Chapitre 24 : Eralise
Les hommes de mains évitent de croiser le regard de Chat. Le baillon qu'il porte lui bloque la bouche et lui donne l'air ridicule, mais pourtant ils semblent le craindre. Peut-être parce que c'est la première fois qu'ils ont affaire à quelqu'un dont les simples mots sont interdits. Peut-être parce que Chat a sorti ses yeux de tueur, impitoyables et froids, et qu'il examine soigneusement tous ceux qu'il croise comme s'il voulait être certain de pouvoir les reconnaitre dans une foule. Rien, dans son attitude fière, ne peut mettre à l'aise les hommes d'Amélia. Ils ont l'habitude de traiter avec gens riches qui sont terrifiés d'être confrontés à de la violence. Les criminels avertis, ce n'est pas leur section qui s'en occupe.
Son ancien complice, surtout, est très mal à l'aise. Le médecin est le seul, parmis la petite bande qui devait enlever Lynn, à être admis ici. C'est lui qui a recruté Félix, à l'époque. Un gamin qui savait bien jouer son rôle et avait le profil pour attendrir Delran, un arnaqueur de rue à sa connaissance, efficace mais pas dangereux.
Au final, ce gamin leur a fauché leur victime sous le nez, avec leur propre voiture et sa propre arme à l'intérieur, et maintenant il les regarde tous comme s'il était la menace la plus importante de la pièce, alors qu'il est muselé et en cage. Il fixe Yahnn depuis tout à l'heure. Et il a l'air... amusé ? C'est difficile à dire, avec le baillon qui l'empêcher ne serait-ce que d'ébaucher un sourire, mais son regard semble amusé. Ce qui n'est absolument pas une réaction naturelle dans ce genre de situation.
Il finit par ne plus supporter d'ignorer la cage. En l'absence de Ash, c'est Savannah qui a l'autorité sur le sous-sol, aussi c'est à elle qu'il demande de lui ouvrir la cage de Lynn pour récupérer les menottes bioniques et les passer à Félix.
"On n'a pas l'accord de Ash, Yann. Tu sais bien qu'il doit passer au casque de lecture. Si ça foire parce qu'on lui a fait un petit cocktail chimique dans le crâne, Ash va t'arracher les yeux. Déjà que tu as foiré ton coup avec Delran...
— Hé, je suis médecin, je sais très bien ce que je fais ! Ils ont déjà commencé une extraction alors qu'il était complètement dans le coltar. En laissant le réglage au minimum, ça devrait...
— Non.
— Allez, il est en train de mettre tout le monde sur les nerfs...
Savannah lève un sourcil vers Yahnn, parvenant dans ce simple geste à exprimer très clairement qu'elle-même n'est pas gênée par le regard perçant de Félix, et que si on l'écoutait on virerait à coup de pied au cul toutes les petites natures qui osent s'en plaindre. C'est elle qui gère les prisonniers lorsque l'organisation a besoin de les garder sous la main, et en terme de menaces, elle en a vu d'autres.
Yann regarde à nouveau Félix qui suit la conversation et frissonne. Il ne sait pas ce que le gamin a dans la tête, mais ça a sans doute un rapport avec lui et une mare de sang. Ce regard de psychopathe lui vrille les nerfs.
Le jeune homme lui fait un clin d'oeil.
— Pitié, Savannah, laisse-moi au moins lui remettre le sac sur la tête !
— Non. Je n'ouvre pas tant que Ash n'a pas donné le feu vert. Ce sont les ordres.
Un message attire son attention. Elle examine son écran et ajoute :
— Tu as de la chance, on peut commencer l'extraction. C'est toi qui doit lui installer la machine, donc si tu veux lui rajouter un sac par-dessus, ça me va. Mais fait très attention à ne pas le faire s'étouffer.
— Ne t'en fait pas, je sais ce que...
Un bruit se fait entendre. Comme si quelqu'un frappait contre le battant de la porte métallique avec un objet assez lourd pour faire bélier.
— Qu'est-ce que c'est que ce bordel..." marmonne Savannah.
Elle fait passer son écran sur les caméras de surveillance, en vain. Tout reste noir. Immédiatement, elle lance l'alerte auprès de toute l'équipe qui s'arme et se regroupe auprès des portes. Elle n'a pas le temps de prévenir Ash et Mme Thurnstone avant que les battants métalliques n'explosent.
Émergeant des décombres, ce qui ressemble à un soldat d'acier entre en courant sous le déluge de balles, tout en tirant avec un neutraliseur. Tous ceux qui sont touchés s'écroulent, paralysés, et les suivants tentent de redresser les tables pour s'abriter. L'intrus lance un grappin qui attire à lui la première table avant de neutraliser tous ceux qui sont derrière, puis tire juste à temps pour arrêter ceux qui courraient vers l'ascenseur. Savannah se glisse jusqu'à l'armurerie et attrape le plus gros calibre qu'elle a sous la main. Une armure de guerre ! Un cinglé a réussi à mettre la main sur une armure de guerre et vient les attaquer directement dans leur repaire ! Qui ça peut être ?
En tous cas, hors de question de crever ici. La moitié des hommes est déjà hors-service, mais d'autres ont eu le même réflexe que Savannah et se sont regroupés vers l'armurerie, plus ou moins protégés par des boucliers de fortune. Ils commencent à sortir de quoi assembler une barricade. Savannah ne les en empêche pas, même si elle doute que ça fonctionne. Tout ce qu'elle peut tenter, c'est de tirer soigneusement sur le seul point faible de l'armure : sa visière. Ce sera sa seule chance...
Posément, le soldat lève son bras gauche et tire. Ce n'est pas un jet de neutraliseur qui sort, c'est une pique d'acier qui franchit l'espace les séparant tout en s'ouvrant durant le tir. L'arme de Savannah lui saute des mains, et lorsqu'elle la rattrape, elle voit que la pique s'est fichée dans le canon avant de se séparer en centaine d'aiguilles. L'arme est inutilisable. Et surtout, le soldat a bien pire qu'un neutraliseur sur lui.
Sans hésiter, Savannah sort de la barricade improvisée, les mains en l'air, et dit haut et fort : "Je me rends".
Le soldat hoche la tête d'un air entendu et lui fait signe d'approcher. Après quoi elle est neutralisé comme les autres.
Il a fallu environ cinq minutes pour que la force d'assaut composée d'une personne neutralise tous les occupants de la pièce, après quoi le soldat arrive jusqu'aux cages où sont gardés Chat et Lynn. Il arrache le verrou comme si c'était une guimauve, sort Chat de là et lui enlève son baillon très délicatement, tout en disant :
"Mon pauvre, qu'est-ce qu'ils t'ont fait...
La voix est féminine et sonne incroyablement jeune sur ce mastodonte. Même en enlevant toute la masse dûe à l'armure, sa sauveuse fait largement une tête de plus que Chat, et il demande avec hésitation :
— Becia ?
— Hein ? Pas du tout !
Sans hésiter la jeune femme ouvre sa visière, comme si Chat allait la reconnaître. Elle a l'air gentille, pour quelqu'un qui porte une armure de guerre incrustée de balles. Elle s'exclame :
— C'est moi, Eralise ! La Louve ! Oh, je sais que tu ne peux pas me reconnaître, mais je suis tellement contente de te voir ! J'avais tellement peur de ne pas arriver à temps, tu ne peux pas savoir comme j'étais furieuse contre Altran qu'il ne te ramène pas avec nous, et j'étais sûr qu'il allait t'arriver des trucs horribles si je n'étais pas là pour veiller sur toi, et je suis tellement contente que tu ailles bien !
Joignant le geste à la parole, elle serre Chat contre elle. La tête contre son armure, ce n'est pas la position la plus confortable du monde, mais elle veille à ne pas lui faire mal. A croire qu'elle a l'habitude. Chat, de son coté, se demande fugitivement s'il a bien compris cette histoire de lettre comme grade. Si elle c'est une E, alors comment diable a-t-il fait pour être C ? Elle ressemble à une troupe de choc à elle toute seule.
Eralise l'écarte légèrement pour bien le regarder et frotte du pouce les marques laissées par le baillon :
— Becia aurait donné cher pour que je prenne une photo. Je savais bien qu'un jour tu allais assez énerver quelqu'un pour qu'il te baillonne, mais j'ai toujours cru que ce serait elle, en fait. Ou Altran, au pire. Tu vas bien ?
— Ça va. Merci d'être venu me sauver.
— Normal ! Mais tu as encore pris trop de risques ! On est allé interroger ton amie Mia dès qu'on a perdu ta trace, et elle nous a dit... oh, attends, il faut que je libère la dame aussi !
La clone ouvre la cage de Lynn aussi facilement que celle de Chat et la libère de ses liens. Tandis que Lynn reprend peu à peu ses esprits et que Chat empoche les menottes bioniques, la policière se présente rapidement :
— Surinspecteur Eralise, équipe 57 ! Vous allez être prise en charge par nos services et interrogée avant d'être renvoyée chez vous. Tout va bien, madame...
— Toi... gronde sourdement Lynn en regardant Chat, TOI !
Elle se jette sur lui en amorçant le geste de l'étrangler. Eralise l'empêche de passer d'un bras protecteur, tout en commentant :
— Navrée, madame, mais je ne peux pas vous laisser faire ça.
— CE SALOPARD M'A VENDUE ! VENDUE ! IL M'A FAIT CROIRE QU'IL ME RAMENAIT CHEZ MOI ET IL M'A VENDUE !
— Je sais, je sais...
— C'EST UN SALE... UN SALE...
— Mais je suis là maintenant. Vous êtes en sûreté. C'est fini.
Avec l'aisance de l'habitude, Eralise a transformé sa prise sur Lynn en un geste rassurant, et la milliardaire encore sous le choc se met à pleurer. Chat, horriblement mal à l'aise, préfère regarder ailleurs. Il a fait ce qu'il avait à faire, mais il ne s'attend pas vraiment à ce que Lynn comprenne et encore moins qu'elle lui pardonne.
Eralise explique :
— Les renforts sont prévenus, la police va venir arrêter ces hommes, et une ambulance vient vous chercher avec la cellule psychologique d'urgence. Tout ira bien. C'est fini.
— Et Ash ? demande Chat. Il faut lui courir après ! Il est monté par cet ascenseur, avec le traceur tu peux...
— Attends, s'exclame Lynn, qui c'est Ash ? Et depuis quand tu tutoies les surinspecteurs toi ?
— C'est le bras droit de Thurnstone, c'est lui qui a mis au point ton enlèvement ! Eralise, tu as suivi ma piste grâce à la trainée radioactive que j'ai laissé, non ?
— Oui. Mia nous a dit que tu comptais l'utiliser, donc on a pris nos traceurs et on a remonté ta piste.
— J'ai touché l'épaule d'Ash avec la main qui a écrasé la capsule, il doit avoir assez de produit sur lui pour qu'on le retrouve, et normalement il est allé parler à ses supérieurs ! On va pouvoir trouver où ils se cachent ! Alors sort ton capteur et vient !
— Attend, Chat, on ne peut pas...
Sans écouter, le jeune homme court jusqu'à l'ascenceur. Celui-ci est protégé par un système de sécurité qu'il faut activer par reconnaissance rétinienne.
— Allez, Eralise, on peut sûrement le désactiver ! Tu ne peux pas pirater un truc comme ça ?
— Becia le peut. Elle est en train de me hurler dessus, d'ailleurs. Chat, c'est pas légal, ça.
— Comment ça pas légal ? Ils ont enlevé Lynn ! Ils m'ont kidnappé aussi ! Ils ont essayé de lire dans ma tête de force ! Et tout le reste ! C'est une occasion unique !
— Pas légal, c'est un non, Chat. Je regrette.
Chat la regarde, horrifié. Elle est sincère. Elle va vraiment...
Après tout ce qu'il a fait. Tous les risques qu'il a prit, pour lui, pour Lynn. Tout ce dont il a été témoin. Et un règlement stupide les empêche de poursuivre leur proie ?
Pas étonnant qu'il ait fini par tous les planter là.
C'est Lynn qui demande :
— Qu'est-ce qu'il faudrait pour avoir le droit d'y aller ?
— Une menace directe à l'intégrité physique, je pense.
— Alors allez-y. Ils ont... ils m'ont collé une bombe. Dans le corps. Et c'est Ash qui a le code. On n'a pas le temps d'attendre l'ambulance, il faut lui courir après tout de suite.
Eralise regarde Lynn avec un petit sourire approbateur, tandis que Chat lui saute au cou - pour se faire repousser par la femme d'affaire qui ne lui pardonnera pas si facilement. Enfin, la policière reçoit la confirmation dans son communicateur :
— On y va !"
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