Hugo
Pour la première fois, j'ai pensé qu'écrire au sujet de mes souffrances serait malpoli. Je me suis dit que mettre sur le papier quelque chose qui ne dépendait pas de moi, qui ne me concernait pas, qui m'était encore moins destiné, serait maladroit et irrespectueux. Presque égocentrique.
Mais j'ai réfléchi, et je me suis dit que ta mort devait avoir quelques mots. Alors, sans regarder les répétitions, les fautes, sans essayer de bien dire et de beau dire, je me permets de t'accorder publiquement quelques phrases que tu n'entendras jamais. Puisque tu n'entendras plus jamais.
Tu étais le meilleur ami de mon frère depuis des années. Je me souviens de vos débuts ensemble ; mon frère n'aimait pas tes tendances à la drogue, probablement parce qu'il s'inquiétait pour toi, probablement parce qu'il savait des choses que peu savaient de toi. Je suis au courant de peu de choses, moi aussi : seulement que tu étais son meilleur ami, que vous vous voyiez chaque semaine sans presque aucune exception et que tu t'intéressais à la musique, comme lui.
Il y a eu, je crois, je ne sais plus, -mon grand-frère ne parle pas beaucoup de sa vie- un moment de battement, de un ou deux ans, où tu étais devenu un ami plutôt qu'un meilleur ami pour lui. Comme si votre relation s'était arrêtée. Mais elle a repris depuis très longtemps et, à partir de ce moment, de meilleurs amis à amis, vous êtes devenus frères.
Son meilleur ami autant que son soutien, son chanteur dans le groupe que vous aviez créé, son acolyte, son compagnon de route, de sortie, d'alcool, son oreille, son épaule. Mais je crois que pour les deux derniers, il était plutôt les tiennes. Je crois aussi qu'il savait que tu allais toujours mal, comme au début. Mais qu'il ne pensait pas que tu irais jusqu'à avoir une telle impulsion.
Je ne sais plus : c'était tes parents ? Je me souviens d'une fois, en 2017 ou 2018, tu nous as invités chez toi, mon frère et moi, et comme j'étais mal à l'aise, tu m'as mise à l'aise, tu m'as prise par l'épaule et tu m'as dit "allez, viens ! T'inquiète !", avec ton sourire et ton empathie.
Je me souviens peu de cette soirée mise à part que parler de la richesse de tes parents, que j'ai découvert sur le tas, t'embarrassait beaucoup. Je me souviens avoir vu la maison et m'être exclamée "wow, tes parents sont riches ?" je me souviens que tu m'as répondu sans me regarder "dis pas ça à voix haute s'il te plaît" avec un mystère non résolu à ce jour, pour moi.
Je ne questionnerai pas mon frère là-dessus car je ne sais pas si tu veux qu'on sache la raison de ton mal-être et de ta dépression, ni même s'il y avait une raison à tout ça. Et je crois dur comme fer que ça me regarde très peu. Tu n'as pas laissé de lettre, je respecte ça. Ma curiosité personnelle n'a pas à être satisfaite.
Je te voyais peu. Très peu. Une fois, je t'ai croisé dans la rue, tu m'as appelée deux fois seulement pour me faire un signe que je t'ai rendu.
Je t'ai vu à cette soirée, chez toi. Je t'ai vu aux répétitions auxquelles je me rendais, il y a quelques années, là où mon frère, toi et d'autres de vos amis éphémères jouaient dans une salle insonorisée que vous payiez à l'heure.
La dernière fois que je t'ai vu c'était il y a environ quatre mois ; avec ma mère, nous avons rendu visite à mon frère qui, la hargne de faire quelque chose de sa musique, réussit à jouer dans des bars le soir. Tu étais là pour le filmer, le soutenir. Tu étais le plus bruyant dans les applaudissements, les cris, je crois que c'est ce soir-là qu'avec ma mère, nous avions compris que mon frère, longtemps trahi en amitié, avait enfin trouvé quelqu'un de vrai.
Je n'aurais jamais cru, cette soirée-là, que tu partirais quatre mois plus tard.
Je n'aurais jamais cru que la citation que j'ai toujours trouvée naïve "le sourire qui cache la tristesse, comme un masque" n'avait rien, rien, d'un cliché.
C'est vrai. Tu souriais, tu riais, tes yeux pétillaient. Aucun signe. Aucun moyen de savoir à quoi tu pensais.
Je ne suis pas sûre que tu voulais mourir. Mon frère pense aussi que c'était une impulsion, un trop-plein, un moment où tu aurais eu besoin d'un message. Je sais de lui que tu disais "quand j'ai ces pensées, ça dure à peine quelques minutes et il me suffit de penser à mes proches pour me retenir". Je regrette qu'aucune pensée, ni de ta mère, de ta sœur, de ton père ou de mon frère, il y a trois jours, ne te soit venue à l'esprit. Tout autant que j'espère du fond de mon cœur que tout ça était une décision. Dans ce cas, je la respecte. Tu as le droit de partir si tu ne réussis pas à rester. Si c'était une véritable impulsion, je suis désolée. Désolée que tu n'aies pas pu être sauvé.
Je n'arrête pas de regarder tes photos, sur Instagram, sur ce compte encore ouvert, vivant, qui renferme maintenant des souvenirs figés. Tu auras 21 années pour l'éternité. Ce qui ne me quitte pas est ton sourire. Ton humilité quand je te disais "tu chantes super bien, n'arrête jamais", ta voix d'ange que mon frère rythmait de sa musique et surtout, surtout, très simplement, parce que ça n'a rien de simple : ta gentillesse. Dire de quelqu'un qu'il est "gentil" ne reflète pas forcément le manque d'information qu'on a sur lui mais peut être le résumé de toutes celles que l'on possède à son sujet.
Hugo, je te souhaite bon voyage, et si tu es fatigué de voyager même là-haut, je te souhaite un bon repos. Après toutes ces années où tu t'es battu contre la dépression et les idées noires, ces choses que je savais de loin, qu'on ne m'épiloguait pas, je te souhaite d'être en paix.
La seule chose que je regrette c'est de ne jamais t'avoir pris dans mes bras. Nous n'étions pas proches, mais nous n'étions pas des inconnus. Je le sais depuis que tu nous as quittés et que je n'arrive pas à arrêter de pleurer.
Quand je te rejoindrai, j'espère pouvoir moi aussi t'interpeller pour te faire signe, comme tu as pu le faire avec moi ce jour-là, dans la rue, alors que tu aurais pu m'ignorer.
Je voudrais dire tellement plus. Mais je découvre le deuil avec ta perte, moi qui ai toujours été épargnée de la mort d'un proche jusque-là. Mes émotions sont actuellement intraduisibles. Je les ressens comme des coups de marteau dans le cœur, sans pouvoir les traduire dans les mots. J'apprendrai à le faire pour toi.
Repose en paix.
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