Ma chère petite fille,

Je me demande quel âge tu as pendant que tu lis ces lignes. Si tu es comme moi, tu es adolescente. Je t'écris cette lettre pour répondre à tes nombreuses questions. En ce moment, j'écris depuis la maternité. Quand j'y repense, tu as failli ne jamais exister. Dans cette lettre, je vais tout te dire. Mes secrets, mon parcours, tout. Prépare-toi mon cœur, mon histoire n'est pas joyeuse.

Ma mère, ta grand-maman Annaële, m'a élevée seule. Mon père est parti avant ma naissance avec une femme plus jeune. Je ne l'ai vu qu'une ou deux fois. Je n'ai jamais eu de problèmes. J'ai toujours été irréprochable. La petite fille parfaite. À cette époque, je vivais en Suisse. Au cours de ma dernière année, donc j'avais 15 ans, notre professeure d'anglais est décédée. Elle a été remplacée par un autre prof, plus jeune. Durant le premier mois, tout allait bien. Mais petit à petit, il a commencé à s'intéresser aux filles. Et c'est le 12 octobre que tout a commencé. Ce professeur m'a demandée de rester après les cours. Mais je ne savais pas ce qui allait se passer. Et ça n'a été que la première fois parmi tant d'autres. Je ne vais pas te parler des détails, ça serait trop dur pour toi comme pour moi. Dans le courant du mois de décembre, je suis allée voir l'infirmière. Elle a vaguement parlé de grossesse et ça m'a brouillé la tête. Pour avoir le cœur net, j'ai fait un test de grossesse. Positif. J'en ai fait un deuxième. Positif. J'ai donc fouillé dans le répertoire de ma mère pour trouver le numéro de son médecin. La semaine d'après, j'y suis allée. Il a confirmé ce que les deux tests m'avaient déjà dit. J'étais bel et bien enceinte. Mais il a parlé d'une chose à laquelle je n'avais pas pensé. L'avortement. J'étais encore dans les temps. Il me restait un mois pour prendre ma décision. Qu'est-ce que j'allais faire ? Te garder ou pas ? Si j'allais au bout de ma grossesse, est-ce que j'allais te garder ou te donner à une autre famille ? J'étais perdue. J'aurai voulu pouvoir parler avec ma mère. Mais j'avais trop peur. Je me suis dit que je lui en parlerais quand j'aurai pris ma décision. Je me sentais coupable. Mais coupable de quoi ? D'avoir suivi l'autorité ? Pendant ce mois, j'ai demandé l'avis de mes proches. Sur les mères adolescentes et célibataires. Sur l'avortement. Ils ont tous eu un peu près la même réaction. « 15 ans, c'est trop jeune pour être mère », « L'avortement devrait être interdit, tu couches sans protection, tu assumes ». Je m'affaiblissais. J'étais encore plus perdue qu'avant. Quoi que je fasse, on me jugera. Et j'ai pris le risque, je me suis jetée dans le bain des parents. J'ai décidé de te garder.

Quand j'ai appris que j'attendais une petite fille, je me suis amusée à chercher un prénom. Adriana Mayline Pries. Adriana Soul était ma meilleure amie. Elle m'a soutenue tout le long de ma grossesse. Mais elle est morte d'un cancer. Mayline était une fille de ma classe. Elle était géniale. Elle est morte un an avant ma grossesse d'un accident de voiture. J'ai voulu leur rendre hommage. Elles étaient importantes pour moi et tu l'es encore plus.
Kimportantes, il y en a ; peut-être que tu vas les connaître, seul le destin pourra nous le dire. Je ne vais pas t'en parler dans cette lettre, mais ils ont beaucoup compté pour moi et m'ont aidée quand j'étais au plus bas.

Ce qui nous amène à ta grand-maman. J'en ai déjà parlé au tout début, mais je voudrais revenir dessus. J'ai eu la meilleure mère au monde et si je pouvais faire la moitié pour toi de ce qu'elle a fait pour moi, tu serais l'enfant la plus heureuse du monde. Quand je lui ai avoué ma grossesse et ma décision, elle m'a soutenue de tout son cœur, de toute son âme. Elle m'a accompagnée à tous les rendez-vous, elle m'a aidée à préparer ta chambre. Elle était là pour moi quand tout le monde me tournait le dos. Mais, déjà avant ta venue elle était importante. C'est la meilleure des mamans et j'étais la fille la plus chanceuse du monde. Même mon grand frère qui n'aimait personne l'aime et la respecte. Elle a su en tirer quelque chose. J'espère qu'elle va rester longtemps avec nous, pour toi. Elle est juste, franche, honnête et aimante. Mais tout ça, tu le découvriras bien assez tôt.

Je vais te parler un peu de moi. Peut-être que tu sais déjà ce que je vais te dire. Je vais te parler de mon futur. Je voulais devenir avocate. Je voulais défendre le droit des homosexuels, des femmes et des enfants. Et j'ai appris ma grossesse. En te gardant, j'ai pris la meilleure décision de toute ma vie.

Si je pouvais, j'écrirais pendant des pages et des pages. Mais je préfère vivre avec toi et te raconter de vive voix tous ses souvenirs. Sache que je t'aime. Je t'aimais déjà quand tu étais dans mon ventre. Je t'aime, quand tu étais endormie dans ton berceau. Et je t'aimerai pour l'éternité. Je ne serais peut-être pas la meilleure mère, mais je te jure de t'aimer, de te chérir et de m'occuper de toi pour toujours. Tu es la meilleure chose qui me soit arrivée et je ne regrette pas ma décision. Et concernant ton ''père'', il est en prison. Dès que nous pourrons prendre l'avion, nous irons au Canada, nouveau continent, nouveau pays et nouvelle vie.

Je t'aime ma chérie, aujourd'hui et pour toujours.

Ta maman, Mariana