Une nouvelle lame
Le soleil avait presque atteint le point culminant de sa course dans le ciel quand les trois enfants arrivèrent devant une maison un peu à l'écart des autres. Finalement, Hitomi s'était occupée de l'entièreté de la maison où Sasuke avait vécu, à l'exception de sa chambre d'enfant. Elle s'était sentie comme une intruse en parcourant méthodiquement les affaires de Mikoto, Fugaku et Itachi. Chez ce dernier, elle avait trouvé un recueil de poèmes visiblement écrits de sa main qu'elle avait dissimulé dans un autre de ses parchemins, un de ceux qui contenaient déjà ses propres affaires et ne serviraient pas à transporter leurs trouvailles.
Elle le lirait, plus tard.
— Chez qui sommes-nous ?
Elle posait toujours la question avant de passer un nouveau seuil, et Sasuke répondait, donnant les noms de ceux qui avaient vécu là, et quelques informations les concernant, comme pour présenter à ses amis les membres de son clan disparu. Naruto, lui, écoutait, le bleu de son regard assombri par une touche de sérieux et de maturité qu'on n'aurait jamais imaginé lui associer spontanément. Heureusement, il parlait toujours de ses découvertes avec excitation, dispersant un peu de légèreté pour qu'elle vienne s'enrouler autour de ses deux amis et alléger un peu le poids qui leur courbait les épaules.
— Shisui Uchiha. Son père est décédé quand il avait quatorze ans et sa mère l'a suivi à peine un an plus tard. Quand il s'est retrouvé seul, il n'a pas supporté de vivre aux côtés de leurs fantômes. Mon père lui a cédé cette maison-ci et, en échange, a transformé celle qu'il quittait en dojo pour les membres de la police. Il était réputé pour son usage au combat du Shunshin. Il parvenait à en faire une arme, comme le Deuxième Hokage avait toujours souhaité le faire.
Les yeux d'Hitomi s'écarquillèrent au fur et à mesure de la présentation que lui faisait Sasuke. Le Shunshin était l'une des techniques qu'elle avait le plus envie d'apprendre. Elle se contenterait, jusqu'à en être capable, de la technique de Substitution, plus contraignante mais apprise à l'Académie. Kurenai avait parlé de les lancer sur les bases de ces techniques pendant les vacances, avant le début de leur sixième année. La petite fille pouvait tout à fait imaginer les usages offensifs que l'on pouvait donner à ces deux techniques. Leurs applications et contraintes étaient différentes, mais avec de l'entraînement...
Elle secoua la tête et classa ces pensées dans la section de sa Bibliothèque dédiée à ses projets. Ils commençaient à sérieusement s'entasser sur les étagères. Elle aurait pu simplement en créer plus, mais pour cette partie de son esprit, un léger désordre lui semblait approprié, en quelque sorte. De retour dans le monde physique, elle fit les honneurs et ouvrit la porte pour les deux garçons.
— Je prends le salon. Naruto, occupe-toi de la cuisine. Hitomi, la chambre et la bibliothèque ?
L'enfant hocha la tête. C'était la répartition la plus classique des tâches, pour eux. Naruto s'occupait aussi des autres pièces, comme les caves et les salles de bains, et Sasuke venait souvent aider sa sœur adoptive pour la fin du nettoyage des bibliothèques. Elle était la moins mal à l'aise des trois quand il s'agissait de pénétrer dans l'intimité – la chambre – et l'âme – la bibliothèques – de personnes qui n'étaient plus là pour accorder une quelconque permission.
Il s'agissait de leur onzième maison et, depuis le temps, Hitomi avait pris certaines habitudes. Par exemple, elle ne prenait pas les vêtements avec elle. Là aussi, elle proposerait plus tard à Sasuke d'en faire don aux nécessiteux du village. Le matériel shinobi, cependant, était systématiquement emporté. Il aurait été particulièrement stupide de laisser dans cet endroit oublié ce qui pourrait leur servir un jour. Les lames avaient besoin d'être nettoyées de leur rouille et aiguisées, les articulations des mécanismes graissés, mais rien qu'un peu d'entretien n'aurait su régler.
Shisui avait été le genre d'homme qui soigne son intérieur. Il avait choisi pour sa chambre des teintes bleu pâle incroyablement douces, qui donnaient à Hitomi l'impression d'être en sécurité à l'intérieur d'une bulle. Pour les meubles, son choix s'était plutôt tourné vers le crème très pâle, même si c'était difficile à dire avec toute la poussière qui recouvrait chaque surface. La petite fille avait veillé à garder un visage absolument impassible quand Sasuke avait mentionné son nom : elle ne l'avait pas connu de son vivant, après tout. Pourtant, elle savait qu'il était le meilleur ami d'Itachi, et qu'il était mort en lui offrant celui de ses yeux qui lui était resté.
Que l'autre œil dormait sagement dans le corps de Danzô Shimura.
Une bouffée de colère lui réchauffa les veines, la douce mélodie de la vengeance lui promettant mille merveilles pour le jour où, enfin, elle agirait. Quelle que soit la chute qui viendrait briser l'engrenage de violence et de manipulation dans lequel le conseiller emportait tout ceux qui l'entouraient, l'enfant y participerait, elle le savait. Elle ferait tout pour que cela soit le cas. Et c'était pour cela qu'elle ne pouvait, sans faire preuve d'hypocrisie, reprocher à Sasuke ce qu'il trouvait d'attirant dans l'idée de se venger. Elle qui ne pouvait pardonner sans mentir un peu à la personne à qui elle accordait cette faveur comprenait comme la rancœur gangrénait l'esprit lentement, jour après jour, jusqu'à atteindre un point-charnière où tout, sinon la vengeance, serait occulté, à moins qu'on ait trouvé comment se sortir des ténèbres. Elle comprenait.
Son regard passa sur les quelques figurines et peintures qui décoraient la chambre de Shisui. Il aimait manifestement les animaux. Certaines des espèces représentées ici n'appartenaient même pas au Pays du Feu. Hitomi reconnut notamment un chameau qui avait sans doute été dessiné à Suna, et une salamandre qu'on ne trouvait qu'au Pays du Fer. Elle ne pouvait même pas déterminer le pays d'origine de certains de ces animaux.
D'un pas résolu, elle se dirigea vers l'une des deux armoires que contenait la chambre. L'autre contenait des vêtements et du matériel pour monter des pièges qu'elle avait inspecté avant de l'empaqueter. Avec une grimace quand elle entendit la porte grincer, la petite fille ouvrit l'armoire. Un tantô trônait fièrement sur le rangement à hauteur de ses yeux. Même sans le dégainer, elle savait qu'il s'agissait d'une œuvre de maître, comme on n'en croisait que dans les maisons des nobles ou chez les shinobi capables d'aller les voler.
Le fourreau était du noir le plus profond qu'elle puisse concevoir, brillant et laqué avec soin. Une cascade de plumes s'enroulait à l'encre écarlate du haut vers le bas, chaque détail d'une précision à couper le souffle. Hitomi se souvenait que, jusqu'à sa mort, Shisui avait détenu le contrat des corbeaux, qui avait ensuite été transmis à Itachi. Lentement, avec révérence, elle ôta l'arme de son présentoir et enroula sa main autour de la garde renforcée de soie tressée, dont la teinte était identique à celle des plumes.
Elle dégaina d'un geste fluide... Trop fluide. Toutes les lames qu'elle avait jusqu'ici tenté de sortir de leurs fourreaux étaient prises par la rouille et le manque d'entretien, si bien qu'il lui avait fallu mettre la main sur les stocks d'huile à lame de chaque maison, en prévision de leur remise en état. Ce n'était pas le cas de celle-ci. Prenant garde à ne pas se blesser, la petite fille approcha le tranchant de ses yeux et l'examina avec minutie. Il était absolument parfait, aiguisé et redoutable comme il avait dû l'être dès le premier jour, sans aucune des marques d'usage que même son sabre à elle exposait. De la garde jusqu'au centre de la lame courait le nom du tantô : Ishi to Senrigan, Volonté et Clairvoyance. On disait des sabres qu'ils portaient le nom des vertus qu'ils transmettaient à leur maître tout au long de leur vie commune.
— Sasuke ?
Le jeune garçon apparut dans l'encadrement de la porte quelques instants après qu'elle l'ait appelé. Il avait été fréquent, dans les maisons précédentes, qu'elle l'appelle pour lui poser une question ou lui demander son avis, il avait fini par s'y habituer. Ses yeux sombres s'écarquillèrent presque comiquement quand il les posa sur le tantô qu'elle tenait en main, la lumière du dehors jetant des éclats froids et paisibles sur la lame ornementée. Le dernier des Uchiha, comme on l'appelait dans le village, n'aurait jamais cru revoir cette arme un jour, lui qui ne l'avait aperçue qu'une seule fois, le jour où Shisui l'avait reçue de la main de son chef de clan.
— Est-ce que tu sais pourquoi cette arme a l'air d'avoir été placée ici hier ?
Sasuke se secoua du choc qu'il venait de ressentir et carra les épaules, avançant d'un pas dans la chambre. Il n'osa pas toucher Ishi to Senrigan, se contentant de le dévorer des yeux.
— C'est une lame de chakra. Cet acier est fait pour résister à tout ce qui pourrait l'affaiblir, y compris le passage du temps et le chakra de son maître. Ce tantô est dans mon clan depuis au moins aussi longtemps que Shingi to Giri.
Shingi to Giri, Loyauté et Honeur, était le sabre de Fugaku Uchiha. Quand il se battait avec lui à la main, nimbé de flammes de chakra, peu de ninjas ennemis avaient pu lui résister. C'était lui, disait-on, qui avait rappelé à son clan la tradition de se battre avec des lames enflammées, et cette tradition avait absolument terrifié l'ennemi durant la dernière grande guerre. Sasuke avait trouvé Shingi to Giri dans le bureau de son père, et avait décidé qu'il porterait désormais ce sabre plutôt que celui qu'il avait acquis quand il avait commencé à s'entraîner avec Hitomi.
— Qu'est-ce que tu veux que j'en fasse ? demanda-t-elle. Tu veux le garder aussi ?
— Tu peux le prendre, répondit-il en haussant les épaules. Si on en trouve un autre, tu pourrais le donner à Naruto et lui apprendre à l'utiliser, ça deviendrait un truc spécial que fait notre équipe.
Les deux enfants échangèrent un regard lourd de sens. Ils savaient déjà dans quelle équipe ils se trouveraient, et ne comprenaient pas comment d'autres, comme Ino, semblaient l'ignorer. C'était plutôt évident, surtout dans son cas. Iruka et Mizuki les faisaient toujours travailler ensemble en priorité, même s'ils s'assuraient qu'ils puissent coopérer avec n'importe quel membre de leur classe. Les deux professeurs savaient parfaitement ce qu'Hitomi avait fait de tous leurs enfants descendus d'un clan et de leur jinchûriki, mais n'avaient pas tenté de l'en empêcher, parce que cela servait leurs objectifs académiques.
— Tu crois qu'ils finiraient par nous appeler l'Équipe Sabre ? Ça sonne plutôt bien. Peut-être quand on sera promus Chûnin...
— Qui sait. Je trouve juste que ça serait bien d'avoir une compétence en commun. On est tous les trois plus ou moins orientés vers le combat en première ligne, mais on n'a pas vraiment quelque chose de spécial, pour lequel les gens se souviendraient de nous en tant qu'équipe.
Sans y réfléchir davantage, Hitomi s'empara du sabre et l'accrocha à sa ceinture, à la place de celui qu'Ensui lui avait offert, et qu'elle rangea dans l'un de ses parchemins. Cette arme lui avait bien servi, mais elle y était tant attachée qu'elle préférait la voir en sécurité sur un présentoir dans sa chambre plutôt que de risquer de la briser à force d'usure.
Les enfants finirent, en début d'après-midi, par trouver une épée pour Naruto, mais elle ne ressemblait à rien de ce qu'ils avaient déjà pu voir et manipuler eux-même : Hitomi, grâce à ses connaissances du monde d'Avant, l'aurait appelée une claymore. Quand on la posait pointe contre terre et garde vers le ciel à côté du jinchûriki, sa longueur totale lui atteignait l'épaule. C'était une lame faite pour les colosses, et ceux munis d'une volonté d'acier. Naruto n'avait rien d'un géant, mais la volonté... Il adopta aussitôt ce sabre si particulier qui aurait sans doute pu faire partie de la collection des Sept Sabres de Kiri, et jura qu'il apprendrait à la manier avant la fin de l'Académie.
Hitomi l'en savait capable.
Sasuke leur raconta, pendant une pause qu'ils prirent sous un soleil timide, que ce sabre titanesque avait appartenu à Takami Uchiha, la mère de Fugaku. Elle avait été la consorte du précédent chef de clan, jusqu'à ce que celui-ci décède durant une mission. Jusqu'à ce que son fils aîné ait l'âge de reprendre les rênes du clan, elle l'avait dirigé d'une main de fer. Mikoto avait parlé à ses fils de cette époque à voix basse, comme si elle craignait d'être entendue par le fantôme de la vieille femme. Hitomi espérait ne jamais avoir ce genre de pouvoir froid et cruel sur les gens.
Enfin, ils trouvèrent ce qui les avait motivés à investir ces terres en premier lieu : la collection de rouleaux de techniques du clan Uchiha. Elle se trouvait en sous-terrain de l'un des dojos au centre du quartier habitable, à côté du poste de police. La première section concernait les techniques élémentaires, et Hitomi emporta tout, sans même prendre la peine de trier. La plupart de ces rouleaux parleraient sans doute de techniques Katon, ce qui serait bien entendu utile à Sasuke, mais elle ne doutait pas d'y trouver d'autres choses.
Ensuite venaient d'autres sections, sur tous les domaines des arts ninjas. Ceux-là, il fallut les parcourir pour décider ou non de les emporter, même s'il fallait avouer que les trois enfants laissèrent très peu d'entre eux derrière eux. Ce savoir était juste bien trop précieux. Cela fendait le cœur d'Hitomi d'imaginer que quelqu'un d'autre puisse mettre la main sur de tels trésors. Ensui, qui lui avait toujours répété à quel point le savoir était important, lui avait confirmé qu'il valait mieux repartir avec trop de rouleaux plutôt que pas assez.
Enfin, dans une cassette de pierre noire qui ne s'ouvrit que lorsque Sasuke la toucha en concentrant son chakra dans ses mains, se trouvaient les rouleaux consacrés au Sharingan. Bien entendu, ils ne constituaient que l'entrée en matière dans ce domaine – Hitomi se souvenait des stèles sacrées sous le temple Naka, et du moyen pour y accéder, mais Sasuke ne maîtrisait pas encore assez sa pupille ne serait-ce que pour l'activer à volonté, sans parler de se mettre à déchiffrer des textes cryptés grâce à elle. Ce genre de connaissances se trouvaient plutôt dans les rouleaux qu'ils venaient d'emporter.
Au coucher du soleil, leurs différents sceaux de stockage remplis à craquer, les trois enfants décidèrent qu'il ne servait à rien de s'attarder dans cet endroit, pour l'un d'entre eux, chargé de souvenirs. Ils reviendraient, dans quelques semaines peut-être, notamment pour s'occuper de tous ces vêtements qui remplissaient les armoires sans jamais servir. De toute façon, ils ne manqueraient à personne, et Sasuke, s'il le cachait bien, était dévoré par le besoin constant de se sentir utile.
Kurenai les accueillit avec sur la table un festin digne de la famille du daimyo. À peine les trois enfants furent-ils rentrés qu'elle les assaillit de questions sur leur expédition. Certaines choses furent confiées sans la moindre hésitation. D'autres furent murmurées du bout des lèvres, le regard fuyant et empli d'une sourde mélancolie. D'autres encores... D'autres encores ne furent pas dites du tout. Une équipe savait garder les secrets de chacun de ses membres après tout.
Le dîner fut calme ; même Naruto se tenait tranquille, comme si la journée passée à fouiller bâtiment après bâtiment avait consommé un peu de sa formidable énergie. Cela ne l'empêcha pas d'échanger quelques commentaires à la limite du courtois avec Sasuke, mais les deux garçons avaient sur le visage un sourire qui poussa Kurenai à laisser passer, et dissuada Hitomi de leur donner des coups de pieds dans les tibias pour leur apprendre à être civils.
Une fois la table débarrassée, les trois enfants se rassemblèrent dans le salon. Comme la veille, Kurenai s'intalla dans le canapé, tandis qu'ils revendiquaient la table basse. Il n'était pas encore temps pour eux de faire le tri dans leurs trouvailles – le volume était honnêtement quelque peu décourageant. N'avaient-ils pas du travail ailleurs ? Dans l'une de ses poches, Hitomi trouva un carnet et un stylo. Elle n'allait jamais très loin sans ces deux accessoires et ne comptait pas s'en séparer, même en mission. Elle n'oubliait rien, mais ce n'était absolument pas le cas de Naruto, et même la mémoire de Sasuke pouvait faillir, parfois. S'ils étaient pris avec une information sensible écrite sur eux, ils pouvaient toujours l'avaler. Bon courage pour déchiffrer quoi que ce soit quand ça ressortirait.
La discussion fut très animée entre les trois élèves pendant toute la soirée. Établir les coûts d'un produit était déjà assez difficile en soi, rajouter le coût de fabrication ainsi qu'une marge pouvait s'avérer un véritable cauchemar, en particulier quand Naruto et Sasuke devaient se battre bec et ongles contre Hitomi pour obtenir d'elle qu'elle ne déprécie pas son travail. La petite fille avait du mal à comprendre pourquoi ses deux amis luttaient tant pour qu'elle gagne plus d'argent, alors que, pour eux, ça ne changerait absolument rien. Elle finit par céder, cela dit. Quelque part, au fond elle, elle avait envie de toutes ces bonnes choses qu'elle pourrait faire et s'offrir grâce à ces revenus.
Quand la nuit vint, Hitomi chercha longtemps le sommeil et rêva, une fois encore.
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