Restés au port
— Je comprends que tu aies envie d'entraîner tes Sharingan, dit Tsunade d'un ton sec, mais tant que je ne connaîtrai pas les conséquences de leurs conditions d'éveil sur le reste de ton organisme, tu feras ce que je te dis !
À moitié cachée derrière un rouleau couvert de l'écriture serrée mais élégante d'Hokage le Quatrième, Hitomi se mordilla la lèvre. Depuis qu'il avait récupéré le plein contrôle de son chakra – non, elle n'était pas du tout jalouse ! – Sai se montrait agité, fébrile. Il ne tenait en place qu'après ses longues discussions en tête à tête avec Katsuo, le fiancé d'Akina. Hitomi se sentait encore un peu sur ses gardes en présence de l'homme, malgré sa gentillesse et sa prévenance. Au moins, Sai semblait trouver une paix qu'elle ne parvenait pas à lui offrir quand il lui parlait, et c'était quelque chose qu'elle devait reconnaître.
— Tsunade-sama a raison, Sai, dit-elle d'une voix douce. Je sais que tu ressens le besoin d'entraîner cette nouvelle capacité, mais tu risques de perdre la vue si tu commets une erreur. D'ailleurs, Tsunade-sama, j'aurai des rouleaux à vous transmettre concernant le Sharingan quand je pourrai à nouveau accéder à mes sceaux de stockage.
— J'espère que tu n'es pas allée chercher ça quand je t'avais donné l'autorisation d'aller fouiller la cache avec Ensui.
Hitomi se raidit, une étincelle de défiance dans le regard.
— Quand ma mère a adopté Sasuke, il nous a emmenés, Naruto et moi, sur les terres de son clan. Il voulait récupérer tout ce qui serait utile pour ne pas avoir à y remettre les pieds.
Une tension subtile alourdissait sa voix. Elle ne voulait pas parler de Sasuke. La blessure était encore trop vive, trop récente – elle se retrouvait à nouveau face au deuil de son frère, le jeune homme qu'elle aimait au point que son absence lui donnait l'impression d'agoniser. Tsunade la regarda dans les yeux pendant une interminable seconde avant de rediriger son attention en direction de Sai.
— Si tu actives ton Sharingan ne serait-ce qu'une fois, je le scellerai jusqu'à ce que tu sois prêt à le faire en tout sécurité. Alors, est-ce que tu vas te conduire comme un adulte ou est-ce que je dois t'anesthésier pour la procédure ?
La menace n'avait vraiment rien d'une plaisanterie ; Sai le sentit aussi clairement qu'Hitomi, cachée derrière son rouleau. Elle se crispa légèrement quand la Hokage tourna son attention vers elle mais se laissa approcher, lâchant son sujet d'étude qui s'échoua sur ses genoux.
— À nous deux, Hitomi-chan. Comment te sens-tu aujourd'hui ?
— Je n'ai plus froid. Les courbatures sont en train de disparaître et mon nez n'est plus bouché.
La médic répondit d'un petit son pensif avant de poser une main contre sa Porte de la Mort, juste à côté de son cœur. Son chakra s'anima, s'éleva dans l'air et traversa sa peau, se frayant un chemin à l'intérieur de ses méridiens. La première fois que Tsunade l'avait examinée de la sorte, Hitomi avait cru brûler de l'intérieur et, dès qu'elle avait remarqué comment la douleur pinçait ses traits, la cheffe de guerre avait interrompu son geste et déclaré qu'elle n'était pas prête à retourner à l'entraînement. Aujourd'hui, elle ne ressentait plus aucune douleur ; au contraire, le Murmure s'agitait en réponse au contact inconnu, sa convoitise brutale à deux doigts d'exiger plus que Tsunade ne voulait lui donner.
— Huit jours, et tu es déjà guérie ? Je pensais que Shizune se montrait optimiste, vu tes réserves, mais elle avait raison. Je sais que Kakashi n'est plus ton sensei mais, comme tu as tendance à toujours trop en faire et qu'Ensui n'est pas toujours suffisant pour te canaliser, il supervisera ton retour à l'entraînement aux côtés de ton père. Ils rentrent bientôt, de toute façon. On trouvera autre chose en attendant.
Un petit sourire naquit sur les lèvres d'Hitomi. Elle admettait sans peine préférer son shishou à n'importe quel instructeur, mais Kakashi venait bon deuxième, même si leurs entraînements n'avaient jamais retrouvé l'aisance d'autrefois, quand Naruto et Sasuke complétaient encore l'équipe. Elle combattit la sourde mélancolie qui l'envahissait, rajustant le dernier haut emprunté à Akina sur ses épaules. Elle avait été la dernière à partir et la première à revenir... Mais ses frères rentreraient-ils un jour à la maison ? Et si cela se produisait, leur famille retrouverait-elle enfin sa dynamique tendre, chaleureuse, apaisée ?
— Avant de rentrer à l'entraînement, il faut régler le cas de Sai, Tsunade-sama. Maintenant que j'ai récupéré mon chakra, je peux m'occuper de briser son sceau, pas vrai ?
— Tant que tu n'abuses pas de ton chakra, oui, tu peux. Tes méridiens sont encore un peu fragilisés. Habillez-vous et suivez-moi, tous les deux. Akina-san a une petite Salle des Sceaux dans sa cave, elle a accepté de m'en donner la clé.
Hitomi et Sai s'exécutèrent, troquant leurs pyjamas contre des tenues d'entraînement qui appartenaient à leurs hôtes. Hitomi aurait pu desceller ses vêtements de rechange, mais elle ne voulait vraiment pas gaspiller son chakra. Quelques années plus tôt, elle aurait sans doute ignoré ce genre de préoccupations, convaincue que ses réserves à elles seules la rendaient invincible. Aujourd'hui... Aujourd'hui, elle savait que des réserves mal utilisées la conduiraient vers sa mort et que rien ne la sauverait si sa propre stupidité la menait jusqu'à un tel précipice.
En quelques minutes, Sai se retrouva allongé nu au centre parfait de la Salle des Sceaux cachée sous la maison d'Akina. Pour quelle raison Shikaku avait-il décidé de faire construire un tel sous-sol ? Akina n'était pas une Maîtresse des Sceaux, même si ses capacités en la matière dépassaient la moyenne. Le regard de Sai trouva le sien et ne le quitta plus. Il n'était plus si inexpressif à présent que Katsuo lui apprenait à identifier et exprimer ses émotions. Elle lisait une légère appréhension dans ses prunelles, qui monta d'un cran quand elle lui fit ouvrir la bouche et toucha le sceau sur sa langue du bout des doigts. Elle savait qu'il luttait contre la nausée, aussi ne prit-elle qu'une seconde pour forcer le sceau à sortir de sa contraction et se déployer.
Elle s'était attendue à voir l'encre s'étendre sur un mètre de diamètre au sol, peut-être deux, mais dut battre en retraite jusqu'à la porte de la Salle pour lui laisser la place de conquérir la pierre jusqu'aux piliers à un demi-mètre des murs, puis le plafond. Comment Danzô avait-il pu créer quelque chose de si grand ? Le souffle coupé, elle fit à nouveau un pas dans l'espace à présent recouvert d'innombrables traits d'encre sous le regard vigilant de Tsunade. Ses paumes frémissaient du défi que représentait ce sceau colossal, ses pupilles s'étaient contractées au milieu de ses prunelles écarlates. Elle était devenue un formidable prédateur dans ce monde d'encre et de chakra, et il était temps qu'elle se mette en chasse.
Il lui fallut des heures pour s'infiltrer dans chacune des faiblesses du sceau, le forcer à reconnaître sa supériorité. Parfois, Tsunade lui donna un précieux conseil, forte de son expérience et de son titre, mais elle se chargea seule de la majorité du travail, Sai restant parfaitement immobile au centre du cercle. Quand, enfin, elle eut fini, elle se rapprocha de lui et lui caressa la joue, un petit sourire tendre aux lèvres. Elle était si fière de lui. Ses yeux sombres ne la lâchèrent pas un instant tandis qu'elle amenait sa main sur ses lèvres entrouvertes. D'une brutale secousse de chakra qui le fit convulser pendant quelques secondes, elle consuma le sceau, le forçant à s'effacer de sa peau, du sol, des piliers, du plafond. Il était libre.
Il se redressa lentement, un air incrédule inscrit sur ses traits d'habitude si inexpressifs. Il se toucha les lèvres du bout des doigts, les yeux écarquillés, mais n'y trouva qu'une vague irritation causée par le processus. Toute trace du chakra de Danzô s'était évaporée, même pour les sens d'Hitomi, si sensibles à cette énergie. Tsunade approcha et la félicita d'un regard, la poussant à se redresser et carrer les épaules. Elle était fière de ce qu'elle avait accompli, fière d'avoir libéré Sai de l'influence viciée du Conseiller.
— Merci, murmura le jeune homme d'une voix rauque.
Elle lui répondit en serrant sa main dans la sienne, ses doigts s'entrelaçant brièvement aux siens. Il aurait encore besoin de toute l'aide que Katsuo pourrait lui donner, mais il irait bien. Il irait bien, désormais.
— Je sais que tu avais prévu de le cacher sous un Sceau de Métamorphose, dit la Hokage en tendant ses vêtements à Sai, mais je ne pense pas que Danzô fasse long feu au village. J'ai reçu un faucon messager de la part de Suna, écrit par Shikaku. Ils ont obtenu la preuve que mon Conseiller – elle cracha le mot avec un mépris venimeux – conspirait contre le village et enlevait des enfants pour les torturer et les soumettre à d'horribles expériences. Danzô mourra, et il mourra bientôt. Jusque-là, Katsuo-kun a accepté de cacher Sai chez lui.
Il ne fallut pas longtemps à Hitomi pour accepter. Un seul regard à Sai lui montra qu'il était trop épuisé pour supporter l'apposition d'un sceau supplémentaire maintenant, et s'il n'en avait pas besoin, elle préférait éviter de le marquer de la sorte. Elle n'était pas Danzô. Chacun de ses sceaux sur autrui tombait sous le coup de la nécessité. Tsunade n'avait pas fini, cependant, et reprit la parole :
— Puisque tout est prêt pour ton retour, il est temps que tu rentres officiellement au village, Hitomi-chan. Soigne ton entrée. Il faut que tout le monde sache, sans le moindre doute, que ta mission s'est mal passée.
La jeune fille acquiesça et se leva, les jambes affaiblies par tout ce temps de repos et d'inaction. Sous le regard indéchiffrable de Tsunade, et celui, un peu peiné, de Sai, elle enfila une ceinture à laquelle elle suspendit son tantô, puis les restes abîmés et sales de son kimono de combat. Elle savait ce qu'elle devait faire et elle avait un plan. Il s'agissait juste d'une forme de théâtre, rien de plus. Elle avait été friande de cette discipline, dans le Monde d'Avant, jusqu'à ce que la maladie la cloue au lit et l'empêche de pratiquer plus longtemps.
Après un dernier baiser sur les lèvres de Sai, elle sortit de chez Akina et se dirigea vers la Porte aux Cerfs. Elle posa une main sur le bois avec révérence, incapable de calmer les battements frénétiques de son cœur. On n'ouvrait cette porte qu'en cas de besoin parce que le mécanisme avait un puissant effet addictif. Elle le savait, le rationnalisait. Cela ne l'empêchait pas de ressentir le tiraillement de ses souvenirs à chaque fois qu'elle passait à proximité. Mais aujourd'hui, juste aujourd'hui, elle recevrait sa dose.
Hitomi frémit de plaisir quand son chakra trouva l'ouverture dans le sceau de la Porte, trouva toutes les énergies déposées là par ses ancêtres et contemporains. Avec un doux, doux sanglot, elle trouva la trace laissée par Ensui lors de son départ pour Suna, à proximité des empreintes de Shikaku et Shikamaru, si proches l'une de l'autre qu'ils avaient dû franchir le seuil côte à côte. Et à peine plus loin, elle repéra avec un petit son étranglé un chakra qu'elle n'avait plus perçu près d'elle depuis l'invasion de Kyûbi mais jamais oubliée : Shikano, son père, l'homme qui s'était sacrifié dans le fol espoir que les vies de son amante et de sa fille soient préservées. Son énergie s'était dissolue au fil des ans, se fondrait bientôt dans celles de leurs ancêtres, mais elle était heureuse d'avoir pu la percevoir une toute dernière fois.
Le panneau pivota sur ses gonds, l'ayant reconnue comme une véritable Nara. Elle essuya ses joues humides du revers de la main tout en franchissant l'étroite ouverture, avant de suivre à vitesse de shinobi le mur du village jusqu'à son entrée principale. Elle aurait dû se préserver, mais la mise en scène voulait qu'elle ait l'air épuisée, au bout du rouleau. Arrivée à une dizaine de mètres de son but, encore cachée par un épais fourré, elle se mit au travail.
Il ne lui fallut que quelques instants pour emmêler sa queue de cheval, la souiller de terre et du sang tiré d'une entaille sur sa main. Elle s'écorcha à plusieurs reprise les genoux contre le sol, taillada une autre blessure qui courait de son épaule droite à son coude et, d'un peu de chakra médical, la referma juste assez pour qu'elle ait l'air de dater d'un ou deux jours. Elle plaça un petit caillou dans sa botte droite pour simuler de manière plausible une légère claudication et, le cœur au bord des lèvres, sortit de sa poche le bandeau frontal de Sai. Il avait déjà été abîmé et souillé de sang durant leur combat contre Sasori, une éternité plus tôt. Elle le serra dans ses mains, tordant le tissu comme une kunoichi qui venait de voir mourir son camarade et, la mise en scène prête à faire effet, se mit à boiter vers l'entrée du village.
Izumo et Kotetsu retinrent leur souffle en la voyant entrer. Elle remplit rapidement les papiers nécessaires, lourdement appuyée contre le comptoir de leur cabanon. Quand elle s'éloigna, elle laissa une tache de sang là où elle avait posé sa main. Elle regardait devant elle, les yeux vides, comme si elle venait de traverser l'enfer. Les civils s'écartaient de son chemin en chuchotant, les shinobi s'arrêtaient pour la dévisager. Ils savaient tous ce que signifiait le bandeau frontal dans sa main, dont l'extrémité traînait sur le sol. Ils savaient, et certains avaient été à sa place, un jour.
Elle clopina jusqu'à la Tour, devant laquelle Akina, rentrée un peu plus tôt que le reste de son équipe, l'attendait. Quand la cheffe de département avança d'un pas en sa direction, elle baissa les yeux et secoua la tête, au bord des larmes. Ce n'était pas entièrement feint : elle se concentrait sur sa dernière rencontre avec Sasuke, sur le déchirement de ne pas l'avoir vu partir, et cela suffisait à la mettre dans un état cohérent avec celui d'une kunoichi qui aurait vu son camarade mourir sous ses yeux en mission. Akina s'approcha d'elle, posa une main sur son épaule et l'attira dans ses bras, une main frictionnant son dos. Elle laissa de légers tremblements parcourir son corps, comme si elle pleurait.
Akina était dans la confidence, bien entendu, et savait à quoi s'attendre. Grâce à cela, elle joua son rôle à la perfection, guidant Hitomi jusqu'à l'intérieur de la Tour en lui murmurant des paroles douces et réconfortantes. Ces paroles étaient chargées de sincérité, comme si la jeune femme soupçonnait que sa subordonnée ne feignait pas totalement. Tout le monde avait entendu parler de la désertion de Sasuke, de la blessure miraculeusement non-mortelle qu'Hitomi avait récoltée en tentant de l'arrêter – mais seules cinq personnes au monde connaissaient la vérité derrière ce tragique évènement. Hitomi, Sasuke, Ensui, Itachi et Tsunade. Les autres pensaient qu'elle avait le cœur brisé par la trahison de son frère.
Tsunade les attendait dans son bureau, le visage fermé. Un membre de l'ANBU l'avait sans doute prévenue de l'arrivée d'Hitomi, seule, alors que deux ninjas avaient été envoyés sur cette mission. La jeune fille nota la présence de deux membres des Services Secrets, dissimulés chacun dans une alcôve, et joua son rôle à la perfection. Elle raconta la mission à sa cheffe de guerre d'une voix serrée qui s'étrangla quand, selon ses dires, Sai s'éteignit des suites de son empoisonnement à peine quelques heures avant de parvenir à Konoha. Tout au long de son rapport, Akina resta postée derrière elle comme une ombre protectrice, le regard grave et attristé. Si sa subordonnée perdait un camarade, peut-être même un ami, elle perdait l'un des hommes qu'elle avait juré de protéger.
— Akasuna no Sasori, hm ? Tu es sûre, Hitomi-chan ?
Elle acquiesça, un petit geste tremblant et épuisé. Oui, elle en était certaine – après tout, Sasori se trouvait au Bingo Book, elle avait une raison valide d'être capable de l'identifier.
— La photo dans le livre date d'il y a vingt ans, murmura-t-elle d'une voix rauque, mais il n'a pas pris une ride. Et il y a quelque chose dans son chakra... Je ne saurais pas l'expliquer, Tsunade-sama, mais ça me fait penser à la manière dont Kankurô injecte son chakra dans ses pantins pour les animer. Il n'a pas de Portes, pas de...
Sa gorge se serra, son cœur bondit d'anxiété dans sa poitrine. Elle ne feignait qu'à moitié, quelque chose que Tsunade sembla comprendre plus qu'une cheffe impitoyable et sans peur n'aurait dû. Elle, elle avait affronté Chiyô, la grand-mère de Sasori, durant la Deuxième Grande Guerre. Elle avait gagné le Duel des Poisons de justesse en créant une maladie qui avait dévasté les shinobi les plus faibles de Suna, ne laissant que les forts, oui, mais en terrible sous-nombre. Elle n'avait dévoilé la recette de l'antidote qu'une fois les traités de paix signés, quand la plupart des malades avaient trépassé. Elle avait été celle à injecter la terreur dans le cœur de ses ennemis, autrefois, et sans doute l'une des rares personnes en vie à pouvoir rivaliser avec Sasori.
— Shikaku m'a confié ses soupçons concernant l'organisation nommée Crépuscule, mais c'est la première fois que quelqu'un qui les a vus travailler avec l'Akatsuki survit pour me faire son rapport. Ibiki sera ravi de savoir que tu es rentrée saine et sauve, et que tu ramènes en plus de précieuses informations.
Hitomi laissa une expression amère tordre ses traits pour le bénéfice de ses spectateurs. Elle devait avoir l'air dévastée, furieuse, dégoûtée de sa propre survie alors que Sai était tombé au combat, elle devait se conduire en adéquation avec les tendances autodestructrices inscrites dans son dossier d'évaluation psychologique, elle devait avoir envie de mourir lentement pour ne pas être arrivée à Konoha à temps pour sauver Sai.
Alors seulement sa mort serait crue au-delà du moindre doute.
— Est-ce que mon père est au village ? demanda-t-elle d'une petite voix.
— Non, hélas. Il est en mission avec Kakashi et Shikaku au Pays du Vent. Ta mère est là, elle, et ton gamin... Anosuke, c'est ça ?
Elle hocha la tête, le regard éteint. Elle savait qu'elle inquiétait Tsunade au-delà de la scène qu'elle jouait pour les yeux ennemis, mais la cheffe de guerre n'avait aucun moyen de savoir ce qu'elle s'infligeait pour se montrer aussi plausible, brisée peut-être au-delà du réparable. Les images de ses échecs dansaient devant ses yeux. Le Sharingan de Sasuke qui virait au Kaléidoscope, la douleur immonde du chakra d'Orochimaru à l'intérieur d'elle, le Jashiniste dans la grotte du Pays de la Montagne. Elle se blessait encore et encore, meurtrissait son âme sans se soucier du Murmure qui s'agitait en réponse à son étouffante détresse, parce que c'était le seul moyen de prétendre au-delà du moindre doute.
Il y avait toujours, toujours un prix à payer.
— Tu n'iras pas en mission pendant au moins deux semaines. Akina-san, est-ce que vous pourriez veiller à l'entraîner pendant ce temps ?
— Bien sûr, Hokage-sama. Ce sera un honneur.
— Hitomi-chan, est-ce qu'il y a un adulte qui peut s'occuper de toi jusqu'à ce que ton père, ton oncle et ton sensei rentrent au village ?
— Est-ce que... Est-ce que ma mère est disponible ?
Un trait soucieux barrait le front de Tsunade quand elle fit un geste de la main qui anima l'un des deux ANBU dissimulés dans l'ombre. En quelques instants, son chakra eut disparu hors des perceptions d'Hitomi, qui se contenta d'attendre, immobile, à la recherche du parfait équilibre entre la souffrance qu'elle s'infligeait et la clairvoyance dont elle aurait besoin dans les semaines à venir. Au bout de quelques minutes, Asuma et Kurenai entrèrent dans le bureau, la mère se précipitant vers sa fille avec une expression préoccupée sur les traits. Elle vit ses blessures, le vide dans ses yeux, et l'enveloppa dans une étreinte réconfortante.
— J'étais tellement inquiète, ma puce.
Hitomi pressa son visage contre l'épaule de sa mère, inspirant son odeur à pleins poumons tandis que ses méridiens se gorgeaient de la sensation de son chakra contre le sien. Elles s'étaient éloignées l'une de l'autre, ces dernières années, parce que la jeune femme était passée de l'enfance à l'âge adulte d'une manière trop brutale pour laisser à sa famille le temps de s'adapter, parce que Sasuke et Naruto n'étaient plus là pour cimenter leur dynamique, parce que chacune s'était vue appelée par ses responsabilités, mais Kurenai restait sa mère. Elles seraient mortes l'une pour l'autre mais, plus important encore, elles avaient besoin de savoir que l'autre vivait, qu'elle allait bien – et ce n'était pas le cas d'Hitomi, là, maintenant.
Elle tressaillit quand Asuma posa une main sur son épaule mais laissa son presque beau-père la toucher, malgré le sceau endormi sur sa langue. Il avait fait partie de la Racine, un jour, il y a longtemps. Une terrible erreur de jeunesse, d'un gamin abusé par les belles promesses de l'un des Conseillers du village. Il n'avait eu aucune raison de se méfier, exactement comme Kakashi et Itachi qui, pendant un temps, avaient cru servir leur Hokage, les citoyens qu'ils avaient jurés de protéger. Les deux adultes s'étaient détournés très officiellement de cette trajectoire, l'un en entrant dans la Garde du Daimyô, l'autre en devenant une légende et un capitaine de l'ANBU. Itachi, lui, n'avait pas eu cette chance. Il avait été chassé... Mais au moins sa langue était-elle restée vierge du moindre sceau.
— Kurenai, Asuma, ramenez Hitomi chez vous. Forcez-la à se reposer aujourd'hui. Demain, Akina viendra l'entraîner sur les terrains réservés aux Nara.
La cheffe de guerre ne dit pas aux deux adultes de se montrer particulièrement vigilants, ne dit pas qu'elle craignait qu'Hitomi se fasse encore plus de mal. Elle était allée trop loin, jusqu'à presque croire son mensonge, jusqu'à se persuader d'avoir des raisons de se faire du mal, et ils le voyaient sur son visage, dans son regard morne. Sous l'impulsion de la main de sa mère, la jeune femme se leva, les traits défaits, la posture raidie par un mélange de douleur et de honte. Elle avait failli. Le village penserait que son échec concernait Sai. Elle, elle ne parvenait pas à détourner ses pensées des échecs véritables. Sasuke. Et tant d'autres...
— Allez, ma puce. Anosuke t'attend à la maison.
Quelque chose d'autre que le Murmure s'agita en elle à la mention du jeune garçon. Il avait besoin d'elle... Même s'il ne lui restait plus qu'un an et demi avant la fin de l'Académie, même s'il faisait partie du trio de tête de sa classe aux côtés de ses deux futurs coéquipiers et qu'Iruka ne cessait de chanter ses louanges. Elle l'avait négligé. Un autre échec. Profondément enfoncée dans son cycle autodestructeur, elle suivit Kurenai et Asuma en pilote automatique, ses yeux refusant de voir la douce beauté du village baigné dans la lumière du crépuscule. Elle ne réalisa que quand elle se trouva à nouveau à l'intérieur des terres Nara.
Elle était rentrée à la maison.
Elle tomba à genoux sur l'herbe tendre en hoquetant de douleur, les mains crispées sur sa poitrine. Elle n'arrivait pas à respirer. La voix lointaine d'Asuma lui parvint, mais ce n'était pas celle dont elle avait besoin. Les trois hommes qui auraient pu la forcer à sortir de son état d'agonie psychologique se trouvaient au loin, embarqués dans une mission qu'elle avait désespérément besoin de les voir accomplir. Et elle, elle était restée derrière parce qu'elle avait dû guérir, parce que d'autres avaient besoin d'elle ici, et elle était fatiguée de toutes ces responsabilités. Une décharge de chakra parcourut ses méridiens et elle s'effondra, inconsciente.
Elle se réveilla dans sa chambre une fois la nuit bien tombée. Elle sentait encore la douleur qu'elle s'était infligée souiller ses pensées, mais elle parvenait à l'identifier, à la comprendre, cette fois. Pourquoi s'était-elle infligé ça ? Elle aurait dû... Se maîtriser. Oui. Un nouvel échec. Les mots d'Ensui, quand elle lui avait avoué dans quel état elle se trouvait, juste après la désertion de Sasuke, lui revinrent en tête. Elle s'était volontairement enfoncée sur le chemin sombre qui ne s'éloignait jamais totalement du sien, et elle avait su qu'elle souffrirait. Elle avait été persuadée qu'elle le méritait.
— Hitomi-nee ? demanda une petite voix près de son ventre.
Elle baissa les yeux et sourit en voyant Anosuke. Avait-il senti dans son chakra qu'elle se réveillait ? Kurenai l'avait sans doute assommée avec une technique de genjutsu, toujours un bon moyen d'arrêter une crise de panique. Pour une fois, elle fut soulagée de la cécité de l'enfant : comme cela, il ne put voir que le sourire n'atteignait pas ses yeux, qu'elle souffrait d'une affliction face à laquelle il était impuissant. Elle l'attira dans ses bras et grimaça quand le mouvement fit jouer la blessure qu'elle s'était infligée sur le bras.
— Kurenai m'a dit pour ton coéquipier. C'est... C'est vraiment dur, pas vrai ?
Elle lui caressa la nuque en silence pendant quelques instants puis répondit en pesant ses mots avec soin :
— Oui, c'est dur. Je ne vais vraiment pas bien en ce moment, Anosuke-kun. Mais je sais que ça finira par aller mieux. Que la douleur s'atténuera.
Et elle s'assurerait qu'il ne connaîtrait jamais ce genre de douleur, même si ce n'était pas la mort de son coéquipier qui la torturait à cet instant. Elle le lui devait ; une autre responsabilité qui lui donnait le tournis et envie de disparaître au fond d'un trou obscur.
— Je ne peux pas pousser à l'entraînement pour le moment mais... Est-ce que tu voudrais t'entraîner avec moi après l'Académie, demain ?
Le visage d'Anosuke s'éclaira d'une joie si pure qu'elle tordit le cœur d'Hitomi. Défendre et protéger. Instruire et élever. Elle ne pouvait pas se permettre d'oublier que ce serait son rôle un jour, qu'elle obtienne une équipe Genin ou aie des enfants. Elle l'avait promis à Kibaki mais, même sans ce serment, elle convoitait ce genre de position avec presque autant d'ambition que le rang de Maîtresse des Sceaux.
— C'est vrai, Hitomi-nee, tu ferais ça ?
— Bien sûr, chaton. Tu peux même inviter Sugi-kun et Hanabi-chan, s'ils veulent venir et que leurs parents sont d'accord. J'ai entendu dire que vous étiez une équipe très prometteuse. Je suis fière de vous.
Ces quelques mots suffisaient apparemment à rendre l'enfant, qui avait tant traversé, presqu'insupportablement heureux : il l'étreignit de plus belle, décrivant d'une voix surexcitée les prouesses accomplies aux côtés de ses amis. Songeant à Sai, Sasuke, Itachi et tous les autres enfants brisés qu'elle connaissait, elle lui caressa la joue et se promit de le protéger.
Des responsabilités, encore des responsabilités.
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