Chapitre 12 : repéré
Nathan reste quelques instants abasourdi, et demande :
— Comment ça, disparue ? Elle n'a pas juste annulé le contrat ?
— Qu'est-ce qu'on vous a raconté exactement là-dessus ? Aidez-moi. N'importe quelle information me serait précieuse.
— Je... Mais pourquoi vous n'avez pas prévenu la police ?
— On les a prévenus, mais ils estiment qu'ils ne peuvent rien faire. Sur le papier, ma tante a envoyé des messages à tous ses collaborateurs pour les prévenir qu'elle s'absentait quelques jours. J'imagine que Hailcourt a reçu quelque chose comme ça, non ?
— Elle a carrément rompu les négociations, juste avant qu'on signe... Ça a déclenché une sacré panique de notre coté. Et vous pensez que ces messages sont des faux ?
— J'en suis convaincu ! Je la connais depuis toujours et ce n'est pas du tout dans sa façon d'agir ! Elle m'a beaucoup parlé de Hailcourt, j'étais très intéressé par la technologie que vous avez développé... Elle m'a laissé lire les rapports des experts, et honnêtement, j'ai beaucoup plaidé en votre faveur. Je trouve ce que vous avez fait et ses futures applications absolument prodigieux !
— Merci, mais... je ne vois pas du tout comment je pourrais vous aider.
— Je cherche à qui le crime profite. Ma tante était prête à investir dans Hailcourt avec une clause très restrictive, puis elle disparait à la dernière minute. Donc cette clause doit être très importante. J'ai besoin de savoir pourquoi le dirigeant de Hailcourt y tenait tant, quelle menace l'inquiétait...
— Pourquoi vous ne le lui demandez pas directement ?
— Je ne sais pas comment avoir accès à lui. Si vous pouviez m'aider...
— Je... je ne sais pas, là j'avoue que vous me prenez complètement de court...
Ce qui n'est pas faux. Félix voit Nathan réfléchir, cherchant le piège, les mots derrières les mots. En d'autres circonstances, il aurait veillé à ce que Nathan n'ai pas le temps de reprendre ses esprits, mais il sent que l'autre se méfie viscéralement de tous ceux qui tenteraient de le bousculer ou de jouer sur sa fibre émotionnelle plutôt que rationnelle. Autant le laisser faire l'essentiel du chemin lui-même. Félix dit :
— Bien sûr, je comprends. Mais si je suis venu vous voir vous, c'est aussi pour pouvoir poser des questions à quelqu'un de... neutre, en quelque sorte. Je veux dire, vous n'avez aucun intérêt financier à ce que Hailcourt ait un investisseur plutôt qu'un autre, et vous n'avez pas de pouvoir décisionnaire là-dessus, donc...
— Donc vous vous dites que si quelqu'un a fait un sale coup, il n'est pas passé par moi.
— Voilà. Je sais que c'est cynique, comme point de vue, mais il faut bien regarder les choses en face. Quand quelque chose arrive à une milliardaire, pour trouver la raison, il faut chercher l'argent. Nos vies ne ressemblent pas tant que ça à des feuilletons à l'eau de rose.
— J'imagine...
— Si vous pensez que je vais trop loin, ne répondez pas. Mais j'ai besoin de savoir : pourquoi Hailcourt craignait d'être revendu ?
Silence à nouveau. Nathan pèse soigneusement le pour et le contre avant de répondre :
— Après tout, je n'ai pas de raison de le cacher. Nous ne pouvons pas nous permettre d'être achetés par n'importe qui, parce que nous savons très bien qu'il existe toutes sortes de programmes pirates de lecture cérébrale. Nos casques doivent rester extrêmement protégés pour éviter de mauvaises utilisations. Madame Delran était quelqu'un de fiable et elle a accepté toutes nos requêtes sur les points de sécurité. En ce moment, mon boss est en train de remuer ciel et terre pour trouver un investisseur prêt à offrir autant de garanties. C'est une question éthique et pragmatique : qui voudrait vivre dans un monde où n'importe quel criminel peut récupérer vos informations personnelles directement dans votre cerveau ? Nous devons absolument restreindre nos casques à une utilisation médicale très contrôlée.
— Donc, ça vous semble logique à vous aussi, ceux qui s'en sont pris à ma tante l'ont fait pour devenir investisseurs de Hailcourt à sa place, non ? Pouvez-vous me dire...
— Oh, doucement, doucement, non, je ne peux pas vous dire qui sont les investisseurs potentiels ! D'abord, je ne les connais pas tous, ensuite, ce sont des informations très sensibles et confidentielles, et par-dessus le marché on ne connaît que les représentants de groupes, personne ne sait vraiment qui possède quoi. C'est pour ça qu'un investisseur unique comme votre tante était parfait pour nous.
— D'accord, d'accord. Je ne vais pas vous forcer à faire quelque chose d'illégal, en plus vous ne me connaissez pas, ce serait de la folie. Mais si je vous donne juste un nom, vous pouvez me dire si j'ai bien deviné ?
— Non.
— Amélia Thurstone. D'une manière ou d'une autre, elle a fait parti des négociations, non ?
Nathan ne bronche pas. Ça ne l'empêche pas de réagir, de micro-variations du visage qui prouvent qu'il connaît ce nom. Cette Thurstone a vraiment bien joué, à la fois menace, solution et tiers qui rafle la mise... Si c'est bien ça qui s'est passé. Pour l'instant, ça semble logique, mais le faisceau d'indices menant jusqu'à elle est si ténu qu'il suffirait de cligner des yeux pour ne plus le voir. Peut-être que Félix invente tout ça à partir de rien.
Sans doute pas.
— Très bien, dit Félix en mimant l'abattement, je n'insiste pas là-dessus. Je vais aller lui poser la question moi-même.
Pour la première fois, Nathan parait vraiment inquiet :
— Faites vraiment attention. Si vous commencer à sortir des accusations comme celle-là, elle va vous réduire en miette.
— Qu'est-ce que je peux faire d'autre ? Je ne vais pas abandonner !
— Ecoutez... Je suis sûr que votre tante va bien. Ce n'est pas le moment de vous mettre dans les ennuis en allant fouiner n'importe où...
— On parlait d'éthique tout à l'heure. Si quelqu'un l'a vraiment.... écartée, à cause de Hailcourt, c'est que cette personne a vraiment de mauvaises intentions.
— Klein préfèrera couler la boîte faute d'investisseurs plutôt que d'accepter une proposition qu'il ne peut pas vérifier !
— Mais c'est exactement sur ça qu'ils comptent ! Ils vont vous présenter une jolie marionnette qui a l'air bien sous tous rapports, une seule personne qui avance les fonds, aucun lien de près ou de loin avec de l'argent sale, un sauveur providentiel ! Alors vous allez immédiatement sauter sur l'occasion. C'est normal. C'est pour ça que c'est lui, le bon investisseur, qui est le suspect numéro 1.
Nathan hésite.
— Ecoutez, moi je ne connais rien à tout ça, je ne peux pas...
— Vous êtes un ingénieur. Je suis sûr que vous voyez à quel point c'est logique. Et vous connaissez assez les financiers pour savoir qu'ils ne vont jamais accepter de renoncer à un bon deal juste parce qu'on pense que c'est un piège. Ils font comme si c'était un monde à part, déconnecté des gens, mais c'est faux.
Nathan prend une longue inspiration, puis prend sa décision, et tout en pointant du doigt sur Félix il réplique :
— Ecoutez, je ne vous connais pas et je ne vais certainement pas foutre en l'air un contrat dont nous avons besoin juste parce qu'un gars est venu me raconter qu'il y avait une menace. Mais si vous dites la vérité et que Lynn Delran a disparu, on ne peut pas l'ignorer. Alors vous allez venir avec moi, on va à Hailcourt en parler au boss, et tirer tout ce bazar au clair. Ça vous va ?
— C'est parfait ! On part quand ?
— Tout de suite."
Nathan Leroy est un homme d'action. Ce qui est nécessaire doit être fait, et ce qui doit être fait sera fait immédiatement. Il prévient rapidement sa femme tout en se préparant, qui lui répond d'un ton hésitant :
— Heu.. chéri ? Avant que tu partes, on a quelqu'un qui a des questions à nous poser...
Nathan, surpris, arrive jusqu'à la porte. Félix reste prudemment en retrait. Juste au moment où ça tournait bien... Il entend une voix féminine qui demande d'un ton monocorde :
— C'est juste une enquête de routine. Un voisin a signalé un inconnu dans le quartier. Votre épouse me disait que vous aviez un invité non déclaré ?
— En quelque sorte... C'est à dire que ce n'est pas nous qui avons validé sa demande d'entrée, mais quelqu'un a dû le faire, j'imagine ?
— Mais vous le connaissez ?
— C'est la première fois que je le rencontre, mais c'est lié à mon travail, donc...
— Puis-je le voir ?
Félix ne peut pas bouger, pas maintenant, ça ne servirait à rien de fuir, au contraire, c'est juste des questions de routine, le mieux qu'il ait à faire est de jouer les innocents.
On va lui demander sa carte d'identité. Il en a acheté une fausse au marché noir en cas de besoin, mais ce n'est pas une protection d'une grande qualité, et surtout elle ne correspond pas du tout à l'histoire qu'il a raconté à Nathan. Comment est-ce qu'il peut se tirer de là...
Leroy accepte, évidemment. Il guide la femme jusqu'à l'intérieur de la maison et le lui présente rapidement.
Ce n'est pas un agent de la sécurité, ni une policière. Elle est habillée en civil, avec un sobre badge "surveillance et tranquillité" sur le revers de sa veste noire. Un genre de milice de quartier ? Elle ne se donne pas la peine de se présenter, ni de scanner quoi que ce soit, elle se contente de le scruter minutieusement, de haut en bas puis de bas en haut, avant de grommeler :
— Nom de votre garant ?
Félix donne celui de la vieille dame qui l'a fait entrer. Ils ont accès à toutes les caméras, inutiler de nier.
— Une raison ou une autre pour votre venue ?
— Une seule raison. Le travail. D'ailleurs, je partais.
— Seul ?
— Avec monsieur Leroy.
— Bien. La prochaine fois, remplissez votre demande d'entrée correctement, d'accord ? Ça évitera des déplacements et de la paperasse pour tout le monde. Messieurs, madame, je vous souhaite une bonne soirée."
Après les avoir salués sèchement, la femme s'en va sans chercher plus loin. Parfait. Un énorme coup de chance, même. Une surveillance vite fait et mal faite, pile quand il en avait besoin.
Sauf qu'elle n'avait pas l'air de quelqu'un qui fait son travail vite et mal. Elle avait l'air de quelqu'un aux aguets du moindre détail. La manière dont elle l'a scruté ne collait pas avec cet interrogatoire bâclé.
Quelqu'un l'a repéré, et tient à le lui faire savoir.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro