L'appel du Désert
Six jours plus tard, Ensui et Hitomi quittèrent à nouveau le village, cette fois par la Porte aux Cerfs. Pendant quelques heures, l'adulte dut veiller sur sa pupille de très près : elle se trouvait encore sous l'euphorie du déverrouillage de la Porte dont elle s'était à nouveau chargée. Il comprenait ; son corps se souvenait comme si c'était hier de l'extase feutrée que les énergies mêlées de ses ancêtres avaient insufflée en lui quand il avait eu l'occasion de débloquer ce verrou si particulier. Il avait tenu à partager cette sensation étourdissante avec son apprentie, dans l'espoir que cela lui apporte du baume au cœur pour un petit moment.
Cette fois-ci, rien ne les détourna de leur route à travers la Forêt du Feu puis le Désert. Après un rapide débat, Ensui et Hitomi s'étaient accordés sur un compromis qui leur permettrait de passer du temps avec les gens qu'ils appréciaient : ils conserveraient leurs apparences factices, mais la jeune fille avait envoyé un message à Gaara pour le prévenir de guetter son arrivée et décrire les corps qu'ils utilisaient pour passer inaperçus. Le jeune homme s'était montré ravi – de cette manière réservée et presque timide qui n'appartenait qu'à lui – dans sa lettre de réponse à son amie. Il lui promit qu'il préviendrait Temari, Kankurô et Baki puis leur réserverait une suite dans un hôtel confortable.
La jeune Yûhi tremblait d'anticipation quand elle aperçut les murailles qui entouraient le Village Caché. Avec un sourire tranquille, Ensui posa une main sur son épaule, l'empêchant de s'élancer vers les portes qu'ils devinaient au loin. Il était l'heure de boire – dans le Désert, respecter le plus scrupuleux des horaires permettait de ne pas se déshydrater bêtement. Quand elle se fut assez désaltérée à son goût, il la laissa caracoler, l'amusement peint sur ses traits clair comme l'aube qui se levait dans leur dos. Le village fourmillait déjà d'activité, puisque ses habitants avaient adapté leurs horaires pour échapper aux heures les plus chaudes et les plus froides de leur habitat... Et Temari les attendait à côté du poste de contrôle des voyageurs.
— Eien ! s'exclama la jeune fille en s'élançant vers elle.
Hitomi s'était habituée à répondre à ce nom ; elle accueillit Temari dans son étreinte avec un rire léger, puis couina quand son aînée la souleva de terre. L'hilarité d'Ensui se joignit à la leur. C'était pour ce genre de choses qu'il s'était empressé de ramener sa pupille à Suna. Elle avait besoin de rire. Elle avait besoin, juste pour un temps, de ne plus craindre pour sa vie. Avec la protection de Gaara, qui deviendrait Kazekage le jour de ses quinze ans mais occupait déjà cette fonction officieusement, elle était plus en sécurité ici que dans son propre village – le Jônin se força à ne pas s'attarder sur cette pensée qui lui tordait le ventre.
— Bon, je suis là pour faciliter la procédure d'entrée et vous amener à votre hôtel alors occupons-nous de ça tout de suite ! Mes frères n'en peuvent plus de vous attendre, ils étaient intenables hier soir.
Gaara, intenable ? Hitomi gloussa en essayant d'imaginer cette image si particulière. Elle suivit Temari vers le petit stand de bois qui abritait les deux gardes en service du vent et du sable, accrochée à son bras par l'autorité de son aînée. Le mélange de camaraderie et de rivalité qui les avait unies toutes les deux lors de leur dernière rencontre s'était adoucie au fil de leurs échanges avec la complicité de Gaara et de son carnet. Temari était... Une amie. Une amie qu'elle ne voyait pas souvent, à qui elle ne parlait pas souvent, mais une amie tout de même.
— Gaara ne voulait que le meilleur hôtel, pour vous. Comme je m'y connais mieux que lui dans ce domaine, je me suis arrangée pour vous obtenir une suite luxueuse près de chez nous. Vous restez bien six semaines, c'est ça ?
— Au minimum, répondit Ensui d'une voix tranquille. En fonction des progrès d'Hitomi dans l'entraînement que je lui ai concocté, on pourrait rester un peu plus longtemps, mais pas moins, ça, c'est certain.
— Parfait ! On va s'assurer d'en profiter quand vous ne vous entraînerez pas. Ah, et ton anniversaire est dans une semaine, c'est bien ça, Eien ?
— Ou-oui, pourquoi ?
— Je sais qu'à Konohagakure, vous ne les célébrez pas, mais ici, c'est important. Laisse-moi m'occuper de ça, d'accord ? Senjin-san, je peux vous voler votre fille juste ce jour-là ?
Une sensation de tiédeur, de confort, envahit soudain Hitomi, si puissante qu'elle lui coupa le souffle. Temari savait jouer le jeu mieux que personne, mais c'était la première fois que quelqu'un, Hitomi et Ensui inclus, nommait leur lien de la sorte. Même quand ils avaient expliqué leurs nouvelles identités à Tsunade, cela n'avait pas semblé réel, juste un paramètre supplémentaire d'une mission. Comme s'il percevait son trouble, son mentor posa une main réconfortante sur son épaule.
— Je n'y vois aucun problème, à condition que je puisse assister à au moins une partie des célébrations.
— Bien entendu ! répondit Tsunade d'un ton excité. Nous n'envisagerions pas de vous séparer totalement pendant la journée spéciale d'Eien.
L'étreinte sur le bras de la jeune Yûhi se resserra légèrement ; elle échangea avec Temari un petit sourire complice avant de la suivre à l'intérieur du village. Ses yeux bleu pâle s'illuminèrent tandis qu'elle contemplait ce paysage qui lui avait tant manqué. Une légère douleur qu'elle avait ignoré ressentir jusque-là se dissipa. Son maître sur les talons, elle se laissa emporter par son ami Sunajin à travers les rues qu'elle reconnaissait sans les reconnaître vraiment – les choses changeaient en presque dix ans. Elle avait presque six ans quand elle était partie, laissant Gaara derrière elle.
— Temari ? Où est-ce que Gaara nous attend exactement ?
— Au restaurant de l'hôtel où je vous ai réservé une suite. Il est avec Kankurô, on a réussi à obtenir une table derrière un paravent pour fêter votre arrivée avec un petit festin. Comme il est le futur Kazekage, même les civils n'osent rien lui refuser.
Dans la très discrète tension qui venait d'apparaître dans la voix de Temari, Hitomi saisit ce qu'elle ne disait pas : ils avaient encore peur de lui, du démon qui dormait sous sa peau. Elle était là pour cette raison parmi d'autres, si c'était ce que Gaara voulait. Des années plus tôt, elle n'avait rien pu faire pour l'aider, encore trop novice pour pouvoir se frotter à des sceaux d'une telle envergure, mais désormais... En réponse à la pensée qu'elle n'osait pas exactement formuler, à l'espoir qui s'attardait juste en bordure de son esprit, ses mains fourmillèrent d'anticipation.
Grâce à Temari, qui ne se perdait jamais, ils se retrouvèrent au bout d'une dizaine de minutes dans une rue résidentielle. Les meilleurs hôtels se trouvaient toujours dans ces zones calmes mais à proximité de l'animation, du cœur battant du village – la jeune fille n'avait pas plaisanté en parlant d'un endroit luxueux. À première vue, le bâtiment ressemblait à ses voisins, seulement un peu plus imposant que les autres, mais en approchant, Hitomi perçut le vague bourdonnement d'un sceau actif. Sa signature ressemblait à celle qu'on trouvait autour du Bureau, le bâtiment administratif au centre de Suna, et de leur Académie.
— Vous occuperez tout le dernier étage. Beaucoup d'escaliers à monter, mais vous aurez la paix, sans voisins pour pester quand Eien décide de faire des expériences à deux heures du matin.
Le ton taquin de Temari amena sur les joues de la jeune Yûhi un rose soutenu. Elle baissa les yeux, légèrement embarrassée. D'accord, elle avait du mal à respecter un rythme d'éveil et de sommeil comparable à celui des gens qui l'entouraient, mais Ensui ne s'était jamais plaint, lui ! Il était toujours réveillé en même temps qu'elle, et ne la forçait jamais à aller se coucher quand l'inspiration ou le progrès couraient dans ses veines comme un shot d'adrénaline pure.
Dans le couloir du dernier étage se trouvait une seule et unique porte, peinte en bleu pastel. À la plus grande surprise d'Hitomi, elle se déverrouillait à l'aide d'un digicode, que Temari leur donna à voix basse tout en le pianotant sur le petit clavier en lieu et place d'une serrure. C'était une technologie très avancée dans cet univers, le genre qui, à Konoha, était uniquement réservé aux départements militaires et aux quartiers de l'ANBU. Elle entendit un petit clic et la porte coulissa, provoquant un nouveau sursaut de surprise chez elle. D'accord, Sunagakure était technologiquement plus avancée que Konoha. Bon à savoir.
La porte ouvrait sur un petit sas où les trois shinobi troquèrent leurs chaussures contre des chaussons doux et confortables – Temari les informa qu'ils devaient utiliser leurs chaussures courantes dans le reste de l'hôtel mais que dans leur suite, il valait mieux uniquement employer des chaussons, et que leurs éventuels invités pouvaient en demander une paire à l'accueil contre une petite caution. Après avoir grimpé une petite marche de bois, parfaite pour s'asseoir et se déchausser tranquillement si on n'avait pas l'équilibre d'un ninja, ils se retrouvèrent tous les trois dans une sorte de salon, baigné de lumière, doté de trois longs canapés organisés en U autour d'une table basse toute de verre et de bois.
— C'est une suite pour combien de personnes ? demanda Ensui d'une voix amusée.
— Deux, mais les touristes à Suna aiment inviter leurs amis locaux à leur rendre visite, alors les bons hôtels comme celui-ci prévoient assez d'espace pour accueillir tout ce beau monde.
Elle s'approcha de la table basse, se pencha et attrapa une sorte de catalogue qui était posé dessus.
— Le menu de l'hôtel. Si vous ne voulez pas descendre manger au restaurant ou aller à l'extérieur, vous pouvez commander quel que soit le repas. Il y a une petite sonnette dans l'entrée, vous l'actionnez et quelqu'un vient prendre votre commande puis vous l'apporter une fois prête.
— Pratique, musa Hitomi tout en se dirigeant vers l'une des deux chambres.
— N'est-ce pas ? Les chambres sont séparées par le salon, et chacune possède sa propre salle de bains. Ca vous permettra d'avoir chacun votre propre espace privé. Alors, qu'est-ce que vous en dites ?
Le maître et l'élève s'entreregardèrent. Un sourire identique joua sur leurs lèvres, l'impression encore renforcée par les enveloppes corporelles très semblables qu'ils utilisaient.
— On est reçus comme des rois, finit par dire Ensui. Temari, tu nous honores.
— N'est-ce pas ? répondit la jeune fille avec un sourire rayonnant. Vous préférez vous installer maintenant ou descendre rejoindre les garçons et vous occuper de vos bagages plus tard ?
En guise de bagage, ils ne portaient tous les deux que des sceaux de stockages dissimulés un peu partout sur eux, ce dont Temari avait bien conscience, mais même ainsi, s'installer dans un nouvel endroit était un processus laborieux. Le maître comme son apprentie ressentaient jusque dans leurs os la lassitude du voyage, mais il suffit à l'adulte d'un regard à l'expression de timide anticipation sur les traits d'Hitomi pour prendre sa décision.
— Nos affaires peuvent attendre, tes frères non. On te suit.
Les doigts d'Hitomi tremblèrent sur la fermeture éclair de ses bottes tandis qu'elle se rechaussait. Gaara. Elle allait revoir Gaara. Son cœur bondit dans sa poitrine à cette pensée. Ses souvenirs étaient gorgés de son odeur de sable et de soleil – elle la retrouvait sur Temari avec quelques nuances – et de sa voix douce, sans âge. Seule l'aura tranquille d'Ensui derrière elle lui permettait de contenir le mélange d'anxiété et de joie qui tourbillonnaient en elle. Impatiente, elle bondit sur ses pieds, les vêtements et les cheveux encore marqués par son voyage à travers le Désert. Son shishou avait raison, Gaara et Kankurô ne pouvaient pas attendre.
— Hey, regarde qui voilà ! les accueillit la voix de baryton de Kankurô. Eien, Senjin-san, on commençait à se demander si Temari vous avait séquestrés quelque part !
Hitomi ne répondit pas, se contentant de s'enfouir dans les bras que Gaara, qui s'était levé avec précipitation, tendait déjà vers elle. Un sanglot étranglé se fraya un chemin le long de sa gorge, auquel il répondit par un long son bas qui ressemblait presque à un ronronnement. Elle gonfla ses poumons de son odeur, gorgea ses méridiens de la sensation de son chakra contre sa peau, s'imprégna de sa présence en essayant de ne pas penser aux années à venir et à tous les combats qui les attendaient. Pas aujourd'hui. Aujourd'hui n'existait que pour la célébration, la joie.
Après quelques minutes de salutations enthousiaste, tout le monde fut assis autour de la table circulaire, dans laquelle était incrustée une plaque de cuisson qui chauffait déjà. Un barbecue ? Pile ce dont elle avait besoin. Elle n'avait goûté qu'une fois la formule à la mode de Suna, avec son riz rouge et ses accompagnements relevés, mais elle s'en souvenait comme si c'était hier. Elle s'installa entre Gaara et Temari, tandis que Kankurô et Ensui s'asseyaient de l'autre côté de la table. Comme s'il avait senti que ses clients étaient prêts, un jeune serveur passa la tête de leur côté du paravent :
— Puis-je savoir quelle formule vous souhaitez ?
Tous les regards se tournèrent comme par instinct en direction de Gaara, qui réfléchit un instant avant de répondre :
— Les douze trésors du Désert, s'il vous plaît.
Cela sonnait excitant et délicieux aux oreilles d'Hitomi. Elle ne put décoller de ses lèvres le sourire qui y rayonna à travers tout le repas, pour le ravissement d'Ensui qui ne l'avait plus vue aussi insouciante depuis des lustres. Elle riait, blaguait, s'engageait dans des joutes d'énigmes avec Temari, discutait de théorie des poisons avec Kankurô et de la biodiversité du Désert avec Gaara, sans une seule fois penser à la menace qui rôdait encore hors de son champ de vision, qui ne la quitterait pas d'un pas tant qu'elle ne serait pas capable de se défendre quelle que soit la situation. Il voulait lui offrir ce genre de moments ; l'entraînement pouvait attendre le lendemain.
Il n'était même pas encore midi quand ils quittèrent la table : manifestement, Gaara avait tiré quelques ficelles pour leur offrir ce repas hors des horaires habituels du restaurant, mais nul ne protesta. Après tout, la présence du futur Kazekage dans l'hôtel était bonne pour son business, même s'il n'était qu'en visite. Si les nobles de passage au village entendaient parler de la possibilité de croiser sa route, il n'était pas improbable de leur part qu'ils changent leur réservation dans un autre établissement et réservent les rares chambres libres de cet hôtel à prix d'or.
Après le repas, ils se dirigèrent tout naturellement à nouveau vers la suite du dernier étage, ne s'arrêtant que pour louer des paires de chaussons aux tailles de Gaara et Kankurô. La première décision d'Hitomi fut d'entrer dans la chambre qu'elle s'était choisie – les deux étaient parfaitement identiques, avec un grand lit, deux tables de chevet, une étagère, un bureau et une garde-robe, tous les meubles découpés dans un bois pâle à l'aspect luxueux – pour y installer ses travaux. Elle avait emporté avec elle absolument tous ses carnets, les livres et parchemins de Tobirama et Minato ainsi que la boîte sur laquelle Ensui avait décidé de la faire travailler durant sa convalescence. Les sceaux l'appelèrent quand elle s'éloigna, ils le faisaient toujours, mais elle s'en occuperait plus tard ; l'artefact ne s'enfuirait pas. Elle inspecta la chambre à la recherche de dispositifs d'espionnage, n'en trouva aucun, puis se redressa avec un regard satisfait.
— Gaara ? appela-t-elle d'une voix tranquille.
Il apparut dans l'encadrement de sa porte, un très discret sourire sur les lèvres. Pour lui, c'était déjà beaucoup, elle le savait. Elle lui fit signe d'entrer tout en s'asseyant sur le lit. Il ferma la porte derrière lui puis s'installa sur la chaise de bureau, parvenant à conserver sa posture digne et paisible même le dos appuyé négligemment contre le dossier. D'accord, elle était peut-être un peu jalouse de cette compétence.
— Tu vas enfin me parler de ce qui t'amène à Suna, en plus du fait de me revoir ? demanda-t-il sans se départir de son sourire.
Elle ne put réprimer un léger mouvement de recul mais acquiesça, les yeux rivés sur ses genoux.
— Est-ce que... Est-ce que ton village a reçu des rapports concernant l'Akatsuki ?
— L'Akatsuki, répéta-t-il lentement, comme pour analyser la sensation du mot sur sa langue. Ce nom est apparu une ou deux fois dans des rapports récents. Nous soupçonnons un de nos déserteurs de les avoir rejoints, A...
— Akasuna no Sasori. Je le connais. Je peux te confirmer qu'il en fait partie. L'Akatsuki... C'est une organisation composée de criminels de rang S dont le premier but est de collecter les démons des jinchûriki.
La main de Gaara se posa instinctivement sur son ventre, là où, elle le sentait, se dessinait le sceau déficient qui lui permettait d'utiliser le pouvoir de Shukaku mais lui volait son sommeil. Elle hocha la tête, le regard sombre, presque fatigué.
— J'ai réussi à placer un espion dans leurs rangs par un coup de chance et un pari stupide. J'ai pris des risques, mais ça vaut le coup. Il m'a annoncé il y a peu qu'ils s'étaient enfin véritablement mis en mouvement.
— Cela veut dire...
— Oui, tu es menacé. Comme Naruto, comme chacun de vos semblables. Deux d'entre eux, les plus vulnérables, ont déjà été mis en sécurité. Leur situation était si urgente que nous avons dû retarder notre arrivée à Suna pour aller nous occuper d'eux, Ensui-shishou et moi. Ils étaient... Ils ont vécu ce que Naruto et toi avez traversé comme difficultés avec chacun de vos villages, mais ils sont hors d'atteinte à présent, ou en tout cas j'en suis convaincue.
— Et tu veux me proposer le même genre de protection ? Hitomi-nee, je ne peux pas quitter Suna.
— Quoi ? Non ! Enfin, si, mais pas comme ça. Bien entendu que tu ne peux pas quitter Suna. Je ne vais pas proposer de te cacher là où personne ne te trouvera, ne t'en fais pas. J'ai un autre sceau de protection à te proposer.
Il se redressa, une étincelle d'intérêt dans le regard. Gaara était intelligent, suffisamment pour comprendre qu'en se protégeant il protégeait aussi son village et tous les ninjas qui un jour se trouveraient sous ses ordres. Elle laissa un sourire hésitant danser sur ses lèvres, puis retrouva son aplomb alors qu'elle lui expliquait les spécificités du sceau : la manière dont il pourrait l'activer pour appeler à l'aide, et le fait qu'elle prendrait des gens avec elle pour lui porter secours. Il l'écouta jusqu'au bout, puis joignit les mains comme en prière, ferma les yeux et pressa son front contre ses doigts joints. Les traits soucieux, elle le laissa réfléchir en paix.
— Cela te mettrait toi aussi en danger, finit-il par dire avec lenteur. Tu te retrouverais toi aussi en première ligne face à des criminels de rang S.
Elle ouvrit la bouche pour répondre mais il leva une main pâle et la coupa net dans son élan.
— Cependant, si je suis pris et tué, mon village se retrouvera sans Kazekage, encore une fois, et après moi personne n'est prêt à reprendre le flambeau. Temari, peut-être, un jour, mais elle est encore loin de posséder la force nécessaire. J'accepte. Mais je t'en prie, au moins pour que je sois en paix, promets-moi que si je dois t'appeler à l'aide un jour via ce sceau, tu ne viendras pas seule.
Elle sourit, le regard doux.
— Je te le promets, Gaara. Je l'ai déjà promis à Ensui-shishou quand il a compris ce que je préparais, et à mon... contact au sein de l'Akatsuki.
— Ton contact... Ton espion, plutôt, hm ?
— Oui. Je ne peux pas te donner d'information sur lui, pour sa sécurité, mais je crois qu'il s'inquiète pour moi.
— Il a raison de s'inquiéter. Tu ne t'es pas choisi les ennemis les plus faciles à battre, Hitomi-nee.
— Je ne les ai pas choisis tout court, Gaara. Ils m'ont choisie, eux, en décidant de s'en prendre à certaines des personnes que j'aime le plus au monde.
De quelle arrogance elle faisait preuve en tenant un tel discours. Mais elle le devait, si elle voulait prétendre savoir dans quel merdier elle avait mis les pieds et comment s'en sortir – une palette de faux-semblants importants si elle voulait convaincre Gaara de lui faire confiance à propos de l'Akatsuki.
— Ce n'est pas la seule raison pour laquelle je suis ici. Gaara, il est temps qu'on répare ton sceau, tu ne crois pas ?
— M-mon sceau ?
— Hm hm. Je peux le sentir en ce moment-même, tu sais ? Y compris son défaut de conception qui t'empêche de l'utiliser à son plein potentiel et cause la malédiction de tes nuits sans sommeil.
La respiration de son ami chuinta dans sa poitrine, comme si sa gorge s'était soudain refermée sur elle-même. Elle lui répondit d'un sourire de connivence, son regard se dirigeant pile là où le sceau avait été gravé sur son ventre à l'intérieur du corps de sa mère – une aberration à l'origine de tous ses problèmes.
— Ma mère...
— Tu pourras toujours la sentir vivre à l'intérieur de ton sable, Gaara. Jamais je ne t'enlèverais ça, tu le sais. Mais la haine que Shukaku éprouve pour Sunagakure ne pourra plus empoisonner ton esprit, que ce soit dans l'éveil ou le sommeil.
— Je... Je vois. D'accord. J'accepte ça aussi.
Avec un petit sourire, elle se leva et le prit dans ses bras. Assis sur sa chaise de bureau, il était pour la première fois depuis des années à nouveau plus menu qu'elle, si bien qu'elle put déposer un tendre baiser sur son front, ses doigts minces se perdant dans ses cheveux rouge sombre.
— Tu ne le regretteras pas, Gaara. Tu vas adorer pouvoir enfin dormir, je te le promets.
— J-je te crois.
Ils restèrent un petit moment dans cette position. Quelque part durant l'année qui venait de s'écouler, ils avaient tous les deux perdu la douceur et l'innocence de l'enfance – ce qu'il leur en restait encore à ce stade. Mais lorsqu'ils étaient ensemble, la douleur constante qui bourdonnait en trame de fond de chacune de leurs pensées semblait s'atténuer un peu. Pendant ces quelques minutes d'étreinte silencieuse, ils savourèrent cette sensation, ce soulagement, et la si délicate touche de plénitude qui les débarrassait d'un peu du poids sur leurs épaules.
Quand ils se furent étreints tout leur soûl, ils rejoignirent les autres dans le salon. Kankurô tenta bien une blague au sujet du temps qu'ils avaient passé seuls derrière une porte close, mais Temari lui colla un coup de pied dans la hanche qui le fit dégringoler du canapé où ils étaient installés dès qu'il fit mine d'ouvrir la bouche. Hitomi éclata de rire en le voyant cligner des yeux comme un hibou offensé, puis s'assit à son tour à la place qu'il venait d'occuper, engageant à nouveau la discussion avec la seule autre kunoichi comme si absolument rien ne s'était produit.
Finalement, il fut l'heure pour la Fratrie du Sable de rentrer, à deux rues de l'hôtel, dans la maison qui les attendait. S'ils ne se présentaient pas, ils n'auraient pas exactement de problèmes, mais ils manqueraient sans doute de respect envers les personnes qui tenaient la maisonnée. Ensui et Hitomi leur souhaitèrent une bonne nuit – la dernière, se promit la jeune fille, que Gaara passerait éveillé sans l'avoir décidé – puis se retrouvèrent seuls à nouveau.
— Va te changer pour la nuit, ordonna l'adulte d'une voix douce. Je vais préparer une infusion qui t'aidera peut-être à dormir.
Elle acquiesça et retourna dans sa chambre, se défaisant lentement de sa tenue près du corps puis de tous les bandages qui contenaient ses précieux sceaux de stockage. Il faudrait qu'elle s'installe... Peut-être ce soir, ou le lendemain. Elle soupira, libéra ses cheveux de leur lourde tresse serrée et, sans la moindre gêne face à sa nudité – de toute façon, personne ne regardait, Ensui s'arracherait les yeux plutôt que de violer son intimité comme ça – emmena les affaires dont elle aurait besoin dans la salle de bains attenante à sa chambre.
Elle retourna dans le salon prête à se reposer, vêtue d'une chemise de nuit assez large pour ne pas gêner ses mouvements en cas de problème, les cheveux à nouveau tressés. Ensui l'attendait, assis à même le sol, lui aussi en pyjama. Au début, elle avait trouvé cette vision étrange – un Jônin en pyjama, vraiment ? – mais année après année, elle s'y était faite. Elle s'installa près de lui, son genou menu effleurant le sien, et prit des deux mains la tasse fumante qu'il lui remettait. Elle ne reconnaissait même pas la moitié des herbes dont elle percevait l'odeur, sans nul doute spécifiques à Sunagakure ; et comment avait-il réussi à mettre la main dessus ?
— Essaye de boire une gorgée pour voir si le goût te plaît. Tu ne peux pas rajouter de sucre, ou ça fonctionnera moins bien.
Elle s'exécuta avec prudence. L'amertume du breuvage était un peu atténuée par la chaleur qui lui envahit la bouche, la gorge. Elle montra son approbation d'un signe de tête puis finit la tasse en quelques gorgées, laissant l'infusion la réchauffer de l'intérieur. Elle soupira, laissa sa tête tomber en arrière, croisa le regard légèrement inquiet d'Ensui. Même derrière les murs de l'hôtel, ils n'oseraient pas se défaire de leurs secondes peaux. Il y avait toujours un risque que le maître ne souhaitait pas prendre et dont l'élève ne voulait pas subir les possibles conséquences.
— Shizune-san m'a donné la recette quand je lui ai dit que tu avais du mal à dormir et que tu faisais des cauchemars. Peut-être que ça aidera... Si pas, tu devras passer aux techniques médicales jusqu'à ce que le problème soit réglé.
Il vit son mouvement de recul mais ne lui laissa pas le temps de protester, sa voix se parant d'une sévérité nouvelle.
— Le sommeil est un outil important du shinobi, je sais qu'on te l'a dit à l'Académie. Le simulacre que tu t'accordes dans ta Bibliothèque pour échapper aux cauchemars ne repose que ton corps, pas ton esprit. Tu es plus sensible, plus prompte à t'emporter et te laisser guider par tes émotions, tu perds patience pour des broutilles. Cela ne te ressemble pas, Eien, et je ne pense pas que l'adolescence doive être accusée systématiquement.
Elle fronça les sourcils, ouvrit la bouche pour se défendre mais abandonna avant même d'avoir prononcé un mot. Il avait raison. Elle l'avait remarqué aussi, durant les rares moments où elle avait eu le temps de souffler et le luxe d'accepter les cauchemars mais avait plutôt choisi la sécurité de sa Bibliothèque. Elle fuyait, trop lâche pour combattre les prédateurs qui rôdaient à l'intérieur de son esprit. S'il avait décidé qu'il n'était plus temps de la laisser faire, elle devait l'écouter. Il était son maître après tout, fort de dizaines d'années d'expérience supplémentaires. Elle savait qu'il possédait son propre lot de démons et de cauchemars. S'il pensait qu'elle était capable d'affronter les siens...
Elle se leva en soupirant, laissant la tasse vide derrière elle, et lui souhaita une bonne nuit d'une petite voix, mille fois plus incertaine qu'elle ne l'aurait voulu. Elle tenta instinctivement de repousser le moment du coucher, tournant en rond de longues minutes avant de finalement rendre les armes. Elle se glissa entre les draps confortablement frais, les yeux grand ouverts sur le plafond blanc, et tenta contraindre ses muscles rebelles à se détendre.
Même si elle savait ce qui l'attendait.
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