40. Duncan (Final - part. 1)
TW : violence, torture
On dit souvent que quand on frôle la mort, on assiste au film de notre vie défiler sous nos yeux.
C'est des conneries tout ça.
La seule chose qu'on voit, qu'on discerne avec clarté, c'est le visage de la personne qui compte le plus.
Son sourire éternel.
Ses yeux brillants.
— Ouvre les yeux, Duncan. Je t'en supplie...
Et sa voix suave qui vibre contre nos tympans.
Son souffle tiède qui s'abat sur notre peau comme pour nous redonner vie.
La chaleur de son corps contre le nôtre qui nous rappelle ce que ça signifie d'être vivant.
Cette goutte de désespoir qui coule le long de notre cou. Celle-là même qui nous oblige à tenir bon, histoire de faire en sorte de ne plus jamais en faire couler.
— Je t'aime.
Et ces mots, à la fois salvateurs et maudits, qui font l'effet d'un choc électrique entre plein cœur. Foudroyants, aussi puissants que pour ressusciter un mort... ou exécuter un condamné. Anéantissants, témoins de notre victoire autant que de notre échec.
Sylvia renifle et sanglote près de moi. A l'entendre, on ne pourrait croire qu'il s'agisse de la même louve sauvage qui a défendu sa meute avec une ténacité rageuse, vengeresque, fascinante.
J'ignore où je suis, mais mon dos repose sur un support confortable. Je ne perçois plus les rayons brûlants du soleil contre ma peau, ni les émanations de poudre et d'amorce caractéristiques des armes à feu. En réalité, je ne sens plus rien. J'ai la désagréable impression d'avoir été sédaté. Seule une légère douleur à la poitrine persiste.
J'ouvre difficilement les paupières. L'obscurité de la pièce convient à mes rétines. Au moins, je sais avec certitude que je ne suis pas dans cet hôpital qui m'a accueilli il y a quelques mois maintenant.
Je me redresse et prends conscience de l'environnement qui m'entoure.
Ma chambre, au manoir d'El Padre.
Vide.
— Sylvia ?
Est-ce que j'ai imaginé sa présence à mes côtés ?
Est-ce que j'ai imaginé ces mots qu'elle s'est enfin autorisée à prononcer ?
Agacé, je m'assois au bord de mon matelas et me frotte les yeux. C'est alors que je remarque que je ne suis vêtu que de mon boxer, et qu'un pansement recouvre presque l'intégralité de mon torse. Une colère froide reprend possession de mon être au souvenir de l'enflure qui a osé me faire ça.
Mon poing se serre et une légère douleur me rappelle la présence d'un cathéter profondément inséré dans la veine de ma main droite.
Un rire amusé m'échappe. Il n'y a que Sylvia pour faire en faire des caisses en matière de soins médicaux inutiles. Je me défais de cette chaîne et m'étire quand un murmure en provenance du couloir attire mon attention.
Malgré mes muscles engourdis, je me lève et m'approche de la porte entrouverte pour mieux entendre.
— ... beaucoup réfléchi à la question et je pense que c'est la bonne décision, Mike. Je vous remercie vraiment de cette opportunité.
Je fronce les sourcils. Mike ? Mike Wilson ?
Je pique un œil à travers l'ouverture pour découvrir une Sylvia aux traits affligés. Son dos repose contre le mur, ses doigts engouffrés dans sa chevelure. Elle écoute en silence son interlocuteur parler tout en fixant le sol.
— Je comprends votre déception, et croyez-moi, je suis toujours très honorée que vous ayez pensé à moi pour cette mission humanitaire. Mais mon cœur est ici, à LA. Vous m'avez bien dit « pas d'attaches », n'est-ce pas ?
Je grimace avant de me diriger vers ma table de nuit sur laquelle reposent mon habano neuf et mon coupe-cigare double-lames couleur or. J'ai à peine le temps de m'en emparer que la porte de ma chambre se referme derrière Sylvia.
— Tu es réveillé !
Son ton est soulagé, et son sourire arrache à mon cœur une douloureuse contraction.
— Ouais.
Je m'accroche à mon cigare comme s'il avait le don de me vider de toute ma colère et ma frustration. Sylvia s'approche de moi avec prudence, l'inquiétude plus que tangible sur les traits fins de son visage. Ses yeux rougissants ne laissent aucune équivoque sur sa détresse intérieure.
— Tu ne devrais pas fumer, Duncan.
— Qu'est-ce qui m'est arrivé ?
— Tu ne te souviens de rien ?
— Je me rappelle t'avoir donné mon gilet pare-balle... ensuite c'est le black out total.
— Tu as commencé à avoir des vertiges, je me suis doutée que c'est lié à ta blessure. Je t'ai mis à l'ombre derrière un buisson en attendant que ça passe mais on a été attaqués de partout. Autant te dire que ton gilet m'a sauvée la vie. Sans ça, je serais sûrement plus ici pour te raconter ça.
L'idée qu'elle aurait pu y rester me crève le cœur, si bien que je ne peux m'empêcher de caresser sa mâchoire de la pulpe de mon pouce.
— Young-Jae a aidé Isaac et les deux autres à s'échapper par la fenêtre. Puis on a fait en sorte d'éloigner les habitants du ghetto de la maison avant qu'elle n'explose. Isaac t'a transporté vers la sortie du ghetto où une voiture nous attendait. Mais voilà, tu étais inconscient. Il faut vraiment que tu arrêtes de me faire des frayeurs de ce genre...
— Désolé, chérie, mais c'est compris dans le package.
Sylvia se tait un instant et m'invite à m'installer sur le canapé adjacent avant de me chevaucher. Si ma queue est ravie de la retrouver dans une position aussi intimiste, mon agacement, lui, n'en est que plus palpable.
Mais les gestes de Sylvia n'ont rien de sexuel. Elle défait les pansements qui recouvrent ma plaie luisante avant de reprendre la parole.
— Ta plaie s'est infectée. La chaleur d'aujourd'hui est propice à la prolifération bactérienne, ça a accéléré le processus. J'ai dû désinfecter au dakin et t'injecter antibiotiques et immunoglobuline antitétanique.
Mon regard est alors interpellé par un flacon déposé sur le meuble avoisinant le canapé. Il s'agit d'une solution concentrée de dakin, si j'en crois l'étiquette collée dessus.
Je détourne les yeux pour les poser sur mon tatouage, aujourd'hui défiguré. L'aile droite de mon rapace totem est déchiquetée, amputée, remplacée par un amas de chair sanglante. Ma mâchoire se contracte avec rage. Je sens mon sang marteler contre mes tempes et l'envie de cogner contre un mur se fait de plus en plus manifeste.
— Où est Laora ?
— Tu devrais penser à ta santé avant de penser à elle.
— Elle est où, Sylvia ? Me dit pas que vous l'avez laissée crever, j'en ai pas fini avec cette pute !
La doctoresse déglutit, visiblement impressionnée par mon ton acéré et menaçant.
— Tes hommes l'ont ramenée avec eux. Ils l'ont mise au sous-sol en attendant que tu décides de ce que tu comptes faire d'elle.
Bien. Enfin une nouvelle qui apaise les tensions grandissantes au fond de moi.
Je soulève Sylvia et la pose à mes côtés avant de me lever en direction de mon armoire, à la recherche de quoi m'habiller.
— Elle a plusieurs vertèbres thoraciques fracturées, m'informe Sylvia comme si j'en avais quelque chose à cirer. Je lui ai administré des analgésiques, mais il lui faudrait une vertébroplastie pour stabiliser le tout.
Je finis de zipper mon pantalon par dessus ma chemise noire en riant jaune.
— Après tout ce que cette salope t'a fait subir, tu penses toujours à la traiter.
— Serment d'Hippocrate, soupire-t-elle en haussant les épaules.
C'est avec une pointe de tristesse que je me retourne et prends sa taille entre mes mains avant de l'embrasser.
— T'aurais pas dû refuser l'offre de Wilson, murmuré-je contre ses lèvres.
Elle cligne plusieurs fois des yeux, le front plissé et la bouche grande ouverte en signe de confusion.
Avant de lui donner le temps de me dire quoi que ce soit, je dépose un dernier baiser sur la base de son cou avant de quitter cette pièce devenue trop étouffante. J'ignore la voix implorante de Sylvia dans mon dos et embarque vers l'escalier.
— Dunc' ! s'écrie Isaac qui apparaît devant moi. T'en as pas marre de nous faire des coups d'ce genre, mec ? Avoue qu'tu l'fais exprès pour qu'tu t'fasses dorloter par la doctoresse.
— Je descends voir Laora. Fais en sorte que Sylvia me suive pas au sous-sol.
— Attends mec, faut que j'te dise un truc...
— Après. Fais ce que je te dis.
Sur ce, je dégringole les marches en direction des souterrains humides du manoir des RN-7.
Une mélodie résonne en écho dans le couloir sombre. Je souris quand je reconnais le rythme régulier des congas, associés au sifflement des trompettes que j'ai tant détesté au cours de mon adolescence. El Padre adorait donner des soirées dansantes qui rappelaient les ambiances de festival de son pays d'origine, le Salvador. Laora était plutôt du genre à faire la belle et danser la salsa. C'était une pro, et elle a su en charmer plus d'un en usant de son pouvoir de séduction, El Padre le premier.
Moi, j'en profitais pour me défoncer la gueule à coups de weed en compagnie d'Isaac et de Hernán. A l'époque, on était libres et insouciants. On se contentait de vivre sans se poser trop de questions. Aujourd'hui, tout est plus complexe. Rien n'est sans conséquence. Et notre liberté n'est qu'une illusion.
La porte métallique de cette pièce que je ne connais que trop bien grince en s'ouvrant, et me dévoile une vision qui me satisfait plus que de raison. Laora est prisonnière de son lit, les poignets et les chevilles reliés aux bords par des serflex. Je m'amuse de constater la poche de perfusion accrochée en hauteur près du lit, signe du passage de Sylvia.
Une partie de moi est exaspérée de la bonté sans fin de la doctoresse, Hippocrate ou pas. L'autre est satisfaite de constater que son âme n'a pas encore été entachée par les ténèbres, contrairement à la mienne.
Il n'est pas trop tard pour elle.
La musique latine fuse en boucle à travers deux enceintes acoustiques disposées de part et d'autre de la tête de Laora. J'ignore qui est à l'origine de cette initiative, mais j'apprécie l'audace. La torture en musique est l'un des nombreux supplices infligés par les soldats américains aux détenus irakiens pendant la guerre du Golfe. Malik en a subi les sévices pendant longtemps lorsqu'il était encore à Mossoul. Ce supplice musical empêche de dormir, de penser, d'espérer...
Mais c'est pas assez fort pour cette garce.
J'éteins les amplificateurs, mettant fin à cette insoutenable bande-son, et m'attarde sur la tenue qu'affiche Laora : un ensemble de lingerie noir qui m'arrache une moue de dégoût.
— C'est marrant, en temps normal quand j'ai une femme à ma dispo dans cette tenue et dans cette position, c'est pas pour faire ce que je m'apprête à faire...
Elle déglutit, et les mouvements de sa cage thoraciques s'accélèrent brutalement.
— Quoique... dans les deux cas, je sais que je vais la faire crier.
Je me saisis d'une chaise pour m'y installer. Incapable de bouger, Laora suit chacun de mes mouvements avec une nervosité communicante.
— Ma playlist t'a plu ? continué-je en affichant un rictus sardonique. Je sais qu'elle est pas trop variée, mais t'a toujours aimé ce genre de musique. La salsa, c'était ton dada à un moment donné, non ?
Je sors mon habano de la poche de mon pantalon et en renifle la senteur hypnotisante.
— T'as toujours été une danseuse de talent. On pourrait même refaire une de ces fameuses fiesta d'El Padre si tu veux. Mais c'est con... t'as le dos cassé.
Sa mâchoire tressaute et je sens ses poings se relever, comme si elle tentait de se défaire de ses liens. Je ricane et récupère mon coupe-cigare de ma poche et le fait tournoyer entre mon pouce et mon index.
— C'était celui d'El Padre, murmuré-je en lui désignant l'outil tranchant. Il l'a gagné à une partie de poker, paraît. Vingt-quatre carats d'or. Il s'en séparait jamais. J'ai eu l'immense honneur d'apprendre à m'en servir à ses côtés.
Les pupilles de Laora se rétractent mais ne dévient pas de mes mains. Elle semble guetter la menace qui pèse sur elle. Satisfait de constater que j'ai toute son attention, j'insère la tête fermée de mon cigare cubain dans l'ouverture centrale.
Et je coupe.
L'embout marron s'envole et tombe sur le sol crasseux de la pièce. Je le suis du regard avant d'examiner la surface de mon Havane.
— Tu vois, la coupe doit être nette et droite. Décapiter un cigare est un geste qui a l'air anodin à première vue, mais c'est la base d'un long rituel... faut pas se rater.
A l'aide de mon briquet, et en m'aidant d'une longue inspiration, j'allume mon cylindre de tabac sous l'oeil apeuré de la jeune femme. Je reste un long moment à savourer ce moment sans avoir à subir les recommandation sanitaires exaspérantes de Sylvia.
Laora s'éclaircit la gorge avant de murmurer d'une voix faible :
— Qu'est-ce que... tu veux... de moi ?
Parler semble être une corvée pour elle. Tant mieux, pas envie de supporter sa voix de bécasse.
— Ce que je veux ? Rien de particulier. Je transmets le savoir d'El Padre en matière de coupe-cigares.
A nouveau, je lui désigne l'instrument et poursuit de ma voix la plus calme et détachée possible :
— Ce qui est amusant, c'est que ce p'tit bijoux peut avoir plusieurs autres utilisations. Certains s'en servent comme décapsuleur, d'autres comme coupe-ongle pour leurs chiens, ou encore...
Je prends sa main avec la mienne et insère son annulaire dans l'opercule de l'outil doré.
— Ou encore... faire des petites saucisses d'humains.
Laora tente de s'extirper de ma prise. Mais je suis plus fort qu'elle. Je repense un instant à tout ce qu'elle a fait... El Padre, Malik, Hernán... Sylvia.
Et je coupe.
Un cri aussi puissant que revigorant s'élance de sa gorge. Je m'en imprègne comme d'un baume apaisant sur une plaie laissée pendant trop longtemps non traitée.
— C'est çaaaaa... crie pour moi...
Son sang coule avec abondance de son doigt mutilé. Des sanglots affligeants viennent accompagner ses plaintes. Je lui donne le temps de se calmer, dans la mesure du possible, avant de reprendre la parole.
— Tu sais, depuis ma première mission pour El Padre, je me suis juré de plus jamais torturer une femme... autrement que pour lui donner du plaisir.
— C'est... raté, halète-t-elle en ricanant sournoisement malgré sa douleur.
Je me lève et porte mes mains à son cou pour l'étrangler. Ses larmes dégoulinent le long de ses joues, mais ses yeux sombres me transmettent toute la haine qu'elle ressent à mon égard.
— Je voulais pas rompre mes principes pour une p'tite salope dans ton genre. Mais tu m'en as pas laissé le choix.
Laora, dont la peau blêmit à vue d'œil, suffoque. Mais je ne veux pas qu'elle meure trop vite. Pas tout de suite.
Je lâche prise et m'éloigne d'elle pour calmer mes nerfs, plus en crise que jamais. Une nouvelle bouffée de habano me donne la sérénité nécessaire pour poursuivre le scénario que j'ai en tête.
Mais c'était sans compter sur Laora qui s'acharne à me pousser à bout.
— Tu fais... le malin... alors que t'es... aussi pourri... que moi... Duncan.
Je lâche un soupir dédaigneux et fais signe à l'un des hommes postés dans le couloir de s'approcher avant de lui chuchoter des instructions précises.
— El Padre t'a... donné une mission... tu t'es donné aucun mal pour... l'accomplir.
— Parle pas de ce que tu sais pas.
— Tu peux me... faire taire... mais tu sais que t'as lamentablement... échoué.
Mon sang ne faire qu'un tour dans mes veines. La véracité de ses propos me frappe de plein fouet et ne fait que confirmer mes échecs. Bien que j'aie tout inscrit au nom de Maria-Angela Gonzales, j'ignore tout de la jeune femme. Je ne sais même pas si elle est toujours vivante.
— Tu baratines tout le monde avec... ton soi-disant code d'honneur... mais, en vrai, tu vaux pas mieux que moi.
« Tu vaux mieux que ça. Mieux que ce qu'il veut faire de toi. »
— Tu seras jamais digne de lui... ou des Rapaces... t'es comme moi... sans cœur et sans conscience.
« Ne sois pas le monstre qu'il veut que tu deviennes. Tu es un homme bien, Duncan. Fais en sorte de le rester. »
— Il doit se retourner dans sa tombe à cause de toi...
« Tu n'as pas à faire tout ce qu'il te demande. »
Hanté par ces deux voix féminines, je lâche un râle guttural avant de frapper mon poing contre le mur. Le souffle court, je ferme les yeux et m'efforce à retrouver un calme apparent, malgré la tempête qui fait rage en moi. Mais dès que mes paupières sont closes, ma première victime, cloîtrée dans un coin de cette même pièce, se matérialise devant moi.
« Je te pardonne, Duncan. J'espère que tu te pardonneras aussi. »
Un bruit de pas en provenance du couloir me sort de ma léthargie coupable et symbolise ma délivrance proche.
— Patron, tout est là-d'dans.
Je récupère le sac en plastique qu'il me tend en hochant la tête en guise de remerciement. Un bref coup d'œil pour en vérifier le contenu et je le revoie d'un signe de tête.
Laora guette le moindre de mes mouvements, une mine suspicieuse greffée sur le visage.
— T'as fini ton p'tit speech ? lui demandé-je d'un ton impérieux.
— Tu peux jouer les durs... devant tes hommes ou ta doctoresse... mais pas avec moi.
Un ricanement m'échappe.
Une sorte de rire à peine audible, sans aucune joie, cynique et funèbre... un petit avant-goût de ce qui l'attend.
Je sors du sac la fiole de dakin qui se trouvait sur ma table de chevet, accompagné d'une seringue propre. Laora perd le peu de couleurs qui lui restent en prenant conscience de ce que je tiens dans mes mains.
— Dakin Cooper stabilisé, lis-je à haute voix. Antiseptique pour peau, muqueuses et plaie... c'est parfait ça.
Laora déglutit tout en contractant la mâchoire.
— Solution à base de chlore... à utiliser dilué... réservée à un usage externe... tsss, qui s'embête à lire ces indications de toute façon ?
J'ouvre le flacon et plante le creux de l'aiguille dans le liquide transparent. Laora tente de se libérer des liens qui la maintiennent contre le lit, mais ses gesticulations ne servent qu'à alimenter ma satisfaction. Une fois le tube rempli, j'en déverse le contenu dans la poche à perfusion à moitié pleine. Je répète l'opération par quatre fois, jusqu'à ce qu'il se vide entièrement.
— Une mort lente et douloureuse t'attend, ma belle. Tu vois, ce produit ingénieux va d'abord aller dans ton sang et détruire un à un tes globules rouges. Tu connais l'expression "sentir son sang bouillir dans ses veines " ? C'est un peu ça. Mais au sens littéral, du coup.
Laora n'abandonne pas sa tentative de se libérer de ce poison mortel qui s'insinue lentement dans ses veines, mais elle comme moi savons que c'est peine perdue.
— Ensuite, le produit va atteindre tes poumons et brûler tes alvéoles pulmonaires. Tu vas suffoquer... longtemps. Jusqu'à ce que ton cerveau manque complètement d'air. Entre temps, tu vas avoir des hallucinations. Des vertiges. Tous tes muscles seront contractés à cause du manque d'oxygène. Tu auras mal partout. Et finalement ? C'est ton cœur qui va lâcher, en admettant que t'en ai un.
J'aspire une longue, très longue bouffée de mon cigare en m'installant à nouveau sur mon siège, emporté par la salve d'ahannements que lâche cette femme maudite.
— Duncan... s'il te plaît...
« Duncan, s'il te plaît... »
— Fais pas ça...
« Si tu fais ça... tu ne pourras plus retourner en arrière. »
— C'est assez ironique dans le fond, lancé-je d'un ton élevé, comme pour couvrir celui qui résonne dans ma psyché. T'as buté El Padre en injectant un poison mortel dans sa perf... et tu t'apprêtes à crever de la même façon.
— Tu vas le regretter...
« Tu vas le regretter toute ta vie. »
— Regretter d'avoir purgé le monde d'une pourriture comme toi ? Jamais.
Laora peine à reprendre son souffle. Elle me fait signe d'approcher.
J'hésite un instant, puis consens à me mettre à son niveau.
— Je sais...
Sa voix n'est un faible chuchotement. Elle s'exprime très lentement, comme si la moindre lettre lui nécessitait un effort considérable.
— Qui est...
Je m'approche davantage, collant presque mon oreille contre ses lèvres violacées.
— La fille... d'El... Padre.
J'écarquille les paupières avant de la regarder comme si je la voyais pour la toute première fois. Malgré son teint blafard, les larmes qui noient ses joues et son corps endolori, elle ricane.
C'est pas vrai.
Elle ment.
Elle joue avec mes nerfs et tente de m'embrouiller le cerveau pour que je lui sauve la mise.
— Tu mens.
Et si elle disait vrai ?
— Ah... vraiment ? chuchote-t-elle alors qu'une goutte de sang dégouline du bord de ses lèvres.
Tendu à l'extrême, je fixe la mourante avec une haine non contenue. Ma tête tourne. Mon corps tremble. Mais mes yeux, eux, restent rivés sur elle.
Les minutes s'écoulent et la rapprochent de plus en plus d'une mort imminente.
C'est dans un nuage de fumée que Laora rend l'âme. Exorbités, ses yeux globuleux sans vie me renvoient à la figure le plus grand échec de toute mon existence.
Boire.
C'est tout ce qu'il me faut pour me purger des idées toxiques que cette garce vient de faire naître. Ses cris de douleurs résonnent toujours dans mes tympans pendant que je trace vers la cave où mes précieuses bouteilles de rhum vieux sont rangées. Je m'empare de la plus poussiéreuse et regagne l'étage supérieur.
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