
31. Sylvia
C'est avec l'impression d'avoir reçu un coup de massue sur la tête que je me réveille en ce lundi matin. Le jour de mon rendez-vous avec le professeur Wilson... Seigneur ! Quelle heure est-il ?
Je cherche à tâtons mon téléphone sur la table de nuit et soupire de soulagement quand je réalise qu'il n'est que neuf heures du matin. Je peux me rendormir encore un peu... juste un tout petit peu.
Ma nuit fut courte, non reposante, et peuplée de rêves aussi étranges que perturbants. Je m'enfonce dans mes oreillers moelleux, prête à retrouver les bras de Morphée quand un éclaircissement de voix retentit.
C'est alors que je me redresse et prend conscience de ce qui m'a réveillée...
— Vera ? Tout va bien ?
Je me redresse tout en me frottant les rétines. J'ai la sensation qu'elles sont en feu. L'adolescente se rapproche de mon chevet et dépose sur la table de nuit un grand verre empli d'un liquide verdâtre.
— Qu'est-ce que c'est ?
— C'est pour toi, me répond-elle sèchement. Sérum anti-gueule de bois. De la part d'Isaac.
Je lâche un rire amusé en prenant le récipient entre mes mains avant de le renifler. Bien qu'une forte odeur de menthe s'en dégage, la texture plutôt boueuse de l'élixir ne m'encourage pas à l'ingurgiter. Surtout pas lorsque mon estomac se contracte et qu'une violente nausée se fait ressentir au creux de mes entrailles.
— Ça fonctionne ça ?
Vera hausse les épaules tout en gardant une expression indéchiffrable.
— Essaie et tu verras.
Je fronce les sourcils devant l'attitude distante et inhabituelle de la jeune fille. Celle-ci se dirige vers la porte de ma chambre en grommelant un "bonne journée" à peine audible. Elle m'en veut visiblement pour quelque chose et je crois savoir pourquoi.
— Vera, attends.
Elle s'arrête à quelques pas de la porte, se retourne et croise les bras. Son visage est écarlate. Honte ? Colère ? Je ne saurais dire. Tout ce que je sais, c'est que ses yeux bouffis ne trompent personne. Je me lève d'entre mes draps. Ma nuisette en soie est trop courte pour dissimuler mes cuisses dont les bleus sont toujours visibles et sur lesquels je surprends son regard. Gênée, je m'enveloppe d'une longue robe de chambre et m'approche de l'adolescente.
— Qu'est-ce qui t'arrive ma belle ?
— Rien, fous-moi la paix.
Elle refait volte-face pour quitter ma chambre mais cette fois, je la stoppe d'une main sur son épaule.
— Vera... Tu sais que tu peux me parler de tout, n'est-ce pas ? Je suis ici, autant que ma présence serve à quelque chose...
Son visage est crispé à l'extrême, et ses iris verts qui luisent de malice d'ordinaire ne me transmettent que de la haine et de la rancoeur.
— Je te trouve bien gonflée de venir faire celle qui veut être mon amie alors que tu veux te les faire tous !
Je plisse des yeux devant les accusations de l'adolescente. J'ai une petite idée de la raison qui la pousse à réagir de la sorte, c'est pourquoi je ne lui tiens pas rigueur de son langage incivil. Je mets donc en sourdine mon irritabilité exacerbée par ma gueule-de-bois et fait appel à toute la patience dont je suis capable de faire preuve pour ne pas m'énerver.
— C'est à cause d'Isaac, c'est ça ?
Seul un silence me répond, m'affirmant la direction qu'ont prise mes pensées. J'invite la jeune fille à s'installer sur un pouf et prends place à ses côtés, le tout en m'efforçant d'ignorer le pivert qui martèle mon crâne à coups de bec.
— Il ne se passe rien entre Isaac et moi, tu sais.
— Vous avez passé la nuit ensemble. Je vous ai vu sortir et rentrer ensemble hier soir.
— Oui, c'est vrai. Mais on a rejoint Young-Jae et Malik. Isaac est quelqu'un de très avenant, c'est vrai. Mais ça s'arrête là.
La tête basse, les doigts enfoncés dans ses genoux, elle semble lutter pour ne pas fondre en larmes devant mois. Et pourtant, je crois déceler sur ses lèvres la naissance d'une expression de joie. Cette gamine me touche. Ses sentiments sont purs, honnêtes et émouvants.
— Tu lui as dit qu'il te plaît ?
— Tu le savais ?
— Je suis une femme, tu sais... on se comprend mutuellement.
— Non, je lui ai pas dit. Ça servirait à rien. Je suis dans la friendzone. Pire ! Dans la "siszone" !
— Tu sais... moi aussi j'ai toujours craqué pour des hommes bien plus âgés que moi. C'est un signe de maturité.
— C'est un signe de maturité de craquer pour un mec que je peux pas avoir ? Tu parles ! Je suis trop conne.
— C'est faux. Ça montre simplement que tu es bien plus mûre que les garçons de ton âge.
— J'aurais préféré ne pas l'être alors... ça m'aurait évité de morfler pour rien.
— C'est une expérience comme une autre. Je sais que tu as mal aujourd'hui, et que tu as envie de brûler la terre entière. Mais tu en ressortiras grandie.
— J'ai juste envie de m'enterrer sous la couette et pleurer toutes les larmes de mon corps.
— Alors fais-le. Ça fait du bien de pleurer parfois, ça soulage. Mais il ne faut pas que tu te laisses submerger de désespoir. Tu es forte. Tu es une rapace oui ou non ?!
Vera pouffe de rire derrière sa rivière de larmes. Elle s'essuie le nez avec la paume de sa main avant de se ruer vers mes bras. Surprise au départ, et un peu dégoutée à l'idée que sa morve tâche ma robe de chambre, je me laisse aller à son étreinte en souriant légèrement.
— Je suis contente que tu sois restée pour la semaine, finalement.
Je lui caresse doucement le dos quand le souvenir de ma dernière visite à San Antonio me percute. Ma mère avait insisté pour que je reste une semaine entière chez elle, plutôt qu'un simple week-end. Je sais que je suis très dure avec elle. Mais il y a longtemps que la communication entre nous a été rompue. Nous sommes très différentes. Trop même. Elle a toujours voulu faire de moi ce que je ne serais jamais. Toutefois, elle reste ma mère, et je l'aime.
La culpabilité m'assaille. Je n'ai plus pris de ses nouvelles depuis un bon bout de temps. Elle ne m'appelle pas non plus, certes, mais c'est uniquement parce que je n'ai jamais été la fille qu'elle rêvait d'avoir.
Curieusement, l'étreinte de Vera me fournit la douceur et l'amour dont je me vantais de ne pas avoir besoin. Cette attache émotionnelle qui, je le pense, nous rend faible et manipulable. Le jour où je me suis installée à Los Angeles, j'ai tout quitté sans aucun remord, laissant derrière moi une mère que je savais meurtrie d'être délaissée par sa fille unique. Mais je me devais de voir ma carrière. Ma mission. Avant tout.
Aujourd'hui, je m'apprête à accepter l'offre du professeur Wilson. Ce choix ne fait plus le moindre doute. Je l'ai su à la minute même où il me l'a proposé. Plus encore depuis que j'ai réalisé que l'ombre de mes méfaits allait me persécuter. Partir en mission en Afrique m'offrirait l'occasion tant rêvée de garder une trace. Un impact. Une opportunité d'offrir une aide réelle, concrète, à ceux qui en sont dénués. En plus de purger mon âme, j'exercerai enfin la seule cause en laquelle j'ai toujours cru ; sauver des vies.
Qu'est-ce qui me retient ici ? Rien.
Rien, à part probablement ma mère.
Vera relâche sa prise sur moi et émet un petit rire.
— J'ai l'impression que tu en avais autant besoin que moi.
— On est des femmes fortes, mais un peu de réconfort de temps en temps ne nous ferait pas de mal, n'est-ce pas ?
— Je suis d'accord. Excuse-moi de t'avoir gueulé dessus...
— C'est rien, ne t'en fais pas pour ça.
Ma migraine ressurgit d'un coup, plus puissante que jamais, me donnant l'impression de couper mon crâne en deux.
— Bois le truc d'Isaac. Ça a marché à tous les coups avec Hernán et Young-Jae.
— Et pas sur toi ? lui lancé-je, espiègle.
— Faut pas le dire à mon grand frère, mais j'ai dû en avoir besoin une fois ou deux.
Nous éclatons de rire toutes les deux, puis je m'empresse d'avaler la boisson qui ne s'avère pas aussi terrible qu'elle n'y paraît.
— Tu devrais te sentir mieux d'ici une bonne demi-heure, m'avertit Vera. D'ici là, je vais te laisser te reposer.
Après un clin d'œil complice, l'adolescente aux yeux d'émeraude se retire de mes appartements, me laissant seule avec ma migraine et mon grand verre. L'appel de la nicotine me pousse inexorablement vers le petit balcon qui accompagne ma chambre provisoire. Munie de mon paquet de cigarettes et de mon briquet, je me pose contre la rambarde quand une vision tout droit sortie d'un songe apparaît devant moi.
Un Duncan au torse nu effectue des séries de tractions sur une barre en métal en plein milieu de son jardin. Il me tourne le dos, ne peut donc pas me voir, j'en profite alors pour me rincer l'œil sans discrétion, tout en m'imprégnant de la saveur mentholée de ma clope. Le soleil frappe ses muscles dorsaux qui se contractent au gré de ses mouvements. De la sueur s'épanche le long de sa colonne vertébrale pour disparaître sous l'élastique de son boxer noir, visible sous son pantalon de jogging. J'ignore à quelle heure il est rentré de sa balade nocturne, mais sa colère a l'air d'être aussi vigoureuse que la veille.
Tout en l'observant s'adonner à la tâche, je me repasse mentalement le film de ces dernières semaines. Notre pseudo-relation qui finalement n'était basée que sur le sexe. Sa réalité, le déni dans lequel j'étais. Une autre femme aurait pris ses jambes à son coup en découvrant où elle mettait les pieds. Mais moi, je n'ai fait que m'enfoncer, prenant presque plaisir à faire partie de son monde. Ce milieu qui non seulement ne me ressemble en rien, mais que j'ai également haï pendant tout ma vie. Un frisson d'excitation me parcourt l'échine quand je repense à l'effet éphémère, mais grisant, que m'a procuré le cri de mon presque-violeur quand je l'ai visé en plein scrotum. J'aspire une longue bouffée. Mes doigts tremblent autour du filtre blanc. Si quelqu'un écoutait mes pensées, il me prendrait pour une meurtrière sadique.
N'est-ce pas ce que je suis devenue ?
Le chef des RN-7 effectue une dernière traction avant de lâcher prise et de s'abreuver d'une grande bouteille d'eau. Les mains posées sur ses hanches, il semble souffler et s'immobilise un instant, les yeux rivés vers le ciel nuageux, avant de se retourner. Il a l'air soucieux. Éreinté. Mais tout aussi fier que d'habitude. Surtout quand son regard d'aigle, sombre et perçant, me percute.
Il le laisse traîner un moment le long de mes courbes, arrachant à mon cœur de fluctuantes contractions. Les joues rosies et la gorge sèche, je referme les pans de ma robe de chambre qui se sont ouverts sans même que je m'en rende compte. Je l'observe vider sa bouteille d'eau sans me lâcher des yeux, lui lance un sourire coquin en le matant à mon tour, puis éteint mon mégot de cigarette et regagne ma chambre.
Une fois à l'intérieur, je referme précipitamment la baie vitrée qui me sépare du balcon avant de plaquer mon dos contre elle. Les battements de mon coeur sont aussi incontrôlables qu'un cerf-volant en pleine tempête. Ils se répercutent sur mon bas-ventre imbibé d'une chaleur moite caractéristique. Tout mon corps est en ébullition par cet homme qui m'enflamme, même à distance.
On va mettre ça sur le coup de ma gueule-de-bois.
∞
Une petite heure plus tard, me voilà presque prête à sortir. Vêtue d'un pantalon noir ample à taille haute et d'un chemisier beige au décolleté sage, une paire d'escarpins de la même couleur aux jambes, j'observe une dernière fois mon reflet dans le miroir. Mes ecchymoses au visage et au cou ont disparu. J'aimerais en dire de même des vestiges des excès de la veille. Bien que mon anti-cernes camouflent le bleu profond qui s'est creusé sous mes paupières, le blanc de mes yeux, lui est on ne peut plus rouge. Sans parler de mes muscles ankylosés qui me donnent l'impression d'être passée sous une tronçonneuse. Bien heureusement, mon mal de tête et ma nausée ont disparu grâce au remède miracle d'Isaac. Il faudrait que je lui demande sa recette. En dix ans d'études médicales, je n'ai jamais vu ça !
Reste à tester le point le plus critique : mon pouvoir de persuasion. Mon rendez-vous avec le professeur Wilson est dans deux petites heures. D'ici là, je devrais pouvoir convaincre Duncan de me laisser sortir, ou à défaut, trouver un moyen de quitter cette maison de malheur malgré ses hommes qui en surveillent constamment les entrées.
C'est donc armée de détermination que je monte à l'étage supérieur en direction de la chambre du maître des lieux. Je tente de garder contenance face au flot de souvenirs sensuels qui m'assaillent tout au long de mon parcours. Les murs gardent toujours l'écho de mes cris de plaisir qui résonnent en moi comme un douloureux rappel de ce que je ne connaîtrais plus jamais. Il est vrai que Duncan a été le seul homme à m'emmener aussi loin sur l'échelle du plaisir et de la jouissance. Entre ses bras, j'ai connu une extase nouvelle. Charnelle, spirituelle, émotionnelle. Il m'a chamboulée jusqu'aux tréfonds de mon être. Jamais je n'avais pensé pouvoir ressentir autant d'émois. Et pourtant...
Est-ce une raison suffisante pour contrepasser ma fierté et succomber à son emprise malgré les mots durs qu'il m'a jeté en pleine face ?
Non. Jamais.
C'est le cœur ankylosé que je frappe trois coups sur la porte de sa chambre, craignant de me retrouver de nouveau face à lui. De perdre le contrôle, jusqu'à oublier les raisons de ma présence ici.
— Tu cherches Duncan ?
La voix de Malik m'arrache un sursaut. La main sur le cœur bien trop malmené pour un lendemain de cuite, je confirme furtivement.
— À cette heure là, il doit être dans son bureau.
— D'accord, merci.
Sans demander mon reste, j'évite l'observation insistante du sniper égyptien et trace ma route vers le bureau de Ducan. La porte est entrouverte, il est en pleine conversation avec un homme dont j'ignore l'identité.
— J'en veux deux-cent pour la semaine pro sans faute.
— Pas d'problème boss. On va vous chercher ça.
— T'enverras la facture à Hernàn comme d'hab.
— Ça s'ra fait en temps et en heure.
Un bruit de sièges qui glissent sur le parquet se fait entendre et m'annonce de la sortie imminente du visiteur de Duncan. J'en profite pour frapper furtivement sur le bois de la porte afin d'annoncer ma présence - et surtout, éviter de me faire prendre la main dans le sac en train d'espionner la conversation des deux hommes.
J'observe furtivement Duncan qui a eu le temps de prendre une douche et d'échanger son jogging gris en un ensemble très classe noir corbeau, pour ne rien changer. Le col lucknow inversé de sa chemise met en valeur son cou nervuré et le haut de son buste. Une longue inspiration me donne le courage de rentrer dans ce bureau où il m'a rejetée, et de refermer la porte derrière moi.
— ça va Sylvia ? La forme ? me demande-t-il sur un ton nonchalant.
— Très bien, et toi ?
— On dirait pas en te regardant. T'as l'air crevé. La soirée a été bonne on dirait.
Un nerf tressaute sur son front. C'est moi, ou il semble agacé que j'aie pu profiter de mon temps en compagnie de ses hommes. Ou est-ce ce dont j'ai envie de croire ?
Reste lucide, Sylvia...
— Très bonne, merci. Et la tienne ?
— J'ai connu mieux.
Il ne semble pas se plaindre. Son ton est catégorique et ne laisse place à aucune discussion derrière. J'aimerais tant qu'il se confie à moi. Qu'il partage ses doutes, ses angoisses, ses tourments avec moi. Hier encore, tout semblait être sur la bonne voie, jusqu'à ce qu'il se ferme à nouveau et remettre de la distance entre nous.
On s'en fiche ! Souviens-toi de ce que tu es venue chercher et basta !
Rappelée à l'ordre par ma conscience, je m'éclaircis la gorge et pose mes paumes sur le bureau en me penchant en avant, et offrant à Duncan l'occasion de lorgner en direction de mon décolleté.
— Je peux te déranger deux minutes ? J'ai un service à te demander.
Ma voix a pris un timbre mielleux et demandeur qui ne me ressemble pas. J'applique à la lettre les conseils d'Isaac, malgré la révulsion que cette technique provoque en moi. Pourquoi une femme ne doit-elle compter que sur ses atouts physiques pour manipuler un homme à sa guise ?
Duncan sera-t-il du genre à se laisser mener ?
Je n'en suis pas si sûre...
Toujours est-il que cette technique semble porter ses fruits puisque les lèvres du gangster s'arquent en un rictus suffisant dans l'attente que je m'explique.
— J'ai besoin de me rendre à L.A. Seule. J'ai un rendez-vous important.
A ma grande surprise, le sourire de Duncan s'élargit. Il dépose son stylo avant de joindre ses mains entre elles. Je tente de ne pas me laisser déstabiliser par les nerfs érigés qui tapissent son épiderme et soutient son regard.
— Quel genre de rendez-vous ?
— ça me regarde.
— Tu sais très bien que je peux pas te laisser sortir seule.
— Mais arrête avec cette paranoïa ! Je vais en plein centre-ville à midi. Il y aura une foule de monde, personne n'est assez idiot pour tenter quoi que ce soit contre moi.
— Tu vas voir Wilson c'est ça?
Je hausse les sourcils, perturbée par cette question qui n'a pas lieu d'être. Voyant que je ne réponds pas, Duncan se lève et s'approche de moi. Cette fois, son expression réjouie et arrogante a disparu pour faire place à un profond mépris.
— T'as pas perdu de temps, hein. Je t'ai à peine quittée que t'es allée te consoler dans ses bras.
Qu'elles soient fausses ou vraies, ses accusations n'ont aucun lieu d'être. Il n'a pas le droit de me juger de la sorte ! Bouillonnant d'une rage incommensurable, mes poings se resserrent et je dois me faire violence pour ne pas le gifler, à défaut, je contre-attaque par le biais de mots acérés.
— Je n'ai aucun compte à te rendre. Tu me jettes comme une malpropre, et après tu oses me sortir ça ? Je te l'ai dit la dernière fois, Duncan. Ici même. Je ne suis pas une de tes putes que tu contrôles à ta guise ! Je suis sous ton toit parce que tu m'y as obligée, ça ne te donne pas le droit de régir ma vie. J'irai à ce rendez-vous avec ou sans ton accord. Je n'attends pas ta permission, encore moins ton approbation. Tu ne me fais pas peur.
Les yeux de Duncan jettent des éclairs et je sens qu'il se contient pour ne pas se ruer sur moi et me fermer la bouche une bonne fois pour toute. Tant pis. Même s'il m'impressionne, je ne flancherai pas. Nous nous observons longuement, en chien de faïence. Son attention dévie de mes rétines vers mes lèvres. Ma bouche s'assèche d'un coup, et un désir fulgurant me laboure le bas-ventre. J'ai chaud. Je tremble.
Et je lutte...
Je lutte contre le flot d'émotions contradictoires que seul lui me fait ressentir. Comment colère et désir peuvent-ils surgir au même instant, aussi déchaînés qu'un fauve en cage, aussi dévastateurs qu'un ouragan.
Conscient de l'effet qu'il exerce sur moi, Duncan efface davantage la distance entre nous. Il est si près que je perçois la chaleur qui se dégage de son grain de peau métissé. Son souffle saccadé caresse mon épiderme et m'occasionne mille et un frissons. Et les effluves de son parfum, alors là, elles m'emportent dans une vague de volupté dont lui seul a le secret.
— Je sais ce que tu es en train de faire, murmuré-je à quelques centimètres de ses lèvres.
— Vraiment ? Et qu'est-ce que je fais ?
— Tu joues de ton charme pour me faire plier.
— C'est pas ce que t'as essayé de faire y a à peine deux minutes ?
Il est bon.
Je ne peux réprimer la naissance de ce sourire amusé sur mes lèvres, encore moins ce battement d'ailes papillonnantes dans mon abdomen.
Consciente que nous jouons au même jeu dangereux, je reprends confiance, et la séductrice en moi reprend le dessus. En effet, je ne suis pas une brebis qui attend patiemment que le grand méchant loup vienne la dévorer toute crue. Je suis une lionne indomptable, prête à sortir ses griffes lorsqu'on s'approche trop près. Le hic, c'est que cet homme est également un prédateur., Sauvage, mâle, maléfique.
Mes paumes glissent le long de son torse musculeux alors que mes dents s'enfoncent dans la chair tendre de ma lèvre.
— Ose me dire que ça ne marche pas...
— Oh, si ça marche...
— Hmm...
Ravie de le voir aussi déstabilisé, je donne tout ce que j'ai et joue avec le premier bouton fermé de sa chemise du bout de mon index.
— Donc, tu vas me laisser y aller ? Je te promets d'être sage...
— Je croyais que tu n'étais pas du genre à être sage, docteur Rodriguez, commente-t-il avec un rictus taquin.
— En effet, mais uniquement avec les mauvais garçons.
— Tu te crois en état de conduire ?
— J'ai bu le super élixir d'Isaac. D'ailleurs, je suis curieuse de savoir ce qu'il a mis dedans...
— C'est une recette de sa grand-mère, paraît.
— ça a l'air de porter ses fruits en tout cas...
— Tu parles toujours de l'élixir d'Isaac ?
— Bien sûr ! De quoi je pourrais être en train de parler ?
Je suis à deux doigts de fondre sur sa bouche tentatrice. Mais je résiste. Ses mains se dirigent dangereusement sur mes hanches et m'attirent de plus en plus vers lui. Je suis étourdie, ivre, et cette fois, j'en suis certaine, ce n'est pas mon état post-éthylique qui en est la cause.
— Suis-moi.
Sans un mot de plus, Duncan s'enfonce dans le couloir, me laissant pantelante, un courant d'air froid glaçant mes neurones. C'est le cœur battant à tout rompre, que je le suis dans l'escalier qui mène jusqu'au parking sous-terrain que je n'avais jusqu'alors pas visité.
Éclairés par des néons phosphorescents, le lieux ressemblent davantage à une salle d'exposition qu'à un simple parking. Des supercars montées et démontées sont garées en fonction d'un tracé bien précis. D'autres modèles, plus vintage, ou au contraire, totalement déjantés viennent s'ajouter à la collection de voitures de luxe déjà bien assez conséquente. Émerveillée, je suis à court de mots. Seuls les claquements de nos talons sur le sol sont perceptibles quand Duncan s'arrête face à une Audi A7 grise en affichant un sourire en coin qui ne cache pas sa fierté.
— Tiens, me dit-il en me jetant les clés que j'attrape au vol. Prends soin d'elle.
Je le regarde ahurie, puis me dirige vers la portière conducteur de l'Audi. Du bout des doigts, je caresse la carrosserie tout en lançant un air suspicieux vers Duncan.
— Où est le piège, Duncan Reed ?
— Je peux tout simplement pas dire "non" à une femme sexy.
— C'est ça, à d'autres. Je te connais bien à force de vivre sous ton toit, et je sais que tu n'accordes pas des faveurs si ça ne sert pas tes intérêts.
Ses paumes chaudes s'acheminent vers mes joues qui prennent feu sur le champ. Ses pouces les caressent avec une douceur si exquise que j'en ferme les paupières.
Je vibre toute entière à son contact et j'oublie tout. Mes convictions, mes décisions... Je ne pense qu'à taire cette envie farouche, mais puissante, qui me pousse inexorablement vers lui.
— Y a aucun piège Sylvia. Sois prudente, c'est tout ce que je te demande.
Il hésite un instant, fixant mes lèvres comme s'il luttait lui aussi, caresse une dernière fois mon visage brûlant, puis s'éloigne de moi. Son expression sérieuse, anxieuse même, est trop vite expédiée. En un rien de temps, il retrouve son sourire provocateur.
— Et je te préviens, pas une seule égratignure sur mon bébé !
— Je te trouve bien confiant pour un mafieux.
— Et toi, trop confiante pour un lendemain de cuite.
— Touché ! rié-je pendant que je réajuste le siège conducteur. Tu n'as qu'à prier pour la récupérer intacte.
Quand je me relève, je surprends un revolver tendu face à moi.
— Garde-le sur toi, me murmure Duncan. On est jamais assez prudent.
Je m'en saisis en le place discrètement sous mon siège. Mais quelque chose y est déjà. Duncan se contente de m'observer avec un air suffisant avant de tapoter le haut de sa carrosserie et s'en aller.
— Qu'est-ce que...
D'une main, je me saisis de l'objet qui fait barrage... mon sac-à-main.
Il est bon.
Il est très, très bon...
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