Je ne sais pas par quel miracle mais j'ai réussi à arriver à l'heure à l'école. J'ai carrément eu le temps de rigoler de Sam qui se plaignait que j'allais trop vite et qu'il avait peur alors que je roulais dix miles en dessous de la limite autorisé. Quel chochotte, celui-là !

Je monte jusqu'au deux cent dix-neuf et j'aperçois des élèves qui attendent déjà de rentrer en classe. Comment peut-on être aussi pressé d'aller en français, mon dieu ?

Parmi ces toujours-prêt-à-bosser, je remarque David. David est le guitariste de Rainbow. C'est un peu notre Jimmy Hendrix. C'est de loin une des personnes que je préfère dans ce lycée cramoisi. On s'est rencontré par pure hasard. Je passais dans les couloirs et j'ai entendu la mélodie de Should I stay or Should I go de The Clash. Je suis entré dans la salle de musique et je l'ai vu. Ses mains qui se défoulaient sur les cordes tout en étant doux. Il avait l'air passionné et il était précis dans chacun de ses mouvements. Je lui ai demandé si il voulait jouer dans un groupe et il a accepté.

- Hey  !

- Enh non pas encore toi ! Je sais que tu m'aimes trop mais quand même ! Peste-t-il.

Nous éclatons en fou rire. C'est un jeu qu'on a souvent entre nous. On se cherche et on se lance des piques. Tout les élèves croient qu'on couche ensemble, sauf que c'est faux. Ce ne sera jamais le cas. David est gay, mais personne le sait. Il a trop peur du regard des autres pour assumer ouvertement qui il est. Quand on est ados, c'est pas facile. Les autres se permettent de vous juger parce que vous êtes différents d'eux et du coup, personne n'ose être réellement celui qu'il est. C'est triste. Mais bienvenu dans le monde moderne, les amis.

- Alors, t'as bossé ce coup si, j'espère, plaisanté-je à moitié.

Lors de la dernière répétition, il était à côté de la plaque comme je ne l'avais jamais vu en deux ans. Je me suis énervée et on a dû me tenir en place pour éviter que je n'aie lui foutre une tarte pour sa remarque acerbe. N'allez pas croire que je suis violente, mais disons que j'ai des limites très limitées. D'autant plus quand il s'agit du groupe. Je  rigole pour tout, sauf quand il s'agit de musique.

- Je te le promets, Molly jolie.

Je lui lance un regard noir pendant qu'il continue de se foutre de moi. Je lui fais une pichenette dans les côtes pour me venger. Il hurle de douleur et fait un petit bond dans les airs

- Je pensais que les filles étaient douces

- Je pensais que les mecs étaient virils, répliqué-je.

Molly un, David zéro.

Il passe son bras autour de nos épaules devant les autres qui nous sourirent. J'entends certain dire qu'ils aimeraient avoir une telle relation. Si ils savaient...

Je me mords la lèvre et lui rigole dans mon coup.Je sens son souffle qui me chatouille les cheveux. J'adore ce gars. 

La cloche sonne et les étudiants se dirigent vers leur classe sans ne plus nous prêter attention. Les autres élèves du cours de français s'assoient dans le couloir.

Monsieur Gorman arrive son cartable en cuir noir dans sa main droite, dans l'autre son gobelet de café et sa moustache entretenue avec soin. Le silence s'abat d'un coup. Il peut utiliser le moindre propos que vous dites contre vous. C'est ce qui fait peur. Personne n'a envie que votre prof raconte à vos parents en réunion que vous avez organisé une soirée en douce pendant qu'ils sont partis en voyage d'affaire à l'autre bout du monde.

- Monsieur White, je vous prierais de garder vos gestes d'affection envers votre amie en dehors de l'établissement.

Hé oui ! Y compris les profs sont débiles. Sous prétexte qu'un garçon et une fille passe du temps ensemble et ont des gestes d'affection entre eux, ils sont ensemble. Quels préjugés...

Il enlève son bras et je soupire. Il est pas marrant quand il cède à l'autorité. Je le préfère quand il joue les têtus et qu'il fait mine de ne rien avoir entendu. D'autant plus que ça vaut le coup de voir Monsieur Gorman fou de rage. A chaque fois, on dirait qu'il est à deux doigts de faire une syncope. Je rigole toute seule.

- Laisse-moi deviner...Tu l'imagines énervé ? Devine David.

- C'est dingue que tu me connaisses autant.

- Ouais, je sais. Ça m'effraie parfois...

Je lui donne un coup dans l'épaule, sous les yeux choqués des gosses de riche qui n'ont vu que de la violence à la télé, et je rentre en classe, prête à mourir d'ennui.