Les doux coups de midi sonne enfin. Je prends mon sac et sort à toute vitesse de la classe. J'ai tellement faim que je pourrais manger un éléphant. Toute fois, j'attends David qui met dix milles plombes à sortir et qui fait les yeux doux à notre prof de chimie, le seul beaux prof de bahut. 

- Mademoiselle Grey, attendez un instant, je vous prie, m'interpelle Monsieur Gorman dans les couloirs.

Génial ! Manquait plus que le rabat-joie de service demande à me voir tout ça à cause de ce crétin qui fait les yeux doux en lançant des vannes pourries sur le lithium et l'uranium. 

Mon prof de français me fait signe de le suivre dans sa classe, au bout du couloir. Je me retiens  de montrer de la résistance car je sais que je pourrais facilement me faire envoyer en retenue pour une raison x. Ce qui m'amènerais tout droit à des séances de thérapie avec ma mère, et j'en ai très moyennement envie.

Il m'invite à m'asseoir au premier banc, en face de son bureau en chêne. Je reste debout. Le premier rang ne m'a jamais réussi. Pourquoi commencer aujourd'hui ?

- Mademoiselle Grey, si je voulais vous voir c'était pour vous parler au sujet de vos notes au dernier contrôle. Vous avez obtenu un D.

- Sérieux ? 

Il hoche la tête d'un air sévère et déçu. Pour ma part, je suis super contente. Vu que je n'avais pas révisé à cause des répètes et que j'ai bossé tous les soirs au Klei's, je m'attendais à avoir un F. C'est plutôt une bonne nouvelle. Surtout que je hais cette langue du plus profond de mon cœur.

- Molly, il faut que vous vous ressaisissiez. Vous êtes en dernière année, et si vous voulez pouvoir entrer dans une bonne université, il faut obtenir de bonnes notes.

- Mais, j'ai de bonnes notes. J'ai une moyenne de B dans la majorité des cours.

- Mais pas en français. C'est un cours important dans votre cursus et il peut-être très utile de savoir parler une autre langue.

Et blablabla. Il me ressort le même discours que d'habitude. Il me dit de travailler plus dur, de lire en français, d'écouter de la chanson française et de regarder des films. Il me conseille de mettre Rainbow de côté pendant quelques temps, pour que mes notes remontent. Seulement, il n'a pas compris que le groupe n'a strictement rien avoir avec ça. Je n'aime pas son cours, et je ne vois pas son utilité dans mon futur. Je serais une artiste. J'aurais des gens qui se feront un plaisir de traduire du français à ma place. Je n'aurais pas besoin de faire le moindre effort, si ce n'est écouter dans une oreillette ce que la personne devant moi vient de me dire.

- Monsieur, je ne veux rien avoir à faire avec les langues dans ma carrière professionnelle.

 Il soupire et sort un dossier d'un tiroir; le mien. Je fais les yeux ronds devant l'épaisse couche qu'il constitue. Il l'ouvre et je peux voir plein de feuilles. Certaines sont noircies, d'autres sont gribouillées de rouges ou encore surligner de marqueurs. Il en sort une tapée sur ordinateur et la lit à voix haute.

- "Choix de carrière : musicienne".

Il retire ses lunettes et dépose le papier devant lui. 

- Penses-tu vraiment que musicienne est un métier d'avenir ?

Ses sous-entendus m'énerve. A croire que ce ne serait pas assez bien pour lui de vivre de sa passion et d'aimer ce qu'on fait au quotidien. 

- Bien sûr. Vous avez vu la carrière qu'on eut les Beatles, Queen, Elton John ? C'étaient de simples personnes au début et vous voyez la carrière qu'ils ont eu ?

Il ricane comme une hyène, et encore, je préfère la hyène. Il manque presque de s'étouffer avec sa salive. C'est répugnant. 

- C'était un coup de chance, ma p'tite. Tu penses vraiment que, parce que tu joues tout les soirs dans un bar et qu'une dizaine de spectateurs viennent vous applaudir, toi et tes petits copains, vous allez arriver à la hauteur de Freddie Mercury ?

Je regarde dans le vide. J'ai déjà eu le droit à ce discours, plus d'une fois. Mais, il me rappelle bien trop celui de mon père, et ça, ça me fout les jetons. J'ai presque peur de ce qui va suivre. Peur que tout se passe comme il y a trois ans.

Je sors de la pièce et cours me réfugier aux toilettes sans avoir eu le temps d'entendre une seconde de plus sur son avis de mon choix de carrière. Je m'enferme à double tour dans la cabine du fond et je m'assieds sur la cuvette. Je me mets à pleurer comme ça ne m'étais plus arriver depuis des années. 

"Tu ne serais jamais une musicienne. Tu ne seras qu'une incapable de sale petite débauchée comme tu l'as toujours été."

Tu n'es pas là. 

"Tu n'es qu'une idiote, comme ta mère."

Non. Ce n'est pas vrai.

 - Molly ? M'appelle une voix.

Cassiopée est devant la porte. Elle tape doucement sur le bois. Je reconnais ses chaussures à gros lacets dorés que je lui ai offertes pour son anniversaire, l'année dernière. 

- Laisse-moi, la supplié-je.

- Non. Je ne peux pas.

Je cède et ouvre la porte. Je tombe dans ses bras et pleure contre son t-shirt. Il sent son odeur, une touche de jasmin et de chocolat. Elle passe sa main dans mon dos et tente de me réconforter.

- C'est fini, on est là.

Je m'écarte  d'elle et j'essuie mes yeux d'un geste brusque. Je remarque les yeux bruns de David, fixé sur moi et le regard attristé de Mick, le claviste et pianiste de Rainbow.

- Pourquoi vous êtes là ? 

- Parce qu'on est un groupe, et qu'un groupe se soutient, réplique Mick, d'une voix toute calme.

Même si je suis énervée qu'ils me voient tous les trois dans cet état pitoyable, je les prends chacun dans mes bras et les remercie. Sans eux, je ne sais pas ce que je ferais.

Cassie m'ouvre grand les bras et je lui saute au coup. On s'embrasse à pleines bouches et je me sens mieux. Ça ne fait pas des lustres que nous sommes ensembles, mais elle est très importante à mes yeux. Elle n'est pas au courant de ce qui s'est passé avec mon père. Personne ne l'est à l'école, hormis les membres du corps enseignant. Et c'est mieux ainsi.

- Bon, on va manger ? J'ai super faim, se plains David. 

Nous rigolons tous ensembles, et nous sortons bras dessus, bras dessous.