
27. Duncan
Blesser.
Torturer.
Martyriser.
Tuer.
Tels sont les maitres-mots de tout gangster qui se respecte. Et pourtant, ils ne semblent pas assez puissants pour décrire tout ce que j'ai envie de faire à ces pourritures à cet instant.
Une haine abyssale s'empare de moi. Ce détritus a osé poser ses mains crasseuses sur ELLE ! Tous les coups que je lui balance ne font rien pour apaiser ma rage. Il me faut plus... il faut qu'il crève. Il faut qu'il souffre. Il faut qu'il paie...
— T'AS... OSÉ... LA TOUCHER... BATARD !
Guidé par ma fureur, je ne laisse aucun instant de répit à cet enculé, à part pour le plaisir sadique de le laisser croire que j'en ai fini avec lui.
Tuer cette ordure ne suffira pas à le faire payer. Je veux le voir souffrir sous mes yeux. Ivre de colère, je pose mes deux mains autours de la gorge afin de l'étrangler. Son visage passe du rouge au violet sous l'effet de la suffocation. Je suis comme possédé, incapable de m'arrêter. J'ai beau savoir qu'un bain de sang nous entoure, rien n'y fait, j'ai besoin de me repaître de sa souffrance, de me rasséréner de la vision de ses yeux exorbités de terreur, de douleur, d'effroi. Pour tout ce qu'il a osé lui faire. Pour toutes les pensées qui lui ont traversé l'esprit. Pour tout ce qu'il a pu faire à d'autres avant elle... il faut qu'il paie.
— DUNCAN ! Arrête ça ! Arrête !
C'est à cet instant-là que je me sens comme extirpé d'un rêve et ramené brutalement à la réalité. La voix de suppliante mais déterminée de Sylvia me fait prendre conscience qu'elle est debout face à moi, un revolver perché entre ses doigts. Je relève la tête pour mieux l'observer, et cette vision ne fait que décupler ma haine. Son beau visage est ensanglanté. Son corps a beau être recouvert par sa blouse blanche, il laisse pourtant apparaître des traces de violence tout le long de ses jambes.
— Ne le tue pas Duncan. Je t'en prie...
Je ferme les yeux d'exaspération, puis lui lance sèchement :
— Sylvia, ce fils de pute a posé ses mains sur toi. Il allait te... Te...
— Je sais ! Mais c'est à moi de le faire... C'est à moi de le tuer.
Surpris par son ton à la fois froid et intrépide je l'observe longuement en fronçant les sourcils. Tous mes hommes répartis autour de nous ont le souffle coupé et semblent attendre ma décision.
— Sylvia, dis pas n'importe quoi.
— Je parle en toute connaissance de cause. Je veux le tuer pour ce qu'il a failli me faire. Pour moi, et pour toutes celles qui ont été victimes de viol.
Ses yeux fixent son agresseur d'un regard sombre et violent que je ne lui connaissais pas. Elle est dans un tel état de transe que seule la mort de cet homme peut interrompre. Je la comprends tellement. Je ressens exactement la même chose. Mais elle n'est pas moi. Elle n'a pas à l'être. Elle a déjà assez souffert la première fois qu'elle a arraché la vie d'un homme. Elle n'a pas à subir la même torture à nouveau.
En un coup d'œil, j'invite Isaac à prendre ma place afin d'immobiliser l'homme, puis attire Sylvia dans un coin de rue pour lui faire changer d'avis.
— Sylvia, fais pas ça. Souviens-toi de la dernière fois...
— Je me souviens très bien de la dernière fois, Duncan. J'y tiens. Je veux tuer cet homme et rien de ce que tu pourras me dire me fera changer d'avis.
Du dos de la main, je caresse sa joue. Du sang séché s'écoule de la commissure de ses lèvres. Cette femme est d'une force incroyable. Malgré ses blessures, malgré ce qu'elle vient de vivre, elle refuse de se laisser abattre. C'est une battante. Une guerrière. Une lionne...
— Laisse-moi le faire pour toi...
— Il en est hors de question, Duncan. Je vais le faire, et ce n'est pas toi qui va m'en empêcher.
Réalisant que ça ne servirait à rien de tenter de la dissuader davantage, je m'écarte pour lui laisser la liberté d'agir.
Elle se place face à son agresseur et demande à Isaac de se pousser. Celui-ci m'interroge du regard, et je lui indique qu'il peut le faire d'un geste de la tête. L'homme est parfaitement immobilisé à terre, mains et chevilles ligotées. Il lance un regard amusé vers Sylvia en la jaugeant de haut en bas. Celle-ci garde une expression stoïque déconcertante. Elle se contente de le scruter, le regard vide, comme si elle se remémorait tout ce qu'il vient de lui faire subir pour se donner le courage de se lancer. Ses doigts se serrent et se desserrent sur l'arme que je lui ai fournie il y a peu. Puis elle la charge d'une balle unique. Elle est certaine de ne pas rater sa cible. Je le vois dans son regard. Je le sais à sa manière de relever le flingue et de le viser sur la tête de l'enculé. Ce dernier se rabougrit sur lui-même. Lui aussi sait qu'il est en train de vivre ses derniers moments.
La visée de Sylvia passe de la tête de l'homme à sa poitrine.
— On fait moins le malin maintenant, n'est-ce pas ?
Sa voix, d'ordinaire suave et sensuelle, est à présent recouverte d'un voile d'animosité que je ne lui ai jamais connu auparavant.
— Ça, c'est pour m'avoir touchée sans mon consentement...
Ni une, ni deux, Sylvia appuie sur la gâchette. Un cri strident brise la sérénité de la nuit qui s'est abattue sur la ville portuaire et il me faut quelques secondes pour que je réalise où la balle a atterri. Une mare de sang vient imbiber le pantalon clair de l'homme à terre, pile au niveau de son entrejambe. C'est alors que je réalise qu'elle vient de lui tirer en plein dans les couilles. Je suis sur le cul, à la fois fasciné par le sang-froid, le savoir-faire et l'agilité de cette femme, mais effrayé de voir la tueuse sadique qu'elle est devenue.
Bordel, qu'est-ce que j'ai fait !
Les hurlements déchirants du criminel devenu victime se poursuivent et chacune de ses plaintes résonne en moi comme un baume qui vient venger les victimes de viol partout dans le monde. Mais des sirènes de police qui s'entendent de loin viennent perturber ce moment de vengeance.
— Sylvia, faut qu'on l'achève et qu'on se casse. Vite.
Elle semble incapable de réagir, trop occupée à se nourrir de voir l'homme qui l'a torturée reprendre le revers de la médaille. Je l'achève d'un coup de balle en pleine tête souillant de sang l'asphalte de la rue. Lorsqu'elle réalise que l'homme est fin mort, Sylvia perd connaissance et s'écroule sur le sol. Je me rue vers elle et examine ses blessures. Aucune ne semble très profonde. C'est le choc psychologique qui a dû provoquer son malaise. Je la porte doucement dans mes bras et m'adresse à Isaac.
— Nettoyez-moi tout ça. Attention aux flics.
— On aurait dû en laisser un pour l'interroger.
— Pas besoin. Je sais très bien qui a donné les ordres. Et crois-moi, elle va me le payer très cher.
∞
Le remord. Cette vile et aigre sensation qui s'incorpore dans chacune de nos terminaisons nerveuses, qui nous hante jusqu'à la folie. C'est tout ce que je ressens lorsque je la couve du regard alors qu'elle gesticule sur mon lit.
J'aurais jamais dû...
J'aurais jamais dû la laisser partir.
J'aurais jamais dû la laisser m'approcher.
Tout ce que j'ai fait n'aura servi à rien. Je cumule les erreurs. Et avec elles, j'entraîne ma perte. Et la sienne par la même occasion...
— Tout va bien, chérie, lui murmuré-je tendrement, conscient qu'elle ne m'entend pas. T'es en sécurité maintenant... tout va bien.
Elle est toujours recouverte de sa blouse blanche. Ses plaies ne saignent plus, mais il faut qu'elle en soit nettoyée. D'un geste hésitant, par peur de la brusquer, je glisse mes bras sous ses jambes inertes et la transporte vers ma salle de bain. Je la dépose avec douceur dans la baignoire en prenant bien soin de protéger sa tête.
— Duncan, c'est... c'est toi ?
Ses paupières sont toujours closes alors qu'elle murmure cette question. Je soupire de soulagement et lui caresse les cheveux. Mes gestes me surprennent moi-même. Je n'ai jamais été aussi tendre...
— C'est moi, ma belle. T'es chez moi. Je m'occupe de toi.
— J'ai cru que j'allais y rester.
— Tant que je suis là, personne pourra plus toucher à un seul de tes cheveux.
Sylvia se recroqueville dans mes bras. Son corps entier est secoué de spasmes que je tente d'apaiser en déposant un long baiser sur le haut de son crâne.
— Je te laisserai plus jamais seule. Jamais. Je suis là maintenant... Tout va bien.
Une fois ses convulsions apaisées, j'entreprends de la défaire de ses vêtements souillés et déchirés mais elle arrête mon geste d'un coup de bras. Elle a à peine la force de maintenir ses paupières ouvertes, mais trouve le moyen de me résister :
— Qu'est-ce que tu fais, Duncan ?
— T'es blessée et couverte de sang. Faut désinfecter tes plaies et soigner tes hématomes. Si tu veux pas que je le fasse je peux demander à Vera...
J'attends sa réaction. Je n'ai pas pensé une seule seconde qu'elle puisse être gênée de sa nudité. Quel con ! Et pourtant, elle délaisse sa prise sur mon poignet et m'indique, en hochant la tête, que je peux y aller.
Je la déshabille lentement en prenant bien soin de ne pas lui faire mal, mettant à nu sa peau dorée.
— Putain...
La vision de son corps ecchymosé et entaillé fait renaître ma rage. Je tremble tant j'ai envie de ramener ce connard à la vie pour le tuer à nouveau. Encore et encore. Si j'avais le pouvoir de le poursuivre jusqu'en Enfer pour lui faire payer moi-même, je ne m'en serais pas privé. Muni d'un savon et du pommeau de douche, j'entame de laver son corps et nettoyer sa peau des mains sales de ces malpropres qui ont osé la toucher. Il n'y a rien d'érotique dans mes gestes, bien que la vision de ses seins nus ne me laisse pas de marbre. Mais ses gémissements de douleur me ramènent à l'ordre. Bien malgré moi, je laisse s'échapper quelques jurons à chaque fois que ma main trépasse sur l'une de ses lésions. La mort de ces chiens ne me suffit pas... rien, mis à part la mort de la tête pensante de toute cette opération, ne pourra rassasier ma soif de vengeance...
— Pourquoi tu fais ça ?
La voix faible de Sylvia me ramène au moment présent. Je réponds d'un ton détaché sans pour autant arrêter de frotter mon savon moussant contre son épiderme.
— T'aurais préféré que je te laisse crever entre leurs mains? Je suis pas un monstre, Sylvia.
L'absence d'éclat dans ses prunelles m'indique qu'elle n'en pense pas moins. Après tout, j'essaye de berner qui juste ? Il n'est plus à prouver quelle brute sans cœur je suis. Mon palmarès de victimes parle pour moi. Et même si mes intentions ont toujours été honorables – ou du moins, c'est ce que je m'efforce de croire – les faits restent indubitables.
— Heureusement, t'as rien de cassé reprends-je comme si de rien n'était. Mais ces hématomes vont te faire souffrir cette nuit. Si la douleur est vraiment pas supportable, tu me le dis et j'agirai en conséquence.
Seul un soupir las me répond. Je poursuis mes soin et panse ses blessures jusqu'à la toute dernière dans un silence religieux. Lorsqu'elle est fin propre, je lui passe l'un de mes tee-shirts pour qu'elle se couvre avant de la border dans mon propre lit. Incapable de la quitter tant qu'elle ne s'endort pas, je reste auprès d'elle, sa main dans la mienne. La culpabilité me ronge.
Après plusieurs minutes à tenter de retrouver un sommeil qui lui échappe, je décide d'intervenir:
— Les antalgiques ont pas fait effet ?
— Non.
Je me lève d'un coup et me dirige vers ma salle de bain où une boite de premiers secours est rangée. Je récupère le nécessaire et reviens au chevet de Sylvia muni d'une seringue et d'une fiole remplie de liquide.
— Je vais t'administrer un peu de morphine, ça va t'aider à dormir.
— Comment as-tu fait pour t'en procurer. Tu as une ordonnance ?
— Et la voilà de retour, plaisanté-je en tapotant la seringue pour libérer les bulles d'air. Content de te retrouver, chérie.
Je lui fais un clin d'œil appuyé, auquel elle répond par un aussi léger qu'éphémère retroussement de lèvres.
— Je veux vérifier les dosages, insiste-t-elle.
— Bordel, Sylvia ! T'as pas confiance en moi ou quoi ?
— Tu n'es ni médecin, ni infirmier, donc non, je n'ai pas trop confiance, vois-tu.
— On devient médecin en se soignant soi-même. Je compte plus le nombre de fois où j'ai dû m'occuper de mes propres blessures et celles des autres membres du gang. On a fait ça toute notre vie. Je suis sûr que je suis meilleur à ça que toi, docteur Rodriguez.
Un sourire malicieux se dresse sur ses lèvres, malgré son état de lassitude et d'épuisement. Elle soupire, résignée, puis opine en me donnant sa main.
— Ok, vas-y. Mais je te préviens, Duncan, si je meurs, je reviendrai te hanter toute ta vie, tu ne vas rien comprendre !
— Bouge pas, je vais aller augmenter la dose.
— Connard !
— Flippée !
— Je te rappelle que tu es chef de gang ! Y a de quoi.
En temps normal, je ne me serais pas gêné pour lui balancer un répartie cinglante. Mais dans son état, je préfère garder le silence. Je ne voudrais pas lui avouer non plus que c'est moi qui suis « flippé ». Pour elle, pour sa vie, pour ce que j'ai pu faire d'elle. Car même si elle a tenu elle-même à commettre ce meurtre, elle n'aurait jamais eu à le faire si elle ne m'avait pas connu. Ni celui d'avant, d'ailleurs.
Sylvia m'a effrayé ce soir. Non pas par ce qu'elle a fait, mais par ce qu'elle a montré qu'elle est capable de faire. Seringue en main, j'injecte la drogue salvatrice dans ses veines. Elle se détend progressivement, mais trouve quand même le moyen de poser les questions qui fâchent.
— Comment tu as su où me trouver ?
— Dors Sylvia. T'es fatiguée.
∞
Il est plus de minuit lorsque Sylvia s'endort enfin. Malgré l'épuisement, je suis incapable de trouver le sommeil. Les évènements de cette soirée ne cessent me revenir en tête. J'ose à peine imaginer ce qu'il se serait passé si Spike ne m'avait pas prévenu qu'il avait intercepté un appel entre Laora et un bénévole de l'AMBC. Grâce à cette personne, mon fidèle hacker a pu localiser l'endroit où l'association s'est posée à Long Beach. Mes hommes et moi nous sommes rendus sur place et avons patrouillé la région afin de retrouver Sylvia. Je savais qu'elle lui tendrait un piège. Je savais qu'elle s'en prendrait à elle. C'est pourquoi j'ai ordonné à mes hommes de la suivre comme son ombre.
Mais j'avais sous-estimé Laora et son degré de sadisme.
Mon cerveau carbure à un tel point que je peux presque en sentir les rouages fumer. Une main dans ma poche, l'autre tenant ma clope fumante, je me perds dans la noirceur du ciel étoilé en attendant que Malik et Hernán montrent le bout de leur nez.
— Tu voulais nous voir, boss ?
Je lance à peine un coup d'œil à mon sous-fifre iraquien et m'installe sur une chaise de jardin en m'allumant une seconde cigarette.
— Faut qu'on trouve un moyen d'entrer à El Sereno. J'ai un compte à régler.
— Hermano, c'est du suicide intervient Hernán. Pas possible de rentrer et de ressortir vivant du ghetto, tu l'sais bien.
— Y a surement un moyen. Trouvez-moi une faille ou un trou à rat, je m'en cogne ! Je veux entrer dans ce ghetto et m'occuper moi-même de cette garce de Laora !
— En parlant de Laora, poursuit le cubain, un niño est passé et a laissé ça.
Hernán me tend une enveloppe blanche, des ailes d'Isis imprimées dessus. Le symbole de Laora Navarro. La colère s'empare de moi à nouveau alors que je palpe le papier avec prudence et essaie d'en visualiser le contenu par transparence. Mais l'emballage a l'air vide. Je l'ouvre en silence, et prend connaissance de son contenu : un post-it écrit à la main.
« Merci de m'avoir prouvé à quel point elle compte à tes yeux.
L'amour est une faiblesse, Dunc'. Je te pensais plus intelligent que ça.
Embrasse ta belle doctoresse pour moi.
L. »
— Putain...
Je pâlis au fur et à mesure de ma lecture. Mon corps se raidit, et mes dents se crispent les uns sur les autres. Toute cette mascarade était donc bien un piège ! Un test pour que la salope sache ce que Sylvia représente à mes yeux. Tremblant d'une rage hadale, je froisse le papier dans mes mains, avant de le projeter aussi loin de possible loin de moi.
Sylvia est en danger. Plus que jamais.
Les remords... ils reviennent. Plus violents qu'ils ne l'ont jamais été...
J'aurais jamais dû...
— Trouvez-moi la faille de ce ghetto de merde... et vite !
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