11. Sylvia
La semaine suivante est faite d'un enchaînement périodique de jours qui se ressemblent. Je me perds dans une routine meurtrière dans laquelle plus rien ne compte à part mon travail. Mes horaires monstrueux ne cessent de gagner en longueur. Mon déficit de sommeil également. Mes nuits se font plus blanches, et pourtant elles baignent dans la noirceur funèbre des remords. Non pas que je regrette d'avoir porté secours à Hernán, mais je n'arrive pas à me départir de ce rappel vicieux, mais consciencieux, d'avoir abusé de mon statut.
Satanée conscience.
Malgré tout, je sais que si c'était à refaire, je ne changerais rien. Une bonne action en reste une, malgré le contexte. Quelles que soient les raisons qui l'ont amené à cet état, Hernán avait le droit de recevoir les soins sans lesquels il serait sans doute décédé à l'heure qu'il est. Son statut d'immigré clandestin n'amoindrit pas sa valeur humaine.
Accoudée au bord de ma fenêtre, cigarette à la bouche, j'en aspire les émanations addictives tout en laissant la nicotine apaiser momentanément ma nervosité. J'observe la fumée blanche se dissiper dans le ciel bleuté, tel un spectre qui s'efface pour mieux nous hanter.
Une brise fraîche vient caresser mon visage. En ce mois d'avril, les températures commencent à se réchauffer. Il est encore tôt, vingt heures viennent tout juste de sonner. La nuit va être longue. Très longue. Je pourrais m'occuper, mais mon corps semble totalement déconnecté de mon cerveau, refusant d'obéir à n'importe quel type de sollicitation.
Je tourne à peine le visage lorsque j'entends la sonnerie de mon téléphone à mes côtés. Il s'agit surement d'Emily qui m'appelle pour s'assurer que ma migraine s'est atténuée. Migraine qui n'existe pas mais qui résulte d'un futile mensonge servant à justifier mon humeur de chien et mon manque d'entrain. La sonnerie s'arrête pour mieux reprendre. Un soupir las m'échappe lorsque je m'empare de l'appareil électronique pour l'éteindre une bonne fois pour toute. Mais l'identité masquée de l'appelant me fait tiquer. Je pense immédiatement à ma mère, seule au Texas. Et s'il lui est arrivé malheur ?
Une main tremblante décroche, dansant au rythme effréné de mon palpitant.
— Bonsoir Docteur, je t'ai manqué ?
Un soulagement étourdissant m'enveloppe lorsque je reconnais la voix grave et profonde de Duncan. Si ma peur s'est évaporée, ma tachycardie, elle, vient de redoubler de vigueur. Notre dernière entrevue ne s'est pas soldée d'un franc succès, et pourtant, il s'obstine à vouloir me contacter. Une partie de moi en est exaspérée, cet homme ne m'apportera que des soucis. Mais une autre ne peut que se sentir flattée. A moins qu'il ne m'appelle pour une autre urgence ?
Je porte une main à mon cœur dans l'espoir naïf de le calmer.
— Duncan Reed. Tu ne jettes jamais l'éponge, dis-moi.
— Allons Sylvia, je te croyais plus maline que ça !
Je lâche un petit rire, malgré moi.
— Non, en effet, j'ai sous-estimé ta coriacité.
— Y a pas mal de choses que tu ignores encore à mon sujet, docteur.
— Vraiment ? Tu m'intrigues.
— Tu en sauras plus si tu m'accompagnes à dîner.
Même s'il vient de prononcer les mots que j'espérais secrètement, je sais que retenter un rapprochement avec Duncan est une très mauvaise idée. L'ascendant qu'il a sur moi, rien que maintenant, et déjà assez effrayant. Nul besoin de le nourrir en trainant davantage avec lui. Je n'ai pas pour habitude de perdre le contrôle, ni de mon corps, ni de mes émotions. Or, avec lui, les deux y passent. Et trépassent...
Non. Je me dois de me protéger si je ne veux pas me perdre dans le processus. Une fois m'a suffi.
— Duncan... je ne crois pas que ce soit une bonne idée...
— J'ai pas eu le temps de te remercier comme il se doit pour ce que t'as fait pour Hernán.
— Pas besoin de remerciements. Je l'ai fait parce que c'est ce qui m'a semblé être juste.
— Je sais. Je veux tout de même te remercier. Je suis devant chez toi. Prépare-toi, je t'attends.
Devant chez moi ?!
Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Duncan, ici ? Je lorgne en direction de la route et ce que j'y trouve achève de m'enflammer. Il est là, adossé contre la portière d'une Bentley d'une couleur aussi sombre que ses deux paires d'yeux qui m'allouent un regard enflammé pendant que le vent du soir fait virevolter mes cheveux.
— Je n'ose même pas te demander comment tu as pu trouver mon adresse. Tu me traques ?
Je devrais être terrifiée... et pourtant, le fait qu'il ait recherché le lieu où j'habite m'émoustille plus que de raison. Je perds la tête.
— Je voulais mettre toutes les chances de mon côté, surtout connaissant tes capacités de fuite subite. Tu ferais une excellente cambrioleuse.
— Tu es fou ! Tu n'as pas pensé que je pourrais déjà avoir des projets pour ce soir ?
— T'en as ?
— O-Oui...
Vil mensonge... mais je refuse qu'il croie que je suis à sa disposition !
— Même cachée derrière un combiné de téléphone, tu mens très mal, Sylvia. Jolie nuisette, au fait !
Je regarde ma tenue, outragée. En effet, je ne porte qu'une simple chemise de nuit en dentelle laissant apercevoir ma poitrine par transparence. Je referme rapidement les rideaux, les joues en feu. Un rire argentin éclate de l'autre côté de la ligne. Un rire qui me pénètre en profondeur et vient se nicher au fond de mes entrailles pour y fomenter d'intenses vibrations.
— Je t'attends, chérie, répète-t-il. Mets une belle robe.
Sans attendre de réponse de ma part, il coupe la conversation. Moi qui ne voulais pas bouger de la chaleur rassurante de mon petit cocon, me voilà sur le point d'embarquer dans un dîner en compagnie de cet homme à cause duquel j'ai fait une folie.
Et je m'apprête à en faire une deuxième.
∞
Mode séductrice activé.
Mes talons claquent à mesure que j'avance vers mon compagnon de la soirée. Le regard prometteur qu'il m'octroie me fait chavirer. Ses iris brillent d'un éclat sauvage, caressent chaque parcelle de mon corps recouvert par une robe écarlate. Je l'observe à mon tour et me délecte de son magnétisme naturel, accentué par son costume en deux pièces d'un noir corbeau. Le haut de sa chemise, noire également, est gardé entrouvert, laissant à mon regard libre champ de s'y noyer. Cet homme exsude le luxe et la luxure. Le risque et le danger. Le vice et la malice. Même à distance, l'effet qu'il a sur moi est immédiat. Comme aimanté par lui, mon duvet se hérisse à mesure que la distance qui nous sépare s'efface.
Sa main épouse ma hanche et en retrace la courbe prononcée en m'attirant vers lui. Sa fragrance épicée capable d'étourdir la plus prude des femmes par une simple inhalation emplit mes poumons et m'étourdit.
Sa bouche glisse gentiment vers mon oreille afin d'y murmurer :
— Tu es absolument divine, docteur.
Je pense que mes paupières se sont refermées instinctivement dès que ses lèvres sont entrées en contact avec ma peau. Cet homme me fait beaucoup trop d'effet. A l'image d'un tentateur démoniaque ou d'un dieu olympien matérialisé sur Terre, très peu de femmes doivent être capables de lui résister. Je sais que je ne devrais pas m'en approcher, je sais que je devrais le fuir à jamais, mais l'appel de son corps contre le mien est plus fort. Un désir impétueux me laboure les entrailles. Car oui, jamais je n'ai désiré un homme de la sorte.
Tant bien que mal, je tente de masquer mon trouble à Duncan qui a l'air de se régaler de la situation. Il me lance un clin d'œil craquant avant d'ouvrir la portière côté passager.
— Merci, tu n'es vraiment pas mal, toi non plus.
Duncan porte sa main à son cœur, l'air offensé, faisant mine d'être blessé dans son amour propre. En effet, c'est un sacrilège que d'associer Duncan Reed et « pas mal » dans une même phrase. Mais il n'y a aucune raison de gonfler son ego déjà bien assez surdimensionné.
Mon sulfureux compagnon prend place rapidement au niveau du siège conducteur et fait rugir le moteur de sa sportive de luxe avant de démarrer. Je m'attendais à une conduite plus nerveuse de sa part, mais je pense qu'il se retient d'aller trop vite devant moi.
— Tu roules comme une grand-mère. Tu as peur de t'écraser une seconde fois ? Ou c'est tout ce que tu sais faire ?
Incitation à la vitesse, fait !
Je suis complètement inconsciente de le provoquer pour qu'il accélère. Mais pour ma défense, ce n'est pas tous les jours que l'occasion de monter dans une telle merveille se présente.
Je laisse traîner un sourire moqueur qui n'échappe pas aux yeux au séduisant conducteur.
— Tu veux de la vitesse, ma belle ? Je vais t'en donner, moi. Accroche-toi, chérie !
Sans hésiter, Duncan appuie sur l'accélérateur ce qui me propulse vers le fond de mon siège. J'ai toujours été une fanatique de la vitesse. Elle me renvoie à mes souvenirs d'antan. Lorsque j'étais insouciante, inconsciente... et libre. Il sait ce qu'il fait et slalome avec une facilité déconcertante entre les voitures environnantes. J'admire ses capacités de pilote et constate que son niveau est bien plus élevé que celui auquel j'ai été habituée. Aucun doute possible, il a fait ça toute sa vie.
Arrivés dans une rue, il se gare rapidement et me toise d'un regard victorieux.
— Alors ? Madame est satisfaite ?
— Hum, tu te défends bien. Mais ne va pas croire que c'était exceptionnel non plus.
Il éclate de rire, puis m'invite à descendre du véhicule. Une brise salée vient me caresser le visage lorsque je réalise que nous sommes face à un restaurant-paquebot aux allures très classes. Duncan m'invite à l'accompagner à l'intérieur et nous nous faisons rapidement escorter vers une table en terrasse. Les employés sur restaurant semblent non seulement le connaitre, mais également lui vouer un respect évident.
— Tu ne fais vraiment pas les choses à moitié, commenté-je impressionnée.
— Tu me sous-estimes encore, docteur, répond-il en m'invitant à m'installer.
— Ce n'est pas un peu trop pour un dîner de remerciements ?
— Rien n'est trop pour une femme aussi délicieuse que toi, Sylvia.
— Charmeur.
— Charmée ? m'interroge-t-il en haussant un sourcil taquin.
Je mets un temps pour lui répondre au cours duquel je fixe ses iris pénétrants.
— Peut-être...
En réalité, le mot est faible. Dire que je suis tombée sous le charme de Duncan Reed est un euphémisme. L'attirance que je ressens pour cet homme dépasse tout ce que j'ai connu jusqu'à aujourd'hui. Ce n'est ni son physique sexy à outrance, ni sa fortune évidente, ni même cette assurance qui émane de lui. C'est quelque chose de bien plus profond, mystique, intriguant qui me tient captive. Je suis obnubilée par ce personnage qui représente tout le contraire de ce que je suis censée connaître.
L'un des serveurs nous ouvre une bouteille de champagne. Nous trinquons, les yeux dans les yeux, un sourire aux lèvres face à cette soirée plus que prometteuse et nous goûtons à la boisson sans cesser de nous regarder.
La tension sexuelle entre nous est palpable et persiste tout au long du repas. Elle est accentuée par les souvenirs de notre première nuit. La chaleur impatiente qui a élu résidence au sein de mon bas-ventre en témoigne. Je n'ai presque qu'une seule hâte, que le repas, bien que délicieux, touche à sa fin pour que l'on accède enfin à la phase « dessert ».
— Bonsoir, boss, tout se passe bien pour vous ?
Je relève un coup d'œil interrogateur vers la personne qui vient d'appeler Duncan « boss ». Il s'agit d'un homme ventripotent d'une cinquantaine d'année, vêtu d'une chemise d'un bleu clair et d'un pantalon de couleur marron. Ses cheveux longs sont regroupés en une queue de cheval et son sourire transpire l'hypocrisie. Duncan acquiesce d'un signe de tête et ne semble pas porter plus d'attention à l'intrus, reportant rapidement son attention sur moi.
— C'est le gérant du restau, précise-t-il face à ma mine investigatrice.
— Et le gérant t'appelle « boss » ?
Un rire humble échappe à mon compagnon. Il s'essuie les lèvres à l'aide d'une serviette blanche et se saisit de sa coupe de champagne pour s'en abreuver. Rien à dire, il sait faire perdurer le suspense.
— Ce restaurant était au bord de la ruine lorsque je l'ai acquis, m'explique-t-il. Le propriétaire avait perdu des millions de dollars au casino et s'est vu dans l'obligation de vendre cet endroit pour que dalle. J'ai fait une très bonne affaire ce jour-là. Grâce à mes contacts d'outre Atlantique j'ai pu embaucher l'un des meilleurs chefs cuistot italiens. Et voilà le résultat.
— C'était risqué de se lancer dans ce projet. Tu n'as pas froid aux yeux, monsieur Reed.
— L'avenir appartient aux audacieux. Et pour gagner, il faut risquer de perdre.
Je bois ses paroles, subjuguée par sa force de caractère et son aplomb. Duncan est un visionnaire et sa maîtrise du monde des affaires m'impressionne de plus en plus.
— Tu vois, docteur, continue-t-il, contrairement à d'autres, j'ai pas eu la chance de faire des études. Mais en y repensant, pour faire de bonnes affaires il te suffit d'avoir un bon capital, de bien choisir ton réseau, et de savoir lire les gens.
— Les études ne font que te conditionner à ce qui t'attend dans la vie active. Concrètement, on apprend tout sur le tas.
Nous poursuivons la dégustation des délicieux mets que le chef a spécialement concoctés pour nous, tout en survolant différents sujets de conversation. J'apprends que Duncan a parcouru le monde et découvert plusieurs populations, de l'Amérique Latine à l'Asie de l'Est, en passant par l'Europe et le Moyen-Orient. Je suis fascinée par l'étendue de sa culture, son ouverture d'esprit et sa tolérance. J'en viens même à me dire que je pourrais avoir trouvé chaussure à mon pied en matière d'homme.
— Alors, Sylvia, me questionne Duncan alors que notre plat principal fut bien entamé. On a beaucoup parlé de moi, ce soir. Et si tu me parlais un peu de toi...
Je ne m'attendais pas à cette question. Je n'aime pas trop me livrer encore moins à la gent masculine. Mais avec cet homme-là, je sens que toutes les limites que je me suis imposées s'envolent en un clin d'œil.
Je bois une gorgée de ma boisson afin de gagner du temps, puis tente de répondre d'un ton détaché :
— Que voudrais-tu savoir ?
— Ce que signifie ton tatouage, par exemple.
— Tu fais une fixette dessus. Qui te dit qu'il a un sens bien précis.
— Je t'ai déjà dit que je sais lire les gens. Et toi...
— Tu vas me faire le coup de la tristesse qui luit dans le regard ? On me l'a déjà faite, essaie autre chose.
— C'est pas de la tristesse que je vois briller dans tes yeux.
— Ah non ? Qu'est-ce que tu vois alors ?
— De la détermination. De la force. Du courage. Tu es quelqu'un de combatif. Là où d'autres pourraient s'arrêter à ton allure de gosse de riche, moi je vois une femme qui essaie de s'émanciper de tout ça et de survivre dans un monde dans lequel elle peine à trouver sa place.
Mon sourire s'efface, et mon cœur se serre. Un souvenir me percute. Celui de notre bref échange visuel quand nous nous sommes retrouvés devant son bureau. J'ai ressenti son besoin de liberté qu'il partage avec moi. Je n'ai donc pas rêvé cette connexion entre nous.
— Intéressant. Et tu as vu tout ça dans mes yeux.
— Je te l'ai dit. Je sais lire les gens. Tu peux rajouter ça à ma liste de talents, déjà assez conséquente.
Troublée, je me contente de vider mon verre de champagne afin de me reprendre. Son regard fier et victorieux me nargue, en plus de me chambouler. Ainsi, le masque que j'affiche en permanence dans le but de camoufler au monde à quel point je n'en fais pas partie ne fonctionne pas sur lui. Tout comme le sien ne fait pas effet sur moi.
— Tu as raison, reprends-je sur le ton de la confidence. Depuis mon plus jeune âge, j'ai toujours eu l'impression d'évoluer dans un monde qui n'est pas le mien. Je n'ai eu qu'un seul choix, celui de m'y adapter pour survivre. Mais ce sentiment ne m'a jamais quittée. Et je pense que malgré tout ce que je peux faire, il ne me quittera jamais. Alors je fais avec.
— C'est un peu comme vivre tout le temps dans une cage.
— Exactement.
Il déboutonne le haut de sa chemise, mettant à nu son buste sur lequel un aigle est tatoué.
— Ce tatouage symbolise mon envie sous-jacente de liberté, poursuit-il. L'aigle est un rapace libre et solitaire. Il passe ses journées à patrouiller les cieux. Il répond à aucun autre, à aucune loi. Il est libre et autonome. Je l'ai depuis mes quinze ans.
J'avale chaque parole et me nourrit de toutes ces révélations qui font plus qu'écho en moi. Je me reconnais en chacune d'elle, comme si c'était moi qui pondais ce discours. Un sourire sans joie vient ourler mes lèvres lorsque j'apprends que, comme moi, il s'est fait tatouer très jeune.
— J'ai fait le mien à l'âge de seize ans. Je venais de perdre l'homme le plus important de ma vie. Mon père. Je ne compte plus le nombre de jours que j'ai passé à le pleurer, jusqu'au moment où je n'avais plus de larmes qui me restaient. J'ai décidé de faire ce tatouage d'un œil qui verse une larme pour symboliser le fait que je le pleurerai toute ma vie, même si le prix à payer était que mes yeux soient desséchés.
— Il était malade ?
— N-non. Il a été assassiné, hum.
Je presse fort sur ma fourchette tant ce souvenir est douloureux. Je n'ai pas envie de raconter les circonstances du meurtre. Ce jour maudit hante déjà mes cauchemars, inutile de le ramener en phase d'éveil également. Duncan respecte mon silence et ne pose pas plus de questions, se contentant de me prendre doucement la main, ce qui me fait lâcher le couvert. Les innombrables frissons que ce doux contact produit en moi sont suffisants à me rassurer et à embaumer mon cœur meurtri.
— Je suis désolé, Sylvia.
— Ne t'inquiète pas, ça fait des années. Toujours est-il que depuis cet incident, je me suis sentie dépassée. J'avais l'impression d'être une coquille vide. Sans émotions. Je me suis rabattue sur les sensations fortes pour pouvoir... ressentir quelque chose. N'importe quoi.
— Quel genre de sensations ?
— L'adrénaline, la peur...
— Le danger ?
— Oui. En fait... j'avais besoin de me mettre en danger pour me sentir libre. Pour me sentir...
— Vivante.
Un ange passe.
Je finis par acquiescer silencieusement, sans pour autant couper cet échange visuel qui s'est instauré entre nous. Il me semble déceler dans les prunelles de mon interlocuteur un éclat lumineux qui m'envoûte. La table nous sépare et pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi proche de lui.
Troublée, je coupe court à cette presque-communion de nos âmes et préfère changer de sujet afin de reprendre un semblant de maîtrise sur moi-même, et surtout, sur mes émotions.
— Tu as fini par te venger ou pas ?
— De quoi ?
— De ceux qui ont fait ça à Hernán...
— On fait sa petite curieuse ?
— Je m'intéresse, c'est tout.
— Je me venge toujours, mais je le fais avec classe. Les responsables auront bientôt leur châtiment.
— C'est marrant, je te voyais plus téméraire que ça.
— C'est l'expérience, chérie. L'avenir appartient aux audacieux, mais pas aux impulsifs. Et si on allait sur le toit prendre un peu d'air au calme ?
Je fronce les sourcils, comprenant qu'il s'agit là d'une manière subtile de détourner mon attention. Je lui demande ce qu'il a en tête, mais seul son sourire énigmatique me répond.
En bon gentleman, il règle la totalité de l'addition sans tenir compte de mes protestations. Alors que nous nous dirigeons vers la sortie, sa main capture la mienne et il m'attire vers un escalier tapissé de moquette rouge. Sa paume est chaude. Je l'imagine au contact de mes courbes, frémissantes sous ses caresses.
A mesure que nous grimpons les étages, mon envie de lui devient plus pressante, plus urgente. J'ai besoin de sentir ses lèvres sur les miennes, son souffle contre ma peau. D'intenses palpitations m'envahissent. Et lorsque son regard croise le mien, je chavire dans un océan de luxure. Je suis à point alors qu'il m'a à peine effleurée. Je m'apprête à l'arrêter dans son élan et lui sauter dessus lorsqu'il ouvre une porte par laquelle il m'invite à passer.
L'atmosphère fraîche et humide du soir me frappe de plein fouet, et pourtant une vive chaleur brûle en moi. Duncan referme la porte derrière nous.
— Ça va, docteur ? T'as l'air brûlante.
Son sourire taquin me provoque alors que je le regarde en biais. Avec lui, aucun filtre ne peut faire effet. Il sait ce qu'il déclenche en moi et visiblement, il s'en délecte.
— Tout va très bien, merci.
Il me faut faire appel à toute ma volonté pour éviter de me ventiler en lui répondant. Afin de fuir son regard inquisiteur, je me concentre sur le mouvement lancinant des vagues qui finissent par s'écraser contre les rochers. Mais Duncan n'a pas dit son dernier mot. Comme pour me contredire, ses mains machiavéliques viennent enclaver mes hanches par-dessus le tissu de ma robe. Je m'efforce de ne pas sursauter à ce contact, mais mon tortionnaire ne me laisse aucun répit.
— Allons vérifier ça. Je suis sûr que tu ferais fondre la glace sur ton corps chaud comme la braise.
Il a chuchoté ces mots contre mon oreille, m'occasionnant de vives décharges électriques. De ses lèvres, celles sur lesquelles je ne cesse de fantasmer depuis des jours, il picore ma clavicule de baisers volages.
— C'est un crime de couvrir cette nuque appétissante de bijoux, poursuit-il dans un murmure rauque. Tu es plus magnifique, plus désirable, que n'importe quelle pierre précieuse.
Je n'en peux plus. Duncan prend un malin plaisir à faire monter le mien. Comment demeurer stoïque devant cet homme et tout ce qu'il me fait subir, rien qu'avec son flot verbal ? Et pourtant, mon ego me hurle de ne pas servir de proie facile. Je ne suis sûrement pas la première femme à laquelle il susurre ces éloges sur ce toit.
— Tu sais parler aux femmes Duncan Reed. Combien d'entre elles ont eu droit à ces discours ?
— Tu me croirais si je te dis qu'il n'y a que toi ?
Sa main se faufile vers ma cuisse et joue avec les pans de ma robe. Je sais d'emblée ce qu'il cherche à faire, et je sais également que s'il arrive à ses fins, jamais je ne pourrais m'y opposer. Je stoppe son mouvement en enserrant son poignet. Il n'y oppose aucune résistance, mais je peux sentir ses muscles se crisper dans mon dos.
— Non, je ne te croirai pas.
— Et pourtant, je suis sincère. Comme lorsque je te dis que j'ai envie de faire qu'une bouchée de toi... continuer ce qu'on a commencé dans mon bureau il y a une semaine.
— Duncan...
Il me fait taire définitivement prenant ma bouche en otage.
Ma prise sur lui faiblit à mesure que sa langue danse avec la mienne. Sentant que la pression de ma main sur la sienne s'atténue, il en profite pour s'aventurer vers mon entrejambe. Un gémissement s'écrase contre ses lèvres lorsqu'il frôle la dentelle de ma lingerie. Il s'y attarde un moment, comme pour me donner une chance ultime de le repousser. Il ignore qu'il est déjà trop tard pour moi. Je suis en son pouvoir.
Voyant que je suis consentante, il dégage mon sous-vêtement devenu trop encombrant, et ses doigts s'enfoncent dans le creux chaud et humide de mon intimité.
La sensation est grisante. Je m'abandonne à sa dextre experte. Mes paupières se ferment et ma nuque épouse son épaule carrée.
— C'est ça, chérie. Laisse-toi aller. Personne peut nous voir d'ici.
Sa main libre glisse dans mon décolleté et enveloppe l'un de mes seins pendant qu'il mordille mon épaule. Rien n'est laissé au hasard. Il me fait perdre la tête. Duncan s'occupe de moi de toutes parts. Je soupire de plus en plus fort entre les bras de ce dieu de la sensualité. Ses phalanges se montrent de plus en plus entreprenantes et taquinent mon clitoris, déclenchant une marée de plaisir qui s'empare de tout mon être. Son corps moule le mien pendant qu'il m'emporte de plus en plus haut sur le chemin du plaisir. Je lève le bras pour plonger mes ongles dans sa chevelure, lâchant de plus en plus prise. Il sait ce qu'il fait. Et il le fait à merveille. De violentes secousses s'emparent de ma chair et annihilent mes pensées quand il marque le coup de grâce en mordillant mon épaule.
Au moment culminant de l'orgasme, je hurle son nom qui résonne dans le silence nocturne. Tout Los Angeles est désormais au courant qu'un certain Duncan vient de faire jouir une femme. Mais seule moi sais à quel point cette jouissance était phénoménale. Pour la deuxième fois, cet homme réussi ce qu'aucun autre n'a pu faire avant lui. Pourquoi lui, je n'en sais fichtrement rien. Tout ce que je sais avec certitude, c'est que j'en veux davantage.
Ravi de son effet, il picore ma clavicule de baisers et remonte le long de mon cou.
— Tu es délicieuse, Sylvia. Surtout quand tu prends ton pied.
— A charge de revanche.
— Venge-toi autant que tu veux, docteur. Je t'emmène dans mon loft. Et cette fois, tu passes la nuit.
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