Chapitre 26 : le piège
Ash est nerveux et préfèrerait descendre voir ce qui se passe. En temps normal, il ferait confiance à Savannah, mais en temps normal, il n'aurait pas un autre clone sous le même toit que lui. En quelque mots, Félix a réussi à mettre en branle toute la machine de l'armée A, et Ash commence à regretter de ne pas tout simplement l'avoir ignoré. Ce sale gosse a un plan, un plan pour les faire tomber ou pour les utiliser et atteindre le sommet de l'armée A, difficile à dire, mais il mijote quelque chose.
A ses côtés, Amélia lui a demandé d'attendre et reste sereine au milieu de l'arène. Foncer est le signe de gens qui ne maitrisent pas la situation, et ce n'est pas le genre de message qu'elle veut renvoyer. Elle tente de convaincre Joyce Jocard d'effectuer une enquête interne pour retrouver un éventuel traître qui informerait les surinspecteurs tout en faisant porter le chapeau à Ash, sans jamais utiliser les mots de "enquête", "traitre" ou "négligence". Elle n'est pas assez haut placée pour formuler des accusations pareilles contre ceux qui gèrent vigoureusement la sécurité du groupe. Par contre, elle sait très bien placer les éléments d'un air anodin et laisser son interlocutrice remplir les blancs elle-même. Jocard est interessée, principalement parce que si c'est avéré, c'est l'occasion de se débarrasser d'un rival qu'elle déteste cordialement. Mais elle a besoin de tangible pour se lancer sans se mettre en difficulté, et c'est justement ce tangible qui lui manque.
D'autre part, elle n'est pas venue seule. Javier Riguès est là aussi, très intéressé par le clone surinspecteur et les informations que renferment son cerveau. Et lui, c'est un gros bonnet, l'un des chefs de faction. S'il veut le clone, il n'a qu'à le demander pour être obéit, même chose pour le casque de lecture qu'il persiste à appeller "l'extracteur de cerveaux". Amélia a beau tenter de calmer ses ardeurs et de lui prouver que Félix est beaucoup trop dangereux pour être admis parmi eux, il ne veut rien entendre.
Dans ce contexte, toute interruption serait la bienvenue, sauf celle qui arrive à présent :
"Un certain Félix veut entrer. Il transporte un prisonnier. Il dit qu'il travaille pour Ash.
— Qu'est-ce qu'il fait là ? murmure férocemment Amélia à Ash.
— Aucune idée, il était en cage avec un baillon !
Amélia reprend la parole :
— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de lui ouvrir. Comme je vous le disais, il est très instable et imprévisible...
— Et surtout, réplique Jocard, vous nous disiez qu'il était attaché sous l'extracteur de cerveau en ce moment même. Qu'est-ce qu'il fait ici ?
Riguès éclate de rire et demande :
— C'est quoi cette histoire de prisonnière ?
Ils entendent une voix au micro, sans doute Félix qui parle à l'agent de sécurité :
— Dites-leur bien que je n'ai pas pu suivre la procédure. C'est une clone.
L'homme répète docilement :
— Il dit que c'est une clone. Elle est encore en armure, mais elle porte des menottes bioniques.
Ils entendent l'autre garde demander à Félix :
— Enlevez-lui l'armure. Elle est désarmée ?
— Oui, mais je ne peux pas enlever l'armure là, les menottes coincent... Et je n'ai aucune envie d'enlever les menottes. Il va nous falloir des gars en plus pour la gérer, je pense. Ou l'endormir. En tous cas, moi c'est bon, j'ai fait ma part, j'ai réussi à attraper un putain de clone ! Après les chefs peuvent en faire ce qu'ils veulent !
Jocard fronce les sourcils, mal à l'aise, tandis que Riguès sourit jusqu'aux oreilles, comme s'il ne pouvait pas croire que c'est Noël avant l'heure. Amélia insiste :
— C'est impossible qu'il soit là et en plus il sort une clone de nulle part ! Lancez l'alerte ! Maintenant !
— Allons, dit Riguès en levant une main autoritaire, ne soyez pas ridicule. Il est au milieu de la Rex Resurget, qu'est-ce que vous voulez qu'il fasse ?
— Avec une clone en armure de guerre ? N'importe quoi !
— Vous paniquez trop vite, Thurnstone. Même si tous les surinspecteurs du monde se donnaient rendez-vous ici, nous sommes intouchables. Si vous ne faites pas confiance au système, on peut se demander si vous avez vraiment votre place parmi nous... Faites-les entrer !
La porte s'ouvre. Félix entre, précédant sa prisonnière, impressionnante dans son armure de guerre criblée de balles. Il leur fait un immense sourire avant de déclamer :
— Mesdames, Messieurs, je vous prie humblement d'excuser cette intrusion. Bien qu'une obéissance et une loyauté sans faille soient mes deux principales qualités, je me suis dit que si je voulais que la suite de ma carrière soit à la hauteur de mes ambitions, il fallait que je prenne un peu les choses en main.
Riguès a un petit sourire amusé. Jocard de son coté est nettement plus agacée, mais sa fureur se centre sur Amélia et Ash.
Le directeur demande :
— Alors comme ça c'est vous le fameux Félix ? On ne m'a même pas dit de quelle équipe vous sortiez ?
— Crimian, clone C de l'équipe 57 des surinspecteurs, monsieur.
— Et elle ?
— Eralise, clone E de la même équipe. Elle venait me sauver. J'en ai profité pour venir vous l'amener. Une occasion de faire une fois pour toutes preuve de ma loyauté et de mon efficacité, histoire qu'on arrête de me mettre un sac sur la tête et de m'enfermer pour un oui ou pour un non. Vous avez des modalités d'admission assez agaçantes, à l'armée A.
— Seulement pour ceux qui ne respectent pas la procédure, réplique Jocard d'un ton sec. Amélia, est-ce que vous pouvez vous expliquer ?
— Allons, la coupe Chat, ne vous en prenez pas à Madame Thurnstone. Elle a agit avec prudence et professionnalisme. Je suis juste bon, et assez chanceux pour avoir eu une opportunité. Je pensais que vous apprécieriez un gars capable de saisir l'occasion, non ? N'est-ce pas, Ash ?
Interpellé, le clone renégat se renfonce dans son siège. S'il doutait auparavant de ce que voulais réellement Chat, ce n'est plus le cas, et il passe au-dessus de toutes les règles de la hiérarchie pour s'adresser directement à Ringuès :
— Monsieur, ne lui répondez pas ! Il va s'en servir contre vous ! Débarrassez-vous tout de suite de...
— La ferme, Ash. Personne n'a besoin de l'avis d'un clone raté qui a laissé entrer une surinspectrice sans même s'en apercevoir. Qu'est-ce que vous pouvez faire pour nous, Crimian ?
— Mentir.
— Quoi, c'est tout ? A notre époque, tout est vérifié et informatisé, on ne peut pas faire deux pas sans être contrôlé et filmé ! Les menteurs ne servent plus à rien.
— Et pourtant, c'est bien ça qui m'a permis de venir jusqu'à vous. Parce que la population est contrôlée, mais à quoi ça servirait de leur mentir à eux ? Ils n'ont pas d'argent. Non, ceux qui sont tranquillement à l'abri des caméras, ceux qui n'ont jamais à prouver leur identité aux contrôles de police, ce sont les puissants. Le point vulnérable de chaque système reste l'humain, et tant que j'ai accès à un humain, j'en fais ce que je veux. Vous voulez faire voter une loi ? Facile. Ou signer un contrat sans qu'il soit lu ? Détourner un héritage ? Détruire un brevet ? Dillapider une ressource ? Je peux le faire aussi. Tout en douceur, toujours. Je sais tourner la tête à ceux que je cible jusqu'à ce qu'ils fassent de leur plein gré ce dont j'ai besoin. Un peu comme Thurnstone, mais en plus efficace.
Thurstone aussi a compris où il voulait en venir et elle précise froidement :
— Je n'ai jamais usé de mon influence pour commettre quoi que ce soit d'illégal.
Riguès s'exclame :
— Oh, vous, arrêtez avec vos airs de sainte nitouche ! A vous entendre, il ne se passe jamais rien, vous vous contentez d'avoir un souhait et tout le monde se précipite pour l'exaucer... Alors que vous avez toute une équipe en sous-sol qui travaille pour vous. Et vous vous êtes fait doubler par ce petit gars tout seul !
— Moi je n'ai pas peur de ce qui est illégal, ajoute Chat. Vous êtes un des chefs de l'armée A, non ? Pas d'un club de bridge pour troisième âge.
— Exactement ! Nous avons besoin d'hommes qui font le travail sans rechigner. Et surtout, Crimian, vous allez devoir nous donner tout ce que vous savez sur les surinspecteurs. Nous avons besoin de vérifier qu'aucune de leurs enquêtes ne puisse remonter jusqu'à nous.
— Ça me semble parfait. Eralise ?
La prisonnière, ignorée jusqu'ici, hoche légèrement la tête, tandis que Chat se retourne vers le petit groupe et conclut doucement :
— A présent je vous prierai de garder vos mains loin de vos communicateurs et autres boutons d'alarme. Vous êtes tous en état d'arrestation.
Eralise éclate les menottes et les met en joue avec son neutraliseur. Riguès esquisse un geste vers la tablette de son fauteuil, la surinspectrice le vise en grondant :
— Non. Vous ne touchez à rien.
— Vous êtes complètement folle ! s'exclame l'homme furieux. Sous quel motif est-ce que vous m'arrêtez ?
Chat demande en apparté :
— Pourquoi tu ne les neutralises pas ?
— Pas de flagrant délit ni de mise en danger, pas le droit.
Chat jure. Ce genre de règle fait pour mettre à l'abri les décideurs l'exaspère de base, mais là, après s'être donné tant de mal pour avoir quelques mots compromettants, ça sabote toute sa mise en scène.
— Vous êtes ridicule, s'exclame Riguès. J'ai votre nom et votre équipe. Je vous préviens qu'il y aura des sanctions dont vous n'êtes pas prête de...
— Vous êtes en état d'arrestation, répète Eralise sans bouger son arme d'un millimètre, pour complicité d'enlèvement, de séquestration, de réunion de malfaiteurs, d'usage d'armes létales envers un représentant des forces de l'ordre, et sans doute pour tentative de vol de souvenirs même si ça n'a pas encore officiellement de nom. Et plus généralement, pour votre rôle dans le regroupement criminel et terroriste connu sous le nom d'armée A.
— Complicité ? Je n'ai aucune idée de ce dont vous me parlez. Si quelqu'un dans cette pièce a participé à ce genre de choses, arrêtez le, mais ça ne me concerne pas. Je suis Javier Riguès, bordel !
— Vous avez avoué vouloir recruter Crimian pour l'armée A et utiliser des informations de police, c'est suffisant.
— Vous m'avez piégé ! Qui vous a autorisé à ce genre de manoeuvre ? Qui est votre supérieur ?
— Le capitaine Altran de l'équipe 57 en prend toute la responsabilité. J'arrête toutes les personnes présentes dans cette pièce et je vous conseille de coopérer à l'enquête. Maintenant, vous voulez attendre gentiment les renforts qui vont vous emmener ou vous préférez résister et m'autoriser à utiliser mon neutraliseur ?"
Vaincu, Riguès baisse enfin les mains.
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