
22. Sylvia
Une fois dans mon cocon paisible, j'envoie un SMS rapide à Duncan pour lui notifier que je suis bien rentrée, et qu'il faut que l'on se voie demain pour discuter. L'appel de l'hygiène se fait plus fort que jamais, si bien que je m'engouffre dans la douche sans même prendre la peine de me démaquiller. L'eau chaude coule le long de mon corps et apaise mes muscles tendus par cette longue soirée. Je réalise, avec un pincement au cœur, à quel point le simple fait de pouvoir se laver tous les jours constitue un luxe que des milliers de personnes ne peuvent se payer. J'écourte volontairement mes ablutions mousseuses et me dépêche de m'enrouler dans une serviette de bain. C'est à cet instant que j'entends frapper à ma porte. A cette heure-ci, il n'y a qu'un seul homme qui aurait le culot de me rendre visite. Le petit organe niché au fond de ma poitrine se réveille et s'emballe lorsque mon hypothèse se confirme dans l'œilleton de ma porte. La silhouette familière de Duncan s'y dessine.
J'aurais dû me douter qu'il n'aura pas la patience d'attendre le lendemain pour que je lui raconte mes trouvailles. Je lui ouvre la porte, mimant un air mécontent, même si je suis bien plus ravie de le voir que je n'oserais jamais l'admettre.
— Tu ne pouvais vraiment pas attendre demain pour...
Duncan ne me laisse pas le temps de finir ma phrase qu'il me prend dans ses bras. Les palpitations furibondes de son cœur cognent contre ma poitrine, comme s'il venait de courir un marathon. J'encercle son dos et me laisse aller à son étreinte en humant son parfum, un sourire léger flottant sur mes lèvres.
— Je pouvais pas, souffle-t-il contre mon cou. Ça va ? T'as rien ?
Il m'examine attentivement à la recherche du moindre signe de maltraitance. Sa réaction me fait rire mais m'attendrit par la même occasion. Il a beau dire qu'il a un cœur de pierre, je ne suis pas dupe. Ces rares moments dans lesquels il laisse son empathie s'exprimer sont précieux et je sais que je dois en profiter, tant que ça dure.
— Ne t'inquiète pas, Duncan. Tout va bien.
— T'as mis trop de temps, je me suis inquiété.
— Désolée pour ça. On a eu un léger contret...
Mon visiteur nocturne me fait taire d'un baiser langoureux cette fois-ci. Surprise mais ravie de retrouver son contact viril qui m'avait tant manqué, je ne tarde pas à m'abandonner à lui. Il ferme ma porte d'un coup de pied, puis, sans cesser de m'embrasser, me porte jusqu'au canapé sur lequel il me dépose avant de venir s'allonger entre mes cuisses, tout en prenant appui sur ses coudes. Son envie féroce se manifeste contre mon mont de Vénus alors que ses lèvres quittent les miennes pour s'aventurer le long de ma clavicule.
— Duncan, attends, j'ai quelque chose à te dire.
— Après !
Sa voix éraillée par son désir évident, associée à son ton pressé, presque despotique, ont raison de moi. Je me laisse aller aux délicieuses sensations qu'il fait naitre en moi. Mon corps forme un arc tout contre le sien. Ma serviette tombe au sol, rapidement suivie de ses vêtements. Il s'éloigne légèrement, le temps de couvrir sa verge dressée d'un préservatif. Je le regarde faire, impatiente de le sentir au plus profond de moi.
Une fois protégé, il se rallonge sur moi pour prendre d'assaut l'un de mes seins entre ses dents. Il en goute la pointe érigée, l'aspire et la mordille, avant de réitérer les mêmes gestes lascifs sur sa jumelle. Je me tords d'impatience, de cette urgence, qui me transperce. Nos caresses mutuelles font grimper notre soif l'un de l'autre. Nous nous touchons comme si nous nous découvrons pour la première fois. Nos regards s'ancrent l'un à l'autre et ne se lâchent plus pendant qu'il s'insinue avec une langueur diabolique dans mes profondeurs. Une plainte de plaisir s'élance de ma gorge à cet instant. Ses à-coups sont doux, lancinants, mais si addictifs. Ils diffèrent de la passion sauvage qu'il avait l'habitude de m'offrir jusqu'à présent.
C'est la première fois qu'il me prend en missionnaire. Cette position si intimiste, si personnelle, que je me refusais d'ordinaire. Voilà que je la redécouvre dans les bras de cet homme si bien bâti. Cet homme qui me fait vibrer comme personne avant lui. Les rythmes de nos bassins s'accordent à la perfection pendant que la pression ne cesse de monter. De délicieuses décharges se propagent en moi lorsque sa langue curieuse investit ma bouche à nouveau et tangue tout contre la mienne.
— J'ai eu très peur, Sylvia.
— Peur de quoi ?
Son pouce voyage sur mes joues, mon menton puis mon cou. Mon cœur est au point de l'implosion alors que mon corps s'arc-boute davantage, en quête de plus de profondeur.
— Je sais pas, murmure-t-il, yeux fermés, son front contre le mien. Peur que tu te fasses attaquée, qu'on t'associe à moi... peur de te perdre.
— Tu ne me perdras pas...
Profondément niché en moi, Duncan stoppe tout mouvement. Il semble encaisser mes mots dont je viens de percuter le double sens. Ses muscles sont crispés à l'extrême, comme s'il luttait contre ce qu'il ressent. Ses paupières closes agissent comme un voile qui m'empêche de lire au fond de son âme. Il se livre, mais jamais entièrement. Cependant, ses mots font écho au plus profond de moi. Ils touchent mon cœur dont la cadence des palpitations redouble d'un coup, tout comme celle de ses coups des reins qui reprennent plus violemment.
Cette fois, il n'y va pas de main morte. Ma cuisse tendue à la verticale, Duncan me pilonne comme un possédé. Ses iris sont enflammés par une fièvre que je ne lui connaissais pas. Mes gémissements ne tardent pas à envahir mon salon pendant que les ondes de plaisir me submergent.
— Encore Duncan ! crié-je. Plus vite !
Dans un roulé-boulé, je me retrouve soudain à califourchon, sur la moquette, au-dessus de lui.
Connard.
— Vas-y, chérie, me lance-t-il dans un sourire narquois. Bouge ton corps de diablesse...
— Tu vas me le payer !
Il ricane pendant que j'ondule autour de sa virilité saillante. Le sentir si dur et si fort m'enhardit... me rend folle. Ses phalanges s'enracinent dans la chair qui recouvre mes hanches. J'en ressens une légère douleur qui ne fait que décupler ma hargne. Ma hargne de lui... D'antilope chassée, je me transforme en lionne affamée. J'accélère mon manège, griffe son torse, hurle mon plaisir comme s'il s'agissait de saintes litanies. A l'instar d'une amazone chevauchant son étalon de guerre, plus rien ne m'arrête. Je suis dans le contrôle total. Invincible. Imbattable.
Mais Duncan n'est pas du genre à se laisser faire. Tel un combattant qui vient de recouvrer ses esprits, il se redresse, enroule mes jambes fébriles autour de ses hanches, et empoigne mes seins nus. Sa bouche fond sur la mienne, et dans un enchevêtrement de langues, nous entrons en parfaite communion. Nos chairs claquent l'une contre l'autre, guidant nos râles presque bestiaux.
Mes sens s'engourdissent. D'intenses fourmillements se propagent de mon bas-ventre vers toutes mes extrémités. L'orgasme me pulvérise, me foudroie, me réduit en cendres. Duncan jouit à son tour avant de s'allonger à terre, rendant les armes. J'allonge mon corps engourdi le long du sien, comblée, le temps de récupérer mon souffle.
Il dépose un tendre baiser sur le haut de mon crâne en traçant distraitement des cercles invisibles sur mon flanc. Cet excès de tendresse fait fondre mon petit cœur.
Seigneur, si je continue sur cette pente, je vais finir par tomber amoureuse...
— Tu te rends compte que la moitié de mes hommes ont la frousse d'entrer dans ce ghetto, chuchote Duncan après nous être rhabillés. Et toi, tu y vas la tête froide. T'as un cran de malade Sylvia.
— Crois-moi, je n'ai rien fait d'extraordinaire.
— Et le pire c'est que tu t'en rends même pas compte !
— D'ailleurs, il faut que je te raconte...
Je lui narre mon altercation avec la brune qui règne en impératrice sur le ghetto et tout ce que Rico m'a révélé à son sujet. Il m'écoute, sourcils froncés, analysant dans sa tête chaque mot que je lui sors.
— Elle est adulée dans ce ghetto, et en plus elle fait plein de bonnes actions. Elle a l'air d'être quelqu'un de bien, je ne comprends pas pourquoi elle voudrait s'en prendre à toi. Mais d'un autre côté, elle m'a menacée quand elle a vu que je posais beaucoup plus de questions que je ne devrais pas.
— T'as pu savoir qui elle était ?
— Non... mais je pense que toi, tu sauras. Elle porte le même tatouage que toi à quelques détails près. Ton triangle, et des ails d'Isis à la place de ton aigle...
Suite à cette dernière révélation, les yeux de Duncan s'écarquillent, comme s'il avait vu un spectre. Son teint, d'habitude si bronzé, devient aussi pâle qu'un mort.
Le regard dans le vide, il murmure, plus pour lui-même que pour moi :
— Laora... bordel de merde !
— C'est qui ?
Duncan ne prend pas la peine de me répondre. Il se lève du sofa et se met à faire les cent pas dans mon living-room, réfléchissant à folle allure. Il se masse le crâne, puis le front, s'installe sur le canapé, frotte ses mains entre elles, puis se relève pour répéter les mêmes gestes. Ma confidence semble le perturber, le torturer, même. Qui est cette femme et pourquoi réagit-il de la sorte ? Je tais cette émanation de jalousie qui n'a pas lieu d'être au fond de ma poitrine et tente plutôt d'apaiser ses tourments. Je me positionne devant lui, ma paume rassurante sur sa joue.
— Duncan, parle-moi...
Après avoir fait les cents pas dans mon salon, Duncan daigne enfin m'expliquer ce qu'il se passe. Il s'installe sur un fauteuil, loin de moi, le regard fixé sur un point invisible au sol. Il n'est plus avec moi. Il est ailleurs.
Qui est cette femme qui le chamboule à ce point ?
— Laora était un ancien membre du gang...
— Mais encore ?
Face à son mutisme, je m'installe sur ses genoux pour le ramener à la réalité et le pousser à se confier. Une vague amère de jalousie s'effondre sur ma tête et m'emporte dans une houle d'émotions que je suis incapable de maitriser. Je ne montre cependant rien à Duncan. Il n'a pas à savoir tout ce qui me traverse l'esprit à l'heure actuelle.
— Elle était visiblement très proche...
— Elle s'est barrée comme une voleuse y a deux ans. Elle est partie je n'sais où sans nous laisser aucune piste. Deux ans qu'elle fait la morte, putain ! Deux ans qu'on la cherche sans relâche !
— Alors pourquoi elle revient maintenant ? Et surtout, pourquoi elle s'en prend à toi si elle faisait partie du même gang que toi ?
— J'en sais rien, Sylvia ! s'énerve-t-il en me repoussant. T'en poses des questions !
Offusquée par sa manière de me parler, je me lève non sans le fusiller du regard et passe derrière le bar de ma kitchenette pour me servir un grand verre d'eau. Je tremble. A la fois de colère et de frustration. De résignation et de jalousie.
— Je comprends que tu sois perturbé par cette nouvelle, mais ce n'est pas une raison pour me parler de cette façon, Duncan ! C'est pas moi, ton ennemie. La prochaine fois, ne compte pas sur mon aide pour partir à la chasse aux infos.
J'avale d'une traite la boisson vitale et rafraichissante avant de me diriger vers ma chambre.
— Bonne nuit, craché-je sèchement.
— Bordel, Sylvia, attends...
Il m'attrape par le bras et me retourne vers lui. Ses traits sont déformés par la fatigue. Ou est-ce autre chose ? Je me retrouve prisonnière de ses bras, ses mains perdues dans ma chevelure me retenant contre lui.
— J'aurais pas dû te parler sur ce ton. T'as raison.
— C'est ta manière de t'excuser ça ?
— Prends-le comme tu veux.
Je tente de me défaire de son étreinte mais il est beaucoup plus fort que moi.
— Bon, ok. Pardon. T'es contente ?
— Me faire des excuses ne sert strictement à rien si tu ne comptes pas changer ton comportement, tu sais ?
— Putain ! Ces femmes ! Jamais contentes !
— Tu vois ! Tu recommences. Lâche-moi Duncan ! Je veux dormir.
L'ensorceleur de mes nuits me soulève dans les airs, comme une princesse, et me jette sur le lit avant de s'engouffrer sous les couvertures à mes côtés, malgré mes protestations. Il me serre fort contre lui jusqu'à ce que j'arrête mes coups de pieds. Je finis par sombrer abdiquer sous prétexte de fatigue, et sombre très vite dans un sommeil réparateur. Le premier depuis le jour où mon destin a basculé vers les ténèbres.
∞
Encore ce tunnel. Sombre, humide et sans fin.
Toujours ce même cauchemar qui se répète indéfiniment. Cette même peur qui me possède et m'engloutit au fin fond des ténèbres.
Mais cette fois, un poids inédit m'empêche d'avancer. Mes jambes sont engourdies. Mes épaules sont lourdes. Et une main... Une main rugueuse me retient par le poignet.
« À cause de toi, salope, mes enfants n'ont plus de quoi manger », me crache-t-il à la figure. « Comment peux-tu dormir la nuit ? À cause toi, mes enfants sont orphelins ! Tu as fait à mes enfants ce que ceux qui ont tué ton père t'ont fait ! »
— Lâchez-moi ! hurlé-je en brandissant l'arme du crime, tombée de nulle part, vers ma victime.
Pan, pan, pan.
« Hé hé ! Et si je te lâche pas, tu vas faire quoi ? Me tuer à nouveau »
Pan, pan, pan.
— Sylvia ! Réveille-toi ! C'est un cauchemar !
Je me réveille en sursaut. Je suis sur mon lit, tremblant comme une feuille, des sueurs froides s'écoulant le long de mon front. Ce n'est pas la première fois que l'esprit de ma victime hante mes songes, mais à chaque fois, sa présence me plonge dans un océan de désespoir. Un Duncan préoccupé m'enveloppe de ses bras et me demande si ça va.
— Ça va, ne t'inquiète pas. Rendors-toi, je vais prendre l'air...
Il fait encore nuit. Je me couvre d'un kimono en soie et me dirige vers ma fenêtre pour fumer. Ma consommation de tabac a considérablement augmenté depuis cette maudite nuit. Si elle n'efface en rien ma culpabilité, elle suffit à apaiser, de manière éphémère, ma nervosité. Je m'installe sur le métal de l'escalier de secours et observe la cité des anges qui dort toujours. Autour de moi, tout est paisible, calme et reposant. Je peux presque entendre chanter les grillons. La lumière des réverbères éclaire les routes vides qui s'étendent comme des champs de bitume sous mes pieds. Celle du croissant de lune illumine le ciel vers lequel je relève la tête en demandant le pardon dont je ne serai jamais méritante d'obtenir.
La fraicheur aurorale m'arrache un soubresaut. Mais une montée de chaleur me remplit lorsque la stature massive de Duncan m'enlace par derrière. J'étais tellement plongée dans mes pensées tourbillonnantes que je ne l'ai pas entendu arriver, encore moins s'installer sur la marche supérieure à la mienne. Il m'invite à me laisser aller contre lui. Ses mains se déposent sur mon ventre et ses lèvres viennent déposer un baiser rassurant sur ma nuque.
— Tu le vois dans tes cauchemars, c'est ça ? murmure-t-il à mes lèvres.
— Oui.
— Tu sais, si t'avais pas tué cet enculé, je l'aurais martyrisé pour avoir osé t'insulter et te menacer de viol.
— J'étais dans ce ghetto, Duncan. J'ai rencontré des adolescents dans la rue qui fument et qui se droguent. Ils sont obligés de voler et de dealer pour vivre. Pour survivre, plutôt. Si ça se trouve, il avait des enfants et à cause de moi, ils finiront comme les autres. D'autant plus que... je sais ce que c'est de perdre son père. Je suis impardonnable.
Mes larmes ne coulent pas, mais elles sont là. Coincées au fond de ma poitrine. Assiégées par mon enveloppe corporelle qui ne sait plus lâcher prise. Douloureuse masse qui, par sa présence, me rappelle indéfiniment que j'ai commis l'irréparable.
— Je sais que rien de ce que je peux te dire suffira à atténuer ta culpabilité, continue-t-il d'une voix caressante. Mais j'ai fait quelques recherches. Ce type avait pas de gosses. Pas de famille. Rien. Il était recherché par les flics et avait à son actif plus d'une vingtaines de victimes. Viols, meurtres, harcèlement, persécution... tout ça pour de l'oseille. T'as débarrassé le monde de cette ordure, Sylvia. En l'éliminant, t'as fait ce que tu sais faire de mieux : sauver des vies.
Mon cœur se réchauffe un tantinet mais ma conscience ne s'apaise pas pour autant. J'ai toujours été une fervente défenseuse de la peine de mort pour les violeurs et meurtriers, surtout depuis que mon paternel m'ait été arraché sous les yeux, de la manière la plus violente qui existe. Mais la justice existe pour mettre en place cette exécution. Qui suis-je pour m'être octroyée ce droit ?
— Lève-toi et va t'habiller.
— Maintenant ?
— Ouais, tout de suite. Je sais que tu vas pas te rendormir, et t'as deux bonnes heures devant toi avant de commencer ton service à l'hosto. Autant utiliser ce temps à faire quelque chose d'utile.
Duncan appuie sa remarque de l'un de ses fameux clins d'œil dont lui seul a le secret. Il se relève et récupère ses vêtements qui gisent toujours sur le sol.
— Qu'est-ce que tu as en tête ? lui demandé-je, curieuse.
— Tu verras. Mets un truc confortable. Je te retrouve en face de chez toi.
∞
Une trentaine de minutes plus tard, je me retrouve dans la sportive de Duncan. Il se gare sur le côté d'une route déserte, surplombée de massifs rocailleux et présentant pour seul type de végétation des cactus acérés.
— On y est, m'annonce-t-il enfin en coupant le contact.
— Je ne comprends toujours pas. Tu me kidnappes ?
— Pas besoin de te kidnapper puisque je t'ai déjà, chérie.
— Tu peux arrêter avec ce surnom ridicule, s'il-te-plait ? lui lancé-je sans pour autant effacer ce satané sourire.
— Non, ricane-t-il. Descends.
Je m'exécute et constate qu'il en fait de même. Je me plante devant lui en observant les environs, attendant le moindre indice sur ce qu'il compte faire. Les prémices du soleil matinal débutent leur lente immersion dans le ciel et illuminent les prunelles brunes de Duncan. On pourrait croire qu'un feu s'y est installé. J'y vogue un instant, fascinée par la palette de nuances chaudes, si intense, si unique, qu'il est en train de m'offrir sans même s'en rendre compte. Je ne sors de mon état de transe que lorsqu'il me jette à la figure son jeu de clés que j'attrape au vol.
— Je te confie mon bijou. Fais gaffe, ses accélérations sont très nettes.
— Je ne comprends pas...
— Tu m'as déjà confié que ce qui te faisait vibrer, c'est vivre à deux-cent à l'heure. Fais-le. Vibre. Oublie. Panse ton âme. Utilise cette rage qui te ronge et libère-toi d'elle.
Mon cœur s'emballe à ces mots et je me revois, douze ans auparavant, filant à toute vitesse dans le désert Texan. Je me souviens de cette impression de liberté que la vitesse me procurait. Je sais à quel point elle peut être bienfaitrice. Libératrice. J'hésite un instant, une courte fraction de seconde, mais la gravité du regard de Duncan me pousse à admettre que c'est bien ce qu'il me faut.
Un total lâcher-prise.
— Tu n'as pas peur que je te la casse ? persifflé-je sournoisement.
— Elle en aura vu d'autres.
Sans se départir de son rictus confiant, il m'ouvre la portière de sa Bugatti et m'invite à prendre place sur le siège conducteur. L'excitation est à son comble lorsque je découvre une à une les fonctionnalités de la voiture de courses. Je suis projetée violemment dans ce passé où j'étais encore jeune et téméraire. Je ne me laissais guider que par ma passion. Ma hargne. Mon âme d'aventurière. D'agréables fourmillements se glissent le long de mes phalanges lorsqu'elles touchent le levier de vitesse. D'extrême vitesse...
Je mets le contact et prends mon envol. J'aperçois Duncan dans le miroir du rétroviseur. Les mains dans les poches, il me suit du regard jusqu'à ce que je recouvre mon esprit rebelle qui vit toujours au fond de moi. Il refait surface à mesure que je prends de l'élan, puis émerge d'un coup, plus puissant que jamais, me forçant à écraser l'accélérateur. Le paysage sauvage qui m'entoure s'efface. Seuls sont perceptibles ce tapis de béton noir, et ce ciel bleu.
Cette montée d'adrénaline me fait l'effet d'un coup de fouet. Une euphorie grandissante aiguise mes sens. C'est exaltant, grisant, euphorisant. Une étrange sensation de légèreté m'accapare et me donne l'illusion de voler, de planer haut dans les cieux, au-delà des nuages. Aucun obstacle ne me bloque. Aucune limite ne m'arrête. Je suis libre. Puissante.
Vivante.
J'ignore pendant combien de temps je suis restée dans cette voiture à dépasser toutes les limitations de vitesse imposées par l'Etat de Californie, et je m'en fiche éperdument. Tout ce que je sais, c'est que je me sens mieux, comme si j'étais libérée du poids invisible qui pesait sur mes épaules. Je ralentis progressivement à mesure que je m'approche de Duncan et finis par m'arrêter complètement à quelques mètres de lui. C'est presque à contrecœur que je quitte la superbe carrosserie pour rejoindre son propriétaire qui m'accueille avec son air suffisant et cette lueur victorieuse dans les yeux.
— Alors, docteur. C'était bon ?
— C'était... waouh !
— Si j'étais pas aussi confiant de la qualité de mes performances au lit, je pourrais presque être jaloux de mon propre bolide.
Je pouffe de rire et le frappe gentiment à l'épaule.
— Idiot. Et puis, si tu veux mon avis... il y a de quoi être jaloux.
— Tu me provoques exprès pour que je te prenne sur le capot de ma caisse ou comment ça se passe ?
— C'est alléchant... mais il faut que je sois aux urgences dans exactement trente-huit minutes. Tu peux faire ça en cent-quatre-vingt secondes ?
— Tu me cherches là, chérie. Méfie-toi, je peux te prendre au mot. Duncan Reed n'a jamais reculé face à un challenge.
J'enroule mes bras autour de sa nuque en me mordant sensuellement la lèvre inférieure. Des lames de désir me labourent le bas-ventre. Avec lui, je n'en ai jamais assez. Chaque seconde où mon corps ne touche pas le sien, je suis dans un affligeant état de manque. Il devient, au même titre de l'adrénaline qu'il vient de m'aider à libérer, un stimulant addictif et euphorisant.
— Alors, montre-moi, Duncan Reed. Montre-moi comment tu peux faire jouir une femme en trois minutes...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro