Chapitre 2
J'entrais dans le vestiaire et me posais sur le banc. Il fallait que je me calme, que je redevienne humain et non un animal enragé. Pas simple d'ôter cette aura de haine qui me collait à la peau. Je me débarrassais de mes baskets, cherchant un premier soulagement. Je m'exhortais à oublier ma rage et à reprendre pied dans le monde civilisé. J'avais besoin de paliers de décompression.
J'inspirais doucement et longuement avant d'expirer sur le même rythme. Une fois, deux fois, trois fois, j'appliquais la routine que j'avais apprise auprès de mon psy depuis que je vivais en Amérique.
Une fois, deux fois, trois fois, doucement, mais sûrement je refoulais l'acide qui me rongeait. Je continuais mon rituel déroulant la bande qui protégeait mon poing droit. Nouvelle inspiration, expiration et je l'enroulais sur elle-même. Un nouvel ensemble de respirations et je la posais à mes côtés.
Une fois, deux fois, trois fois, puis je recommençais avec celle de gauche. La pression descendait doucement en moi. Un triolet d'inspiration et d'expiration simple et apaisant, je continuais à rejoindre l'humanité qui souvent m'avait fait défaut. J'ôtais mon débardeur, m'essuyais rapidement avec pour ensuite le plier et lui faire rejoindre les bandes de protection sur le bois du banc où j'étais assis. Mes chaussettes et mon short rejoignirent le vêtement plein de sueur.
La tension de mon corps était presque retombée. Je me dirigeais nu vers mon casier pour me saisir de ma serviette et de mon flacon de gel douche. Quelques pas et l'eau coulerait sur moi me ramenant petit à petit vers la surface.
Le ruissellement des gouttes chaudes était bienfaiteur, détendant les muscles échauffés, éliminant toutes traces visibles sur mon corps. Cependant, impossible d'effacer celles qui étaient sur mon âme. J'étais un mec perdu pour beaucoup de gens, même pour les miens. Je l'avais cherché pour certains, abusant de l'argent, du pouvoir, de l'alcool, du sexe, de la drogue et de tous les excès qui m'étaient accessibles. J'avais noyé ma détresse et moi-même de manière incompréhensible dans tout ce que je trouvais.
Je frottais énergiquement mon corps avec le gel douche faisant apparaître une mousse blanche légèrement citronnée. Je déclenchais de nouveau le jet d'eau pour la faire disparaître dans le siphon. Si seulement les souvenirs et le mal-être qui me rongeaient depuis le Solstice d'hiver pouvaient partir aussi facilement vers les égouts.
Mais malgré toute ma bonne volonté, rien ne pourrait jamais effacer ce qu'on m'avait fait. Tout me revenait par flash-backs depuis la mort de Valdez, nuit après nuit mes souvenirs revenaient à la surface. Un homme avait enlevé un gamin de six ans à la sortie de l'école. Ce Lord avait pris l'héritier d'un Magna pour l'offrir à un vampire contre quelques pouvoirs supplémentaires. Je ne saurais jamais lesquels puisqu'il avait emporté son secret dans la tombe. Je n'avais même pas le nom de l'autre bourreau, pas de souvenirs de son visage, de vagues impressions uniquement. Tout semblait flou.
Des yeux rouges ensorcelants, la sensation d'être bloqué dans mon corps me revenait. Je voulais pleurer, mais rien ne sortait, je n'avais plus le contrôle de moi-même, immobilisé, impuissant et effrayé.
Avec terreur, j'avais senti des crocs percer ma peau pour absorber mon sang. Tout ça au nom d'un pacte fou. Puis on m'avait effacé la mémoire et renvoyé chez moi un peu nauséeux, une première fois. Ce manège avait duré un mois, se répétant tous les sept jours. La quatrième fois, une bagarre de Lords avait fini par s'engager pour me sortir de ce cercle infernal !
De façon contradictoire, ces souvenirs étaient devenus plus clairs pour moi que ce que j'avais fait la veille ! C'était ironique. Après les avoir oubliés pendant plus de vingt ans, depuis fin décembre, je commençais à mieux comprendre ce qui m'était arrivé. Ce début de compréhension alimentait ma rage qui ne serait assouvie que par la vengeance.
Aujourd'hui, j'allais accomplir le premier pas vers mon objectif et cette pensée m'apaisait enfin. Je sortis de la douche puis m'essuyais avec application utilisant la serviette que j'avais apportée. Je nouais celle-ci autour de mes hanches et me dirigeais vers mon casier. Il me fallait rentrer dans le costume de l'homme civilisé que je réapprenais à être depuis septembre, celui du travailleur. Chaussettes noires, boxer de la même couleur, un pantalon tout aussi sombre, une chemise blanche à fines rayures grises, une cravate anthracite, puis la veste qui complétait la tenue du parfait homme d'affaires. Voilà j'étais prêt, presque impassible, à affronter le monde ordinaire, mais conscient qu'un volcan couvait en moi, pas très loin de la surface.
Je rangeais mes affaires sales dans mon sac de sport puis sortis rapidement pour me diriger vers l'escalier. Direction, le bureau où je m'oublierais dans les chiffres de la comptabilité, l'audit et la prospective. Je devais faire passer le temps avant la tombée de la nuit et mon rendez-vous avec un Maître de Sang.
Assis à mon bureau, mon impatience grandissait au fur et à mesure que le temps passait. Les heures semblaient interminables. J'avais beau me concentrer sur mon travail, mon esprit se perdait en conjectures. Les chiffres n'avaient plus leur effet apaisant. Rien à faire, je n'arrivais plus à me concentrer. J'essayais de me rappeler tout ce que j'avais appris sur les vampires durant ma jeunesse, mais peu de choses me revenaient en tête. L'image classique des crocs et du regard grenat était un signe de colère ou de soif. On nous avait appris qu'il valait mieux fuir et se dissimuler.
On frappa un coup à la porte, je levais la tête pour apercevoir ma secrétaire. Cette belle jeune femme brune au sourire ravageur adorait jouer les mères poules avec moi. Je regardais l'heure et m'aperçut que j'avais une nouvelle fois sauté l'heure du repas.
— Viktor, vous avez encore oublié de déjeuner, me sermonna-t-elle avec son charmant accent péruvien. Je vous apporte de quoi grignoter, continua-t-elle en me montrant un sac en papier contenant sûrement un sandwich au pastrami et au fromage de l'Italien, situé au bas de la rue, une pomme bien rouge et une bouteille d'eau.
— Désolé, Andrea ! dis-je tout penaud en acceptant son présent.
— Comment faisiez-vous avant moi ? demanda-t-elle d'un ton amusé.
— Je survivais à peine, répliquais-je de la même manière.
Je ne pouvais pas lui avouer que pendant longtemps je n'avais dû la régularité de la prise de mes repas qu'à ma mère, à ses coups de fil et à ses nombreux messages de rappel qu'elle avait programmé dans mon téléphone.
— Bon appétit Vik ! lança-t-elle en sortant de mon bureau.
Ma famille me manquait, les gestes tendres de Mama qui m'exaspéraient tant, l'irrévérence de mon cadet, les taquineries de mes petits frères, tout ce qui prouvait leur attachement pour moi. Ma colère, envahissante et destructrice, m'avait à jamais séparée d'eux. Et le responsable en était un homme à l'ambition dévorante et un monstre assoiffé.
Après avoir terminé ma collation, je me replongeais dans le monde rassurant des chiffres.
Vers seize heures, la lumière extérieure qui baissait me rappela que dans peu de temps je pourrais enfin rencontrer ce vampire. Je posais mon crayon et laissait mon esprit reprendre ses réflexions sur tout ce que je savais concernant les Maîtres de sang. Mes acquis étaient minces, il faut l'avouer, mais nous autres Lords, nous ne nous connaissions pas tout sur tout ! Aucun de nous... Non... Je ne devais plus utiliser ce pluriel. Je ne l'étais plus et je ne le serai jamais plus. Cette simple réflexion fit renaître ma rage qui s'était apaisée. En tant que Peritus, je n'avais plus de place parmi les Lords, dans le Monde de Gaïa, dans ma famille, dans mon pays. J'avais eu une chance de rédemption grâce à Angel et David, mais je me sentais toujours comme un immigrant, pas à ma place. Ma frustration était intacte et je n'arrivais pas à me reconstruire. Pour cela, j'étais intimement persuadé qu'il me fallait comprendre et me venger. J'espérais que celui que j'allais rencontrer me permettrait d'assouvir ma Némésis, mais j'avais des doutes, les Maîtres de Sang étaient si secrets, si obscurs. Lords et Changeants avaient toujours du mal à les accepter, car ils n'étaient pas comme nous, bénis dès la naissance par Gaïa. On devenait vampire. Mais le reste était un mystère, personne ne savait. Les Maîtres de sang gardaient le secret sur leur création. Je ne comprenais même pas qu'on puisse les envier et vouloir être un des leurs. Qu'y avait-il de pire de que de se nourrir du sang des autres ?
La sonnerie du téléphone retentit interrompant mes pensées.
— Monsieur Bazine, votre rendez-vous est là ! m'annonça la voix chaude d'Andrea.
— Faites entrer Monsieur Henri de Marzac, répondis-je.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro