32. Sylvia
C'est le cœur battant que je m'achemine vers la table réservée par le professeur Mike Wilson. Le claquement des couverts sur les assiettes ne fait qu'accentuer mon appréhension.
Pourquoi suis-je aussi nerveuse ?
Je sais que je suis sur le point de prendre la meilleure décision. J'ai assez réfléchi. Mon choix est irrévocable. Mais c'est mon avenir qui va se jouer dans quelques instants.
Je reconnais de loin la stature sobre et sophistiquée du chirurgien renommé. Lorsqu'il m'aperçoit, il se relève, et avec toute la galanterie chevaleresque qui le caractérise, m'invite à m'installer face à lui.
— Vous êtes ravissante, Sylvia, me complimente-t-il. Je suis ravi de vous voir.
— Moi de même, Mike.
Le serveur remplit nos verres de vin blanc et dépose les amuse-bouche sur la table. Mon estomac se contracte quand les senteurs fruités de l'alcool me parviennent. Le souvenir de la veille est encore bien trop ancré en moi.
— Tout va bien Sylvia ?
— Oui, oui tout va bien, ne vous inquiétez pas. J'ai simplement fait quelques excès hier soir. Je vais me montrer plus raisonnable aujourd'hui.
— J'ai appris que vous étiez en vacances. Il faut profiter tant qu'on est jeune.
Honteuse, je dresse un sourire de convenance sur mes lèvres. Nous échangeons quelques banalités puis entrons dans le vif du sujet.
Mike Wilson n'est pas le genre d'hommes à perdre du temps.
— Bien, je suppose que vous avez eu le temps de réfléchir à ma proposition.
— En effet. Et à vrai dire, je n'ai pas eu à réfléchir bien longtemps. Cette opportunité est un rêve que je souhaitais mettre en pratique depuis longtemps. C'est un honneur que vous ayez pensé à moi et je vous en suis éternellement reconnaissante.
— Docteur Rodriguez, ce n'est pas des vacances équatoriales que je vous propose. Ce n'est pas une décision à prendre à la légère. Je ne veux pas d'internes frustrés parce qu'ils découvrent que la vie qui les attends n'est pas celle dont ils ont rêvé.
— Ce n'est pas des vacances que je recherche, professeur. Je souhaite me rendre utile quitte à en perdre le sommeil, l'appétit ou la santé. Je sais que je serai en pleine savane africaine, pas dans un hôtel deluxe. Je suis là pour servir une cause, pas pour bronzer au soleil. Je sais très bien dans quoi je m'embarque.
Je sens mon interlocuteur se détendre un tantinet. Mais sa mine sévère ne quitte pas son visage.
— Tout ce que vous me dites vous fait honneur. Mais réfléchissez bien. Réfléchissez à ce que vous laisseriez derrière vous si vous embarquez dans cette aventure.
— Je ne laisse rien...
— Vraiment ? Pas d'attache émotionnelle ?
Mon cœur se serre en repensant à ma mère. Malgré nos différents, je ne l'aurais jamais quittée aussi longtemps. Aussi loin. Mais il est temps de couper le cordon. Pour de vrai.
Wilson plisse les yeux. Il perçoit mon hésitation. Je me reprends alors très vite.
— Je saurais faire les sacrifices nécessaires.
— Je vous veux intégralement avec moi, poursuit-il en me scrutant de son regard perçant. Dévouée, disponible. Aussi bien physiquement que mentalement. Ce ne sera pas de tout repos. Il va falloir vous oublier intégralement afin de servir la seule et unique cause à laquel vous vous êtes engagées.
En écoutant les dires de Wilson, j'ai davantage l'impression de m'engager dans un contrat BDSM que dans une cause humanitaire. Sous ses airs de chirurgien solennel, Mike Wilson serait-il un adepte de ces pratiques particulières ? Je suis peu certaine que l'élixir d'Isaac ait correctement fait effet sur moi, vu les images qui se dépeignent dans mon esprit.
Amusée, je peine à masquer mon sourire. Il faut que je me reprenne !
— Vous souriez, relève-t-il, visiblement inconscient des pensées déviantes dans lesquelles je m'embarque.
— Il n'y a rien de plus important pour moi que de servir cette cause humanitaire. Ce n'est pas une envie simple ou un caprice de rebelle. C'est un besoin.
— Il n'y a rien de plus captivant qu'une femme aussi passionnée. Je suis conquis.
Le regard de glace du chirurgien se fait plus sombre, plus joueur. Ou est-ce simplement un effet de mon imagination ?
— Je n'attends pas de réponse de votre part tout de suite. Prenez tout le temps que vous désirez, je sais me montrer patient.
Cette dernière phrase est accompagnée d'un clin d'œil entendu.
Pourquoi ai-je l'impression qu'il ne parle pas que de la mission en Afrique ?!
— Je ne comprends pas, Mike. Vous attendiez une réponse de ma part. Je vous l'ai donnée. Pourquoi me proposer un délai supplémentaire ?
— J'ai plus d'expérience que vous. Avec le temps, on apprend qu'il ne faut jamais prendre des décisions précipitées, même si dans un instant T, nous sommes persuadés que c'est la bonne. Donnez-vous du temps, Sylvia. Soyez sûre que c'est vraiment ce que vous désirez au plus profond de vous, puis revenez vers moi.
∞
Il est près de quatorze heures lorsque je prends congé de Wilson et reprends la voiture. Privée de liberté pendant plusieurs jours, je profite de ce moment de répit pour faire une escapade sur l'autoroute en dépassant légèrement les limitations imposées.
Tout en me laissant aller, mon cerveau tourne en boucle. Et avec lui, les mots de Wilson. Il ne veut pas d'attaches émotionnelles... je n'en ai pas à part ma mère, et pourtant, mon esprit me renvoie l'image d'un Duncan qui me nargue.
C'est à m'en tirer des claques ! A quel moment j'ai laissé cet homme prendre le dessus sur moi, sur mes émotions, sur mes décisions ? A quel moment je me suis permise de lâcher prise autant. Et surtout, pourquoi lui ? Un homme qui ne partage ni mes valeurs, ni mes principes. Un hommes qui m'a entraînée dans une spirale meurtrière infernale. Et bizarrement, j'aime ça...
Je secoue la tête, perturbée par le train dans lequel m'embarquent mes pensées. Je me rassure en me disant que ma réaction est tout à fait normale, que ce n'est que la traduction de cette envie de rébellion qui m'a accompagnée depuis mon adolescence.
Il me faut une clope...
Lancée à pleine vitesse, je bifurque vers la première sortie dans le but de calmer mes élucubrations grâce à mon amie nicotine. Bouffée après bouffée, je commence à me détendre légèrement.
C'est alors que je remarque la présence d'une Ford Mustang grise dans mon rétroviseur. Ma cigarette à moitié entamée, je m'empresse de l'éteindre et de démarrer tranquillement. La voiture reste stationnée un moment avant de commencer à me suivre. Je ne me fais donc pas de film, je suis bien suivie.
Mon myocarde entame un sprint aussi effréné que la course que je m'apprête à effectuer. Si ce que Isaac et les chemises noires m'ont affirmé est vrai, Laora veut se servir de moi pour atteindre Duncan. A moi de ne pas être une proie facile...
Je longe les routes désertes du pourtour de la Cité des Anges et le véhicule gris continue de me suivre à la trace. Je me gare alors à droite, et sors le revolver que Duncan m'a donnée. J'espère ne pas avoir à l'utiliser. Comme je m'y attendais, la voiture s'arrête derrière moi. Je prends mon arme et m'élance hors de la voiture.
Je me dirige vers la Mustang dont les vitres sont fumées. Il m'est impossible d'apercevoir le conducteur.
C'est avec détermination que je menace mon poursuiveur en pointant l'arme de Duncan en direction de la portière. Celle-ci s'ouvre dans la foulée et je reconnais le visage...
— Malik ?!
Je lance un soupir mi-soulagé, mi-exaspéré avant de ranger le revolver dans mon dos.
— Tu sais que t'as grillé un radar sur l'insterstate 5 ? Dunc' va pas être content.
— Ah mais je m'en fous ! Ne me dis pas que tu me suis pour t'assurer que j'applique le code de la route à la lettre !
Un ricanement s'élance de la gorge du fidèle homme de main, ce qui ne fait qu'accentuer mon état de nerf.
— T'as l'air énervé, doctora.
— Sans blague ?! Quel Perspicacité Sherlock ! Bravo.
— Je suis psychologue à mes heures perdues. D'ailleurs si t'as besoin de parler...
Une expression de gamin moqueur s'affiche sur le visage de Malik. Un cocktail détonnant avec la moustache qui recouvre sa lèvre supérieure.
— Je ne suis vraiment pas d'humeur à plaisanter, Malik. C'était idiot de ma part de croire que Duncan me fait assez confiance pour me laisser sortir toute seule.
— C'est pas une question de confiance. Tu sais que t'es en danger. Il m'a chargé d'assurer ta protection.
— Assurer ma protection ou plutôt me surveiller ?
Remontée comme une pendule, je ne laisse même pas le temps à mon interlocuteur de répondre et je rejoins mon véhicule. Je déteste cette sensation d'être suivie en permanence.
Voyons de quoi le moustachu est capable !
Je démarre la voiture et entame une course effrénée contre lui, slalomant entre les voitures roulant sur la vaste route. Il est à mes trousses, un maître en la matière. Mes réflexes sont toutefois toujours bien ancrés en moi...
En un geste maîtrisé, je prends une sortie sans ralentir et je constate avec ravissement qu'il ne m'a pas suivie.
— Bingo !
Fière de moi, je m'engouffre dans les ruelles de Santa Clarita afin d'être sûre et certaine d'avoir semé Malik pour de bon. Je profite d'une place libre face à un café pour stationner et me remettre de mes émotions en compagnie d'un bon cappuccino.
Alors que la serveuse dépose ma consommation sur ma table frappée par le soleil printanier, mon téléphone se met à sonner. Je reconnais le numéro privé de Duncan.
— Tu m'envoies une grand-mère pour me protéger ? le taquiné-je. C'était un jeu d'enfant de démasquer Malik et de le semer.
— Je lui réglerai son compte plus tard, il s'est fait avoir comme un putain de débutant.
Je pouffe de rire face au ton dépité de Duncan. Un sentiment apaisant de satisfaction m'envahit en ce moment.
— À l'avenir, il vaudrait mieux pour toi de revoir les critères de sélection de tes hommes, chéri.
J'insiste bien sur le dernier mot avec une pointe de sarcasme. Malheureusement pour moi, je rigole beaucoup moins lorsque j'aperçois la Bugatti noire s'arrêter juste à mes pieds, un Duncan au sourire moqueur à son volant.
Il retire ses lunettes de soleil et me lance:
— Tu disais ... chérie ?
Je fais claquer ma langue par instinct et plisse les yeux. Décidément, cet homme ne cessera jamais de me surprendre. Il prend le temps de stationner au coin de la rue avant de me rejoindre sur la terrasse.
— Qu'est-ce que tu fais là? lui demandé-je sèchement.
— Je viens prendre un café en compagnie d'une femme délicieuse. C'est interdit ?
— Comment tu as fait pour me trouver ?
— Malik est peut-être pas aussi doué que je le croyais, mais j'ai d'autres cordes à mon arc.
— Tu as mis un tracker GPS sur ta voiture c'est ça ? Tu ne penses pas que tu pousses le bouchon trop loin, parfois ?
— Tu me connais bien, tu sais que je vais... au plus profond des choses, murmure-t-il avec un clin d'oeil entendu.
J'aurais dû me douter qu'il allait se servir de son humour graveleux pour détourner mon attention. Mais cette technique ne marche plus avec moi. J'ignore son expression réjouie et me lève en laissant quelques billets sur le table.
— C'est bon, j'en ai assez, annoncé-je. Je ne peux même pas tenir une conversation en adultes avec toi ! Tu me fatigues.
Je regagne l'Audi de Duncan en me demandant s'il ne vaudrait mieux pas que je prenne plutôt un taxi. J'ai à peine le temps de me poser davantage de question que l'homme aux mille et une surprises me rejoint.
— Tu veux une conversation en adultes ? Commence par arrêter de fuir à chaque fois que tu sens que tu perds le contrôle.
Touché. Duncan et moi nous observons en chien de faïence et je suis tiraillée entre l'envie de le gifler, encore une fois, ou de lui sauter dessus. Parce que malgré tout ce qu'il me fait, je ne peux réprimer ce désir sauvage qui m'envahit à chaque fois qu'il s'approche de moi. A chaque fois qu'il me surprend comme il le fait. Cet homme va me rendre folle...
— Lâche-moi Duncan.
— Commence par me dire pourquoi t'es aussi énervée. T'as eu ce que tu voulais non ? T'es sortie, t'as fait tes petites affaires.
— Mais bon sang, Duncan, tu le fais exprès ou quoi ?! Tu ne peux pas m'emprisonner dans une cage ! J'ai besoin de bouger, de sortir, de travailler, moi ! J'ai quitté ma mère au Texas parce qu'elle m'étouffait à être constamment sur moi. Je ne peux pas vivre comme ça. Tu dois comprendre ce que c'est, toi qui es si avide de liberté.
— Je comprends. Bien plus que tu le penses. Mais j'ai pas le choix.
Duncan s'avance vers moi et pose ses mains de part et d'autre de ma taille. Mon corps est complètement bloqué entre lui et la voiture. La respiration haletante, je soutiens son regard. Nos lèvres sont à une proximité dangereuse, mais il est hors de question que je perdre le contrôle ! Je ne me laisserai pas aller à mes pulsions.
— Et ne me dis pas qu'on a toujours le choix, ajoute-t-il, ses lèvres tournoyant autour de ma bouche.
Je ne peux m'empêcher de sourire. Il m'arrache les mots de la bouche. Étourdie par cette proximité, ma voix se converti en un murmure suave.
— Tu commences à bien me connaître. C'est flippant.
— Depuis le temps... je te connais bien plus que tu l'imagines...
Les mains de Duncan agrippent fermement ma taille alors que les miennes se posent sur le tissu soyeux de sa chemise. Des passants nous observent du coin de l'oeil. Ils réveillent ma conscience qui m'intime de le repousser. Je refuse de me laisser aller à ce contact, mais s'il continue de me toucher et de me contempler de la sorte, je sens que je suis capable de craquer.
— Jusqu'à quand penses-tu pouvoir me résister, Sylvia ?
— Pour résister à quelque chose, encore faut-il qu'elle nous tente.
— T'es très forte à ce jeu, mais j'obtiens toujours ce que je veux. Tôt ou tard, je t'aurais, Sylvia Rodriguez.
Je sais qu'il joue. Je sais qu'il a décidé de tester ma capacité à lui tenir tête. Néanmoins, j'ai envie de croire qu'il est sincère. J'invoque toute ma volonté pour m'empêcher de succomber à cette envie qui me dévore.
— A quoi tu joues, Duncan ? Je te rappelle que c'est toi qui m'as quittée. Si tu cherches à avoir un plan cul régulier, maintenant que tu m'as sous ton toit, t'as laissé passer ta chance.
— Putain, Sylvia t'as toujours pas compris !
— Compris quoi ?
Duncan me scrute d'un regard intense et transperçant. J'ai l'impression de passer aux rayons X sous ses yeux. A mon grand regret, il s'éloigne de moi et engouffre ses mains dans les poches.
— Fais-toi belle, ce soir, dit-il d'un ton soudain détaché. On sort.
— Pardon ?
— Je t'emmène danser. Comme lors de cette fameuse soirée au Hills.
Connaissant Duncan, je sais d'avance qu'il est inutile de riposter. D'ailleurs, en ai-je vraiment envie ? Le souvenir de notre première danse - et des ébats qui ont suivi - me rend pantelante.
— Tu ne m'auras pas comme ça, Reed !
— C'est à toi de voir, chérie.
— Et Laora ? Elle ne risque pas de nous suivre ?
— Si tu penses qu'à chaque nouvelle menace, j'arrête de vivre ma vie, j'aurais plus jamais quitté le ghetto !
Devant mon air peu convaincu, Duncan prend mon visage en coupe et murmure d'un ton rassurant:
— T'inquiète pas, Sylvia, je gère. La boîte de nuit m'appartient et mes hommes contrôlent les entrées et sorties. On craint rien, tu seras en sécurité.
Il dépose un baiser sur mon front, manquant de me faire perdre le contrôle de mes jambes, puis rejoint son véhicule.
— Passez devant, docteur, je vous suis !
Je remue la tête de droite à gauche face à la bêtise de cet homme qui me rend dingue, puis démarre l'Audi à vive allure, suivie de près par la voiture italienne.
__________________________________________________
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro