Pendules à l'heure
En descendant les escaliers qui me menaient au métro, mon sens olfactif fut à nouveau sollicité.Une odeur chaude et humide à la fois, jamais nauséabonde comme j'avais déjà pu le constater à Marseille ou à Paris. Ici tout était propre, aucun papier par terre.
Je pris mon ticket et accédai au quai. J'avais mal évalué la situation, la plateforme, bondée de monde réveilla une peur soudaine à laquelle je n'étais pas préparée. Une angoisse enfouie, que j'avais réussi à refouler ressurgit tout à coup. Mon estomac se noua, mon cœur s'emballait, ma gorge se serra et j'eus d'un coup du mal à respirer correctement. Je m'adossai contre le mur carrelé et le longeai jusqu'au banc sur lequel je m'assis. La tête entre les mains j'essayai de relativiser tranquillement.
- Est-ce que ça va ? entendis-je juste à côté de moi.
Je hochai la tête en guise de réponse. Je n'osai regarder la personne qui m'avait adressé la parole, peut être avait-elle vu ma pâleur , ce n'était pas la peine de l'effrayer davantage. Je respirai doucement et mon cœur finit par se calmer. Mes jambes s'arrêtèrent de trembler. Je me sentis mieux.
Je levai enfin la tête sentant un regard insistant posé sur moi. Une femme, un enfant sur les genoux m'observait, inquiète.
- Ça va bien merci, lui dis je en souriant du mieux que je pouvais. C'est la chaleur... Euh... Ça m'arrive souvent, mentis-je.
Elle me regarda d'un air interrogateur visiblement elle ne m'avait pas cru. Il y eut soudain un peu d'agitation sur le quai, le métro arrivait. Je me levai pour tenter d'accéder aux wagons. Les portes s'ouvrirent, des passagers descendirent, les autres attendaient leur tour pour monter. Je fus alors aspirée par le flux de tous ceux qui voulaient prendre place. Bousculée, écrasée de toute part, je subis l'assaut, incapable de lutter. Je me retrouvai donc propulsée à l'intérieur esquichée , comme on dit chez nous, entre deux types en costard cravates, mallettes à la main.
Trois stations et huit orteils écrasés plus tard, je pus enfin m'asseoir. La tension tomba enfin et tous mes muscles se détendirent. Je fermai les yeux et me mis à soupirer, si fort que mon voisin de droite leva les yeux de son journal pour me lancer un regard que j'eus du mal à qualifier. Manifestement je l'avais dérangé, je lui répondis d'un haussement d'épaule en guise d'excuse. Il se replongea aussitôt dans sa lecture. Je jetai un œil autour de moi. Les gens dans le métro m'avaient toujours fascinée, certains perdus dans leurs pensées, d'autres dans leur livre, certains dormaient ou faisaient semblant, d'autres relisaient leur notes sorties de leurs mallettes ou du moins tentaient de le faire croire, sans oublier les scotchés du téléphone.
Le wagon se vida petit à petit. Le terminus était proche, je devais descendre deux stations après Southfields. La fatigue m'avait rattrapée, extenuée, il me tardait d'arriver maintenant. Il était tard et j'espérai trouver un taxi rapidement. Mes jambes ne me portaient plus.
Je sortis tel un zombie, probablement blafarde. Je tenais mes sacs du bout des doigts qui ne pouvaient se crisper davantage.
La station de métro était déserte.
La chance fut de mon côté, un taxi attendait. Je n'hésitai pas, montai. Le chauffeur me fit répéter l'adresse trois fois, soit mon accent accusait le coup de ma fatigue soit il voulait être sur que je savais où j'allais. Ma troisième réponse un peu sèche, eut raison de son insistance, il démarra et me mena à bon port.
La propriété était éclairée. J'espérai seulement qu'il n'y aurait qu'Harold et que je n'aurai pas à me justifier. J'ouvris la porte doucement et la refermai de la même façon mais c'était sans compter l'ouïe fine de ce cher Harold qui apparut devant moi le sourire aux lèvres.
- Bonsoir, Miss Lacoste, avez-vous passé une bonne journée ? me demanda-t-il poliment.
- Oui, très bonne, merci Harold, répondis-je la tête baissée. Je crois que je vais rester dans ma chambre ce soir, je suis exténuée, ajoutai-je.
- Souhaitez-vous que je vous apporte un thé ? me proposa-t-il.
- Oui c'est une excellente idée, merci.
Peut être ne savait-il rien. Peut être que j'allais bien m'en sortir finalement. Je pris les escaliers et montai dans ma chambre. J'allai droit à mon ordinateur pour consulter mes mails que j'avais mis un peu de côté ces deux derniers jours.
Vingt mails en attente. Je supprimai toutes les publicités pour ne garder que les huit me concernant directement. Je répondis à mes parents, deux amies dans l'immédiat. Deux autres messages attirèrent mon attention, l'expéditeur ne me disait rien du tout. Je ne connaissais pas de Jenkins. En ouvrant les fichiers je compris qu'il s'agissait de l'emploi du temps d'Alexander envoyé par la fameuse Joan.
Harold frappa à la porte, il entra et posa son plateau.
- Voila Miss, dit-il.
- Merci Harold.
- Je voulais aussi vous dire que Mr Nolan venait de rentrer et qu'il souhaiterait s'entretenir avec vous une fois que vous aurez fini votre thé, me lança-t-il avant de sortir.
Je descendis donc, Harold m'indiqua qu' Alexander se trouvait dans la salle de cinéma. Perplexe, je le suivis vers cette pièce que je ne connaissais pas. Harold ne m'accompagna pas, il me laissa devant la porte. Je frappai et entrai.
La pièce était plongée dans une semi obscurité bleutée et mes yeux mirent un peu de temps à s'habituer. Face à moi, un immense écran entouré de chaque côté de deux enceintes toutes aussi gigantesques, trônait sur des murs capitonnés. J'imaginai facilement les soirées de visionnage qui devaient se faire ici. Je m'approchai, sans voir Alexander mais soudain je l'entendis.
- Vous avez passé une bonne journée j'espère, lança-t-il sèchement.
Installé dans l'un des fauteuils, il me tournait le dos. Je m'approchai encore un peu, il se tourna vers moi dans l'attente d'une réponse. Malgré la pénombre, je pus voir son regard glacial qui me tétanisa aussitôt.
- Oui. Merci, chuchotai-je.
Je voyais bien que quelque chose n'allait pas.
Il continua de me dévisager avec un tel regard noir que je me surpris à déglutir de crainte. Visiblement il s'attendait à une autre réponse de ma part.
- Et bien tant mieux alors ! lança-t-il en se levant et en se passant la main dans les cheveux.
Instinctivement, je reculai d'un pas.
Les mains sur les hanches il me fixait intensément, le regard toujours aussi froid. Je ne pipai mot.
Il se mit à souffler d'agacement.
- Vous voulez bien me raconter votre journée s'il vous plait. Je vous assure ça m'intéresse, dit-il d'un ton sarcastique.
Je fermai les yeux. Stewart avait tout dit. Je baissai la tête consciente que j'allais sûrement passer un sale quart d'heure.
- Je vous écoute, continua-t-il sur le même ton.
- Je... je suis désolée. Je voulais juste avoir un peu de temps à moi...Je ne voulais pas mettre Stewart dans l'embarras, répondis-je en le suivant du regard pendant qu'il faisait les cents pas au milieu de la pièce.
- Mais enfin qu'est-ce qu'il vous a pris de faire ça ? Vous ne vous rendez pas compte à quel point nous nous sommes tous inquiétés et à quel point cela aurait pu mal tourner pour nous tous.
Je ne comprenais pas bien ce qu'il voulait dire d'autant que je n'avais rien fait de dangereux. Je me confondis en excuses encore une fois ne sachant pas quoi dire de plus.
- Quand je pense à ce matin, chuchota-t-il.
Il secouait la tête de droite à gauche pleins de regrets.
- J'irai présenter mes excuses à Stewart dès demain matin, rajoutai-je mais manifestement cela ne serait pas suffisant .
J'étais à court d'argument. Il s'approcha de la table, s'empara de journaux et me les montra un à un. Je sentis tout son mépris pour ces tabloïds dans lesquels il était pris en photo.
- Regardez ce qu'ils sont capables de dire !! Ils épient mes moindres faits et gestes, les déforment pour vendre leurs torchons, dit-il hors de lui. Je n'ose même pas imaginer ce qu'ils auraient pu écrire s'il vous avez vu sortir comme une furie de ma voiture.
Je restai là, immobile, interdite, tentant de mesurer l'importance de la situation. Il s'approcha de moi, son regard s'adoucit un peu.
- Vous n'avez pas idées de ce que ces gens peuvent nous faire Elizabeth, ajouta-t-il plongeant son regard dans le mien.
- Je suis tellement désolée, avouai-je à demi mot et en baissant la tête.
Il se passa à nouveau la main dans les cheveux, me dévisagea à nouveau et fit encore un pas vers moi.
- Je ne veux pas de scandale inutile ; je n'ai pas besoin de ça, me dit-il doucement. Promettez-moi de ne plus recommencer Elizabeth. Vous devez me le promettre. Je ne veux plus à avoir à m'inquiéter pour vous comme ça, m'implora-t-il.
Je lus le désarroi dans ses yeux . J'osai à peine le regarder.
- Bien sur, lui murmurai-je.
Malgré cette demi promesse, il resta à côté de moi à me scruter pendant quelques secondes qui me parurent interminables. Mes jambes ne me portaient plus, mon cœur s'était emballé d'un coup. Je voulus partir, quitter cette pièce mais mes pieds ne répondaient pas, trop alourdis par mon escapade.
Il se mit à soupirer.
- Bon on se voit demain en fin de matinée comme prévu, me dit-il sans un sourire avant de retourner s'asseoir dans son fauteuil.
- Bien. Dans ce cas... bonne soirée, répondis-je mais n'obtins aucune réponse de sa part. Je sortis calmement. Une fois la porte fermée, je me mis à souffler. Ma gorge se serra.
Ce soir là je ne me connectais pas, je restai dans ma chambre ressassant cette dispute.
J'eus du mal à m'endormir. Le piano au loin m'aida à trouver le sommeil.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro