Pourquoi est-elle là ?
Pourquoi est-elle là ? Comment en sont-ils arrivés là ?
Elle ne sait pas vraiment.
À quel moment les choses ont-elles évolué pour les entraîner vers cette lente descente aux enfers ?
Un concours de circonstances. Un arrêt de maladie. Un hiver froid. Une maison glaciale. Une première facture impossible à régler. Puis une autre. Un appel au secours, qui résout le problème, mais pas la cause.
Et ça recommence, puisque même s'il n'y a aucune dépense superflue, il y a plus d'argent qui sort que d'argent qui entre.
Le retour au travail est dur. L'envie n'est plus là. Le corps, fatigué, a du mal à réagir. Plus d'intérêt à ce qui se passe autour de soi, cela demande trop d'énergie, une énergie qu'elle n'a plus.
Et tout s'enchaîne. Une spirale infernale.
Elle n'a plus la force de réagir. L'odeur de la nourriture est une souffrance. Les nuits sans sommeil s'enchaînent.
Jusqu'à cet après midi...
Où elle fixe depuis un moment le téléphone. Le numéro, elle l'a déjà fait une fois...pour raccrocher immédiatement avant que quelqu'un ne décroche.
Mais là, à l'instant présent, elle ressent le besoin d'aller jusqu'au bout...
Alors, dans un état second, elle compose ce numéro et attend qu'une personne décroche.
Les mots entendus ont provoqué un électrochoc.
Comme si une petite partie d'elle espérait une réaction. Elle n'a même pas écouté la voix, elle s'est excusée, en larmes et elle a raccroché.
Elle venait de comprendre qu'il lui fallait de l'aide. Vite.
Quand son mari est entré dans la pièce, il l'a trouvée, prostrée. Elle a parlé, expliqué.
Puis elle a appelé son médecin traitant. Celui-ci a entendu un besoin impérieux de parler. Ils y sont allés ensemble, son mari et elle, car, dans sa détresse, elle n'avait pas senti la sienne.
Pas la force.
Le médecin a laissé passer le flot de paroles et a mis un mot sur la douleur. Dépression.
Il a immédiatement mis différentes choses en place. Dans un premier temps, soigner avec des anxiolytiques. Soulager cette angoisse. Ce mal-être.
Après, il faudra parler de la cause.
Un profond désarroi. Aucun doute là-dessus. Ils n'avaient pas compris ce qui se passait. Car, d'un naturel joyeux, social, ils n'avaient pas su voir que la situation s'aggravait.
Ils étaient sûr d'eux, persuadés que c'était une mauvaise passe, une de plus.
Sauf que ce n'était pas le cas.
Peut être y avait-il aussi une stupide fierté. Sûrement. Ce n'est pas facile d'admettre pour des parents, que l'on est plus capable de payer les factures. Surtout lorsqu'on s'est efforcé de montrer l'exemple à ses enfants, presque adultes maintenant.
Le médecin les a aiguillés vers une Assistante Sociale, très gentille.
Ils avaient préparé de façon très sérieuse, à sa demande, un récapitulatif de leurs dépenses mensuelles ainsi que les entrées d'argent. Le constat était sans appel. Impossible de rogner sur quoi que ce soit.
Même si l'Assistante Sociale rassure, en précisant qu'ils sont sérieux, qu'ils ne sont pas irresponsables, dans la tête d'Emma, la culpabilité est bien là. Et celle-ci prend toute la place.
Il lui faudra beaucoup de temps avant de réussir à la supprimer...
L'Assistante Sociale, leur propose de se rendre à l'Épicerie Sociale de la ville, afin de retirer un colis d'urgence. Ils acceptent sans un mot, gênés. Car même s'ils savent que cela va les soulager, ils ne peuvent s'empêcher d'avoir honte.
La personne qui les a reçus, a été très aimable, avec un sourire discret. Le colis attendait. Un gros colis lui sembla-t-il. Lourd.
Au retour, à la maison, elle le vida, regardant à peine ce qu'il y avait dedans. Elle l'utiliserait, bien sûr, mais pour l'instant, elle n'arrivait pas à gérer ce qu'il représentait. Et puis, aucun des deux n'avaient vraiment envie d'en parler. Et encore moins avec les enfants.
Et très rapidement, il y eut un droit à l'épicerie sociale de mis en place.
Les anxiolytiques faisaient leur effet. Emma dormait tout le temps.
Les deux enfants, ados, se géraient eux même. Plus tard, ils apprendront que leur fille aînée, dans une situation difficile au lycée, se rendant compte que ses parents n'étaient pas capable de gérer ses soucis, avait été se confier à une association d'aide aux adolescents.
La première fois où ils allèrent à l'épicerie sociale, ils ne connaissaient pas du tout. Ils se retrouvèrent dans une salle d'attente.
Emma, très mal à l'aise, n'arrivait pas à parler avec les quelques personnes présentes.
Une dame, bénévole de la Croix Rouge, leur fit signe de venir.
L'épicerie, constituée d'étagères, de frigos et de quelques congélateurs, ressemblait à une supérette de quartier.
Pas de distribution de colis, ici, lui expliqua la bénévole. Le but étant d'acheter ce dont vous avez besoin. Ou envie.
Emma, elle, avait surtout envie de partir. Car de se retrouver à cet endroit était inacceptable, à cet instant. Alors, elle prenait les articles, machinalement, essentiellement des boîtes de conserve, des pâtes. Il n'y avait pas que cela, loin de là. Mais, songer à cuisiner quand on a du mal à sourire... Cela demande trop d'énergie, là encore.
Ce sentiment s'estompa relativement vite car, avec les anxyolitiques, la dépression perdait du terrain.
Et peut-être aussi, parce qu'il était davantage dans sa nature de se battre.
Et parce qu'à force de le dire, d'avouer, comme une faute, elle a compris que cela n'en était pas une. Mais tout ça prend du temps.
Outre les médicaments et la Croix Rouge, l'assistante sociale a aussi inscrit la famille sur la liste prioritaire pour un logement décent.
Car, quitter cette maison, où tout est froid et humide, c'est aussi guérir.
Cette sensation d'être épaulée est apaisante, mais en même temps, tellement culpabilisante et infantilisante.
Au bout de quelques semaines, ils vont mieux. L'espoir revient peu à peu, les sourires aussi.
A l'épicerie, la honte a presque disparu. Mais c'est encore fragile. Emma est, ou plutôt était, gourmande. Avec le manque d'argent, des coupes franches dans le budget nourriture ont été nécessaire. Le chocolat, les bonbons, pas indispensables...
Et là, elle les voit.
Des petits sachets de nounours en guimauve.
Elle ne les avait pas vus les premières semaines, faisant les courses en mode zombie.
Et la bénévole qui s'occupe d'eux, parce que oui, et ça c'est important, le groupe de bénévoles qui s'occupe de cette épicerie y tient. Un contact doit être établi, un lien pour sortir les bénéficiaires de leur enfermement sur eux-même.
Donc, cette bénévole a repéré ce coup d'oeil presque coupable vers les nounours. Bien sûr. Elle a l'habitude. Alors, elle entraine Emma, lui explique, que se faire plaisir est important.
Elle lui tend un petit sachet.
Ce petit moment de simple gentillesse, de compréhension de sa détresse est, de très loin, plus réconfortant que le colis en lui même.
Petit à petit, Emma reprend conscience d'elle. Sa voix est plus forte, elle a moins honte. Et le fonctionnement de l' épicerie est plus humain. Le bénéficiaire ne s' y sent pas comme un assisté. Il fait des courses, payant au total dix pour cent de la facture.
C'est bon de choisir de prendre des yaourts. Pas de les avoir parce que c'est comme cela. Les bénévoles ne sont pas insistantes, elles sont là pour aider, conseiller.
C'est à peu près à cette période, qu'on leur propose une maison toute neuve dans un lotissement. Un logement social.
Trois chambres, un espace extérieur, petit mais plus facile à entretenir. Disponible dans trois mois.
Cela aide à retrousser les manches. Trier, ranger, jeter. Des tâches quotidiennes qui ne laissent pas le temps de penser. Qui abrutissent de fatigue. Qui creusent l'appétit, car, de plutôt rondelette, Emma est devenue maigre.
Ils vont mieux mais pour le moment, le médecin trouve qu' elle est encore trop fragile psychologiquement pour reprendre le travail. De plus avec la nouvelle maison, ce ne sera pas très pratique.
Un autre souci - qui ne semble pas en être un pour les bénévoles- vu la localisation de la nouvelle maison, ils ne peuvent plus bénéficier de l' épicerie sociale. Ils devront aller dans une des unités locales de la ville d' à côté.
Et cette information la met à mal. Emma vient à peine de s' adapter. Elle n'est pas prête.
Le jour venu, ils y vont, tendus.
Une file de personnes, qui font la queue. Emma est angoissée. Elle a perdu tous ses repères. Trop de monde. Elle ne se sent pas à sa place. Elle a de nouveau honte. Son mari aussi.
Les personnes autour d'elle, elle ne les connaît pas, et préfère se renfermer dans sa bulle. Quand arrive leur tour, très poliment, ils disent bonjour aux deux personnes face à eux. Qui semblent étonnés. Le système ici est différent. Famille de trois adultes. Une somme bi- hebdomadaire à payer, et après un arrêt à chaque secteur. Trois paquets de farines, trois de pâtes et de riz, conserves légumes tout s' entasse dans les sacs sans un mot, sans presque un sourire.
Il faut dire que la queue est longue, et que les bénéficiaires ne sont pas toujours très agréables. Ils exigent. A force de recevoir, ils en veulent plus encore. Emma donnera quelques sourires et parlera au fil des passages.
La fille aînée est venue une fois et n'a pas aimé être là. Il faut dire qu'elle a, durant un stage tout dernièrement, apporté son aide à des bénévoles de la Croix Rouge, et que à vingt ans se retrouver acteur et receveur, ce n'est pas très facile.
Emma, tout comme son mari, ne lui en veulent pas. Et puis, pourquoi porterait-t- elle ce fardeau ?
Emma et son mari ont été bénéficiaires de la Croix Rouge une année. Quand Emma est repartie au travail, et sans qu'on ne lui demande rien, a décidé qu'elle n' avait plus besoin de ce soutien. Malgré tout, quand elle voit une collecte, elle donne toujours quelques petites choses, en n'oubliant jamais que la plupart du temps ce n'est pas la faute des gens.
*********
Ce texte a été écrit il y a presque deux ans. A ce moment-là, il m'était tout à fait impossible de le présenter comme un texte autobiographique. Depuis, j'ai grandi et je l'assume.
Pourquoi ?
Tout simplement car j'ai réalisé que j'ai toujours en moi cette peur de replonger dans cette précarité. Elle est toujours dans un coin de la tête. J'ai l'impression de marcher sur une ligne et qu'il faut un tout petit rien pour basculer de nouveau.
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