2. Duncan
Je suis immergé dans les ténèbres, incapable de percevoir mes propres membres, ni même sentir mon cœur battre. Il n'y a que cette douleur inouïe qui me charcute le crâne et ce vertige qui me donne l'impression de planer hors de l'environnement physique et matériel.
Hors de l'espace. Et du temps.
Je perçois une agitation inhabituelle autour de moi. Des murmures, le cliquetis d'un métal, un courant d'air. Est-ce là ce qu'on appelle le « purgatoire ». Est-ce l'ange de la mort qui s'approche, armé de sa faux, pour s'emparer de mon âme damnée à jamais ? Pour m'emprisonner de ses chaînes et m'envoyer brûler dans les flammes éternelles de l'enfer ?
Ces conneries auxquelles je n'ai jamais cru me rattrapent. Et avec elles, mes démons refont surface. Je revois, une à une, les dernières expressions de chacune de mes victimes. Je suis hanté par les lamentations qu'elles lançaient avant que je ne les fasse taire pour l'éternité.
Putain de merdier...
J'essaie de me rappeler qui est l'enflure qui m'a emmené jusque-là. Des années de crime et de vendetta n'ont pu avoir raison de moi. Je n'ai qu'une seule curiosité à attiser avant de partir : savoir qui est celui qui a réussi à avoir ma peau.
Des bruits de pas précipités trottent aux alentours. Mais un son particulier se démarque de la cacophonie ambiante : le martèlement lointain de talons fermes et réguliers sur le plancher.
Tiens, les démons portent des talons maintenant.
J'ai peut-être tout simplement forcé sur le hash quand j'y repense.
— Le bloc numéro six s'est libéré. Emmenez-y le patient, le docteur Rodriguez vient d'y aller.
Non, maintenant que j'y pense, je suis bien sur un brancard d'hôpital. Je le sais à présent que de violentes secousses viennent s'emparer de mon corps alors que le crissement des roues métalliques sur le sol vient martyriser mes tympans.
J'ignore combien de temps dure ce trajet, mais il me semble interminable. Quand, enfin, je recouvre un semblant de calme, une douleur aiguë se fait sentir le long de ma colonne vertébrale. Je tente de crier, mais je me sens prisonnier de mon propre corps, incapable même d'esquisser le moindre mouvement.
La sérénité qui m'entoure est de courte durée. Très vite, un brouhaha intense résonne autour de moi et ne fait qu'accentuer cette migraine insupportable. Si j'avais mon flingue à l'heure qu'il est, j'aurais transformé cet hosto en boucherie, rien que pour me délaisser de toute cette frustration.
Un étau se resserre autour de ma poitrine et m'empêche de respirer. Des fourmillements intenses traversent mes membres dont le contrôle m'échappe. Je sens que je suis au bord de la convulsion quand une voix féminine vibre contre mes tympans.
— Monsieur Reed, vous m'entendez ?
Une voix chaleureuse.
Rassurante.
Caressante.
Envoûtante.
— Vous êtes aux urgences de Dignity Health. Je suis le docteur Rodriguez. Je vais m'occuper de vous.
J'enregistre à peine les informations tant je me sens captivé par ce timbre suave. Revigorant.
Et diaboliquement bandant !
Une décharge électrique réveille mes battements cardiaques et un souffle de vie vient remplir mes poumons. Putain, je suis vivant ! Je le sais avec certitude maintenant que mon sang s'accumule dans une région bien spécifique de mon anatomie.
Un cadavre peut-il bander ?
Jamais une femme ne m'a fait réagir par la simple vibration de sa voix. Je me surprends à l'imaginer crier sous mes assauts. Au moins, si mon heure sonne maintenant, je mourrais heureux.
— Vous avez eu un accident de voiture, poursuit la voix du docteur Rodriguez. Un camion vous a percuté.
— Docteur, le médecin anesthésiste arrive.
Minute !
Un accident de voiture ? Un camion ?
Tout à coup, tout me revient en tête. Cet appel au beau milieu de la nuit. Roberto del Cerro. Ma sportive qui dérape sur le bitume. Les phares aveuglants du camion. Et puis...
Le néant.
Je sursaute. Les battements de mon cœur s'affolent.Je sens littéralement mon sang cogner contre mes veines avec frénésie. J'ai soif. J'ai froid. Je suffoque. Des tonalités aussi stridentes qu'irrégulières résonnent autour de moi.
— Docteur Rodriguez ! Nous sommes en train de le perdre !
— Il fait une hémorragie ! Amanda, branchez la bonbonne de sévoflurane, nous ne pouvons plus attendre. Nous devons l'opérer au plus vite. Rajesh, passez-moi les clamps !
J'ai le tournis. Le sentiment d'être embarqué par un violent cyclone. Je ne peux ni bouger ni crier. Je ne contrôle plus rien.
Je risque de pas m'en tirer !
— Monsieur Reed ! Concentrez-vous sur ma voix, je m'occupe de vous...
Je me sens partir. Sombrer.
« Concentrez-vous sur ma voix. »
C'est ça, ma fin ?
— Monsieur Reed, restez avec moi ! S'il vous plaît !
On se retrouvera en Enfer, del Cerro !
∞
Je me réveille avec la sensation d'être passé sous un poids-lourd.
Ce qui est le cas. Mon crâne est au bord de l'explosion. Mon corps, lui, est tout engourdi. Ma bouche pâteuse me donne l'impression de n'avoir rien bu depuis des jours. J'entrouvre les paupières mais les referme aussitôt, les néons fluorescents au plafond me brûlent les rétines. Un infirmier dont les traits et le nom inscrit sur sa blouse verte – Rajesh Kumar – sont typés indiens, s'introduit dans ma chambre. Il me bombarde de questions auxquelles je réponds par le strict minimum, encore trop sonné pour tenir une conversation.
Quelle idée de m'envoyer un mec aussi ?! Une infirmière sexy m'aurait sans doute rendu plus loquace.
Mais il faut croire que le destin ne cesse de me jouer des tours depuis cette fameuse nuit où ma Bugatti Veyron Super Sport ne m'a plus obéi. Ce que je n'arrive toujours pas à expliquer, d'ailleurs. Je suis un as au volant. Je rêvais même de faire carrière en Formule 1 si ma misérable vie n'en avait pas décidé autrement. D'autant plus que mon bolide était criant neuf au moment de l'accident. J'en étais fier. Seuls quelques rares gros richards possèdent cet exemplaire sur cette planète. J'ai réussi me le procurer en tirant le détenteur d'une des plus grandes fortunes des Émirats Arabes d'une magouille pas nette. Pour me remercier – et en l'occurrence, acheter mon silence – il me l'a offerte.
Bref.
Je me refais le film des événements qui m'ont mené jusqu'à ce minable lit d'hôpital. Mais rien ne me vient. Je n'ai commis aucune erreur. Aucune maladresse. Aucun faux-pas.
Il me faut mon putain de portable !
Je questionne l'infirmier sur mes affaires personnelles. Il bredouille une explication barbante, mais tout ce que je retiens, c'est que mon téléphone n'a pas survécu à l'impact. La rage me gagne et il me faut faire appel à tout mon self-control pour ne pas laisser libre cours à ma frustration. Mon poing se serre, et je remarque qu'un cathéter relié à une poche de perfusion y est planté. Un lien physique mettant l'accent sur ma situation d'impuissance et de faiblesse. Je déteste être enchaîné de la sorte. Tel un aigle maintenu en cage. Longtemps. Trop longtemps.
— Je veux sortir d'ici, exigé-je en tentant de maîtriser mon ton impérieux.
Inutile de faire lui peur.
— Je regrette, Monsieur Reed, mais il va falloir nous supporter encore quelques jours, le temps de nous assurer que...
— Combien de jours ?
— Euh... il faudra vous adresser au professeur McCarthy, le chef de service.
Je me pince l'arête du nez dans le but de calmer les nerfs et reporte mon attention sur l'infirmier, trop occupé à vérifier que tous les appareils destinés à contrôler mes fonctions vitales sont bien connectés. L'exaspération s'ajoute à mes douleurs déjà trop présentes et envenime mon ton déjà acide.
— Et je le trouve où ce McCarthy
— Il est absent pour la journée, mais il passera sans doute demain matin, ou l'après-midi, c'est selon son emploi du temps.
C'est le comble. La définition du mot « patient » prend soudain tout son sens dans mon esprit. Manque de bol, la patience ne fait pas partie de mes qualités. Être enfermé dans cet hosto, c'est une chose. Être enfermé sans mon portable, c'est-à-dire, sans aucun moyen de communiquer avec l'extérieur, c'en est une autre.
— Mais le docteur Rodriguez va sûrement vous rendre visite au moment de sa tournée du soir. Elle en saura sans doute plus que moi.
Ah.
— Et vous avez un visiteur, continue-t-il en regardant sa tablette graphique. Un certain... Hernán Hernandez ?
— Faites-le entrer.
Il fronce les sourcils, l'air contrarié de mon attitude. J'ai toujours été un excellent adepte de la diplomatie. Mais là, je viens de revenir d'entre les morts, alors les bonnes manières, je les fous là où je pense. Le garde-malade me souhaite un « bonne journée » aussi sec que forcé, avant de se retirer.
Une bonne éternité plus tard, la stature musclée de l'un de mes plus fidèles bras droits daigne enfin apparaître. Comme d'habitude, sa chemise noire est boutonnée jusqu'au cou afin de recouvrir l'intégralité de ses tatouages qui risqueraient d'en choquer plus d'un. Il s'installe à mon chevet, un air de chien battu planté sur sa face.
— Efface-moi cette mine d'enterrement, Hernán. On dirait que je suis en phase terminale.
— Tu nous as fait peur, hermano.
— Pour si peu On a déjà survécu à pire que ça. Ce que j'aimerais bien savoir par contre, c'est ce qu'a foutu del Cerro.
— Tu ne te souviens pas ?
— Je me souviens que ce crevard m'a appelé pour m'annoncer qu'une baston a éclaté à San Pedro, qu'un malin a filmé la scène et qu'il l'a postée sur les réseaux. J'ai pris ma Bugatti pour aller le retrouver. Un camion m'a percuté et me voilà.
— Ouais, on a bossé toute la nuit pour effacer cette vidéo, mais tu connais les réseaux, ça devient vite viral.
Hernán hésite un moment avant de reprendre la parole.
— Les médias s'en sont mêlés.
— Tout ça pour une rixe entre deux gangs rivaux ? Depuis quand ça les intéresse que la populace des ghettos s'entre-tue ?
— Il y a plus que ça... un innocent a été tué.
— Encore ?! Putain ! Putain, PUTAIN !
Frustré de ne pas pouvoir cogner dans un mur – ou dans quelqu'un – je me contente d'ouvrir et refermer ma main avec nervosité, comme si j'étais armé d'un flingue.
Le visage dur, Hernán attend que je calme mes souffles d'exaspération avant de poursuivre :
— Tu comprends mieux pourquoi l'opinion publique est mobilisée. Les flics aussi mettent leur grain de sel dans cette affaire, mais ça, on s'en est déjà occupé.
Il ponctue sa phrase d'un clin d'œil fier en ricanant. Mais la situation est loin de m'amuser. Ricardo del Cerro n'a pas su retenir ses voyous.
— Montre-moi cette vidéo.
Je passe une nuit à l'hosto, et le chaos vient nous encercler de partout. Une remise à l'ordre va être de mise. Des rixes éclatent de plus en plus entre nos clans. Les jeunes sont ingérables. Et beaucoup ne voient pas en moi le leader qu'ils aimeraient voir. Probablement à cause de mon jeune âge Ou peut-être est-ce ma peau métissée. Quelle que soit la raison, je m'en tape. Ils ont merdé, je vais devoir prendre des mesures radicales, histoire de montrer l'exemple.
Je visionne les images qui défilent devant moi avec grande attention. Rien d'incriminant. Mon nom et celui des Rapaces reste sous silence. A partir de là, nous n'avons plus rien à voir avec cette histoire. Mieux encore, j'ai à présent connaissance de tous ceux qui ont participé à ce carnage, donc, je sais très exactement où et comment mettre la main dessus.
— Mobilise les Chemises Noires et retrouvez ces bons à rien. Je m'occupe de del Cerro. Arrange-moi un meeting avec lui dès que je sors de là.
— Un meeting ?
— Il traficote quelque chose. Je veux pas le buter avant de savoir très exactement ce qu'il a derrière la tête.
— C'est noté. Je m'en occupe.
— Quelqu'un a récupéré ma caisse ?
A cette question, Hernán blêmit avant de se gratter la nuque, mal-à-l'aise.
— Euh... ouais, à propos de ça. Faut qu'on cause. Je voulais attendre que tu sois rétabli avant de...
— Je suis rétabli. C'est quoi le souci ?
Il y a une couille dans le potage. Cette expression inquiète sur son visage, je la connais par cœur. Le Cubain chauve d'un an mon aîné fait partie des rares personnes qui me connaissent réellement, qui me comprennent par un simple regard. Et vice versa. Nous parlons une autre langue que celle des mots. Un seul geste, et c'est réglé. Et à sa façon de se gratter le haut du crâne, je sais qu'il s'apprête à m'annoncer une nouvelle que je redoute.
Je m'impatiente, et le ton de ma voix ne laisse planer aucun doute sur l'étendue de mon irritation :
— Accouche mec !
— Bon. Je pige pas. J'ai démonté ta caisse. Les freins étaient pas nets. Je pense qu'elle a été sabotée intentionnellement.
J'étais certain que l'erreur ne venait pas de moi. Et pourtant, avoir la confirmation de Hernán fait éclore une sourde colère en moi. Je contracte fermement la mâchoire alors que je tente de réfréner l'hémoglobine qui bout dans mes veines. Mon poing se crispe si fort que mes ongles se plantent dans ma chair et l'envie de fracasser tout ce qui m'entoure se fait de plus en plus pressante.
— Donc, ça voudrait dire qu'on est infiltrés, conclus-je d'un ton acerbe.
Une taupe qui soit assez haut placée pour avoir accès à mon parking privé. Une pourriture qui me connaît suffisamment pour savoir que j'allais prendre la Bugatti et pas mon habituelle Bentley.
— T'aurais pas une idée de qui pourrait t'en vouloir au point d'essayer de te tuer
— Plein de monde. Tu le sais aussi bien que moi, Hern'. Mais là, celui qui veut ma peau est proche de moi.
Quelle qu'elle soit, cette enflure a loupé son coup. Moi, je ne louperai pas le mien.
∞
Il est plus de vingt heures et je commence à trouver le temps long. Et pourtant, ce n'est pas faute de l'avoir passé à cogiter. Depuis que Hernán a quitté cette chambre sinistre, je n'ai cessé de chercher un coupable potentiel parmi tous mes hommes. Mes ennemis se font de plus en plus nombreux. Ceux qui veulent me voir chuter également. C'est le cas depuis presque de deux ans. Depuis ce jour maudit où ma vie a basculé. Mais jamais je n'aurais cru qu'un de mes plus proches hommes aurait pu me faire ça.
Il faut que je mette cette histoire au clair et ce, dans les plus brefs délais. Faute de quoi, les hyènes ne tarderont pas à se rameuter.
Mon inactivité physique me pèse de plus en plus. Et encore, ce n'est que le premier jour. Jamais je ne pourrais rester ici plus longtemps. Il faut que je trouve un moyen d'amadouer les médecins.
La porte de ma chambre s'ouvre pour la énième fois de la journée. C'est dingue cette manie qu'a le personnel hospitalier de s'inviter dans l'intimité des gens à tout bout de champ.
— Bonsoir, Monsieur Reed. J'espère que vous vous sentez un peu mieux ce soir.
Cette voix... angélique et chaleureuse... c'est celle-là même qui m'a insufflé le souffle de vie qui m'a réanimé la nuit dernière.
— Je suis le Docteur Rodriguez. On dirait que vous avez repris des couleurs. C'est très bien.
Derrière ce timbre séraphique se cache aux airs de citadine endimanchée. Si je m'attendais à ça !
Elle transpire l'assurance et la classe. Sa beauté est ensorcelante, captivante. Grande brune aux jambes interminables, parfaites par une paire de talons, elle est sans l'ombre d'un doute issue de la haute société. Le bijou doré qui orne son cou confirme ma pensée. Son sourire, accompagné d'une fossette unique sur sa joue gauche, est communicatif. Si bien que je ne peux m'empêcher d'en esquisser un à mon tour.
Je prends le temps de la reluquer sans gêne pendant qu'elle m'examine de plus près en me posant les mêmes questions que ceux qui sont venus me déranger avant elle. Ses courbes dessinées sont recouvertes d'une blouse blanche entrouverte, surmontant une jupe noire et un chemisier dont le léger décolleté laisse apercevoir la naissance d'une paire de seins aguicheuse. Il n'est pas assez profond pour tomber dans la frivolité, mais en dévoile assez pour deviner un galbe aussi ferme qu'arrondi. De taille moyenne, ils tiendraient facilement dans ma paume. Un appel à l'indécence
Enfin, un peu de distraction dans ma journée d'ennui ne me ferait pas de mal.
Mon regard remonte doucement vers son visage sérieux et concentré pendant qu'elle prend ma température frontale. Deux lèvres pulpeuses, sublimées par un rouge-à-lèvres aux teintes foncées, une paire d'yeux bruns, pigmentés d'une auréole émeraude – capables de faire bander un eunuque – et deux joues légèrement rosies et creusées, cette femme est le symbole même de la féminité à l'état brut. Ses cheveux bruns et ondulés tombent en cascade sur ses épaules, et l'envie d'y nicher ma main pour mieux les tirer devient de plus en plus pressante.
Pas le moins du monde perturbée par mon investigation soutenue, la doctoresse range son thermomètre digital dans la poche de sa blouse avant d'en ressortir un tensiomètre.
— Bien. Votre température est correcte. Vous avez eu beaucoup de chance de vous en être sorti avec si peu de dégâts, Monsieur Reed. Pour faire court, vous avez reçu un violent coup à l'abdomen. S'en est suivie une hémorragie veineuse au niveau de l'intestin grêle. Nous avons pu stopper le saignement à temps et recoudre les vaisseaux endommagés. A priori, vous devriez vous en sortir sans aucune séquelle.
— Parfait ! Je n'ai donc plus rien à faire ici.
— Je préfère tout de même vous garder en observation quelques jours. Nous ne sommes pas à l'abri d'une rechute.
— Docteur Rodriguez...
Elle ignore ma plainte et se contente d'accrocher le tensiomètre à mon poignet gauche tout en m'intimant de garder le silence, le temps des mesures. Mauvais plan, doctoresse. Avec ton sex-appeal, ma tension sera sûrement à son maximum. Il n'y a qu'à voir celle qui règne dans mon entrejambe.
Mais contre toute attente, le chiffre qui s'affiche à l'écran a l'air satisfaisant.
— Monsieur Reed, je vais devoir vous demander de me libérer l'accès à votre dos. Je vais évaluer votre activité cardiaque et après ça, je vous laisse tranquille.
— Je vous libère n'importe quelle partie de mon corps, mais laissez-moi sortir de là, docteur.
Loin de se laisser déstabiliser, docteur Sexy me jette un regard glacial avant de se saisir de son stéthoscope et de le porter à ses oreilles. Un sourire mutin s'installe sur mon visage pendant que je défais les lacets de l'abominable blouse de patients qu'ils m'ont fournie à l'hôpital – qui, malgré mon charme indubitable, ne me met pas du tout pas à mon avantage – et dévoile mon torse sous le regard de la praticienne.
Il me semble apercevoir un éclair appréciateur luire dans ses prunelles sévères, ce qui m'arrache un rictus satisfait. C'est l'effet que je procure aux femmes en général. Mais rapidement, un filtre sombre vient voiler cet ambre de feu alors qu'elle détaille les tatouages que j'arbore sur mon buste et mes biceps. Je la scrute avec attention et analyse chacune de ses mimiques indicatrices de ses pensées les plus profondes. Mais celles-ci restent insondables.
— Votre dos, Monsieur Reed.
Quelle impatience ! J'opine et lui montre mes dorsaux, comme elle l'exige, un sourire mutin au coin des lèvres.
— Je m'excuse d'avance, j'ai les mains froides.
En effet, la fraîcheur de ses mains agit comme un jet d'eau glacé sur mon corps en feu. J'ignore toujours l'origine de cet effet inexplicable qu'elle exerce sur moi, mais à l'heure actuelle, la seule chose qui m'importe, c'est de sortir d'ici.
— Docteur, je...
— Chut !
Je ferme les yeux et fais craquer ma nuque en me répétant mentalement qu'il vaudrait mieux ne pas contredire la femme qui a le pouvoir de me libérer de cette prison bien trop aseptisée.
Une minute plus tard, elle me demande de me rhabiller et tapote des notes sur sa tablette.
— Eh bien, tout me semble parfait, Monsieur Reed. Vous récupérez vite et votre endurance est impressionnante.
— Vous n'êtes pas la première à apprécier mes capacités d'endurance, docteur.
J'accompagne ma réplique d'un clin d'œil séducteur. La commissure des lèvres de la charmante clinicienne tressaute... d'exaspération. Aucun sens de l'humour, la doctoresse ! Il va falloir employer un autre type d'approche si j'espère la séduire pour obtenir ce que je souhaite : ma liberté.
— Je vous laisse vous reposer. Bonne nuit, Monsieur Reed.
— Docteur, attendez une minute.
Prête à tourner les talons, le docteur Rodriguez s'immobilise à quelques centimètres de la porte.
— Je vous écoute.
— On m'a dit que j'allais devoir rester ici encore quelques jours.
— Oui, c'est le cas. Vous avez subi une intervention délicate. Et bien que quatre-vingt-dix pour cent de nos patients en ressortent sans la moindre complication, j'aimerais ne pas avoir à prendre ce risque.
— Une vie sans risques ne vaut pas la peine d'être vécue.
— Quel sacré philosophe vous faites !
— J'ai eu un sacré bon mentor.
— Et vous m'avez l'air bien pressé de sortir.
— En effet. Ça ne se voit peut-être pas sur mon allure à tomber, mais je suis un homme d'affaire bien trop influent pour rester enfermé ici. Même si je dois avouer que votre compagnie soit des plus agréables.
— Un homme d'affaires, rien que ça, commente-t-elle en lorgnant en direction de mon tatouage.
— Vous avez l'air d'en douter.
— La seule chose qui m'intéresse, c'est votre état de santé, Monsieur Reed.
Je me lève sans prendre le soin de recouvrir mon torse, bras ouverts.
— Regardez-moi, docteur...
Ses yeux ne dévient pas un instant des miens. Elle me rend la tâche de plus en plus dure.
Intéressant.
— Je pète la forme, insisté-je. Je n'ai ni vertige, ni nausée, et je peux vous assurer que c'est absolument pas mon genre de consommer de l'alcool et du tabac.
La doctoresse croise les bras sur sa poitrine tout en m'affublant d'un regard suspicieux.
— Vous allez me faire croire que vous ne buvez ni ne fumez J'ai l'air si stupide
— Bon ok, ça m'arrive occasionnellement... tous les jours. Mais... je suis pas aussi con que vous le croyez non plus. Et j'ai pas pour ambition de revenir ici de sitôt, donc, je ferai un effort pour les prochains jours. Mais sortez-moi de là.
Cette fois, elle fait couler un regard paresseux le long de mon corps. Mon ego me souffle qu'elle aime ce qu'elle voit. Après un bien trop long silence à mon goût, elle semble retrouver l'usage de la parole :
— Bien, je vous laisserais sortir demain. Si vous êtes sage.
Un dernier sourire et la voilà partie. La frustration que j'ai éprouvée toute cette journée s'évapore avec cette demi-promesse. Mais une autre, d'un genre différent, vient de s'installer.
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