'observe Luciano sans piper mot. Les sanglots de Karen dans mon dos se font de plus en plus audibles, mais ils sont à des années-lumière de moi. Je me contente d'observer le sexagénaire italien avec toute la haine que je ressens pour lui.
— Une mère blonde aux yeux bleus et un père châtain aux yeux verts ne peuvent pas engendrer une fille à la chevelure de jais, et aux yeux miel-noisette. Question de dominance génétique. Vois-tu, je me souviens très bien de mes cours de biologie, je me demande comment tu as fait pour ne pas le découvrir par toi-même, doctora.
Je suis tétanisée. Hypnotisée par ses mots. En réalité, je me suis posé des questions sur le sujet lorsque j'ai eu mes premiers cours de génétique mendélienne au collège. Mais je sais que toute science a ses limites. Peut-être n'étais-je qu'une exception ? Un cas rare dont les scientifiques ignoraient l'agencement.
Je refusais de comprendre ce que j'avais toujours soupçonné au fond de moi-même.
— Je ne comprends pas...
— Tu n'es pas la fille de Horacio et Karen Rodriguez. Tu es la progéniture de Juan-Pablo Gonzales. Alias El Padre. Ancien chef des RN-7. Celle qu'il a recherchée pendant des années. Toutes mes condoléances d'ailleurs, il est mort depuis plus de quatre ans déjà.
C'est un cauchemar.
Je vais me réveiller.
Ce n'est qu'un putain de cauchemar !
— Je... n-non, balbutié-je. Vous mentez !
— Demande à ta mère. Elle est juste à côté, elle pourra te le confirmer.
— Maman ?
Je me prends ses iris larmoyants en pleine face. La réponse est marquée sur son visage. Claire. Indéniable. Cruelle.
Je l'ai su toute ma vie. Nous étions trop différentes. Aussi bien sur le plan physique que sur le plan mental. Parfaites opposées l'une de l'autre. Le vieil adage « telle mère, telle fille » trouvait son exception en nous. J'étais tout ce qu'elle n'était pas. Elle était tout ce que je ne voulais pas être.
Mais j'avais du mal à croire à cette révélation dévastatrice.
— Maman, s'il te plait, répété-je dans une plainte désespérée, comme si elle avait le pouvoir de changer quelque chose.
Karen Rodriguez se contente de fixer le sol. Elle ne nie pas. Elle se contente de sangloter.
J'ai été adoptée.
Et je l'apprends à l'âge de trente ans.
Incapable de faire le moindre geste, je réceptionne la nouvelle avec la sensation d'avoir une chaîne autour de ma gorge qui m'empêche de respirer. Je porte ma main à mon cou et tente en vain d'aspirer l'air vital dont j'ai affreusement besoin.
— Et encore, tu ne sais pas le pire...
La voix froide de Luciano me fait reporter mon attention sur lui.
Qu'y a-t-il de pire que de savoir que les parents qui m'ont élevée ne sont pas les miens ? Que mon géniteur est l'un des plus grands criminels de tous les temps ?
Je l'observe, la mâchoire crispée, attendant qu'il daigne me confier ce qui, à ses yeux, est pire que le pire.
Il me tend alors la photographie qu'il tenait entre ses doigts fins. Je la récupère avec la peur de ce que je vais y découvrir. Mon cœur cogne si fort dans ma poitrine qu'il semble vouloir s'en échapper.
Mes iris traînent sur le vieux cliché, et ce que j'y découvre finit par m'achever.
J'ai l'impression de me contempler dans un miroir.
La femme qui sourit sur la photo est une copie conforme de moi. Les mêmes yeux, la même chevelure, le même sourire.
Je relève la tête pour croiser le regard perçant de Luciano, comprenant déjà où il veut en venir.
— Elle s'appelait Penelope, m'explique-t-il. Et c'était la femme de ma vie. Une femme que ton père biologique m'a volée. Qu'il a souillée.
Le puzzle se reconstitue peu à peu dans ma tête. Les révélations de Duncan...
— D-Duncan... Duncan a.... tué...
— Perspicace, me fait remarquer Luciano. Oui, Duncan Reed a tué la femme de ma vie. Et il n'a même pas eu le courage de te le dire.
— Il ... il n'est sûrement pas au courant...
— Que faisait-il au Texas à ton avis ? El Padre l'a missionné de découvrir l'identité de sa fille avant de mourir. Il t'a laissée filer en Afrique en sachant que tu étais Maria-Angela Gonzales.
Il savait.
Il savait... et il m'a maintenue dans l'ignorance pendant tout ce temps-là...
Des coups de feu retentissent à l'extérieur et nous font sursauter. Luciano s'empare de son arme et se dirige vers la porte d'entrée qu'il ouvre à la volée.
J'ignore ce qu'il se passe, et à l'heure actuelle, c'est le dernier de mes soucis.
J'encaisse.
Un coup, puis un autre.
Un cri déchirant.
Maman !
Il faut que je me reprenne.
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*Les shurikens sont des étoiles à lancer à lames tranchantes.
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Salut salut !!
Comme on se retrouve ! Je suis d'abord très contente de moi-même d'avoir réussi à publier dans les temps ^^ avouons qu'il faut saluer l'effort xD
Ensuite... il Capo est bien Luciano, le fiancé de Karen. Beaucoup d'entre vous l'ont vu venir ! En même temps, deux italiens fous furieux qui débarquent dans la même ville, c'était presque évident ^^
Mais plus dramatique : Sylvia connait désormais la vérité de ses origines... Duncan aurait dû porter ses couilles plus tôt et tout lui avouer... comment pensez-vous qu'elle va gérer cette nouvelle ? Et comment voyez-vous la suite de leur couple après ça ?
D'autre part, Sylvia ne semble pas être la seule à être entrée dans le manoir d'il Capo. Que signifient ces coups de feux ?
Des théories pour la suite ?
Bisous bisous
S.
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