Partie 1
J'étais connue au monde comme "Bora" la reine. La Bora qui avait le monde à ses pieds. La Bora qui vivait au summun du monde. À partir de là, les avis divergeaient. Certains voyaient en moi, l'image d'une femme condescendante tandis que d'autre disait de moi que j'étais quelqu'un qu'on ne pouvait envier. Au fond, l'on savait tous que cette montée au pouvoir m'avait isolée du reste du monde en créant un fossé entre moi et les autres.
J'assistais avec un dédain non masqué au énième défilé de ces mecs qui m'inspiraient moins confiance les uns que les autres. On se croirait quelques siècles auparavant, lorsque ces hommes au pouvoir massacraient notre belle planète. Ils l'avaient presque emmenée à sa perte. Heureusement que cette femme au masque était parvenue à libérer ce monde de ses bourreaux sans cœur et sans âme. Une statue d'elle était d'ailleurs érigée sur la place centrale de la cour.
Je portais la fierté d'être sa directe descendante et honorais la mémoire de mon ancêtre en faisant de mon mieux pour faire perdurer ses valeurs et ses mœurs.
Des Kim, des Jung, des Min, des Jeon, des Lee, des Choi, des Park, des Kang, des Ko et bien d'autres encore défilaient à longueur de journée devant mes yeux. À force, je ne voyais que les mêmes hommes : la peau claire, les joues creuses, les yeux bridées, la taille oscillant entre 1m80 et 2m00. Je ne les considérais plus comme des êtres humains, mais comme des clones, créés à l'effigie des uns des autres, masquant leur unicité par des couches exorbitantes de maquillage.
Je ne songeais, moi, de mon côté, qu'à une seule personne. Je ne connaissais ni son nom, ni son âge. Seulement des fragments de souvenirs de son faciès imprimés au fer rouge dans mon esprit. Il se chargeait, chaque soir, de me fait passer en boucle ce visage si délicat dont le crâne était affectueusement cajolé par un bout de tissu foncé et opaque.
Son regard empli d'un profond chagrin était resté ancré dans ma mémoire, et chaque fois que son image me revenait, j'apercevais cette tristesse tellement grande qu'elle semblait habiter chacune de ses pores.
Pensive, je continuais de m'imaginer ces lèvres d'un rose innocent que je n'avais eu l'honneur d'observer qu'une demi-seconde durant. Celles-ci contrastaient avec sa peau d'une blancheur cristalline.
Je l'avais vu de près, de très près, tellement que mon œil aiguisé pouvait envoyer à mon cerveau l'image exacte de ce qu'était son apparence. De tous les détails que j'avais pu apercevoir, aucun ne manquait à l'appel.
Petite fugitive, bientôt tu seras mienne. Ceci est une promesse de moi à toi, poupée.
— J'annonce la fin de cette séance. Je vais retourner à mes appartements. Bonne nuit, mesdames et messieurs, dis-je pour clore cette ixième séance des plus barbantes.
Alors que chaque membre de la cour s'inclinait afin de me retourner ma politesse, le page prit la parole. J'allais rétorquer quelque chose, mais une curiosité mal placée m'habitait alors je lui laissais le bénéfice du doute. Je voulais savoir qui se pensait avoir suffisamment de prestance pour oser se présenter ainsi à moi.
— Que le prince Kim Taehyung fasse son entrée, s'il vous plaît.
— Kim Taehyung, vous dites ? Il fait preuve d'un sacré culot pour venir ainsi chez moi. Faites-le entrer. Je veux voir ce qu'il a à me dire et à me proposer.
La grande porte s'ouvrit, des dizaines et des dizaines de musiciens firent leurs entrées et se placèrent en deux lignes parfaitement droite de part et d'autre de l'ouverture. En dernier, deux hommes en uniforme tracèrent leur chemin, déroulant à leurs trousses un épais tapis rouge avant qu'une paire d'élégantes chaussures ne se posent dessus. Une musique solennelle débuta et rythmait la marche de Taehyung. Cet homme dont on entendait le nom partout. Fils de Kim Seokjin, ils avaient pour ancêtre Kim Jaewook. Celui qui s'était opposé à la mise en place du matriarcat sur tous les fronts et qui avait déclenché plus de conflits que nécessaire.
— Kim Taehyung qu'avez-vous à nous proposer. Pour ainsi vous présenter à moi ?
Il ne pipait mot, se contentait juste de s'avancer face à moi. Je m'étais au préalable mise debout mais il me dominait d'une bonne tête. Je devais avouer qu'avoir l'audace de se présenter ainsi devant une reine n'était pas donné à tous. La prestance des princes n'était donc pas une légende, elle existait réellement et lui seyait comme un gant. Il avait l'étoffe d'un roi d'antan.
Figé devant moi, un petit sourire sur le visage, son second, Min Yoongi, tout aussi charmant se plaça à ses côtés. Ils sortaient tous les deux des normes de beauté masculine. L'un avait le teint halé tandis que l'autre le portait bien plus pale. Leurs expressions du visage ne me plaisaient pas particulièrement, le pouvoir leur montait à la tête et se manifestait dans leurs traits qui se voulaient plus dominants que soumis.
— Vous êtes ici chez moi. Ôtez-moi donc cet air supérieur de votre visage avant que je ne vous renvoie chez vous à coups de pied dans le postérieur avec en supplément un cadeau pour votre paternel.
— Ce ne sont pas des manières pour une demoiselle de votre classe de parler. Je m'excuse de cette intervention inopportune. J'avoue que cela ne fait pas parti de mes habitudes. Mais...
Ce fut le valet qui engagea la discussion, étrange. Kim Taehyung aurait-il été doté de tout, si ce n'était de la parole ?
— Abrégez. Je n'ai pas votre temps à perdre.
— Oh, excusez-nous, princesse-
— Reine. Je suis une reine.
— Pas la mienne à ce que je sache. Alors, princesse...
— Je suis une reine, vous êtes ici chez moi, alors je suis aussi la vôtre. Si vous n'avez rien de plus intéressant à dire, je vous prierai de quitter ma demeure. J'ai fort à faire. Ah oui, et ôtez ce sourire séducteur de votre visage. Il ne vous va pas et va faire apparaître des rides avant l'heure si vous voulez mon avis, ne pus-je m'empêcher de rétorquer.
Ma répartie me tuerait un jour.
— Tout doux, tigresse.
— Sortez de suite de chez moi. Gardes !
— Attendez, je suis sûr que mon offre peut vous intéresser, nous interrompit-il. D'un claquement de doigt, il ordonna à ses hommes de main de faire entrer quelqu'un. Je vous présente Lalisa Monobal, voleuse à ses heures perdues.
C'était elle, la femme qui accaparait toutes mes pensées jusqu'à celles les plus impures. Elle était là devant moi, en chair et en os, amenée à mes pieds par nul autre que mon ennemi.
Lalisa Monobal. Tu as un si joli nom, poupée. Dommage qu'il soit connu pour les mauvaises raisons.
— Mmmh, et donc ? répliquai-je, dubitative.
— Elle vous a volé vos biens. Vous ne pouvez pas laisser cela, prin- madame.
— Avez-vous tant de mal à m'appeler "reine" ? Mais soit, que voulez-vous que je fasse d'elle ?
— Vous ne punissez pas les voleurs ici ?
— Mademoiselle Monobal, pourquoi me volez-vous ? dis-je dans sa direction.
— Je- je suis désolée ma reine. Ma famille est dans le besoin et je n'ai pas pu trouver d'autres solutions. Punissez-moi mais laissez les autres en dehors de tout ça. Ils n'y sont pour rien, c'était mon idée.
Sa voix suave m'attaqua directement. Elle était exactement comme je l'avais imaginée, grave avec une bonne touche de douceur. Ses lèvres sèches m'appelaient pour que je les hydrate de ma salive. Mais l'heure n'était pas à cela. Un problème de taille s'imposait et celui-ci n'était autre que ce Kim Taehyung.
— Vous punir ? Mais quel genre d'idées est-ce là ? demandai-je réellement intriguée.
— C'est mon-monsieur Min, ma reine. I-il a dit que chez lui, les voleurs sont brûlés ainsi que leur famille. J'implore donc votre clémence, m'expliqua-t-elle en s'inclinant plus que nécessaire, les genoux au sol.
Yoongi, encore une fois. Mais pourquoi Taehyung ne prend-il pas la parole ? Je vais vraiment commencer à croire qu'il ne sait pas parler.
— Mademoiselle Monobal, vous êtes une femme. Levez-vous donc. Respectez-vous un minimum. Et puis, nous ne sommes plus au Moyen Âge, ce genre de pratique ne se fait plus. Me prenez-vous pour une barbare ?
— Que sous-entendez-vous là ? Que mon père est un barbare ? Les gens de cette espèce ne peuvent comprendre que par la manière forte. Ils sont bien trop sots pour utiliser ce qui leur sert de cerveau, tenta-t-il de se justifier.
— Tais-toi. Nous sommes chez moi ici, l'interrompis-je en perdant mon sang froid.
Je ne supportais pas que l'on dise de telles sottises alors que j'étais dans les parages. Cette époque était révolue, nous ne punissions plus les délinquants de façon aussi virulente. Nous avions évolué et de ce que je constatais, les hommes, eux, avaient toujours un train de retard sur nous. Comme d'habitude.
Voyant que cette pauvre voleuse au regard magnétique et aux lèvres attirantes ne se levait pas, je lui répétais une seconde fois qu'elle pouvait délier ses genoux de la terre afin que son seul contact avec celle-ci soient les semelles de ses chaussures.
D'un gracieux mouvement, elle se leva. Sa cape retomba par la même occasion de ses épaules jusqu'à ses talons d'une traite, masquant à ma vue le plaisir de voir ce que ce corps avait à montrer. Ce bout de tissu était toujours posé élégamment sur le haut de son crâne ne me permettant pas de définir ni la couleur, ni la longueur de ses cheveux, seul son visage poupin habillé de ses yeux à la carnation unique, de son nez aquilin et sa bouche timide. Le mystère planait autour de cette divine créature.
Qui es-tu vraiment, poupée ? Ton innocence mal dissimulée et ta prestance remarquable t'ont démasquée, ma puce. Sans compter ce tissu hors de prix qui t'habille des pieds de la tête. Qui es-tu vraiment ? Tu as de la chance, j'adore les devinettes et je vais bientôt m'amuser à te démasquer.
Je ne dis plus rien, les mots ne me venant pas face à cette beauté éthérée. Était-il même permis d'être dotée de cette délicatesse sans pareille ?
Lalisa Monobal, révèle-moi tous tes secrets avant que je ne vienne te dépouiller d'eux un à un. Moi-même.
— Qu'allez-vous faire d'elle, ma reine ? osa demander quelqu'un dans le public.
Outrés, mes invités de marque se retournèrent d'un même mouvement vers la détentrice de la voix. Il semblerait que chez eux, ainsi prendre la parole serait aussi un crime en lui-même. Décidément, bien des choses devraient être mises au clair entre eux et moi avant d'envisager quoi que ce soit.
— Très chère, ceci ne relève que de ma clémence et de ma façon de faire. Maintenant, s'il vous plaît mesdames, retirez-vous.
Peu à peu, elles partirent toutes, leurs époux à leurs bras. Songeuse, je m'en allais à mon tour en faisant signe à ma prisonnière de me suivre. J'arpentais ces dizaines de couloirs avec aisance, ne me préoccupant pas de ma cadence. Si je pouvais semer ces deux hauts-placés, cela m'arrangerait. Lalisa cependant ne me lâchait pas d'une semelle. J'entendais à ma suite un élégant retentissement, causé de nos talons, à intervalles réguliers. Nos deux pas se coordonnaient et résonnaient en symbiose, masquant ainsi le déchaînement de mon organe vital. Je ne parvenais pas à rompre ses battements effrénés, je n'avais jamais eu à le calmer ainsi. Je me demandais si la femme qui suivait mon pas les entendait.
— Princesse, où allez-vous ? Attendez-nous.
Je ne répondis pas, s'il me cherchait, qu'il m'appelle correctement. Je ne me plierais pas en quatre pour mon invité, et certainement pas pour un homme qui me manquait ainsi de respect. Je menais mon invitée à une chambre adjacente à la mienne, je pris soin d'ouvrir la porte grâce à la clé qui pendait toujours à mon poignet.
— Voici votre chambre. Installez-vous, je vous apporte un change après que je me sois débarrassée de ces deux pots de colle.
— Merci ma reine pour tant de bonté. Je vous suis énormément redevable. Je ferai tout ce que vous me demanderez de faire.
— Tout ? Hmmm, intéressant. Ma belle, je méditerai votre demande. En attendant, je vais chercher un vêtement confortable pour vous. Je reviens.
Sans lui laisser le temps de répondre, je sortis en prenant soin de verrouiller la pièce à double tour derrière moi. Il n'était jamais très sûr de laisser les portes ouvertes lorsque deux hommes aux intentions troubles erraient dans les parages. Et puis, laisser partir cette gazelle qui faisait naître en moi toutes ces choses partir serait sacrément dommage. Elle ne pourrait partir qu'à partir du moment où elle me laisserait indifférente. Il en était et il en serait toujours ainsi.
J'englobais rapidement les trois pas qui me séparaient de mes appartements et effectuai la même action que tout à l'heure. J'introduisis la clé dans la serrure avant de fermer correctement derrière moi. J'entrepris de prendre une douche afin d'enfin de débarrasser de cet habit inconfortable que je portais sur le dos depuis près de quinze heures. J'ôtai un à un mes vêtements afin de détendre correctement mes muscles sous le jet d'eau chaude sans oublier mon gommage préféré. Je fis rapidement ma toilette puisque mon invitée m'attendait et que je ne souhaitais la faire attendre plus que nécessaire.
Puis je me vêtis de mon pyjama le plus couvrant. Soit une nuisette bleu nuit accompagnée d'une robe de chambre assortie.
Déjà d'habitude je dors nue okay.
J'enfilai rapidement mes pantoufles et me dirigeai vers sa chambre, je ne m'annonçais pas puisque je partais du principe qu'elle m'attendrait sagement derrière la porte en bois massif. D'un mouvement de poignet je supprimais cette barrière qui me séparait de mon fruit interdit. S'il était interdit de s'unir entre femmes pour ne pas laisser les hommes seuls, rien n'interdisait de s'amuser, si ? Je voulais jouer avec ma proie et voir laquelle de nous deux rendrait les armes en premier.
Je pénétrais d'un pas discret puisque les tintements de mes talons aiguille ne résonnaient plus sur le sol. Tous types de pièces de tissus jonchaient le sol. Une cape bleu nuit, du même que mon pyjama, un legging noir, un débardeur noir et même des sous-vêtements en dentelle trainaient au sol. Ils ne pouvaient appartenir qu'à une seule personne. Je les ramassais un à un avant de nonchalamment les jeter dans le lit.
Ma poupée cache en elle un véritable démon luxurieux à ce que je vois. Je découvrirai chacune de tes autres vices.
J'allais vers sa table de chevet me servir un verre du champagne qui lui était mis à disposition. A ma grande surprise, je m'aperçus que la bouteille était ouverte et à moitié vide. A ce que je voyais, ma poupée s'était mise à l'aise. Une fois mon verre bien rempli, j'en fis de même avec le second, celui avec lequel elle avait déjà bu et le laissais à sa place. Puis j'allais m'asseoir sur une extrémité du lit et attendis patiemment les jambes croisées en sirotant avec plaisir ma boisson rosée, bercée par le bruit de l'eau qui coulait dans la douche à quelques pas de moi.
Je fus cependant sortie de ma torpeur lorsque soudainement, une voix s'éleva dans l'appartement. Sa voix. D'une clarté sans pareille, celle-ci réveillait mes tympans endormis par les piaillements incessants de tous ces prétendants fades. Je pensais avoir développé une surdité mais celle-ci s'était envolée lorsque sa voix sucrée s'était frayée un chemin jusqu'à ma cavité auditive. Je me laissais porter par son timbre envoûtant qui me fit me demander si elle n'avait pas d'autres talents cachés. Que je pourrais, moi-même, aller déterrer s'il le fallait.
Les minutes passèrent rapidement, le temps accélérait grâce à cette charmante mélodie. Ces sons se mélangeaient à mes pensées qui étaient toutes déjà tournées vers elle mais dont le mirage ne paraissait que plus réel désormais. Tellement réel que lorsque j'ouvris les yeux, je pus la voir devant moi les cheveux et le corps à peine enveloppés dans une serviette blanche. Des gouttes d'eau circulaient encore sur ses jambes humides avant de s'échouer dans les poils rudes de la moquette au sol.
Sans faire exprès, je me fis mal avec un de mes faux ongles et me rendis compte qu'elle était réellement devant moi, à moitié nue. C'était la première fois que je ne me maudissais pas d'être coquette.
Mais merde, elle est devant moi. A la sortie de la douche, si vulnérable mais si belle. Même la plus fragile des roses a des épines et je pense qu'elle en est la descendante.
Je ne pouvais toujours pas voir la couleur de ses cheveux puisqu'ils étaient cachés dans cette maudite serviette. Je n'avais jamais autant haï un morceau de tissu. Inconsciemment, je me souvenais qu'elle ne portait rien en dessous et que s'il y avait malencontreusement une brise un peu trop forte, son corps serait exposé à mes yeux. Etais-je en train de pécher ?
Un raclement de gorge se fit entendre, puis une voix timide s'éleva dans les airs.
— M-ma reine, vous allez bien ? Que faites-vous là ? J-je suis désolée de m'être montrée à vous d'une manière si peu décente.
Oh, comme ça, on perd son assurance ? Tu m'avais l'air bien à l'aise pourtant il y a quelques minutes, poupée.
— Ne vous excusez pas, très chère. Je vous ai apporté de quoi vous vêtir pour cette nuit.
— Bien, merci, me répondit-elle avec une gêne apparente.
Elle tendit timidement le bras pour attraper ce bout de tissu vermillon que je lui prêtais. J'avais hâte de voir comment cette couleur contrasterait avec la blancheur de son teint. J'imaginais déjà ses jambes dénudées mises en valeur par celle-ci, ses épaules lâches et découvertes ainsi que ses cheveux qui cascaderait dans son dos. De quelle couleur seraient-ils, d'ailleurs ? Tout en me posant la question, je me levais en direction de la porte. Je crus entendre une expiration de soulagement dans mon dos alors mon vil esprit pensa à quelque chose. Et si, je l'emmenais de suite à ses limites ?
En fait, j'avais changé d'avis.
— Vous vous souvenez lorsque vous aviez dit m'être redevable et faire TOUT ce que je souhaite ?
— O-oui ? me répondit-elle, intriguée.
— Je veux que nous discutions. Maintenant. Installez-vous sur le lit et je me mettrai à vos côtés.
— Laissez-moi l-le temps d'au moins me vêtir un minimum.
— Non, assumez la manière dont vous vous êtes présentée à moi.
Le jeu a commencé poupée. Et je déteste perdre.
Je me mis à l'aise sur son lit parfaitement fait. Je ne pus m'empêcher de créer un parallèle entre celui-ci et mon intérieur actuellement. Dans ma tête, mon cœur et mon esprit, un bazar sans nom régnait et des tempêtes virtuellement destructrices envahissaient ces espaces privés. Me noyaient dans leur aura destructrice.
Mais je n'allais pas ainsi me laisser faire. Depuis jeune, j'avais appris à me comporter ainsi, sans crouler sous les multiples responsabilités, garder la tête haute en toutes circonstances. Il était temps de mettre toutes ces années d'apprentissage à profit dans une situation qui me serait réellement utile.
— Venez vous asseoir à mes côtés. Dépêchez, je n'ai pas de temps à perdre à vous regarder ainsi figée.
— Mais, je n'peux pas. Je- Je veux dire, oui ma reine, se reprit-elle lorsqu'elle me vit la regarder d'un air mauvais. Tout ce que vous demanderez.
J'ai gagné la première manche, voyons si tu es capable de remporter la seconde. Ou bien je ferai un score plein, poupée.
Elle trainait discrètement des pieds et à l'approche du lit, elle enroula ses bras autour d'elle pour former un étau au-dessus de sa serviette. J'étais déçue, très déçue. Le tissu autour de ses cheveux que je devinais humides tenait rudement bien, il n'allait pas l'air de vouloir faillir à sa mission.
Je m'étais mise à l'aise. Au milieu du lit, les jambes croisées recouverte stratégiquement par ma robe de chambre, mon verre d'alcool toujours en main. Elle, cependant, choisit l'option de se mettre en bord de lit. Elle ne posa que son postérieur et le haut de ses cuisses sur la couverture blanche et laissais ses mollets dépasser ainsi que ses pieds toujours chaussés posés au sol. Elle instaurait consciemment une distance entre nous deux. Comme si elle ne souhaitait pas faire de bêtises en étant en contact avec moi.
— N'allez-vous pas boire la délicieuse substance que je vous ai servi ? Je ne pensais pas m'être trompée en pensant que vous l'appréciiez pourtant.
Rouge jusqu'aux oreilles, elle se releva toujours parée de sa grâce et se dirigea vers son chevet. De ses mains, elle attrapa sa coupe et en prit une gorgée en l'apportant à ses lèvres.
— Puisque vous y êtes, resservez-moi je vous prie.
Sans un mot, elle lia ses doigts à la bouteille et s'approcha de moi d'une démarche peu assurée. Elle s'arrêta au bord du lit en réfléchissant à comment atteindre mon verre sans en renverser partout sur le lit. Il fallait dire que je ne lui facilitais pas la tâche en ne m'étant pas installée au bord et que mon côté mesquin comptait sur mon statut pour ne pas avoir à lui tendre ma main d'une quelconque manière.
Sans d'autres choix, elle monta un genou sur le lit puis posa son coude opposé pour garder un certain équilibre. Elle me servit un peu maladroitement mais une fois mon verre plein elle put faire machine arrière en se relevant. Le processus était bancal, mais au moins, il m'avait laissé la possibilité d'entre apercevoir un tatouage sur le haut de sa cuisse. Une fleur de lotus englobée dans un croissant de lune.
Mais, qui es-tu ?
Je l'observai, voir ce qu'elle allait faire. Elle avait rapidement posé son verre et s'en était allée avec les vêtements de rechange que je lui avais apporté dans les bras. Cette femme était un mystère à part entière. Pourquoi portait-elle sur elle la marques d'une civilisation vieille de plusieurs siècles ? Un tas d'interrogations naquirent dans ma tête.
J'attendis quelques minutes seulement, accompagnée cette fois de bruit de chiffonnement, de vêtements que l'on enfilait. Mais aussi le bruit caractéristique du sèche-cheveux. Allais-je enfin la voir dans son entièreté ?
— Dites, madame, puis-je enfiler ma cape ? elle élevait la voix depuis la salle de bain.
— La tenue que je vous ai apportée ne vous plaît-elle pas ? Je suis déçue je pensais vous avoir cernée, dis-je en référence à ma réplique précédente.
— Non, ce n'est pas ça. Je n'ai juste pas l'habitude d'être à ce point, exposée. Si vous voyez ce que je veux dire.
— Aaah c'est cela votre problème. Eh bien, si cela peut vous mettre davantage à l'aise, je peux me mettre dans la même tenue que vous.
— Non, c'est bon, cela ira.
— Ne vous en faites pas, je sais que cela peut gêner de s'exposer ainsi. Je comprends parfaitement. Et puis, je commence à avoir chaud à cause de l'alcool.
Sans perdre de temps, je me débarrassais de ma robe de chambre pour ne rester qu'en nuisette. C'était un pari osé, mais qui pouvait décider de ce que je faisais de mon corps ? J'avais trente ans, trente années passées à servir ma nation, il était temps qu'enfin je puisse m'amuser un peu.
Quand elle pénétra dans la pièce, je vis pour la première fois sa chevelure. Une chevelure cuivrée virant au doré habillait le sommet de son crâne. Ceux-ci retombait en cascade dans son dos et la robe que je lui avais offerte était parfaitement ajustée à sa morphologie. De plus sa carnation de peau s'accordait exactement au vermillon du tissu. Elle était à tomber.
— Eh bien, vous voyez quand vous le voulez. Ce n'était pas bien compliqué voyons.
Elle ne me l'avouerait probablement jamais, mais, j'avais vu ses yeux opérer un aller-retour sur mon corps pour le reluquer. Ce fait me confirma que je lui faisais de l'effet et cela me rendit toute chose.
Je voyais qu'elle tentait de se cacher au mieux à l'aide de ses bras alors je me levai du lit et récupérai son verre précédemment abandonné sur le chevet.
— Prenez ceci. Il vous aidera à vous détendre.
Nous nous installâmes toutes les deux sur le lit. Moi je me sentais à l'aise mais je la voyais encore légèrement tendue. Un silence réconfortant prit place entre nous mais je ne voulais pas que notre échange se résume à cela. Je voulais davantage entendre sa voix, démasquer ses mots, comprendre sa vie.
— Dites-moi, mademoiselle Monobal. Qu'est-ce qui vous amène par ici. Soyez honnête. Tout ce qui est dit ici, reste exclusivement entre ces quatre murs.
— Hm, mais monsieur Taehyung vous l'a dit. Je suis venue vous voler, avoua-t-elle avec une once de honte dans la voix. Je suis sincèrement navrée d'avoir eu recours à ce moyen peu éthique. Veuillez m'excuser, je vous en prie.
— Je ne vous croie pas mais supposons que ce soit le cas. Où sont les biens que vous avez dérobés ?
— Je-
— Bien, j'ai compris.
Je ne sus sur combien de temps cette discussion s'étendit encore. Mais au vu du nombre de bouteilles ouvertes avant que je ne retourne à mes appartements, bien deux-trois heures s'étaient écoulées.
Ce soir-là, j'avais trop bu.
Et elle aussi je pense.
Je me rendis à mes appartements avec difficulté, je peinais à me tenir sur mes deux pieds et l'alcool embrouillant mon esprit, je ne m'aperçus pas qu'une autre personne se trouvait elle aussi dans les couleurs parce qu'elle ne trouvait pas le sommeil. Je n'étais pas non plus au courant que des clichés de moi ivre se trouvaient désormais entre les mains d'une autre personne qui pourrait à tout moment les divulguer au monde entier.
Je m'écroulais comme une masse à peine étais-je parvenue à mon lit et tombais directement dans les bras de Morphée.
Le lendemain matin...
En sortant du lit avec un mal de tête intense dû à l'abus d'alcool de la veille, je fis ma toilette du matin. Il y eut longtemps que je n'avais pas dormi habillée. J'avais depuis un temps pris l'habitude de me sentir libre de toute entrave durant mon sommeil mais pour la première fois depuis fort longtemps, j'étais rentrée complètement ivre et avait omis de retirer les bouts de tissu que je portais alors sur moi. Je me demandais moi-même comment l'ivresse ne m'avait pas conduite à m'endormir dans les bras de ma belle. Je tentais tant bien que mal de me remémorer ce qui avait bien plus se passer pendant que nous discutions mais rien ne me revenait. Si ce n'était cet étrange tatouage sur le haut de sa cuisse.
Le lotus et son croissant de lune.
Je cherchais dans mes souvenirs, fouillais même ceux qui étaient le plus profondément ancrés mais rien ne me venait. Je me rappelais les avoir déjà vu par le passé dans les manuels d'histoire mais je devais avouer que cela remontait trop loin pour qu'une once de précision puisse me traverser l'esprit. Rien du tout.
Je vérifiais l'heure. 12 h 27. Je m'étais levée bien tard aujourd'hui alors je ne devais plus traîner. Je me vêtis d'une robe avec quelques couches de trop et partis vers la salle à manger. Mes invités se tenaient déjà là, et ne m'avaient visiblement pas attendue avant de démarrer le repas. Quels impolis.
— Messieurs, ne vous a-t-on jamais appris à attendre la maîtresse de maison avant chaque repas ?
— Madame, bonjour à vous aussi. J'espère que vous avez bien dormi, me salua le bras droit de Taehyung, Min Yoongi, me semblait-il, avec un discret air moqueur collé au visage.
— J'espère qu'il en est de même pour vous, monsieur Min. Où est-elle ? dis-je simplement, il comprendrait de qui je voulais parler.
— Dans sa chambre encore, je pense. Mais quelle importance pouvez-vous lui apporter ? Cette femme ne vous apportera que des problèmes, me dit Taehyung, un air ennuyé au visage.
J'arrêtais une serveuse au passage et lui dis discrètement de ramener de quoi manger à ma belle. Elle ne devrait pas avoir de mal à le faire. Je mangeais distraitement mon repas et m'excusais à demi-mots auprès de mes invités pour me rendre à la bibliothèque du château.
Toute l'après-midi j'épluchais les divers manuels d'histoire et grimoires anciens à la recherche de ce mystérieux symbole. Les manuscrits s'empilaient les uns au-dessus des autres et créaient, sur la durée, une montagne qui menaçait à tout moment de s'écrouler au sol.
Je lisais à une vitesse affolante tous ces bouquins aux titres plus anciens les uns que les autres et me créais des nœuds au cerveau à force de déchiffrer les lettres à moitié effacées par le passage du temps. Ce symbole était si rare mais les éléments si communs que je crus par deux fois les apercevoir et ces deux fois une déception infinie s'était peinte sur mon visage. Je vis que l'heure du dîner approchait, et donc que mes recherches allaient bientôt devoir cesser puisque j'aurais sûrement d'autres obligations après le souper étant donné que je m'étais éclipsée ici au lieu d'admirer le défilé de prétendants journalier.
Mais alors que j'allais quitter la bibliothèque, je vis, en rangeant mon bazar, un livre qui attira particulièrement mon attention. Le dos de celui-ci était intact, et, en surbrillance je pouvais y lire « le livre aux mille réponses ». Il m'appelait presque, alors je le pris sous mon épaule avant de quitter la pièce.
19 h 57, j'avais réellement passé l'après-midi à lire, chercher et déchiffrer. Mon cerveau était en ébullition, je ne pouvais plus réfléchir par moi-même. Ereintée je me dirigeais vers la salle à manger pour la seconde fois de la journée. Je ne savais même pas si j'avais l'énergie nécessaire pour confronter Taehyung une seconde fois.
Tel un automate, je m'attablais à ma place, me munis machinalement de ma fourchette et mon couteau avant de déguster lentement ce plat qu'ils servaient une fois par semaine. Je n'aimais pas forcément cela mais au fil des ans je m'étais habituée. Piquer, couper, ouvrir la bouche, y enfoncer la nourriture, refermer la bouche, mâcher, avaler, recommencer. Et ainsi jusqu'à ce que mon assiette soit vide. Puis je m'en allais me coucher. Quelle idée aussi de boire comme ça puis lire le lendemain.
L'ivresse et la gueule de bois creusent.
J'allumais une bougie parfumée pour calmer mes maux de tête, puis machinalement, je mis une musique douce. Douce et harmonieuse, qui se faisait une joie de s'incruster dans mon cerveau. Je la faisais jouer en boucle, ne me lassant jamais de cet air mélodieux. Le pouvoir de la musique envoyait les notes directement contre mes neurones et emportaient tous les parasites avec eux lors de leur envol. Mais il me manquait quelque chose, cette note sucrée qui me faisait vibrer. Cette note sucrée que Lalisa lui apportait la veille.
Je ne mis pas plus longtemps avant de me poser dans mon lit, curieuse comme je l'avais toujours été, je devais savoir ce que ce livre contenait pour m'intriguer de la sorte. La couverture était ornée de dorure à divers endroits, on voyait une suite de lettres phosphorescentes aux nombreux détails écrits à la manière des enluminures que nous retrouvions dans les anciens livres, et, je ne saurais le décrire mais ce livre pesait une tonne tout comme il pouvait n'être qu'un poids plume. Comme s'il s'agissait d'une chose que mon cerveau décidait. Il défiait toutes les lois de la physique.
Je l'ouvris d'un coup de main mais la déception se peignit sur mon visage, il n'y avait rien. Je passais mon doigt au-dessus de ces pages vierges mais rien ne se produisit. Je sentais sous ma pulpe la texture rude du papier mais il n'y avait rien d'autre. Rien qui ne m'indiquait comment me servir de ce "livre aux mille réponses". Était-ce un message subliminal pour que je me bouge les neurones ?
Je n'avais pas l'habitude de ne pas avoir ce que je voulais alors cet inattendu me mis de mauvaise humeur. Je me contentai de laisser ce livre au milieu de mes draps et entrepris d'aller prendre une douche. Au moins, elle, elle ne me décevrait pas. J'ôtai un à un mes vêtements et rapidement j'entrai dans la douche, les notes réconfortantes toujours entremêlées dans ma tête.
Je finis de me laver, de fond en comble comme j'avais l'habitude de le faire. Lorsque j'éteignis l'eau, la musique s'arrêta avec elle. Elle était partie et avait emporté chacune de mes contractions cérébrales avec elle. J'étais là, plus qu'heureuse de perdre ce poids qui pesait sur ma personne depuis quelques heures. Je m'enveloppais dans une serviette blanche sans prendre la peine d'en faire de même pour mes cheveux. Ils sècheraient bien durant la nuit.
Je retournais à ma chambre et vis une personne penchée sur mon lit. Sa cape sur le dos, je la reconnus de suite. Cette odeur, cette aura, ce charisme, cela ne pouvait être qu'elle. Mais comment était-elle parvenue à mes appartements ? N'était-elle pas censée être enfermée dans sa chambre comme je l'avais intimé à tout le monde ?
Je fis un raclement de gorge peu gracieux, mais à ce moment-là, je n'en avais que faire. Je détestais par-dessus tout que quelqu'un vienne dans ma chambre. A l'entente de ce son qui était sorti de mon corps, elle sursauta et tomba à la renverse sur mon lit, la main sur le cœur.
— Oh, madame. Que faites-vous là ? Vous m'avez fait peur !
— Nan mais je rêve. C'est toi qui es dans ma chambre et c'est aussi toi qui me pose la question. Quel culot, Lalisa.
— Je-. Excusez-moi, je m'en vais.
— Alors, non. Tu vas rester assise sagement ici comme une bonne fille et me dire comment tu es sortie de ta chambre ainsi que les raisons pour lesquels tu es dans la mienne.
— V-vous aussi êtes venue dans ma chambre hier.
— Bien, je crois que j'ai été trop clémente avec toi. S'il y a bien une chose qu'il faut savoir de moi poupée. C'est que je ne suis clémente que si j'en tire quelque chose. Je suis reine et tu n'es rien d'autre qu'une pauvre femme des rues. Alors soit tu me dis tout de suite ce que tu es venue faire dans ma chambre. Soit tu dégages d'ici tout de suite.
— Je croyais que je n'étais pas votre prisonnière, altesse, me répondit-elle un sourire suffisant collé aux lèvres.
Je n'aimais pas du tout la manière dont sa voix avait muté ni comment ce dernier mot était teint d'une moquerie non dissimulée.
— Alors, écoute-moi bien, je suis celle qui tient les rênes alors si je décide que tu n'as plus ta place ici, je peux très bien te donner à manger aux crocodiles qui nagent dans les douves. Apparemment, il s'agit d'une mort lente et douloureuse. Ne joue pas trop avec le feu au risque de te brûler les ailes, poupée. Je suis dotée d'un sang brûlant. Qui. Es. Tu. Vraiment. Je ne le répéterai pas deux fois, à toi d'être intelligente sur ce coup-ci.
— Lalisa Monobal, très chère. Vous étiez déjà au courant, pourquoi dois-je le répéter ?
— Lalisa. Je ne sais pas qui tu es. Mais je ne tarderai pas à le découvrir, ne t'en fais même pas. Maintenant, vas-t-en avant que je ne fasse une connerie. Et un conseil, ne pose plus jamais un pied ici sans mon autorisation. Où ce ne sera pas qu'un pied qu'il te manquera.
Je bouillonnais de rage, oui. Mais pourquoi se permettait-elle d'être insolente de la sorte ? Quand j'entendis le claquement de la porte se fit entendre, je me sentis de nouveau moi-même. Que diable s'était-il passé ? Qui était-elle réellement ?
Je me mis dans mes draps fraîchement changés mais malgré le nombre d'allers-retours que je faisais dans mon lit, je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Il ne voulait pas venir me chercher cette fois. J'avais la vile impression que je pouvais me retourner des dizaines de milliers de vois, je ne pourrais m'endormir sans avoir accompli quelque chose en plus. Dans cette situation, je me remémorais les événements de la journée et souvent, je savais ce qui clochait.
Ce mot s'illumina dans mon esprit comme une évidence.
Le livre !
Le train en marche qu'était mon esprit se remettait en marche. Mes souvenirs s'entrechoquaient et une adrénaline qui me venait de nulle part me fit bondir de mon lit. Je devais impérativement mettre la main sur ce livre, quelque chose me dit qu'il n'était pas anodin de le posséder et qu'il pourrait causer de graves dommages.
Il n'eut pas à longuement réfléchir puisque la seule autre personne qui s'était rendue dans ma chambre n'était autre que Lalisa Monobal. Ni une ni deux, j'enfilai un t-shirt trop grand que j'avais l'habitude de laisser au chevet pour les cas où j'aurais besoin de sortir en urgence. Celui-ci me tombait au-dessus des genoux et je savais d'avance qu'il n'allait pas me protéger de la morsure du froid. Je n'avais cependant pas de temps à perdre alors je me chaussai en quatrième vitesse et au bout de quelques secondes à peine, ma clé se trouvait déjà dans sa serrure.
Je ne devrais pas faire ceci, me rendre dans ses appartements. Pas après ces clichés qui pouvaient mettre ma réputation en péril. Si j'étais raisonnable, je ferais demi-tour et ne m'approcherais pas de sa chambre avant que l'auteur de cette intrusion ne soit arrêté. Mais cette maturité que j'étais censée avoir acquis n'était plus. Seul l'envie de savoir, et peut être aussi l'envie de la voir, m'animaient.
D'un coup d'épaule, je poussais cette porte et aux premiers abords, je ne vis personne. Le lit était fait et rien ne trainait au sol. Tout de cette chambre était intacte, comme si elle n'avait jamais été habitée. Comme si elle n'avait jamais existé.
En y repensant, la porte était verrouillée. Or, à ma connaissance, à cette heure-ci personne ne se trouvait dans les couloirs. Qui avait fermé cette porte ?
Mais surtout, où était-elle ?
J'allais aux fenêtres du palais et me dis qu'elle devait sûrement s'être rendue à l'extérieur de ces remparts. Cela ne m'étonnerait point d'elle. Elle était ce type de personne à se jeter à corps perdu dans l'inconnu, je l'avais lu dans ses iris. Mais comment pouvais-je lui remettre la main dessus ? L'horizon s'étendait à perte de vue, ce serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin.
Il fallait croire que ce soit, toute rationalité et intelligence m'avaient délaissée. Puisque mon courage à deux francs, ou plutôt ma bêtise, me fit prendre la décision de me lancer à sa suite sans prévenir personne. Je passais par les cuisines pour rejoindre le hall d'entrée et un éclair de lucidité me traversa l'esprit. Ma chevelure violette ne passerait jamais inaperçu à l'extérieur quand bien même il faisait sombre et qu'il pleuvait à torrent. Alors j'attrapais la première nape que je voyais pour me la draper sur la tête et enfin partir vers les horizons éloignés.
Pas un bruit ne s'élevait dans les airs lorsque je traversais la pièce menant aux portes, le jour et la nuit n'avaient aucun trait en commun dans cette pièce. Si lorsque l'astre du jour nous donnait de la chaleur, cette pièce grouillait de monde et un boucan sans pareil régnait, quand sa jumelle était aux commandes, tout l'inverse se produisait, un calme libérateur englobait l'espace et le plongeait dans un univers parallèle.
Les impressionnantes portes étaient bloquées grâce à un bout de bois qu'il suffisait de soulever pour avoir accès à l'extérieur, alors ce fut chose faite et lorsque le dehors me fut enfin accessible, je soufflais un bon coup.
La sensation d'avoir les cheveux au vent me manquait mais au moins je pouvais sentir la brise légère m'effleurer la peau. La pluie venait quant à elle humidifier chaque partie de mon corps au point de me faire frissonner. Elle me rendrait malade un jour.
Je parcourais les rues environnantes, guidée par la clarté de la Lune, les étoiles ouvraient la route tandis que gouttaient des cieux, une averse des plus envahissantes. La noirceur de l'endroit était mise en valeur par la lumière des astres. Mon pouls accéléra dangereusement à la dégustation de l'inconnu et mon cœur battait la chamade, guettait la venue d'un possible danger.
La direction que je souhaitais prendre ne dépendait plus de mon libre arbitre, une force autre choisissait à ma place. Mon esprit était tu tandis qu'un autre prenait sa place. Me menait, je l'espérais jusqu'à celle que je poursuivais.
Je frissonnais de plus en plus dans et accoutrement estival. Mon pauvre t-shirt ainsi que la pauvre serviette dans laquelle mes cheveux étaient cachés ne protégeaient pas suffisamment mon corps de toute cette eau qui arrivait de tous les côtés. J'avais l'impression que plus je m'en allais, plus l'averse était forte et moins je parvenais à correctement avancer.
Je m'approchais dangereusement de la place centrale, un lieu dangereux duquel je ne m'étais jamais aventurée. D'une part parce que cet endroit grouillait de monde à toute heure de la journée, d'autres parts car de la première raison découlait la seconde, je ne devais au grand jamais me montrer dans ce lieu de perdition, me disait ma mère lorsque j'étais jeune.
Cependant, mon inconscient m'avait menée là. Et je n'arrivais à me résoudre à quitter cet endroit. Je regardais aux alentours et ne vis aucune âme. Ce lieu était mort et comme pour ajouter à l'atmosphère morbide, l'orage commençait à gronder dans les cieux.
Je découvris en ce lieu désert, une estrade au centre de la place. Celle-ci, située en hauteur me semblait suffisamment grande pour y accueillir un bon nombre de personnes. Une échelle permettait d'y accéder alors je l'empruntais en prenant garde à ne pas me blesser. Le vent soufflait fort et par deux fois, je crus que l'équilibre me manquait et que j'allais me casser la figure. Néanmoins, ce ne fut pas le cas. J'étais arrivée en haut de cette échelle en vie.
Ce lieu semblait isolé, le vent, la pluie, et le tonnerre ne s'acharnaient pas autant qu'en bas. Mais quand je tournais la tête vers le centre, toutes les réponses à mes questions me vinrent. Un violent tourbillon était ancré à cette place et en son centre, je pouvais apercevoir la chevelure si caractéristique de Lisa. Cette nuance cuivrée virevoltait et une voix s'élevait dans les airs. Elle récitait une incantation que je ne reconnus pas.
Je m'approchais de cette apparition presque divine à mes yeux. Je pouvais quasiment distinguer une aura blanche autour d'elle. Ses bras levés devant elle tenaient en leur extrémités mon journal, tandis qu'un faisceau le reliait aux cieux. Je ne savais plus ce que je faisais mais il ne fallait pas que le firmament soit relié à nous, ou alors je sentais que le pire ne tarderait à venir.
Très vite, des tâches noires remontaient par ce trait de lumière. Plus le temps passait, mieux je pouvais les voir. Je pouvais distinguer des symboles de tous types, des croissants de lune, des fleurs de lotus, des corbeaux ainsi que des lyres.
Ils tombaient tout autour de nous à la manière de la pluie. Ils se mélangeaient à elle, valsaient ainsi de se fondre ensemble. Je ne parvenais pas à comprendre ce qu'il se passait exactement alors je ne faisais qu'observer les alentours.
Lalisa demeurait toujours dos à moi, sa chevelure agitée par le vent me permit de voir, une fraction de seconde durant, le point de départ de tous ces symboles. Je compris que c'était d'elle que ces symboles sortaient et que c'était elle qui les guidait jusqu'aux cieux.
Si je voulais que cela cesse, il fallait que je l'interrompe dans son processus. Mais j'avais la nette impression que les chances qu'elle soit blessée n'étaient pas inexistante. Or, je n'avais d'autres choix que de tenter d'arrêter cette mascarade avant que je ne puisse plus la contenir. Il fallait que je protège mon peuple.
Je ne savais pas ce que je devais faire, je ne savais pas ce qui serait le plus efficace, je ne savais pas ce qui m'empêchait de vouloir la brusque, je ne savais pas ce qui me faisait penser cela.
Mais ma fascination pour cette femme ne fait qu'augmenter.
A pas feutrés, habitée par une certaine crainte, je m'approchais d'elle. D'une main incertaine que j'approchais de son épaule, je la touchais. Et le résultat ne fut autre qu'une sensation de courant qui me traverse toute entière. Des cheveux jusqu'aux bouts des orteils.
Elle, cependant, ne sursauta que légèrement. Si peu que dans mon for intérieur, je me mis à croire que j'avais imaginé ce contact qui m'avait électrisée. Alors que j'approchais à nouveau ma main de son omoplate, une voix résonna. Sa voix, quand bien même des échos s'étaient incrustés dans ses notes vocales, je ne pouvais que reconnaître ce timbre unique.
— Que fais-tu, humaine. De quel droit te permets-tu d'ainsi m'interrompre ?
— Lalisa ? C'est toi ?
— Lalisa n'est plus là. Toi, en l'occurrence, tu l'es et tu ferais mieux de ne pas me déranger si tu ne veux pas disparaître.
Sa menace était à peine voilée, elle ne savait plus qui j'étais parce que même la personne dotée de la plus grande audace ne pourrait s'adresser à moi de cette manière.
Son attention détournée, l'intensité de son sacre diminua. Quelque part, je savais que si la lumière disparaissait, cette cérémonie douteuse s'achèverait là, du moins pour cette fois au moins. Je ne remarquais que maintenant la lueur incandescente dans son regard mais celle-ci s'éteignait à un rythme fulgurant jusqu'à ce que son iris ne retrouve son éclat naturel.
Tout s'arrêta progressivement, c'était comme si j'observais la scène grâce à l'option rembobinage du téléphone. Cette scène que j'avais vue quelques minutes auparavant se déroulait dans le sens inverse sous mes yeux.
Tous les artifices disparurent, tous ces symboles retournèrent dans le sein du libre et la lumière se rétracta dans le bouquin. Il n'y avait plus rien de tout cela. Même la pluie s'était calmée même si nous étions déjà trempés à cause de son précédent passage.
Il ne restait sur cette estrade plus que moi, elle et le silence environnant. Toute cette énergie que j'avais pu ressentir avait soudainement disparu. Le livre s'était échappé de sa prise et avait atterri auprès de mes pieds, tandis que je me baissais pour le ramasser, un bruit résonna tout près de moi comme un poids mort.
En levant les yeux, je vis que ce poids mort n'était autre que Lalisa. Elle s'était écroulée au sol sans pouvoir se raccrocher à quoi que ce soit parce que cette cérémonie lui avait privé de sa force vitale. Je rangeais rapidement cet objet à la nature inconnue dans le sac qu'elle avait transporté avec elle avant de la soulever dans mes bras. Elle était si légère dans mes bras. Si vulnérable et si pâle blottie là tout contre moi. Je ne pensais qu'à rentrer pour réchauffer ce corps grelottant, qu'à apaiser cette chaleur insoutenable qui me brûlait le cœur, qu'à pouvoir m'assurer qu'elle aille bien.
Je réfléchissais sur le chemin du retour. Je pensais à tout ce qu'il m'était arrivé depuis son arrivée à peine deux jours plus tôt. Je n'avais jamais voulu que tout cela arrive. Je n'avais jamais voulu que mon cœur jette son dévolu sur une femme. Je n'avais jamais agi de cette manière avec qui que ce soit.
Je n'avais jamais voulu de tout ça mais maintenant que je l'avais, je ne me voyais plus parcourir le chemin de la vie sans sa présence à mes côtés.
Depuis cette journée, je ne me reconnaissais plus. Mes agissements qui avaient toujours existé en fonction de mes désirs ainsi que de mes responsabilités ne suivaient plus le cours de ma pensée ces derniers jours mais celles d'une tierce personne.
Je me fichais de la pluie qui inondait mon visage, de l'eau qui pénétrait dans mes chaussons, des pairs d'yeux discrets qui pouvaient potentiellement m'épier. Je ne voulais que m'assurer qu'elle soit saine et sauve. Que cette soudaine perte de conscience ne l'avait pas neutralisée pour toujours. Qu'elle me reviendrait pour que je puisse élucider ce mystère.
Bien vite, mes jambes me reconduisirent au palais. Les portes toujours déverrouillées me permirent de rentrer discrètement. Sans un bruit, je me rendis à mes appartements en la tenant dans mes bras, toujours inconsciente.
Tu me fais chier en temps réel, mais encore plus quand tu ne me réponds pas. Poupée, descelle-moi ces paupières, je t'en prie.
Je jetais la nappe qui avait servi à couvrir mes cheveux dans le sceau destiné à la cuisine. J'égouttai de partout, salissant la moquette sous mes pieds. Ma paire de souliers était définitivement ruinée alors je m'empressai de les jeter dans la caisse destinée à la carbonisation afin de ne pas laisser de traces de mon escapade nocturne.
Je l'installais sur le côté de mon lit, l'extrémité opposé à celui sur lequel je dormais habituellement. Je lui laissais sa cape, décidant qu'il valait mieux que je m'occupe de moi avant de la mettre à l'aise. Je me dirigeais vers ma salle de bain tout en retirant mon unique t-shirt .
J'allais sous le jet d'eau brûlant de ma douche en étant trempée jusqu'aux os. Inconsciemment j'espérais que j'entendrais de nouveau cette voix s'élever dans les airs pour bercer mes tympans sensibles. J'espérais que lorsque je sortirais de cette salle de bain, elle serait là, à m'attendre dans mon lit. J'espérais qu'elle s'en sorte pour savoir si ces sentiments que je ressentais à son égard étaient réciproques, dans le cas contraire, je ne saurais ce que je ferais.
Il m'était impensable qu'elle puisse ne pas me retourner mes sentiments. Qui ne rêvait pas de se pavaner à mon bras ? Qui ne rêvait pas de se vanter mon exclusivité ? Après tout, j'étais la reine. Je n'avais jamais douté de mon pouvoir sur autrui. Je pouvais avoir n'importe qui, n'importe quand, n'importe où, à condition que je le demande. Mais pour la toute première fois, je doutais. Après tout, j'étais novice dans le domaine du cœur.
D'habitude, l'eau emportait dans le syphon chacun de mes craintes pour m'alléger de ces poids que je portais toute la journée sur mes épaules. D'habitude, je ressortais de la douche apaisée. Mais pas cette fois. Cette fois, en dépassant le pas de la porte de la salle de bain, rien n'avait changé. Je me demandais si ce n'était pas pire. Je me demandais si la voir ainsi, allongée, pâle et sans défense, ne rendait pas les choses pires.
Poupée, habille-toi de tes griffes et reviens me défier.
Je ressentais de la peur. Ce sentiment que j'avais passé tant de temps à ne pas connaître s'abattait impitoyablement sur moi. Toutes ces années à être dans la peau de la prédatrice m'avait épargné le rôle de la proie ainsi que sa vulnérabilité. Mais il fallait bien que je ressente ce sentiment un jour ou l'autre. La vie ne se vivait pas pleinement sans ses hauts et ses bas, sans ses joies et ses tristesses, sans ses moments de puissance et ses peurs, sans ses moments d'excitation et ses colères.
Aujourd'hui, je découvrais enfin un recoin de ma personne qui jusque là avait été envahi par les ombres. J'y trouvais un bouclier, fissuré. Celui que j'avais tant utilisé pour protéger mon cœur en pensant être invincible ainsi. Je pensais sincèrement qu'en évitant la bête, je serais suffisamment protégée. Mais cette chose pouvait prendre des formes diverses et variées et attaquer au moment qui lui semblait le plus opportun.
La peur réveillait en moi cette violence, cette envie irrépressible d'engloutir les trois pas qui me séparaient d'elle et de la secouer comme un prunier jusqu'à ce qu'elle se réveille. Elle me donnait envie de me priver de respirer pour que cette femme couchée dans mon lit le fasse.
Je n'ai jamais rien ressenti d'aussi intense et ça me fait peur.
Ce sentiment n'était pas anodin. On ne se rendait compte de la valeur des choses que lorsqu'elles ne nous appartenaient plus. Et là, je ne pouvais m'empêcher de me dire qu'elle était passée à deux doigts de l'extinction. Que si sa poitrine ne se soulevait pas à intervalle régulier, j'aurais pété les plombs. Que j'avais besoin d'entendre sa voix de miel pour être convaincue de son état.
Sans même m'en rendre compte, j'étais au pied de mon lit. Sa main pendait au bord du lit, juste à côté de mon visage. Le parfum de la pluie était resté accrocher à son épiderme et embaumait mes narines. Je me demandais s'il y avait quelque chose qui la ferait sentir mauvais.
J'observais sa beauté éthérée. Ses yeux que je savais en amande cachée sous ses paupières, sa bouche en cœur d'un rose frais, son nez aquilin parfaitement proportionné au reste du visage, ses deux joues légèrement colorées et pour finir sa peau de porcelaine. Son épiderme d'une douceur sans pareille et qui semblait si fragile qu'elle donnait l'impression de pouvoir se fissurer rien qu'au frôlement d'une feuille.
Ma poupée, réveille-toi. J'ai encore besoin de tes piques acerbes.
Je me dirigeai vers ma penderie et revins avec un t-shirt et un pantalon en lin, assez large pour ne pas lui donner trop chaud. Sans me préoccuper de ma moquette déjà foutue, je jetais aléatoirement ses vêtements sur le sol. Et quand j'eus fini de la vêtir, j'attrapai un pan de la couverture et la couvris intégralement. Mes vêtements paraissaient si petits sur elle.
Je retournai vers la salle de bain sans oublier de ramasser son linge usé et mis le tout dans le panier qui irait aux machines à la première heure le lendemain. Ensuite, j'attrapai une serviette en coton et la passai sous l'eau chaude en ne l'essorant que légèrement dans l'optique de la lui poser sur le front. Je me souvenais que ma maman avait l'habitude de faire cela quand j'attrapai froid à cause de la pluie et du vent.
Quand je retournais dans la chambre pour lui mettre la compresse sur le front, je la vis assise dans le lit, complètement désorientée. Je faillis laisser un souffle de soulagement m'échapper mais je décidai de ne pas me réjouir trop vite.
— Qu-qu'est ce que je fais ici ? me demanda-t-elle, son expression n'indiqua aucunement la présence d'un mensonge. Qui êtes-vous ?
La mémoire était quelque chose d'extrêmement précieux et tout le monde devrait en prendre soin quand bien même celle-ci ne nous apportait pas que du positif au quotidien. Elle se chargeait d'enregistrer chaque moment de nos vies avec une précision plus ou moins accentuées mais elle faisait de chacun ce qu'ils étaient. Je n'avais jamais voulu me faire avoir par les assauts de mon cœur mais il avait été décidé que je tomberais amoureuse de cette fille dans mon lit. Mais si elle ne se souvenait plus de rien, comment pourrais-je lui partager ces choses sans la brusquer ? Lorsqu'une amnésie touchait quelqu'un, il fragilisait les connexions au cerveau et j'avais peur qu'en me confiant, je ne fasse davantage de dégâts dans sa tête et qu'elle soit encore plus perdue qu'elle ne l'était là.
— Laisse tomber. Repose-toi, tu en as besoin.
Encore une fois, je fuyais devant le danger. Je me protégeais des blessures que son amnésie pourraient me causer. Je préférais plier l'échine devant ce sentiment et me cacher derrière mon pouvoir plutôt que de l'affronter comme une dame devrait le faire.
J'avais encore beaucoup à apprendre contrairement à ce que les gens pensent.
Je me couchais à ma place habituelle non sans lui jeter un coup d'œil. J'allais dormir avec quelqu'un qui ne se souvenait même pas de moi. Combien de personnes paieraient pour ne serait-ce que partager mon lit quelques pauvres heures durant ?
Le lendemain matin...
Je fus réveillée par les rayons du soleil qui transperçaient les volets que j'avais omis de fermer la veille. Je ne bougeais pas lorsque je dormais alors ma tête était toujours correctement posée sur mon oreiller mais alors que je voulus me lever, un poids sur ma poitrine m'en empêcha. Une tête aux cheveux cuivrées reposait tranquillement sur moi et sa respiration s'était calquée sur les battements calmes de mon cœur. Elle avait aussi passé sa cuisse sur mes jambes dénudées. Nous ressemblions terriblement à un couple à ce moment. Et cela aurait été le cas si nous avions pu discuter la veille avant de nous endormir.
Nous avions toutes deux eu du mal à trouver le sommeil. Mais nous étions restées chacune de notre côté afin de ne pas empiéter l'espace de l'autre. Je ne savais pas au bout de combien de temps je m'étais endormie mais je savais que j'avais passé une nuit reposante comme il y avait longtemps que je n'en avais pas eu.
Je n'eus pas le cœur à la réveiller alors je la laissais se reposer plus longtemps sur moi. Je pensais ce que je pouvais faire avec ce sentiment qui m'était jusqu'à ce jour inconnu. Je sentais ses longs cheveux cuivrés me caresser au niveau des clavicules et sa bouche entrouverte laisser s'échapper un fin filet d'air qui me frappait à la poitrine.
Qu'ai-je fait pour en arriver là ?
Au bout de quelques dizaines de minutes, elle sortit enfin de son sommeil réparateur. Elle se redressa lentement en position assise et frotta ses yeux à la manière d'une enfant. Une moue boudeuse prit place sur son visage et elle plissa les paupières à cause de la forte lumière qui pénétrait dans la pièce.
— Avez-vous dormi avec moi, madame ?
Ce surnom s'était échappé de ses lèvres comme il l'avait fait à plusieurs reprises. Mais alors pourquoi ne le reconnus-je pas ? Pour quelle raison il ne me fit pas le même effet que d'habitude ?
— Oui, vous êtes dans mon lit. Comment vous appelez-vous mademoiselle ?
Ce vouvoiement avec lequel je m'adressais à elle ne sonnait pas naturel sur ma langue.
— Je... je ne sais plus très bien. Mais appelez-moi Lisa. Dites-moi, cela vous arrive-t-il souvent de laisser des inconnues coucher dans votre lit ? me demanda-t-elle sur un air perdu qui ne lui allait pas du tout.
Non, juste toi poupée.
— Là n'est pas la question. Je dois aller prendre mon petit-déjeuner, je vous apporterai de quoi manger après. Tâchez de vous reposer, vous êtes souffrante.
— Laissez-moi vous accompagner. Je me sens parfaitement bien.
— Non. C'est un ordre, vous restez ici.
Je sortis de la chambre pour ne lui laisser aucune chance de protester. J'allais à la salle à manger et aperçus que mes invités étaient encore là. Le bras droit de Taehyung était déjà attablé et semblait m'attendre. L'heure tardive expliquait la table presque vide, mais où était Taehyung ? Yoongi n'était-il pas censé l'accompagner en permanence ?
Je m'assis sur mon siège sans leur accorder le moindre regard et me contentai de manger ma portion. Un silence de plomb régnait tout autour de nous mais je n'avais pas prévu de le couper. Je n'avais aucune envie d'échanger avec cet homme.
— Puisque vous n'avez pas l'air de vouloir entamer la conversation, je vais rentrer dans le vif du sujet, Yoongi interrompit le silence de sa voix que je ne voulais entendre.
— Vous avez raison, je ne veux aucunement vous parler.
— Mais je ne vous laisse pas le choix madame. Je vous donne le choix. Je détiens en ma possession des choses que vous ne devriez divulguer au monde, énonça-t-il en faisant glisser vers moi une enveloppe en papier kraft. Jetez-y un coup d'œil et lisez attentivement ce qu'il a d'écrit sur la lettre. Puis venez à mes appartements pour me faire part de votre réponse.
Et il repartit ainsi, me laissant seule face à mon assiette. Je finis rapidement de manger et retournais à mes appartements avec de quoi manger pour Lisa. J'espérais qu'elle m'ait écoutée pour une fois.
Quand j'ouvris la porte, je ne la vis pas de suite et je craignais qu'elle n'ait que faire de mes ordres. Cependant, j'entendis l'eau de la douche et fus rassurée.
Un air de déjà-vu soudainement.
Je secouais la tête pour me débarrasser de ces idées saugrenues et m'installais à mon bureau pour lire le contenu de cette mystérieuse enveloppe que Yoongi m'avait laissé. Je me demandais ce qu'elle pouvait contenir.
" Ma chère reine,
Avec tout le respect que je vous dois, je pense que je suis en droit de vous demander de léguer votre trône à mon roi afin que le monde ne fasse plus qu'un.
En espérant que ces photos vous permettront de prendre la bonne décision.
Votre chevalier servant, Min Yoongi."
Comment avait-il l'audace d'ainsi me provoquer chez moi ? Je secouais l'enveloppe et des polaroïds tombèrent au sol. Ces clichés m'affichaient moi, une fois seule sortant de la chambre de Lisa complètement saoule, une autre fois avec cette dernière quand les bras, pas plus tard que la veille.
C'est ainsi qu'ils fonctionnent ? S'ils ne peuvent avoir ce qu'ils veulent, ils passent par le chantage ? Pathétique.
Je n'allais pas me dégonfler ainsi. Ce n'était certainement pas un homme qui allait me marcher dessus comme ça. Ils étaient tout ce qui avait de plus méprisables sur cette terre et s'ils ne servaient pas à faire perdurer la lignée je pense qu'il y a longtemps qu'ils n'existeraient plus.
Je sortis en trombe de mes appartements et marchais vers ceux de ce Min Yoongi. Seul problème, je ne savais pas quelle chambre il avait pris. J'ouvris quelques portes au hasard et au bout de ma troisième tentative, je tombais sur la bonne. Il sortait tout juste de la douche, une serviette tout autour de la taille. Des gouttes d'eau dégoulinant sur tout son corps.
— Alors, vous m'apportez votre réponse ?
— Vous avez l'audace de me menacer chez moi ? Wow, je vous admire. Mais sachez que vous n'auriez jamais dû faire ça. Pas avec moi.
— Avec tout le respect que je vous dois, je suis en position de force. Ces clichés pourraient vous coûter votre trône. Et vous le savez aussi bien que moi.
— Quand bien même un seul de vos traîtres mots s'avérait vrai, qui est ce que mon peuple préféra-t-il croire, d'après vous ?
— Mes preuves photographiées sont irréfutables. Il n'est pas là question de croyance mais uniquement de bon sens. Je me répète, pardonnez-moi, mais vous ne semblez pas avoir compris. Vous n'êtes pas en position de force, pas cette fois, ma reine.
L'ironie que j'entendis dans sa voix me suffit à grincer des dents. La confiance qu'il renvoyait me répugnait. Comment autant d'arrogance pouvait être contenue dans le sein d'une seule personne ?
Ils n'avaient donc aucune valeur, venir faire chanter l'hôtesse qui l'accueille, n'était-ce pas là une preuve d'ingratitude ? Je me doutais que leurs éducations devaient être médiocres par rapport à la nôtre mais l'idée qu'ils soient tombés aussi bas ne m'avait même pas traversé l'esprit.
Droite comme je l'avais toujours été, je l'analysais rapidement. Son buste était dirigé vers l'arrière, sa posture toujours impeccablement raide se courbait imperceptiblement aujourd'hui. Il tentait de cacher ses symptômes mais je savais les reconnaître n'importe où puisque je réagissais de la même manière lorsque je me faisais attaquer par le stress. Ses maux le rendaient moins professionnel, légèrement. Une personne lambda n'y aurait vu que du feu, mais je n'étais pas n'importe qui.
Il se tenait droit, du moins, se forçait à le faire. Il parlait vite sans se laisser respirer entre ses phrases. Pourtant, je devais avouer qu'il avait bien masqué son angoisse, mais ce n'était pas suffisant face à quelqu'un comme moi. Il triturait ses phalanges. Et en y regardant de plus près, je pouvais voir la naissance de la sueur suinter sur son front. Il me cachait quelque chose et ne s'attendait clairement pas à me voir ici. C'était la raison pour laquelle il sortait les griffes en m'attaquant pour éviter d'être blessé.
Que protégeait-il si ardemment ? Cette chose valait-elle la peine de me défier ?
Je gardais le silence. Je connaissais les hommes, surtout ceux de son genre. Ceux qui se pensent supérieurs aux autres avec leur morceaux de chair supplémentaire entre les jambes et qui se permettent d'agir de manière condescendante avec autrui. Ceux-là m'horripilaient, me faisaient sortir de mes gonds, me donnaient une envie profonde de les envoyer directement aux Enfers.
J'attendais, patiemment. S'il voulait jouer ainsi, nous pourrions le faire, ce n'était en aucun cas un problème pour moi. De toute façon, je ne perdais jamais. Je pouvais rester ici à le regarder dans le blanc des yeux des heures durant, je ne serais pas celle qui baisserait le regard en premier.
Plus le temps passait, moins discret il se faisait. Comme s'il savait que je savais, comme s'il n'avait plus rien à perdre, comme si se cacher lui coûtait un trop grand effort. Il maltraitait ses cuticules avec ses dents et tapotait son pied au sol, en rythme. J'aurais pu quitter les lieux et le laisser se noyer dans son inquiétude mais c'était trop étrange, même pour un homme de se comporter de cette manière. Que faisait-il ? Que se passait-il ? Que devais-je faire ?
La seconde qui suivit, le rideau qui nous séparait de la chambre s'ouvrit. Et un Kim Taehyung à moitié dénudé se joint à nous. Il n'était vécu que d'un pauvre short en guise de pyjama, ses cheveux mouillés témoignaient de sa récente douche et les gouttelettes qui s'échappaient de ceux-ci se frayèrent un chemin entre ses abdominaux marqués. Il se frottait les yeux à la manière d'un enfant car la douche ne semblait pas l'avoir suffisamment réveillé.
— Que se passe-t-il ici Yoongi ? Tu m'expliques pourquoi Bora est ici ?
— Tu- oh je voulais dire vous. Monsieur Taehyung, vous êtes déjà levé ? Comment se fait-il ? Vous aviez eu une nuit agitée, ne voulez-vous pas vous reposer davantage ?
Il joue un rôle, ça s'entend dans son intonation que sa façon de s'adresser à son supérieur n'est pas naturelle. Mais qui étaient-ils l'un pour l'autre ?
— Ne voulez-vous pas retourner vous coucher. Je vous apporterai de quoi vous rafraîchir lorsque madame sera partie.
— Je- j'ai déjà pris ma douche, je suis prêt pour ma journée Yoongi. Ne t'en fais pas pour moi. Il marqua une pause, Yoongi était dos à moi alors je ne vis pas ce qui se tramait entre eux. M-mais tu as raison, je vais me reposer un peu plus. Ça n'a jamais tué personne de trop dormir n'est-ce pas ?
Je ne fus pas sûre de cela mais je crus voir la lèvre du bras droit s'étirer en un sourire satisfait à la vue de son maître qui retournait tranquillement sur ses pas. Cependant cela ne dura qu'un centième de secondes.
Je remarquais néanmoins que la démarche de Taehyung n'était pas fluide, elle était saccadée comme s'il s'était cogné quelque part. Cela fut très bref alors je ne tirais pas de verdict mais quelque chose me disait que leur relation à ces deux-là ne se résumait pas au professionnel. Il y avait autre chose. De l'amitié ? De l'amour ? Uniquement du plaisir charnel entre deux jeunes adultes ?
Je n'en avais aucune idée mais je sentais que si je mettais le doigt dessus, leur petit chantage ne serait rien contre le dossier que je tiendrais contre eux. Je tournai les talons et rentrais dans mes appartements.
Je dois prendre soin de Lisa. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai besoin de savoir que tout va bien pour toi, surtout depuis cet incident.
— Lisa, comment tu te s- m'interrompis-je en la voyant regarder ces photos que j'avais laissées au sol.
— J-je pensais que nous n'étions que des inconnues l'une envers l'autre. Mais je vois une photo de nous deux dans une position plutôt proche... voire intime. Que sommes-nous l'une pour l'autre ? Ne me mentez pas, je mérite au moins de connaître la vérité.
— Je... Je- je ne sais pas.
Elle me prenait de cours, je n'avais encore jamais mis de mots sur notre relation, je n'en avais jamais trouvé l'utilité. Mais qu'étions-nous ? Je ne pouvais pas dire que je restais de marbre, qu'elle ne créait pas d'éruption de sentiments dans tout mon être. Mais toute ma vie, je m'étais résolue à ne jamais ressentir quoi que ce soit d'aussi fort. Ou même de puissance divisée par 2. Or, là, cette explosion que je ressentais à chacun de ses frôlements sur mon épiderme me rendaient dingue. Des dizaines et des dizaines de fois j'avais rêvé de connaître toutes ces histoires d'amour que je lisais dans les contes, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi intense.
Que m'arrive-t-il ? Je ne me reconnais plus depuis que je la connais.
Elle s'impatientait devant moi, je lisais son agacement sur ses traits. Au moins son caractère n'avait pas changé.
— Vous me retrouverez dans mes appartements, madame. Je pense que vous connaissez le chemin.
Son répondant que je méprisais était lui aussi revenu apparemment.
Tout est redevenu comme avant ?
Elle sortit de ma chambre en trombe, comme si elle fuyait la peste. Elle me laissait là, assise dans mon lit, perdue comme une débile. Je ne savais pas quoi faire mais je savais que la suivre était une mauvaise idée. Qu'allais-je lui dire de toute façon ? Elle n'était certainement pas du genre à se contenter de regarder quelqu'un dans le blanc des yeux. Et moi non plus d'ailleurs.
Je n'avais envie que d'une chose, me reposer. Des maux de tête me prirent et je compris qu'elle m'avait refilé son virus. J'espérais qu'au moins, elle n'aurait plus rien. J'enlevais juste la couche supérieure de mes vêtements, m'enveloppais de mes draps et partis dans le monde onirique dans lequel un seul visage se trouvait à chaque coin de rue.
Quelques heures plus tard...
Je me réveillais, les membres engourdis. Le simple fait de m'étirer me donnait l'impression, de brûler intérieurement. D'arracher mes tendons à vif et de les presser pour faire durer la torture. Pourtant, j'avais des responsabilités, je devais me lever. Je devais assumer mon rôle de reine que j'avais quelque peu délaissé ces derniers temps.
Je fouillais dans les placards de ma chambre à la recherche d'antalgiques, je ne savais pas s'il y en avait parce que je n'avais pas l'habitude d'en prendre. Par chance, au fond de l'un d'eux une unique boîte se cachait et m'aida à amoindrir cette douleur intense que je ressentais dans tout mon corps.
Ma respiration se faisait lourde, tout comme mes paupières. Ma vue se flouta. Mes mains tremblèrent. Une fatigue intense me reprit de cours. Les maux ressurgirent. Mon cœur peinait à pomper mon sang pour le reste de mon corps. Je m'affaiblissais à une vitesse fulgurante.
Comment vais-je pouvoir assumer ma journée ?
Je ne pouvais pas délaisser mes tâches une journée supplémentaire, les deux précédents étaient déjà de trop. Je m'assis quelques instants le temps que le calmant fasse effet, en espérant qu'il radoucisse le rythme effréné de mon organe vital qui avait décidé de ne se calquer sur aucune cadence précise et d'alterner entre le trop lent et le trop rapide sans jamais passer par la case "normal".
Mes symptômes contraignants ne se dissipèrent pas complètement mais au moins ils n'empirèrent pas. Je tentais de regarder mes mains mais celles-ci tremblaient autant que je ne les voyais pas distinctement. Je me sentais cependant moins courbaturée, ce qui était bon signe. Peut-être allais-je pouvoir me lever et me fier à la force de mes jambes.
Je poussais dessus pour me hisser à la verticale. Et lorsque l'intégralité de mon poids fut transférée sur la plante de mes pieds, je perdis l'équilibre. Heureusement qu'à mes côtés se trouvait un meuble sur lequel je pus me rattraper avant de tomber.
Comment vais-je faire ?
Je ne pouvais décemment pas me défiler, pas aujourd'hui encore. J'étais à la tête de mon royaume uniquement parce que j'avais promis de prendre soin de chacun des habitants. Mais si j'échappais à cette promesse, tout acte de rébellion serait toléré. Ma mère avait ainsi été chassée du trône. Le pouvoir lui était tellement monté à la tête. Elle ne faisait rien de ses journées si ce n'était se pomponner pour ses sorties nocturnes. Au bout de quelques semaines seulement, le peuple en eut marre et elle fut jetée dans les cachots. Dans lesquels elle mourut quelques mois plus tard.
Je ne voulais pas de ce châtiment alors je faisais tout ce qui était en mon pouvoir pour rester courtoise, humble et à l'écoute que je le pouvais. Et ce, depuis que j'avais pris la relève. Soit environ une quinzaine d'années.
Je me tenais comme je le pus aux murs pour ne pas m'écraser au sol. Mes yeux à peine ouverts, heureusement que je connaissais bien mon palais. Je ne prévus cependant pas de me cogner contre quelqu'un. Cette personne sentait le bois de santal, cet effluve noyait mon corps et faisait voyager mon esprit.
Je ne répondis plus de moi. Mes sens semblaient être partis en vacances. Mes jambes m'avaient prévenue de ne pas forcer, qu'ils n'allaient pas être capables de soutenir mon poids mais j'avais préféré ne pas l'écouter. Alors ils se vengeaient. Les sons se brouillaient, ma vue me lâchait aussi, je ne savais ce qu'il se passait.
Ce fut le trou noir.
Plus tard, je m'éveillais doucement dans des draps propres. Je n'ouvris pas les yeux, savourant ce repos que je pensais amplement mériter. Mais il fallait que je sache où je me trouvais. Le parfum qui flottait dans l'air ne m'était pas familier, cette senteur particulière n'avait jamais effleuré mes narines sensibles.
— Mademoiselle, elle se réveille.
Une voix s'éleva dans les airs, une voix que je ne reconnus pas, une voix qui laissa une trace amère sur le bout de ma langue. Je m'attendais à ce que ce soit la voix de quelqu'un d'autre, mais apparemment elle en avait que faire de moi ou alors elle n'avait eu vent de cet incident.
Je tentais de me redresser sur mes coudes avant de tenter de m'asseoir complètement mais décidément mes forces m'avaient réellement toutes quittée. Je sentis une main délicate dans mon dos qui m'aida à me mettre dans la position que je souhaitais.
— Faites attention, vous êtes encore faible. Il ne faudrait pas vous blesser davantage. Monsieur Ko, que lui recommandez-vous de faire dans les jours qui suivent ?
— Il lui faudra du repos, énormément de repos. Je ne lui ai pas prescrit de traitement médicamenteux parce que ces choses-là peuvent s'avérer nocifs. Alors occupez-vous d'elle. C'est la reine, alors j'imagine qu'elle ne voudrait pas que son état de santé ne s'ébruite. Ah oui, n'oubliez pas. Beaucoup d'eau, de la nourriture liquide ou crémeux de préférence et une douche dès qu'elle commence à pas mal transpirer. N'hésitez pas à lui venir en aide si besoin, nous recommanda un monsieur à la voix sympathique.
— D'accord, merci beaucoup monsieur. Faites bonne route.
Lorsque la porte claque enfin je tendis la main vers cette femme. Était-elle réellement là avec moi ? Pourquoi avait-elle l'air d'être un mirage ? Une divination ? Une vision ? Un fantôme ? Peut-être avais-je quitté la Terre pour un monde meilleur ? Je ressentais encore cette fièvre mortelle. Me donnait-elle des hallucinations ?
— Je suis là, ne t'en fais pas. As-tu besoin de quelque chose ? me questionna-t-elle de sa voix sucrée.
Ai-je besoin de quelque chose ?
— J'ai chaud. Retire-moi cette couette, s'il te plaît.
Elle s'exécuta immédiatement, comme si elle me devait quelque chose. Une ride de concentration se forma sur ses tempes lorsqu'elle dégagea la couette de mon corps.
— Bordel, vous êtes trempée. Il va falloir aller vous doucher madame. Je suis persuadée qu'une douche tiède vous fera le plus grand bien. Levez-vous, je vais vous aider.
Je devais m'appuyer complètement sur elle pour me lever. A peine avais-je poser mon pied au sol que je dus me rasseoir. Je me décevais. Comment un simple virus comme celui-ci avait pu m'abattre d'un coup de maître ?
— Ce n'est pas un problème, montez sur mon dos.
Je voulais riposter, mais je ne pus le faire. En moins de temps qu'il ne fallut pour le dire, je me trouvais sur elle. Elle se dirigea vers la salle de bain attenante à ma chambre mais s'arrêta quelques secondes comme pour réfléchir de la manière dont elle allait procéder.
Déjà épuisée, je m'endormis sur son épaule. Ma tête nichée dans ses cheveux cuivrés, mes bras encerclant sa nuque délicate et mes mains posées de part et d'autre de ses clavicules.
Je me sentis me faire relever, puis des bras m'encerclèrent comme des étaux pour m'empêcher de tomber. Dans le processus, je me réveillais, désorientée. Mon regard se planta dans sa paire de pupilles émeraude et je ne répondis plus de rien. Elle m'avait à sa botte quand bien même j'étais sa reine, elle était devenue la seule personne à qui je voulais obéir. La seule qui vaille la peine que l'on remue ciel et terre pour sa cause.
— Attention à ne pas vous blesser, le sol de la douche est glissant.
Mes fonctions vocales m'avaient quittée. Je n'arrivais pas à lui répondre. Sa voix de miel m'ensorcelait entièrement, je ne pus rien dire. Rien faire. J'étais toujours aussi faire, je n'avais pas encore repris des forces.
Vous ai-je dit qu'elle a une voix magnifique ?
Mes yeux ne cessèrent leurs allers-retours entre ses iris et sa bouche. Je n'avais jamais autant eu envie d'une paire de lèvres. Mais la sienne m'appelait. Elle me tenait très proche d'elle afin que je ne tombe pas, et moi, tout ce que je trouvais à faire était de la fixer, juste cette action. Rien d'autre.
— Que... que se passe-t-il, madame ? Tout va bien ?
J'entendis de l'inquiétude dans sa voix. Mais il y avait quelque chose d'indiscernable que j'arrivais à percevoir.
— Embrasse-moi.
Deux mots... simples. Si simples que j'aurais voulu les rattraper alors qu'ils venaient à peine de s'échapper de la commissure de mes lèvres. Je voulais les reprendre, développer davantage leur complexité avant de les renvoyer. Je voulais les tailler jusqu'à leur donner la forme qu'elle mérite de recevoir. A l'image d'une déesse.
— Co-comment ? C-ce ne serait pas correct, madame.
La surprise l'avait habité quelques secondes à peine avant qu'elle ne reprenne contenance, comme elle savait si bien le faire. Si elle-même jugeait cette demande d'incorrect, alors pourquoi tenais-je tant à le faire ? Pourquoi me surpris-je en train d'insister ?
— Ne réfléchis pas. Juste fais-le.
Je savais que nous faisions une bêtise, une grosse bêtise. Mais, s'il fallait vivre pour assouvir ses désirs, pourquoi s'en priver si l'un de nos fantasmes se trouvait devant nous ? Il n'y avait aucune raison de ne pas le faire.
Elle rapprocha son visage du mien, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus aucun espace entre nous deux. Puis lorsque ses lèvres se posèrent sur les miennes, elles se mouvèrent d'elles-mêmes l'une avec l'autre. Elles prenaient le dessus à tour de rôle, se délectant à la fois de soumettre mais aussi d'être soumises à leur jumelle.
Je gardais mes bras croisés derrière sa nuque tandis que les siens me maintenaient contre elle par la taille. Elle fit quelques pas en avant pour que mon dos soit posé contre le mur. Prise en sandwich entre elle et la paroi de la douche, je lui laissais prendre le dessus sur moi. Je lui laissais l'entier contrôle sur ma personne.
Je voulus que ce moment ne s'arrête jamais, qu'il continue jusqu'à la fin des temps, qu'on reste ainsi connectées comme si c'était le destin qui nous avait soufflé ses ordres.
Cependant l'air devait nous manquer à un moment ou à un autre alors nous nous séparâmes à contrecœur.
Que venons-nous de faire ?
Était-ce la fièvre qui me faisait faire des choses aussi insensées ? Il fallait que ce soit cela de toute façon, elle ne ressentait sûrement pas cette même flamme ardente pour moi.
C'est pas comme si vous venez de vous embrasser comme personne. me souffla ma conscience.
Elle m'aida à me doucher pour que je me débarrasse de toute trace de sueur. Elle trempa mes sous-vêtements que j'avais décidé de garder afin de ne pas la mettre davantage mal à l'aise. Je sentais une distance entre nous depuis que je lui avais demandé de m'embrasser et qu'elle s'était exécutée.
Les prochains jours passèrent comme si cet événement n'était jamais arrivé. Nous fîmes l'une comme l'autre comme s'il n'était jamais arrivé. Mais, je ne pouvais me détacher de ses lèvres sur les miennes. Elles m'avaient manqué à l'instant même où elle s'était détachée de moi.
Je me remettais petit à petit, je retrouvais peu à peu mon autonomie. Mais Lisa insistait pour rester à proximité quand je prenais ma douche, ou dormir sur le sofa à quelques pas du lit. Juste au cas où, me disait-elle.
J'aimais qu'elle prenne ainsi soin de moi, qu'elle se préoccupe de moi comme si j'étais la prunelle de ses yeux, un joyau inestimable. J'avais peur que tout ceci cesse lorsque je me serais remise sur pied, quand je retournerais dans ma chambre.
Quelques jours plus tard...
Voilà presque deux semaines que Lisa s'occupait de moi, voilà presque deux semaines que nous nous étions embrassées, voilà presque deux semaines que le public ne m'avait pas vue. Je devais retourner à ma chambre, je devais refouler une bonne fois pour toutes ces sentiments naissants, je devais reprendre contenance pour apparaître devant le public en pleine forme.
Ko Woorim, le médecin que Lisa m'avait déniché était passé à plusieurs reprises et la veille m'avait confirmé que j'étais complètement remise sur pied.
Cet homme était doux et à l'écoute. Il était de loin le meilleur parti que je pourrais me trouver. Il aurait pu l'être si je n'aspirais pas à être avec quelqu'un d'autre.
Je me préparais soigneusement en me vêtant de mes plus beaux bijoux et d'une robe hors de prix qui me compressait la cage thoracique. Mais je n'avais pas le choix, cela faisait partie du protocole.
Les hommes défilaient encore devant moi, et ce, durant toute la journée. Ils allaient et venaient dans l'espoir que je les choisisse mais je ne voulais de personne.
A la fin de cette journée, je savais que tout le monde était déçu que je n'avais pas pu jeter mon dévolu sur quelqu'un mais j'allais encore les décevoir si je ne donnais pas de nom.
— Ko Woorim, viens me voir, je t'en prie, prononçai-je d'une voix faussement posée. Elle sonnait tellement mensongère à mon oreille.
Il n'était pas passé avec tout le monde, il n'avait pas défilé devant moi comme tous les autres qui espéraient que je les remarque. Il était resté dans l'ombre de la foule à veiller sur moi, à me couver de son regard protecteur pour intervenir au moindre malaise.
Moi-même je ne savais pas pourquoi je l'avais appelé. Était-ce sa mâchoire marquée ? Son professionnalisme ? Son charme ? Ou tout simplement l'affection que j'avais développée pour lui au fil de ses visites. Je ne savais pas. Je ne voulais pas savoir. Je le découvrirai dans tous les cas bien assez tôt. Bien trop tôt.
Mais la réelle question était que ressentais-je pour lui ? Je n'étais pas indifférente à son contact, mais était-ce seulement de l'amitié ? De l'amour ? Ou quelque chose de plus charnelle et moins sentimentale ?
Mais il n'oserait pas contredire ce choix que je n'avais moi-même pas compris. Il m'obéissait et je voyais en lui une oreille attentive. Un bon ami, mais pas un amant ou un mari. Définitivement pas. Même si je savais que j'essaierais de m'en convaincre.
— La séance de ce soir est close. Etant donné que j'ai enfin choisi quelqu'un, je suppose que ces défilés seront suspendus et j'espère que je n'aurais plus besoin d'y assister. Bonne soirée tout le monde, et merci pour votre présence, à chacun de vous, fis-je poliment en ayant pour seule hâte, de me retirer.
Un tonnerre d'applaudissement retentit, mais je n'avais pas l'impression de mériter toutes ces acclamations. Je voulais qu'ils soient dirigés vers quelqu'un qui les méritait vraiment.
La seconde à laquelle je quittais cette pièce pour rejoindre mes appartements, j'enlaçais mon amant. J'espérai retrouver les mêmes sensations que quelques semaines auparavant. Je priais pour que l'effet qu'elle m'avait fait ne relevait que du manque et pas d'autre chose. Que la cause n'était pas autre chose que la fièvre qui me rongeait à cet instant.
Il répondit immédiatement au baiser, ses lèvres se mouvaient avec les miennes avec la précision d'un professionnel. Je laissais mes mains se balader sur son corps, passer sous les couches de ses vêtements, savourer la sculpture qu'étaient son buste et ses cuisses. Je le laissais franchir un cap qui n'avait pas été atteint depuis un moment déjà. De ses doigts agiles, je le laissais tout le loisir de délasser mon corset pour libérer mon buste de cet étau qui me maintenait prisonnière.
Très vite, ma robe tomba au sol. Il me souleva pour m'aider à enjamber toutes ces couches de tulles et me posa délicatement sur mon lit dans lequel je n'avais pas dormi depuis un moment. Ses bras, de part et d'autres de ma personne, il explorait ma carotide avec sa langue curieuse tandis que j'enfonçais ma tête dans les couvertures.
Il est doué quand même. Mais pas assez.
Quand il fit mine de vouloir descendre, approfondir ce qu'il avait commencé. Quand il baissa son pantalon et qu'il allait en faire de même avec son caleçon, je me rendis compte que je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas parce que ce n'était pas avec lui que je voulais quelque chose.
— S-stop.
— Quelque chose ne va pas ?
Une ride apparut sur son front, son inquiétude était visible.
— Non, tout va bien. Je ne suis juste pas prête, dis-je précipitamment en me couvrant avec mes couvertures. Il se détourna de moi, réalisant que je ne disais pas ces mots à la légère. Woorim, je suis désolée. Je t'apprécie beaucoup, mais pas comme ça.
— On peut tromper son cerveau mais le cœur est bien plus intelligent.
Sur ces mots d'une profonde sagesse, il dépassa la porte de la chambre. Il était empli de toutes les qualités que je recherchais chez un homme alors qui m'empêchait de m'unir à lui pour donner une héritière à mon royaume ? Cela ne faisait même pas un mois que nous nous connaissions mais je ressentais déjà une énorme affection pour sa personne.
Maintenant que j'étais complètement remise sur pieds, que tout le monde me pensait en train de prendre du bon temps avec l'homme sur lequel j'avais jeté mon dévolu, je devais me faire discrète. Je me donnais alors à une passion que j'avais depuis trop longtemps délaissé. Le dessin.
Dans mes souvenirs, j'avais toujours voulu devenir peintre, arpenter les rues et les marquer à l'encre indélébile sur une toile vierge. Voyager et découvrir toutes sortes de paysages pour les imprimer à la peinture. Je voulais gambader dans les rues parisiennes, vénitiennes, hongkongaises, tokyotes, ou encore séouliennes voire moscovites. Découvrir tous ces décors que la Terre nous avait offerts. Au lieu de pourrir dans ce château dans lequel je vivais depuis déjà trois décennies.
Je m'installais face à mon chevalet que j'avais fait installer des années auparavant dans ma chambre. Il se trouvait juste devant la fenêtre pour que je puisse peindre en profitant au maximum des rayons lumineux. Je positionnai correctement ce tableau blanc face à moi et me munis d'un crayon à papier avant de me lancer dans l'élaboration d'un croquis.
Au moment même où le premier trait gris fut tracé, je ne fus plus Kim Bora la reine. Non, j'étais redevenue Bora, la petite fille qui avait grandi bien trop vite. J'étais redevenue Bora, la rêveuse qui se permettait d'habiter mon corps dans l'espoir de voir son rêve le plus cher se réaliser.
Je ne pensais plus à rien, je laissais ma tête créer, mes mains diriger, mon âme s'exprimer. Quand l'échafaudage fut terminé, avec d'adroits coups de pinceaux, les couleurs s'imprimèrent, s'harmonisèrent, s'entrechoquèrent. Personne ne pourrait venir ébranler ma concentration, briser cette bulle que je m'étais créée, altérer avec mon envie de peindre.
Quand j'eus fini, que je levais les yeux et pris du recul, je tombais de haut. J'avais fait tant de choses pour la chasser de mon esprit, mais elle s'était introduite dans mon cœur. Les mots de Woorim me revinrent en tête en boucle. Je savais que je me voilais la face. Mes lèvres avaient adopté les siennes, mes conduits auditifs s'étaient imprégnés de son nom, mes oreilles espéraient sans cesse entendre sa voix. Mes yeux ne voyaient qu'elle, mon nez n'appréciait que son parfum, mon cerveau ne répondait plus de rien lorsqu'elle se trouvait dans les parages.
Une personne lambda passait par le cerveau avant de pénétrer dans le cœur si les choses devenaient davantage profondes et finissaient par marquer l'âme. Elle avait trouvé un raccourci que seules les âmes-sœurs connaissaient, elle s'était rendue dans mon cœur avant de passer par le cerveau. Comme si elle avait attendu cela toute sa vie, comme une mission.
La porte de ma chambre s'ouvrit sans que la personne ne s'annonce. Min Yoongi. Toujours vêtu de son costume trois pièces, il traversa l'espace qui nous séparait en deux grandes enjambées jusqu'à ce qu'il ne se trouve qu'à quelques centimètres de mon visage.
— Vous ai-je invité à entrer ?
— Où est votre futur mari ?
— Qui vous a permis d'entrer ?
— Pourquoi êtes-vous seule dans votre chambre alors que vous aviez une charmante compagnie ?
— Vous attendiez-vous à nous voir partager un moment intime en entrant dans ma chambre sans invitation ?
—Auriez-vous préférer que ce soit quelqu'un d'autre ? Une femme aux cheveux cuivrés par exemple.
— Qu'ai-je fait pour mériter votre agréable présence dans l'enceinte de mon espace privé, Monseigneur ?
— Avez-vous réfléchi à ma précédente offre ?
— Vous connaissez aussi bien la réponse que moi. Maintenant, si vous voulez bien. Je suppose que je n'ai pas besoin de vous montrer la sortie.
Il ne faisait, et ne ferait jamais le poids face à moi. Il en était ainsi. Il le savait alors il ne broncha pas avant de tourner les talons vers la porte de ma pièce et d'en sortir.
Trois coups à la porte retentirent. Je pensais qu'il avait eu l'audace de revenir mais comme il l'avait fait de manière bien plus courtoise, je lui ouvris un sourire faux collé aux lèvres. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je découvris que ce n'était pas Yoongi mais bien ma Muse aux yeux émeraudes.
— Je- Que faites-vous ici ?
Sa venue impromptue m'avait déroutée. J'étais décontenancée. J'avais l'impression de ne pas l'avoir vu durant des semaines alors que nous ne nous étions séparées depuis seulement quelques heures.
— J'ai croisé Monsieur Ko dans les couloirs il y a quelques heures, il m'a dit de vous laisser seule quelques temps parce que vous aviez besoin de réfléchir. Alors j'eus une idée. Que pensez-vous de m'emmener faire du shopping en ville demain ? Cela vous permettra de vous changer les idées et puis ma cape n'est plus ce qu'elle était après l'autre nuit.
— Je- je n'ai jamais fait de shopping. Mais j'accepte votre invitation avec plaisir, Mademoiselle Monobal.
Tant que la requête sort de ta bouche, je remuerai ciel et terre pour assouvir le moindre de tes désirs, ma reine.
— Parfait, à demain. Passez une bonne nuit !
Quand bien même je n'avais pas fait beaucoup de choses aujourd'hui, je l'avais trouvée harassante. Alors je fis simplement un détour à la douche avant de me coucher en espérant que cette nuit passe et que le lendemain m'apporte davantage.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro