Dans l'ombre du sanctuaire
Au bout de quelques jours à se cacher dans un réseau de grottes pas si éloigné de l'endroit où Hitomi avait brièvement été reconnue captive, les deux Konohajin retournèrent sur les lieux du village massacré pour prendre soin des corps et éviter la prolifération des maladies sur ce petit territoire isolé au milieu de la mer et donc vulnérable. Ensui apprit à son apprentie la théorie derrière la technique Katon de rang D qui permettait de brûler des cadavres efficacement ; elle venait à peine de maîtriser sa première technique Raiton, n'était pas encore prête, loin s'en fallait, à aborder une nouvelle affinité, mais il la préparait en ce sens.
Une fois leur funèbre tâche accomplie, ils repartirent côte à côte en direction de l'ouest. Personne ne les approcha durant les quatre jours que dura cette partie de leur voyage, pourtant ni l'un ni l'autre ne souhaitait prendre le risque de presser l'allure jusqu'à un rythme de shinobi, pas alors qu'ils avaient été agressés si récemment justement pour avoir été identifiés comme tels. Ensui se montrait plus protecteur et plus présent quand il l'entraînait ; la nuit, dès qu'il la pensait endormie, il posait une main sur le pouls qui battait au creux de l'un de ses poignets, s'assurant physiquement qu'elle vivait encore.
Ils ne posèrent pas de mots sur ce nouveau traumatisme.
Malgré le temps qui s'était refroidi durant les dernières semaines, quelques bateaux se trouvaient encore sur le rivage, prêts à s'élancer sur les eaux au prochain moment propice. Plaçant sur ses traits une expression affable et paisible, Ensui négocia leur place sur l'un d'eux, qui se dirigerait vers le Pays des Tourbillons, cachant cette fois leur nature de shinobi. Le poids du bandeau frontal sur sa tête manquait à Hitomi. Elle passait de longues périodes à la proue du navire, penchée sur son carnet communicant. Ensui ne commentait jamais, mais il devinait ses quatre correspondants privilégiés : Itachi, Gaara, Haku et Naruto.
Quand ils atteignirent la côte du Pays des Tourbillons trois jours après avoir embarqué, la jeune fille avait déjà retrouvé un peu de son équilibre interne. Elle s'avérait de plus en plus difficile à abattre sur le plan émotionnel, malgré tout ce que le destin semblait vouloir lui jeter à la figure. Ensui ne lui cachait nullement la fierté qu'il éprouvait à la voir refleurir après leur dernier coup dur, quand bien même il aurait préféré pouvoir la remettre à quelques reprises entre les mains compétentes de son psychologue Yamanaka, qui ignorait tout des faits et gestes de son ancienne patiente.
Au moment de débarquer, Hitomi dut admettre une pointe d'inconfort. Elle connaissait l'histoire de ce pays bien plus intimement qu'elle n'aurait dû. D'un même geste, Ensui et elle renouèrent leurs insignes sur leurs fronts dès l'instant où ils posèrent le pied sur la plage de galets qui marquait la transition entre terre et mer, soulagés de se montrer enfin sans honte dans leurs fonctions officielles – ou presque. Après tout, ils se cachaient toujours sous des identités factices.
Enfin, ils pouvaient à nouveau se permettre de courir librement. Hitomi laissa échapper une exclamation de joie en se jetant d'un Chêne d'Hashirama – ils poussaient aussi sur ces terres, comme un signe de l'alliance du Premier Hokage avec le clan jadis souverain des Uzumaki – à l'un de ses voisins, ravie de sentir son corps réagir avec dynamisme et naturel au mouvement complexe. Les brûlures sur et dans ses bras n'étaient plus qu'un mauvais souvenir après le repos auquel elle avait eu droit à bord du navire et, même si elle fourmillait d'impatience à l'idée de reprendre l'exercice, elle accordait sans peine que la décision de son maître de ne pas l'entraîner jusqu'à ce qu'ils arrivent à terre avait été plus que pertinente. Elle avait besoin de repos.
— Il va falloir que je reprenne mon apparence habituelle si je veux demander les faveurs que Koichi-san me doit, informa Ensui tandis qu'ils arrivaient en vue du sanctuaire. Tu as le droit de te métamorphoser aussi si tu le souhaites. Nous serons en sécurité.
Elle écarquilla légèrement les yeux en comprenant les implications de ses propos. Il ne parlait pas seulement de son apparence. Sa langue se recourba et toucha son palais ; le sceau se désactiva avec une légère vague de douleur tandis qu'elle retrouvait son corps originel avec tout ce qu'il impliquait de marques, de maigreur et de redécouvertes. Elle s'aperçut que les cicatrices récoltées en tant qu'Eien s'étaient transférées, tout comme ses sceaux tatoués restaient quel que soit le physique qu'elle arboraient. Pourtant, les joues d'Eien étaient lisses et son buste n'était pas marqué du coup de poignard de Kabuto. Ce mystère ressemblait presque à un dysfonctionnement de son Sceau de Métamorphose, mais il l'arrangeait au final. La cicatrice sur sa joue était trop identifiable.
— Je vais vraiment pouvoir invoquer Hoshihi et les autres ? demanda-t-elle d'une petite voix tremblante.
Elle n'eut pas besoin de se tourner vers lui pour deviner son sourire juste un tout petit peu triste. Leur récente mésaventure laisserait des traces. Elle n'était pas capable d'oublier la vibration désespérée dans ses hurlements de frustration et de fureur, elle ne pouvait effacer de son esprit le tremblement brisé de sa voix quand il avait enfin suffisamment rassemblé son esprit pour la rejoindre. Quant à lui... Elle ne pouvait même pas imaginer ce qu'il avait ressenti, coincé derrière un éboulis, à l'entendre crier et souffrir.
— Bien sûr, ma puce. Tu passeras autant de temps que tu voudras avec eux.
Avec un sourire entendu, elle poussa sur ses jambes pour se trouver à ses côtés quand ils franchirent l'enceinte du sanctuaire. Pour la première fois depuis des mois, ils n'éprouvaient ni crainte ni sourde angoisse à l'idée de se montrer sous leur vrai visage, seulement une fierté qui leur raidissait les épaules et leur redressait le menton. Deux moines qui balayaient la première enceinte, la débarrassant des feuilles mortes que l'automne et l'hiver y avaient accumulées, les saluèrent d'une respectueuse inclinaison du buste. Ensui connaissait les lieux, cela se voyait à la manière dont il traversa la petite allée de galets dont les mille nuances de gris formaient une étrange rivière jusqu'à la porte principale, peinte d'une teinte de rouge uniquement utilisée pour les édifices religieux.
— Nara-sama ! s'exclama un moine en quittant sa position de prière.
— Ah, Koichi-san, j'étais sûr que vous seriez encore là !
Légèrement en retrait, Hitomi regarda son maître étreindre l'homme inconnu, petit et mince, vêtu du traditionnel kimono noir et gris orné de rouge que portaient les servants de la Flamme de la Volonté. Il avait des yeux bleus plus perçants encore que ceux qu'Hitomi avait donnés à sa propre persona et à celle de son mentor. Sur son visage tombait une pluie de taches de rousseur toujours visibles malgré sa peau tannée par le soleil.
— Et qui est cette jeune fille, Nara-sama ?
— Hitomi-chan, mon apprentie. Elle n'était pas encore née la dernière fois que je suis venu vous rendre visite, mais je m'occupe de son entraînement depuis qu'elle a cinq ans. Elle a passé du temps sous l'aile d'un sensei, comme on fait d'habitude à Konoha, puis j'ai repris mes responsabilités envers elle.
— Ah, je vois. Elle est très importante pour vous, hm ? Approche, jeune fille, laisse-moi te regarder de plus près. Mes vieux yeux ne voient malheureusement plus très loin.
Un peu intimidée, elle s'exécuta et laissa le moine prendre son visage en coupe, le tourner délicatement vers la lumière d'une fenêtre. Ce qu'il vit sous cet éclairage particulier, elle l'ignorait, mais quand il la relâcha, il souriait d'un air entendu.
— Une Yûhi, hm ? Je pensais que ce clan s'éteindrait avec la petite Kurenai, je suis ravi de m'être trompé. Tu es sa fille, pas vrai ?
— V-vous connaissez ma mère ?
— Bien sûr ! Elle était venue remplir une mission ici quand elle n'était encore qu'une petite Genin à la bouche remplie de questions. Les deux garçons de son équipe étaient un peu plus calmes, mais la plupart de mes confrères avaient un faible pour sa curiosité.
La gorge d'Hitomi se serra légèrement tandis qu'une humidité certaine s'accumulait aux coins de ses yeux. Sa mère lui manquait tellement... Elle inspira et ferma la porte à ses émotions. Un sourire trouva sa place sur ses lèvres sans difficulté et elle répondit d'une voix enjouée :
— Je lui dirai que je vous ai rencontré, alors ! Qui sait, peut-être que ça la rendra nostalgique et qu'elle demandera une mission par ici pour revenir vous voir !
Le moine émit un petit rire puis se tourna à nouveau vers Ensui, un pli soucieux marquant le coin de ses lèvres.
— Je me doute que vous n'êtes pas venu ici pour le plaisir, Nara-sama. Qu'est-ce que je peux faire pour vous et la petite ?
— Cela prendrait du temps, Koichi-san. Puis-je vous proposer de vous raconter les évènements récents à Konoha autour d'un thé ?
— Oh, bien sûr ! Je suis désolé, j'oublie mes bonnes manières. Est-ce qu'il est encore trop tôt pour évoquer l'excuse de l'âge, d'après toi, jeune fille ?
— Vous me semblez encore très lucide et plein de santé, Koichi-san. Disons plutôt que vous étiez si emporté de joie en revoyant mon maître que vous avez oublié ?
— Ah, tu as raison, il vaut mieux garder l'excuse de l'âge pour plus tard, elle n'en sera que plus savoureuse. Suivez-moi, suivez-moi, par ici. Tenez, enfilez ces chaussons, ils vous feront du bien après toute cette route.
Hitomi échangea un regard amusé avec son maître tout en s'exécutant, troquant ses bottes salies par les incessants voyages et les intempéries récentes contre une paire de pantoufles gris perle, si confortables qu'elle avait envie de s'enfoncer dedans sans réserve. Elle suivit ensuite son maître et le moine et s'agenouilla à leurs côtés autour d'une petite table basse chauffée. Sans que quiconque ait besoin de parler ou de faire signe, un jeune homme à peu près de l'âge d'Hitomi se précipita et commença à les servir, les gestes précis, efficaces et déférents.
— Les filles ont un cours de kendo en ce moment, commenta Koichi d'un air presque navré. Si j'avais su qu'une invitée se profilait à l'horizon, j'aurais demandé à l'une d'entre elle de rester pour nous servir le thé. Les Konohajin préfèrent quand les servants des temples et sanctuaires soient du même genre qu'eux, pas vrai ?
Après avoir discrètement cherché l'approbation de son shishou, Hitomi répondit avec sincérité :
— Je n'ai aucune préférence. Mon père était un Nara, j'ai été élevée au sein du clan puisque ma mère a décidé que nous resterions vivre sur leurs terres. Vous savez comment ils sont avec les traditions et le décorum, j'imagine ?
L'homme éclata de rire, tapant du poing sur son genou comme pour souligner son hilarité. Celle-ci semblait si sincère qu'elle amena un sourire sur les lèvres d'Hitomi sans que celle-ci s'en rende compte, un spectacle que son maître contempla avec une affection impossible à dissimuler.
— Ah, c'est bien vrai. Enfin... Ne parlons plus de politique et de traditions, sauf si c'est ce qui vous amène ici.
Ensui comprit le signal implicite et se mit à raconter, commençant son récit lors de son retour à Konoha, plus de dix ans plus tôt, sous les ordres de Shikaku. Il exposa sans honte ni réserve leur maladie commune, le voyage à vitesse de civil qui leur avait permis de trouver un rythme dans leur relation naissante, d'apprendre à se connaître. Hitomi dut réprimer un léger mouvement de recul quand il mentionna Gaara le jinchûriki sans la moindre hésitation avant de dépeindre leur retour d'une voix débordante d'affection.
Encouragée par son maître, Hitomi reprit le récit là où il le laissa, sur leur séparation durant six ans. Elle raconta l'Académie, le massacre des Uchiha, la lente mais inexorable construction d'une alliance parmi ses pairs. Ensui ajouta ensuite quelques informations concernant la Fratrie du Sable et la manière dont il les avait protégés pendant cette période avant de conter leurs retrouvailles. Ce fut cependant son apprentie qui s'attela à la description de son équipe Genin et de leurs quelques missions, avant d'embrayer sur l'examen Chûnin, la Forêt de la Mort, Orochimaru.
Elle dut s'arrêter souvent pour calmer l'angoisse qui montait à l'intérieur d'elle, aussi inexorable que la marée. Souvent, un enfant ou adolescent en profitait pour venir remplir à nouveau les tasses de thé vidées depuis le dernier passage d'un servant. Elle reprit ensuite son récit sur l'attaque de Konoha, la disparition d'Anosuke et l'infirmité du Troisième Hokage malgré le meurtre qu'elle avait commis pour qu'il ait la vie sauve. Elle parla de la traque de Tsunade jusqu'à la ville touristique de Tanzaku, décrivit sans langue de bois le combat contre Orochimaru et Kabuto. Elle parla de sa mort aussi, à peine capable de regarder les traits de son maître se durcir tandis qu'elle mentionnait cet écueil en particulier. Qu'il n'ait duré que quelques dizaines de secondes ne le rendait pas moins intolérable.
Il ne reprit pas le fil, aussi poursuivit-elle, parlant des quelques missions qui avaient suivi puis de la désertion de Sasuke. Malgré la manière frontale dont son maître arborait Koichi, elle décida de ne pas révéler le rôle véritable de son frère adoptif, juste au cas où. Elle préféra parler du geste presque suicidaire qu'elle avait commis pour couvrir sa fuite comme d'un acte volontaire de la part du Uchiha. Elle avait l'impression de le trahir mais savait que son esprit lui jouait des tours : la trahison véritable serait de manquer de prudence, de le mettre en danger.
Ensui reprit enfin, parlant de thérapie et de politique. Il exposa les attentes de Shikaku concernant sa nièce, d'un entraînement dur et toujours plus intense, de l'examen Chûnin et de sa promotion, avant de mentionner ses travaux en fûinjutsu de haute volée. Il passa sous silence l'existence de la cache de Tobirama Senju et Minato Namikaze, peut-être également par prudence – elle n'aurait su le dire. Elle dut serrer les dents quand il mentionna l'attaque dont elle avait été victime en plein cœur de Konoha, même si elle parvint de justesse à garder une expression détachée et impassible.
Malgré ses réserves et même si ce fut sans le nommer, Hitomi décida de parler d'Itachi, son précieux espion dans l'Akatsuki qui lui avait exposé leurs buts et leurs cibles, lui permettant d'agir à temps pour empêcher le meurtre de plusieurs jinchûriki. Elle ne dit pas comment elle les protégeait ni où se cachaient ceux qu'elle avait transformés en civils du clan Nara, encore une fois par prudence, préférant laisser son maître s'éteindre sur leurs périples récents à travers Suna, Kumogakure et le Pays de la Montagne. Enfin, ils se turent. Ils avaient tout raconté, dans les grandes lignes en tout cas.
— Je vois... Mais ça ne me dit pas pourquoi vous avez besoin de moi. Nara-sama, vous savez que vous pouvez demander tout ce que je possède ou peux offrir, je vous le donnerai sans hésitation.
Ensui sourit et posa une main sur l'avant-bras du moine, tentant de son montrer apaisant.
— J'aimerais juste le gîte, le couvert et votre discrétion, pendant maximum un an si vous pouvez nous l'offrir. Bien entendu, nous chasserons pour fournir au moins la viande des repas du sanctuaire, ainsi que des peaux que vous pouvez revendre. Hitomi a besoin d'apprendre une technique qui lui demandera des mois d'études intensives. Au vu des circonstances, je ne peux la laisser le faire à Konoha.
Koichi laissa échapper un soupir soulagé. Ses épaules se détendirent et il s'affaissa légèrement, comme si c'était l'anxiété qui avait forcé son dos dans une raideur peu naturelle.
— Bien sûr. Comme je vous l'ai dit, Nara-sama, tout ce que vous voulez. Est-ce que vous aurez besoin d'aménagements particuliers ? Nous avons une Salle des Sceaux au sous-sol, même si elle n'est pas très grande.
— Peut-être plus tard, quand son étude aura suffisamment avancé, mais c'est impossible d'en être certains maintenant. Elle n'en est encore qu'au début du processus et doit d'abord résoudre une autre énigme qui l'aidera dans son travail par la suite.
— Je comprends, Nara-sama. Bien, c'est donc entendu. Je vais demander à mes aides de vous préparer des chambres. Contingentes, j'imagine ?
— Ce serait parfait, Koichi-san. Merci infiniment. Je serai votre obligé désormais.
— Pffr, ne dites pas de bêtise, Nara-san. Il n'y a rien que je puisse faire en réparation des vies que vous avez sauvées en nous protégeant de l'assaut qui a rasé Uzushio. Ce sanctuaire tout entier restera votre obligé bien après nos morts à tous les deux.
Cette phrase sembla établir un accord entre les deux hommes, même si Hitomi soupçonnait que son maître passerait un temps non-négligeable à rendre de menus et moins menus services aux moines pour les remercier de leur accueil. La jeune fille se serait sans doute jointe à son mentor si, comme il l'avait établi, elle n'avait pas eu une impossible montagne de travail face à elle.
— Tu peux invoquer tes chats maintenant si tu le souhaites, autorisa Ensui d'une voix douce tandis qu'ils s'installaient dans leurs quartiers, deux chambres unies par une porte communicante.
— Ou-oui, shishou.
Son murmure presque déférent ne surprit pas le Jônin aguerri, pas plus que l'empressement avec lequel elle s'agenouilla et composa les sceaux nécessaires à l'invocation après s'être ouvert la main sur le tranchant de son sabre. Son chakra empressé et hâtif envahit la chambre dans laquelle ils s'étaient réunis et qui reviendrait sans doute à l'aîné puis ils furent là, six silhouettes différentes en taille et en couleur, menées par un gigantesque chat au pelage couleur de feu qui se jeta sur sa familière sans la moindre réserve, lui léchant précipitamment la joue en ronronnant comme un damné.
— In-Invocatrice, je... Est-ce qu'il est temps de rentrer à Konoha ? Est-ce que c'est pour ça que tu nous a tous appelés ?
Les mains perdues dans sa fourrure épaisse, elle se redressa sans jamais vraiment rompre le contact, elle aussi avide de sa présence et d'un corps chaud et lourd pressé contre le sien.
— Non, Hoshihi, il n'est malheureusement pas encore temps. Nous sommes en sécurité au Pays des Tourbillons – Ensui-shishou a décidé que l'endroit était assez sûr pour qu'on n'ait pas besoin de se cacher. Je mourais d'envie de vous revoir, tous.
Les autres chats prirent son propos comme un signal qui les autorisait à l'entourer, la déborder de leur présence et de leur affection. Ils avaient tous grandi depuis leur dernière rencontre, depuis la petite Hai qui avait à peu près la stature d'un petit chien à présent jusqu'à Hoshihi, plus massif qu'un cheval de trait.
— Si vous me tuez mon apprentie par câlins interposés, intervint Ensui d'une voix amusée, je devrai trouver une excuse beaucoup plus épique pour expliquer sa mort. Ne m'imposez pas cet effort, s'il vous plaît, laissez-la respirer.
Les félins écoutèrent, à l'exception d'Hoshihi qui resta effondré sur elle de tout son poids sans la moindre honte. Elle le lui rendait bien, incapable qu'elle était d'immobiliser ses mains sur sa fourrure. Ensui contempla ce spectacle pendant quelques instants, l'air attendri, avant de se détourner vers ses affaires et de commencer à s'installer. Ils resteraient au moins six mois, sans doute beaucoup plus longtemps, dans ce sanctuaire oublié du monde. Il entendait bien organiser son propre confort pour ce laps de temps.
— Nous chasserons pour vous, bien entendu, dit Hoshishi un peu plus tard. Tu dois te concentrer sur ton travail, tu n'auras pas le temps de chasser sauf quand tu auras besoin de te sortir de ton étude, pas vrai ?
Hitomi marmonna son approbation tout en rangeant son matériel dans un petit bureau disposé devant la fenêtre de sa chambre. Elle avait eu le temps de raconter à son familier tous les périples traversés depuis qu'elle avait quitté Konoha, chose qu'elle n'avait pas exactement eu le temps de faire la dernière fois qu'ils s'étaient vus, à l'occasion du combat à Takigakure. Les autres chats avaient décidé d'explorer ce nouvel environnement, une tâche à laquelle leur chef officieux se consacrerait à son tour plus tard, peut-être quand son invocatrice dormirait.
— Oui, malheureusement. Quand je ne travaillerai pas sur mes sceaux, tu peux être certain qu'Ensui-shishou m'entraînera comme un forcené.
— Tu en as besoin, pas vrai ? Tu ne supportes pas l'idée d'être encore vulnérable, même si on est tous la proie de quelqu'un. Tu veux pouvoir battre même tes prédateurs.
— Tu crois que c'est contre-nature ?
— Non, pas vraiment. C'est exactement pour ça que j'ai entraîné Hai-chan sans relâche, qu'Aotsuki-sensei m'a entraîné quand tu ne t'occupais pas de moi. D'ailleurs, elle a été obligée de sceller ma taille parce que je n'arrêtais pas de grandir. Elle a dit que tu pourrais éventuellement avoir besoin de moi sous ma forme véritable et que dans ce cas, tu pouvais désactiver son sceau en envoyant ton chakra entre mes épaules.
— Je peux voir le sceau ? demanda la jeune fille d'un air clairement intéressé.
Quand il lui donna la permission, elle quitta ce qu'elle était en train de ranger et se pencha sur lui – il s'était allongé sur le ventre pour lui faciliter la tâche. Il lui fallut un moment pour trouver le faible bourdonnement noyé dans le reste de son chakra mais quand, enfin, elle vit l'encre noire sous ses poils roux, elle haussa les sourcils, impressionnée.
— Et ça va te maintenir à cette stature quelle que soit la vraie ? Tu es grand comment en ce moment ?
— Oui, même si je deviens aussi grand qu'Aotsuki-sensei. Sous ma forme véritable, je serais trop grand pour tenir dans cette pièce.
Hitomi siffla, l'air dûment impressionnée, avant d'afficher un large sourire qui n'aurait pas détonné sur les traits de Naruto.
— Imagine ce que ça donnerait si je te relâchais à ta pleine stature en cas de bataille. Je crois que je pourrais me choper une réputation de Sannin par accident, juste en me tenant sur ta tête.
Hoshihi renifla d'un air amusé puis la laissa retourner à son rangement. Elle tenait à ce que ce soit fait tout de suite ; ainsi elle pourrait consacrer tout son temps à ses autres devoirs plus tard, sans avoir à perdre du temps précieux en ne déballant ses affaires que quand elle en avait besoin. Elle détestait s'interrompre dans sa besogne, quelle qu'elle soit.
— Hitomi ? appela Ensui en frappant doucement à sa porte. Il est l'heure d'aller manger. Tu es habillée ?
— Oui, shishou. J'arrive.
Pour la première fois depuis des mois, elle portait un vrai kimono, pas celui de combat qu'elle avait rapidement réenfilé quand elle avait combattu aux côtés de Fû à Takigakure. Un serviteur suffisamment discret pour qu'elle l'entende à peine avait déposé le vêtement sur une chaise devant sa porte. Le tissu bleu turquoise était brodé de feuilles d'érable blanches. La obi tranchait nettement avec le reste de la tenue, toute d'or et de nuances d'orange, mais c'était malgré tout un ensemble très harmonieux. Même sans s'y connaître plus que ça, Hitomi reconnaissait le travail d'un maître.
Ensui lui aussi se trouvait paré de beaux atours, un kimono formel dans des tons verts et crèmes qui complimentaient étonnamment bien son teint. La jeune fille remarqua qu'il avait poussé la vanité jusqu'à appliquer un peu de maquillage sur ses cernes en plus de son trait d'eye-liner vert sombre habituel. Elle, elle n'essayait même plus de cacher les siens. De toute façon, qui se souciait de la qualité de son sommeil sinon son maître et ses proches ? Elle se fichait comme d'une guigne de l'opinion des autres.
À la suite de son aîné, Hitomi traversa une cour intérieure puis un couloir très semblable à celui où se trouvait sa chambre. Encore une fois, elle fut dehors mais, cette fois, il la guida vers un petit bâtiment au toit plat juste à côté d'un temple. Elle percevait sans effort les énergies tranquilles, plus puissantes que celle d'un civil mais moins que celle d'un ninja, des moines et apprentis attablés. La vie dans ce sanctuaire avait-elle beaucoup changé depuis que son maître y avait été accueilli ? Elle avait hâte d'entendre les histoires qui se rapportaient à ce pan de son passé — s'il voulait raconter, bien entendu.
Il y eut une brève prière à laquelle les deux shinobi se joignirent avant que la nourriture soit apportée à table. Ni l'un ni l'autre n'était particulièrement fervent, même s'ils croyaient tout de même à la Flamme de la Volonté révérée par les moines. Malgré tout, ils connaissaient les rites, la manière dont on s'inclinait et à quel moment, les mots rituels à prononcer quand Koichi-san, qui menait la petite cérémonie, se taisait. Même les ninjas qui n'entretenaient aucune foi envers le symbole religieux de Konoha, souvent issus de familles civiles, apprenaient les rites au cas où ils auraient dû se faire passer pour des pèlerins ou d'autres croyants.
Enfin, ils purent manger. La nourriture était bonne, fraîche, simple. Hitomi ne s'était jamais vraiment demandé comment les gens mangeaient quand ils vivaient éloignés de tout, qu'il s'agisse de ressources naturelles faciles d'accès ou rassemblées par l'Homme. Certes, la forêt était luxuriante, riche, profonde, mais même les Chênes d'Hashirama et tout ce qui y vivait devaient s'incliner face à l'hiver qui battait son plein durant cette période de l'année. Quand le repas fut terminé, Ensui se joignit aux initiés qui débarrassaient ; son apprentie décida d'en faire de même. Ses études pouvaient attendre juste une heure de plus, pas vrai ?
Toutefois, une fois retournée dans la chambre, elle s'attela à son premier problème : trouver une manière de transmettre du son à travers un solide peu prompt aux vibrations. Elle était certaine qu'il y avait une faille, une possibilité. Elle explorait depuis quelques jours la voie de son propre langage écrit, durement composé depuis des mois et pas encore exactement terminé. Elle n'avait pas oublié l'idée que Jiraiya et Ensui lui avaient mis dans la tête en évoquant cette voie que tous les grands Maîtres finissaient par emprunter un jour. Un langage sans aucune limite, voilà qui lui plaisait.
Malheureusement, le sceau résista durant toute sa soirée de travail, au point qu'elle sentit sa frustration monter comme la marée à l'intérieur d'elle. Elle finit par accepter sa défaite temporaire et aller rejoindre son maître dans sa chambre. Il n'eut qu'à lui lancer un regard pour comprendre son état d'exaspération ; sa réaction fut idéale, comme souvent quand il s'agissait de leurs interactions. Il se leva du lit où il lisait avachi, se dirigea résolument vers une commode et tira un plateau de shôgi de l'un des tiroirs.
— Joue contre moi, demanda-t-il d'un ton presqu'impatient. Je veux voir à quel point mon apprentie a progressé.
Elle perdit cette partie et les trois suivantes, mais jamais sans avoir eu l'occasion d'effectuer des prises décisives et des coups plus que créatifs. Ensui complimenta son jeu devenu décidément plus agressif, ses nouvelles prises d'initiatives et ses défenses retorses. Il reconnaissait toujours les traces du style de jeu de Shikaku, les originalités apprises de Shikamaru, mais la trame de fond restait sa propre patte et il en éprouvait une ridicule fierté. Quand ils eurent fini de jouer, le soleil depuis longtemps disparu derrière l'horizon, il déposa un baiser sur son front puis lui effleura les tempes du bout des doigts. Aussitôt, elle se sentit merveilleusement somnolente.
Elle alla s'effondrer sans cérémonie sur son lit avant de décider que, quand même, sous les couvertures c'était mieux. Quelque part juste avant qu'elle ne s'endorme, Ensui ouvrit la porte entre leurs chambres. Un sourire ensommeillé se dessina sur ses lèvres quand Hoshihi et ses autres chats entrèrent les uns après les autres dans la chambre. Son familier s'affala près d'elle, tant pis s'il devait se coucher sur le sol pour tenir au plus près de son corps – le lit n'aurait pas supporté son poids. Seule Hai se blottit plus près, dans ses bras ; les autres s'organisèrent et s'installèrent là où ils le pouvaient, dans un silence feutré qui laissa leur invocatrice glisser doucement dans le sommeil.
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