Chapitre 14 : Amélia Thurnstone
Il la reconnait instantanément, il a vu de nombreuses photos lors de ses recherches. De son coté, elle le regarde avec curiosité. Pourtant, même si elle ne l'a pas embauché directement, elle devrait savoir à quoi il ressemble, elle a lancé son équipe à ses trousses après tout. Une bonne menteuse.
Et bien, il ne reste plus qu'à voir qui est le meilleur menteur de cette pièce.
Amélia est aussi coincée que lui, aucun des deux ne peut dénoncer l'autre sans se dénoncer lui-même. Elle a pour avantage de mieux connaitre la situation et ses tenants et aboutissants, il a pour avantage d'avoir Lynn. La partie s'annonce serrée.
Klein répond rapidement :
"Pas du tout, Madame Thurnstone. J'étais justement en train de parler de Madame Delran. Vous connaissez peut-être déjà son neveu ?
— Elroy Delran, se présente Félix en serra la main d'Amélia. Je ne crois pas qu'on se soit déjà rencontrés, mais bien sûr ma tante m'a beaucoup parlé de vous.
— Enchantée. Votre visage m'est familier, on s'est sans doute déjà croisés... ou alors c'est juste l'air de famille.
— Peut-être, je crois que vous connaissez mon oncle, n'est-ce pas ? Il a su tirer parti de vos bons conseils, surtout dernièrement.
— Je suis étonnée qu'il vous en ait parlé, je croyais que vos rapports étaient un peu distants ? A l'entendre, il n'a jamais eu de neveu.
— Simple jalousie que je sois dans les petits papiers de sa femme, j'imagine. Lynn sait qu'elle peut compter sur moi quoi qu'il arrive.
— C'est une grande dame et une concurrente impitoyable. Je donnerai cher pour être aussi proche d'elle.
— Vous savez ce qu'on dit : tout un prix, sauf la famille.
Ils se toisent et s'évaluent, tout en échangeant ce qui ressemble moins à des sourires qu'à une façon diplomatiquement correcte de montrer les dents. Leurs messages sont clairs : Amélia est toujours intéressée pour payer la rançon de Lynn, Félix ne l'est pas. Une position bien audacieuse de sa part, dit le rictus supérieur de son interlocutrice. Ce qui est vrai. Même si Félix n'a pas la moindre intention de les laisser avoir Lynn, il pourrait au moins faire semblant de céder le temps de se tirer d'un mauvais pas. Mais fuir n'est pas jouer, et on ne peut pas gagner quand on ne met pas tout sur la table, quitte à donner un grand coup de pied dedans pour faire voler les cartes au moment opportun.
Klein interrompt leur échange en se raclant la gorge :
— Elroy est venu pour chercher sa tante. Il est sans nouvelles et il s'inquiète. Peut-être que vous pourriez... lui donner quelques informations ?
— Oh, moi je ne sais rien, malheureusement. Mais j'ai des connaissances qui pourraient lui en apprendre plus. Même si... je ne sais pas si c'est très raisonnable. Pour votre propre bien, Elroy, vous devriez faire attention à qui vous vous adressez. Je crois que le cas de votre tante touche à des histoires qui vous dépassent complètement.
— J'imagine que c'est de ma faute, c'est moi qui ait voulu m'en mêler, mais aujourd'hui c'est fait, je suis dedans jusqu'au cou. Que ça me dépasse ou pas, je ne peux pas rester inactif.
Nathan intervient maladroitement, mal à l'aise au milieu de toute cette tension :
— Mais vu ce dont on a parlé tout à l'heure, votre tante va bien, non ? Et c'est l'essentiel. Donc, le plus simple ce serait peut-être d'oublier...
— Non, l'interrompt Klein. J'en ai assez de toutes ces cachotteries, alors on va mettre les choses sur la table une bonne fois pour toutes. Et vous deux, vous arrêtez vos menaces voilées et vos phrases à double sens. Il ne me reste que deux jours pour signer avec un investisseur. Si quelqu'un veut l'emporter, il va falloir arrêter de me prendre pour un imbécile, c'est clair ?
— Parfaitement, répond Félix.
— Je suis navrée que vous ayez mal pris mon intervention, ajoute Amélia. J'étais juste un peu surprise de vous voir rencontrer en secret un proche de la femme qui vous a abandonnés au mauvais moment. Si je me souviens bien, c'est vous qui m'avez demandé mon aide, et je vous ait trouvé un nouvel investisseur, largement dans le délai imparti. Il a accepté la clause de non-revente et vos avocats sont en train d'éplucher soigneusement sa proposition et ses antécédents. Je pense avoir largement fait mes preuves, Klein.
— Vous m'avez dit que Lynn Delran était en fuite pour malversation financière.
— Et bien... Ce n'est pas une manière très délicate de l'annoncer à son neveu, et comme je vous le disais, j'ai dû tirer un certains nombres de ficelles pour avoir ces informations, des gens qui n'ont aucune envie qu'on sache qu'ils ont trahi un secret professionnel. J'aurais apprécié que vous gardiez ces faits pour vous, donc. Mais je ne me dédis pas, c'est la stricte vérité.
Elle lance un petit regard narquois à Félix. Bien sûr, il ne peut pas dire qu'il a lui-même kidnappé Lynn. Mais ce n'est pas une raison pour lui laisser la mainmise sur la "vérité" :
— Je suis sûr que si vous l'avez dit à Monsieur Hailcourt, c'est parce que vous le croyez. Mais moi je suis certain que c'est faux. J'ai de très bonnes raisons de penser que vous avez été manipulée pour écarter ma tante de ce deal et pour répandre ces rumeurs sur elle. En fait, j'aimerai beaucoup savoir qui est l'investisseur que vous représentez, parce que je pense que c'est lui qui est derrière tout ça.
Bonne menteuse, mais orgueilleuse : Amélia est piquée au vif lorsqu'il mentionne qu'il pense qu'elle est manipulée, la colère flamboie brièvement dans son regard avant qu'elle ne parvienne à prendre le dessus. Difficile de croire qu'elle n'est qu'une intermédiaire dans cette affaire.
— Cette information est strictement confidentielle. Monsieur Hailcourt, je ne crois pas qu'il soit très sage de vous soucier des élucubrations de ce jeune homme. J'ai l'impression qu'il confond ses certitudes avec les faits. Vous lui avez déjà accordé beaucoup trop d'un temps précieux.
— C'est vrai, dit Klein, vous avez la moindre preuve de ce que vous avancez ? A part des suspicions ?
— Honnêtement, vu que j'ai gagné mon pari haut la main, vous devriez déjà m'avoir dit qui était cet investisseur si providentiel. D'ailleurs, le simple fait que ma tante soit peut-être kidnappée à l'heure qu'il est, ou pire, devrait suffire à ce que toutes les personnes présentes dans cette pièce soit en train de m'aider. Mais soit, je sais que de nos jours, c'est chacun pour soi, alors...
— Des preuves, Monsieur Delran.
Difficile de prouver qu'une malversation financière est commise. Quant à prouver qu'elle n'a pas été commise, ça demande une enquête encore plus importante, fouillant les moindres détails. D'ailleurs, connaissant Lynn, Félix ne pense pas qu'elle soit au-dessus de tout soupçons sur ce plan-là. Elle n'en est pas au stade mafieux de l'enlèvement-meurtre-extorsion de souvenirs, mais il y a peu de chances qu'elle fasse partie des milliardaires remplissant leur déclaration d'impôts avec une honnêteté scrupuleuse - si ça existe ailleurs que dans un discours de politicien. La question n'est donc pas là.
De toutes manière, un bon menteur n'a pas besoin de montrer les faits tant que ses interlocuteurs pensent qu'ils sont là.
— Son argent n'a pas bougé de ses comptes en banque. Elle n'a pris aucune de ses affaires. Bon sang, elle n'a même pas pris une tenue de rechange dans son armoire !
— Elle n'aurait eu aucun mal à en racheter. Quant à l'argent, qui sait quelles sommes elle a mis de coté ?
— Moi je le sais. J'ai accès à tous ses comptes. Y compris certains qu'elle a trouvé plus sûr de mettre sous mon nom, si vous voyez ce que je veux dire. Vous croyez que ce n'est pas la première chose que j'ai regardé ?
Klein doute. Amélia se contente de lever un sourcil, peu convaincue. Il ajoute :
— Je pense que c'est plutôt à vous, Madame Thrustone, de montrer vos preuves. Je ne sais pas ce que vous avez sous le coude, mais je ne crois pas que ce genre de calomnies minables résiste à l'examen plus de cinq minutes.
Le regard assassin est plus long, cette fois. Il n'est toujours pas certain du sort que ses hommes de main réservaient à Lynn, mais pour lui, ce sera certainement une mort douloureuse.
— Ça reste mieux que le vent que je vous entends brasser depuis que je suis entrée ici.
— Ça suffit ! s'exclame Klein.
Une fois sûr d'avoir obtenu leur attention, il tonne :
— Si vous n'avez rien de plus constructif, l'un comme l'autre, je ne vous retiens pas ! J'ai encore beaucoup de travail qui m'attend !
Félix sourit férocement à Amélia :
— C'est bon pour moi. J'ai appris ce que je voulais apprendre. Monsieur Leroy, je sais que c'est un peu cavalier, mais si vous partez, est-ce que vous pouvez me ramener ? Ça m'évitera d'attendre un taxi...
Amélia lui propose d'une voix suave :
— Ne vous en faites pas, je peux vous raccompagner. J'allais partir de toutes façons.
— Merci, mais non merci.
— Allons, je ne suis pas votre ennemie, Monsieur Delran. Je suis sûre que vous êtes tout à fait sincère dans votre inquiétude pour votre précieuse tante. Mais ni moi ni les personnes que je représente n'apprécient beaucoup qu'on les accuse de mensonge. Je suis sûre que si nous prenons le temps d'en discuter en tête à tête, je saurais vous convaincre que nous n'avons rien à voir avec l'abandon de Lynn Delran.
— C'est ça, prenons un rendez-vous et mangeons en ville un de ces quatre. Pour l'instant, j'aimerai partir avec quelqu'un à qui je peux faire confiance pour arriver en un seul morceau, merci beaucoup.
— Je suis vraiment navrée de vous voir partir avec une aussi mauvaise opinion de moi, Monsieur Delran. Soyez-en sûr."
Un dernier sourire trop tendu et ils se séparent, en toute civilité.
Ça ne s'est pas trop mal passé, se dit Félix. Il n'a pas obtenu les noms qu'il cherchait et il n'a même pas tenté sa chance pour le casque, mais au moins il s'est tiré des griffes d'Amélia sans trop de casse, il a semé le doute chez Klein Hailcourt et il est maintenant certain que c'est bien Thurstone qui manipule tout ce beau monde. Du travail rondement mené, vu le peu qu'il avait au départ. Il peut être fier de lui.
Il suit Nathan jusqu'au parking lorsqu'il se sent brutalement traîné en arrière tandis qu'on lui met un sac sur la tête, puis il perd connaissance.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro