
Chapitre 48
Ashton
Je jette un dernier coup d'œil à la salle de danse et esquisse un sourire. On a fini de poser les miroirs avec Pitt cette après midi et tout est prêt. Maintenant, je suis comme un gosse. J'ai qu'une hâte : pouvoir lui montrer. Par précaution, je ferme la porte à clé. Manquerait plus qu'elle la voit avant que je décide que ce soit le bon moment. Enfin, si je le trouve, parce que ces derniers temps, elle est beaucoup moins disponible. Aujourd'hui, le prétexte, c'est qu'elle doit trouver la tenue parfaite dans son dressing pour une soirée qui n'a lieu que dans trois semaines. Je comprendrai jamais les nanas.
J'avise l'écran de mon téléphone tout en marchant vers la villa et constate que je suis à la bourre. Mon pote m'a envoyé un message pour me demander de le rejoindre chez lui et je suis curieux de savoir pourquoi. J'ai encore dû laisser Ellyn sous la responsabilité de mon remplaçant et j'ai détesté ça. Aller chez lui me permettra au moins de garder un œil de temps en temps chez elle. J'ai l'impression que ma vie ne tourne plus qu'autour de ça.
Devant la console de l'entrée, j'hésite entre les clés de la bécane ou celles de la Porsche. La douleur qui persiste au niveau de mes côtes me rappelle à la raison et je décide de prendre la voiture. J'aurais bien encore l'occasion de lancer le monstre.
Je glisse ma carcasse derrière le volant en grimaçant, démarre et le portail coulisse dès que j'approche. Première fois depuis que je me suis fait tabasser que je sors d'ici. Il semblerait qu'ils se soient mis d'accord. Selon eux, ça y est, je suis assez rétabli pour bouger. J'ai bien cru que ça n'arriverait jamais.
Je m'engage sur la route, pousse le volume du poste et accélère. C'est comme si j'étais enfin libre. Presque deux semaines enfermé et ça devenait infernal.
Depuis qu'Ellyn s'est confiée sur ce qui s'est réellement passé avec Tyler, je la sens un peu plus légère. Je suis rassuré qu'elle se soit sentie assez en confiance pour m'en parler. Le truc, c'est que je vois bien qu'elle attend. Si on suit la logique, c'est à mon tour de lui avouer quelque chose.
Elle me met aucune pression, mais elle est à l'affût du moindre signe. Quand je me pose à côté d'elle et que j'ouvre la bouche pour parler, elle se fige et n'ose plus bouger. Comme si je pouvais renoncer à le faire. J'ai bien essayé, comme ce matin-là avant que je trace pour aller démonter son ex. Plusieurs fois, je me suis dit : allez, c'est maintenant ou jamais. Autant de fois, j'ai imaginé sa réaction et me suis dégonflé. Je me savais pas aussi lâche. J'ai commis des actes bien pires que ce que j'ai à lui avoué, je devrais pas flipper comme ça. Il va vraiment falloir que je prenne sur moi et dépasse cette peur qu'elle me tourne le dos. Faut dire que j'ai pas été aidé jusque-là. Beaucoup m'ont trahi, mon propre frère compris. Sans parler de ceux qui ne m'ont jamais vraiment donné ma chance.
Mon portable qui vibre me sort de mes pensées. Lorsque je découvre un SMS d'Ellyn qui m'annonce qu'elle a fini plus tôt et sera chez Pitt, elle aussi, je souris comme un idiot. Il me faut pas grand-chose quand ça la concerne pour me filer le smile. À l'inverse, il m'en faut pas beaucoup non plus pour partir en vrille. Je suppose que quand on aime, ça va de pair.
Devant chez mon pote, je ralentis et roule au pas pour remonter l'allée. Personne sous le porche. Tout est calme. Je coupe le contact, sors de ma caisse et sans hésiter cogne contre la porte. Autant la première fois que je suis venu, je savais pas trop comment me comporter, que maintenant je me pointe ici comme si c'était chez moi. La semaine que j'ai passée ici et le fait que la mère de Pitt m'apporte les soins dont j'avais besoin m'ont aidé.
Le battant s'ouvre sur madame Miller qui me sourit dès qu'elle me voit.
— Ashton, bonjour. Ça me fait plaisir de te voir.
Mes lèvres s'étirent en retour et lorsqu'elle approche pour me prendre dans ses bras avec bienveillance, je me fige. J'ai carrément pas l'habitude de ça. Le mieux, c'est de me prévenir avant ce genre d'effusion. Timidement, je lui rends son étreinte, elle m'adresse une petite tape dans le dos et s'écarte pour me scanner de la tête aux pieds.
— Comment tu te sens ?
Je hausse les épaules, déjà tenté de me sortir une clope, mais me ravise. Je voudrais pas lui laisser croire qu'elle me met mal à l'aise ou je sais pas quoi. Elle ne m'a jamais jugé. Dès le premier jour, elle m'a accueilli chez elle comme si j'étais un ami de son fils depuis un bail.
— Ça va, mes côtes me font encore un peu chier mais...
Elle ricane et je réalise que je lui parle comme si j'étais en face de mon pote. Un peu plus et je jurerai que je pique un fard. Elle m'observe les yeux pétillants et secoue la tête.
— T'en fait pas, j'ai l'habitude avec Brad.
J'acquiesce et finalement, me sors une cigarette. Il me faut au moins ça. Surtout que si Brad cause comme il le fait maintenant, j'y suis pas pour rien.
— D'ailleurs, je voudrais te remercier.
Je fronce les sourcils tout en embrasant le tabac. Me dire merci pour quoi au juste ?
— Ça faisait un moment que j'avais pas vu mon fils aussi souriant. Je sais que t'y est pour quelque chose et je...
— Je fais rien de spécial.
— Ho, si, crois-moi, t'en a juste pas conscience. Depuis la mort de son frère, il c'était pour ainsi dire coupé du monde et depuis qu'il te connaît, c'est comme s'il recommençait à vivre.
Ça y est, je sais plus où me foutre. Jamais on m'avait dit que j'étais bon pour quelqu'un ni que je lui avais apporté mon aide.
Comme si elle captait le fil de mes pensées, elle me saisit la main pour la serrer, reconnaissante. Ça me fait bizarre. Je sais pas trop ce qui se passe, mais c'est comme si mon corps et mon cœur se réchauffait tout à coup. C'est quoi encore ce délire ?
Lorsqu'elle me libère, elle désigne l'atelier, là où j'ai réparé la caisse de Pitt.
— Tu les trouveras là-bas.
— Merci.
C'est le seul truc que j'arrive à sortir. C'est minable. Elle a tellement fait pour moi durant les jours où je squattais leur chambre d'amis, que je pourrais faire l'effort de trouver autre chose. Finalement, je m'éloigne en tirant sur ma tige de nicotine.
— Ne leur en veut pas. Je leur ai dit de pas trop en faire, mais ils étaient tous excités.
Je me retourne pour marcher à reculons afin de pouvoir la regarder et fronce les sourcils. De quoi elle parle ?
— Allez, file, rit-elle.
Je me remets en route, mon cerveau turbinant comme un malade pour tenter de comprendre et finis par lâcher l'affaire. De toute façon, avec eux, je dois m'attendre à tout. J'écrase mon mégot dans le pot que mon pote a mis là exprès pour moi, puis pousse la porte de l'atelier.
— Surprise !
Un instant, je bugue. Mes muscles m'envoient carrément chier et je reste comme un con sans bouger. Seul mon regard balaye la pièce. La banderole joyeux anniversaire ne trompe pas. L'immense gâteau sur la petite table non plus. Sous mon crâne, ça tourne à plein régime et je percute. C'est mon anniversaire.
Je tente de remonter dans mes souvenirs pour me rappeler la dernière fois que je l'ai fêté. La seule image qui me revient, c'est celle de la boulangère. J'avais pris l'habitude de passer chercher mon goûter chez elle en sortant de l'école. Un jour, je suis entré dans la boutique en souriant et elle m'avait demandé pourquoi j'étais si joyeux. Comme un secret, je lui avais avoué que c'était mon anniversaire. Je la vois encore disparaître dans la réserve pour en ressortir avec une bougie. Elle l'avait plantée dans un muffin au chocolat, mes préférés, et l'avait allumé en me le tendant. Ce jour-là, juste avant de souffler, j'ai fait un vœu. J'ai souhaité qu'en rentrant à l'appart', mon frère soit là, qu'il n'aurait pas oublié quel jour on était. Qu'il m'annoncerait ensuite qu'il arrêtait ses conneries et qu'on s'en irait loin. En rentrant, il n'était pas là et jamais il ne me l'a souhaité. Plus aucun autre anniversaire n'a été fêté ensuite. À vrai dire, cette femme a été la seule à le faire durant toute ma chienne de vie.
Une sensation étrange m'envahit et ma gorge se noue. Je les observe tour à tour avec leur sourire jusqu'aux oreilles. Madame Miller n'a pas menti, ils sont à fond. Je contiens ce qui tente de me submerger et avance d'un pas. Comment est-ce qu'ils ont su ? Même moi, j'ai oublié cette date depuis des plombes.
En un regard sur Pitt, je comprends. Ses talents de bidouilleur informatiques ont encore frappé. Il a dû bien fouiner. Il a lancé « gangsta paradise » de Coolio et je devine que c'est un clin d'œil qu'il me fait. Je souris.
Ma Diablesse me saute au cou, m'embrasse avec tendresse, puis me glisse à l'oreille un joyeux anniversaire de sa voix qui me fait toujours perdre les pédales. Je lui rends son baiser, tout en évitant de trop analyser la situation ou ce que je ressens.
Ses doigts s'entrelacent aux miens pour me tirer vers la table et Pitt et Mia me souhaite à leur tour un « happy birthday » en chœur.
C'est con, mais j'ai du mal à me plonger dans l'ambiance. Pourtant, je suis là, je discute, ris avec eux, reprends volontiers du gâteau. Le truc, c'est qu'au fond de moi, je ressens comme un vide. Je sais d'où il vient et qui en est à l'origine. Mon frangin. Comme chaque fois que je voyais arriver cette date quand j'étais gamin, j'espère qu'il y pense. J'aimerais qu'il soit là. Comme un écho à ces moments-là, une part de moi espère qu'il va passer la porte.
Du coin de l'œil, je distingue Mia qui approche. Timidement, elle se plante à côté de moi tout en fouillant dans sa poche et me sourit.
— Je te donne ça maintenant. Je suis trop émotive pour le faire devant les autres et je risque de chialer sans raison alors...
Elle sort un petit porte-clé rectangulaire en verre transparent et me le tend. Mal à l'aise parce que j'ai pas l'habitude qu'on m'offre des cadeaux et encore moins en cette occasion, je le saisis. Lorsque je découvre au dos le selfie qu'on avait pris tous les quatre un soir où on faisait les cons, je ricane.
— C'est cul cul, s'excuse-t-elle.
— Tu déconnes ? J'adore !
Elle soupire, soulagée et me colle un bisou sur la joue.
— Merci, c'est chouette, ajouté-je.
Je n'ai pas le temps de rajouter quoi que ce soit que Pitt la tire un peu plus loin pour lui chuchoter quelque chose à l'oreille.
C'est au tour d'Ellyn d'approcher. La démarche féline, elle avance lentement et me sourit, malicieuse. Je sais pas ce qu'elle prépare, mais je kiffe déjà. Je baisse les yeux sur elle, le cœur battant à tout rompre et impatient.
— Ferme les yeux.
Mes iris sondent les siens et je m'exécute. Les paupières fermées, j'attends, tandis qu'elle saisit ma main avec douceur.
— Ne triche pas.
— Promis.
Privé de mon cinquième sens, les autres se décuplent. Ses doigts qui frôlent mon poignet pour enrouler quelque chose autour, éveillent une chaleur dans ma poitrine. Son parfum qui me semble plus fort et envoûtant, me fait presque tourner la tête. La douceur de sa peau me donne une irrésistible envie de la caresser. Perdu dans mon monde, sur mon petit nuage, je la laisse faire et ne me lasse pas de toutes ses sensations.
— Tu peux regarder.
Lentement, pour faire durer encore un peu le plaisir, je rouvre les yeux et baisse le nez là où je l'ai senti agiter ses doigts.
Autour de mon poignet est attaché un bracelet tressé en lanières de cuir et les lettres « E » et « A » en majuscule sont entremêlées. Nos initiales. Mon palpitant fait un bond et lorsque je retrouve son visage, j'ai envie de fondre sur elle pour l'embrasser comme jamais. Elle se mord la lèvre, mon sourire en coin se pointe et elle rougit.
— C'est pas grand chose, mais je me suis dit que...
— C'est parfait.
N'en pouvant plus, je glisse ma paume sur sa nuque et l'attire contre moi pour poser mes lèvres sur les siennes. Elle réagit aussitôt et c'est elle qui se fait plus audacieuse en cherchant ma langue. J'adore ça. Avide de son goût sucré, j'approfondis notre baiser et sa poitrine qui se presse contre mon torse m'arrache un grognement.
À côté, Pitt se racle la gorge exagérément et je souris contre la bouche de ma Diablesse. Elle s'écarte et lorsque je trouve les billes de mon coloc', je devine qu'il prend son pied. Il se venge du coup que je lui ai fait en l'empêchant de passer à l'étape supérieure avec sa copine.
— Si tu permets, c'est mon tour, lance-t-il à Ellyn.
Elle ricane et je peux pas m'empêcher de me marrer moi aussi. Je suis pas patient, mais je crois qu'il l'est encore moins.
— C'est par-là que ça se passe.
Il me désigne du menton la porte qui donne sur le garage attenant à l'atelier et je fronce les sourcils. Quoi, il a reçu les pièces de rechange pour sa caisse et il veut me faire bosser ?
Il pousse le battant, puis se décale pour me laisser passer. La pièce est plongée dans le noir et j'y vois que dalle. Je patiente alors qu'il attend que les filles soient là, elles aussi, puis il allume la lumière.
La première chose qui me saute aux yeux, c'est le gros nœud rouge collé sur le pare-brise de la Dodge. La seconde, c'est la peinture flambant neuve qui la rend encore plus sauvage. Incertain, j'ose un regard sur mon pote qui semble satisfait de ma réaction. Il me balance les clés, que je rattrape et sourit à pleines dents.
— Tu sauras mieux t'en occuper que moi.
Incrédule, je le fixe, tandis que mon esprit me hurle déjà que mon rêve de gosse se réalise.
— Tu déconnes ?
Il secoue la tête, avance vers moi et m'adresse une tape sur l'épaule.
— Plus avec ça, maintenant, je sais à quel point ça compte pour toi.
Mon cœur d'enfant tambourine comme un fou. De la même façon que lorsque j'avais le droit à un tour de manège pour avoir fait ce que mon frère attendait de moi. Seulement, là, c'est différent. J'ai rien fait pour y avoir le droit. Pitt m'offre ça comme ça. Sans raison.
— Je peux pas accepter.
Il soupire et lève les yeux au ciel.
— Fait pas chier et va l'admirer.
Je lui lance un regard reconnaissant et son sourire me prouve qu'il sait que jamais je n'arriverai à le remercier comme j'en aurai envie.
Comme le môme que j'ai été et qui courait vers le manège, je file vers la bagnole, ouvre la portière, puis m'installe sur le siège conducteur. Mes doigts serrent le cuir du volant et j'arrive pas à y croire. Ce bijou est à moi.
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