|| CHAPITRE II ||
Le même jour, janvier 2993
Quartier des intellectuels, banlieue nord-est, Londres.
Je ne cessais de repenser à ce qui m'était arrivé dans le musée, telle une valse constante dont je ne parvenais pas à me défaire. Je n'en parlai pas à mes parents, car ma mère, de nature stressée, s'angoissait assez avec l'approche de la phase de test et je n'avais pas envie d'en rajouter une couche avec les bizarreries de sa fille.
Finissant mon assiette dans le plus grand silence, je me levais de table pour débarrasser la vaisselle et le placer dans l'évier. L'androïde se mit en mouvement dès que je m'éloignais de sa tâche.
— Merci maman, dis-je en souriant. C'était délicieux.
— Tu comptes t'enfermer dans ta chambre ? demanda mon père, surpris de me voir devant la porte de la cuisine. Tu ne nous as pas raconté ta journée !
— Désolée, j'ai un devoir à finir pour demain, mentis-je sans remords.
— Comme tu le souhaites, Amélia. Ne travaille pas de trop, dans deux mois qui sait où tu seras, me taquina-t-il en riant.
Je lui rendais son sourire.
— Promis, papa, répondis-je.
Mon père avait beau être chercheur, son humour était parfois décapant.
Quittant la cuisine, j'allais à l'étage afin de retrouver les murs familiers de ma chambre, de couleurs bruns et corail. Pourquoi avais-je choisi ses coloris, enfant ? Peut-être me rappelait-elle l'apparence des champs de roses et la terre ? Étrangement, je m'y sentais bien.
Ma Tab se trouvait dans mon sac, je n'avais pas envie de la sortir pour quelques minutes d'utilisation. Je me résignai à la chercher en attendant le message d'Hélène. J'étais curieuse de l'entendre me raconter une nouvelle histoire.
Mon devoir était largement entamé, lorsque la sonnerie d'appel de la Tab résonna à travers la chambre. Appuyant sur l'icône pour engager la conversation, le visage enjoué d'Hélène apparut sur l'écran.
— Hé ! dit-elle de son aplomb habituel. Es-tu remise de tes émotions de la matinée ?
— Pas encore tout à fait. Et toi ?
Un sourire songeur s'affiche.
— J'en ai parlé à mes parents, dit-elle sans détour.
J'admirais la faculté qu'avait mon amie à annoncer les choses. Pour ma part, je n'osais pas en adresser à mes proches, surtout pas depuis ma mésaventure dans un puits. Et l'hystérie que cela avait provoquée chez ma mère. Elle me surprotégeait plus que de raison, quitte à m'étouffer psychologiquement.
— Et qu'en pensent-ils ? questionnais-je
— Ils ne paraissent pas surpris. J'imagine qu'ils s'attendent à ce que mes résultats du test affichent que je suis une réincarnation.
Me mordant la lèvre inférieure, je restai songeuse et perplexe face à cette révélation.
— Es-tu déçue ? demanda-t-elle, inquiète.
Je devais brouiller les pistes.
— Que vas-tu penser ? Tu sembles si sûr de toi, répondis-je avec une fausse gaieté.
Hélène sourit, comme si elle connaissait quelque chose que j'ignorais.
— Tous les éléments concordent et confirment que je suis une réincarnation. Et je suis certaine que tes visions et tes rêves prouvent que tu en es une également.
Perplexe, je repensais à mon songe et à la vision de cet après-midi.
— Si tu m'expliquais, m'encouragea-t-elle. Je sais que ça t'aiderait à y voir plus clair.
Je réfléchis un instant, ça me paraissait une bonne idée. Peut-être que grâce à elle, j'y verrais un peu plus distinctement ?
— D'accord, dis-je en soupirant, mais si ça se trouve, cela ne veut rien dire et je suis simplement folle.
Le rire d'Hélène traverse l'écran, un son apaisant pour mon âme tourmentée.
— Vas-y, raconte-moi !
Couchée sur son lit, le menton déposé sur ses bras, elle était prête à écouter mon récit.
— Dans mon rêve, je suis en compagnie d'un groupe d'océanides, que je connais depuis l'enfance, commençais-je à expliquer. Enfin, c'est l'impression que j'ai. Je décide alors de m'éloigner et découvre un lac et un champ de fleurs. Je cueille un narcisse magnifique qui a attiré mon regard plus que toutes les autres. Le sol se met à trembler et à craquer et un homme surgit de nulle part et m'emmène avec lui sous terre.
— Très romantique, dit-elle en souriant.
— Non.
— Et ta vision, qu'est-ce que ça donne ?
Je prenais une profonde inspiration.
— Je suis avec lui dans une salle, il est assis sur un trône, un esprit en face de nous...
— Une âme ?
— Oui ! En tout cas, c'est ainsi que je la percevais. J'étais froide et cruelle, curieusement cela me plaisait. Ensuite, l'âme a disparu. L'homme était derrière moi, son souffle caressait ma nuque et ses doigts parcouraient mes bras. Je frémissais à son contact. Jamais personne ne m'avait touchée de cette façon, c'était comme si malgré mon rapt, j'étais tombée amoureuse de lui.
Je la vis se redresser d'un coup.
— Les âmes, un enlèvement... On dirait que tu vis le mythe de Perséphone et Hadès ! Tu serais la réincarnation de Perséphone. Mais ce que je ne comprends pas, c'est : ce qui a pu provoquer cette vision !
— Un homme se trouvait derrière moi dans la galerie... Il me parlait et subitement, j'ai eu cette vision.
Elle ne prononça plus rien, se contentant de fixer son écran dans le vide. Ce long silence me faisait songer qu'elle devait me prendre pour une folle.
— Il était derrière toi !
— Tu penses que je suis dingue.
— Non, pas du tout. Et si cet homme a provoqué cette vision, alors peut-être...
Elle s'interrompit au milieu de sa phrase. Aussitôt, mon niveau de stress monta crescendo.
— Signifie, quoi ? demandais-je, inquiète.
— Et si c'était Hadès.
Devant ma mine surprise, elle continua son explication :
— Je veux dire, c'est quand même étrange, j'imaginais que tu avais eu une vision à cause de la peinture, mais ce n'était pas le cas. Ce souvenir a ressurgi, car il était proche de toi ! Oh, mon Dieu, Hadès était bien près de toi !
— Tu penses qu'il va encore me kidnapper ?
— C'est possible, s'il conçoit que tu es Perséphone, l'histoire peut se répéter. Je dois me renseigne.
— Non, merci !
Hélène rit davantage, elle souhaita ajouter quelque chose, lorsque ma mère ouvrit la porte de ma chambre sans s'annoncer au préalable.
— Maman... tu aurais pu frapper avant d'entrer, dis-je, embarrasser.
— Désolée, Amélia. Il est tard et tu devrais couper la communication, vous avez école demain, dit-elle en souriant. Désolée Hélène !
— Pas de problèmes, madame Addams, je m'apprêtais à raccrocher avec Amélia, dit mon amie à travers l'écran.
Ma mère resta un instant devant la porte, comme si elle attendait quelque chose. Sa mine semblait inquiète. Je me demandais si elle n'avait pas entendu des bribes de notre conversation.
— Maman, es-tu certaine que tout va bien ? requérais-je, en haussant un sourcil.
Elle reprit ses esprits.
— Oui, ne te fais pas de souci, répondit-elle dans un sourire faussement rassurant. Ne tarde pas à te coucher. Bonne nuit.
— Bonne nuit ! dis-je en souriant.
Ma mère ferma la porte de la chambre et je soupirai de soulagement, mes émotions avaient tendance à se mélanger par sa seule présence dans la pièce.
— Tu crois qu'elle a capté quelque chose ? demanda Hélène.
— Je n'en sais rien. Mais je la trouve bizarre en ce moment, répondis-je en allant vers ma commode.
Le bracelet d'habillage à mon poignet, je sélectionnai ma tenue de nuit sans bouger de mon lit. Le choix fait, les nanoparticules travaillèrent entre elles afin de créer les vêtements que j'avais choisis.
— Mes parents aussi, parfois, ils sont chelous, c'est horrible, expliqua-t-elle.
— Penses-tu que c'est la phase de Test qui les rend ainsi ?
— Surement ! Dans deux mois, je n'ose même pas imaginer notre état de nerfs.
— C'est clair. Bon, je te laisse avant que le vieux débarque. Bonne nuit !
— Bonne nuit !
La communication se coupa net, affichant un écran vide.
Je me levais pour remettre la Tab dans un tiroir et remarquais mon père dans l'encadrement de la porte.
— C'est moi que tu traites de vieillard, dit-il avec humour.
— Papa !
— Bonne nuit, jeune fille !
— Bonne nuit !
Mon père sortit et ferma derrière lui. Les voix de mes parents me parvinrent faiblement, assourdies par le bois et les murs de la pièce.
— Chérie, calme-toi, dit mon père à voix basse.
— Elle papote avec Hélène ! Elle a eu une vision d'Hadès. Il était au musée, s'impatienta-t-elle, paniquée.
— Ce n'était peut-être pas lui. Hannah, reprends-toi !
Je n'entendis plus rien de leur conversation, ils étaient surement partis dans leur chambre.
Les disputes silencieuses de ces derniers temps étaient ma faute. Je n'osais absolument pas raconter mes pensées et le harcèlement dont j'étais la victime, au lycée. Beaucoup de jeunes, dans ma situation, mettaient fin à leurs vies. Mais quelque chose à l'intérieur me donnait la force de m'accrocher.
Un jour, ils le payeront tous autant qu'ils sont...
Cette phrase, je la repassais en boucle dans mon crâne.
Retournant dans mon lit, je me couchais et observais le plafond, en proie à ma propre nervosité. Deux mois... Il ne restait plus que deux mois avant de connaître mon destin. Intégrer l'une des factions sur terre où quitter la planète pour une nouvelle vie.
Automatiquement, la lumière s'éteignit. Fermant les yeux, j'essayais de me vider la cervelle de toutes pensées qui m'empêcherait de trouver un sommeil réparateur.
Ma mère me manquait terriblement, elle devait me chercher partout, sans aucun espoir de me retrouver.
Sortant de la pièce, je jetais un regard dans le couloir. Il était désert et je me faufilais dans la salle à manger. Jusqu'à maintenant, j'avais refusé de manger, mais je commençais réellement à avoir faim.
Une voix caverneuse résonna dans le corridor, elle provenait de l'une des salles avoisinantes. Le langage colérique faisait trembler les murs. À la surface, les pauvres humains devaient en ressentir les secousses. Je m'arrêtais près de la porte et écoutais la conversation animée qui se déroulait dans la pièce.
— Zeus me l'a promise, hurla la voix grave. Et à présent, je dois la rendre à sa mère parce que madame Déméter fait une crise existentielle !
À la mention de ma maman, mon cœur s'emballa. Que se passait-il ? Se portait-elle bien ? Et quelle était cette histoire de crise existentielle ? Si mon père, Zeus, m'avait destiné à lui, pourquoi n'avait-il pas demandé ma main d'une différente façon, que de procéder à un enlèvement ?
— Ne t'énerve pas sur moi, dit l'autre voix sans céder. Je ne suis que le messager.
— Je refuse de la laisser partir, elle est mon épouse !
— Ça change beaucoup de choses.
Il y eut un blanc dans leur conversation.
— Hermès, quelle est la menace de Déméter ?
— De laisser l'humanité périr de faim, si tu ne lui rends pas sa fille, répondit Hermès. Les sols deviendront infertiles. Nous ne serions plus vénérés par personne.
— Et moi, je perdrais ma femme.
— Je suis désolé, Hadès. Zeus est dans une position délicate. La seule condition qu'il a fixée est, que Coré n'ait pas mangé de nourriture des Enfers.
— Je ne sais pas.
Ainsi, mon ravisseur n'était autre qu'Hadès, le dieu du monde souterrain. Zeus m'avait promis à mon oncle.
— Où est-elle ? demanda Hermès.
— Elle se repose dans l'une des chambres, dit Hadès en soupirant.
Je sortais de ma cachette. Ils me regardèrent, étonnés de me trouver là.
— Je suis ici, dis-je en souriant. Je n'ai rien mangé qui provienne des enfers. Je veux retourner auprès de ma mère !
J'avais du mal à contenir la joie, à l'idée de retrouver mon foyer.
— Tu nous as entendus, dit Hadès avec surprise.
— Oui !
— Tu as le choix. Partir ou rester ?
— Ne puis-je pas revenir après avoir calmé ma mère ?
— Le souhaites-tu ?
Je réfléchissais un instant. Le désirais-je réellement ? Ne serait-ce que pour continuer à explorer ce monde qui m'était encore inconnu et dont j'étais devenue la reine. Mais avant, je devais apaiser ma mère au risque de dépeupler la planète Terre.
— Je demande à revoir ma mère.
— Comme tu le veux.
Quittant la pièce, j'arrivais dans l'immense salle à manger qui donnait sur une gigantesque porte de chêne incrustée de pierres précieuses telles que des rubis, des saphirs et des émeraudes.
— Attends, m'interpella Hadès avec un sourire.
Je le voyais s'approcher de moi, un air malicieux brillait dans son regard.
— J'aimerais que tu goûtes ceci, avant de partir !
Il tendit une grenade ouverte. Je me saisis d'une graine et la portais à mes lèvres pour y déguster. En croquant dedans, je ressentis une explosion de saveurs sur mes papilles. Le fruit était d'un délice sans nom.
Hadès sourit.
— Quand tu reviendras, tu domineras sur tout ce qui vit et se périt et tu jouiras des plus grands honneurs parmi les immortels. Et le châtiment des hommes sera éternel si ces derniers ne peuvent apaiser ta colère par des sacrifices selon les rites et en t'offrant de légitimes présentes. Retourne auprès de moi, tout ceci t'appartiendra et tu régneras à mes côtés.
Sa proposition était si alléchante. Revenir ici, ce serait prouvé aux autres que je n'étais en rien si douce que le monde semblait le penser.
— Je retournerais, répondis-je. Vous avez ma parole.
J'ouvrais les yeux et me redressais sur mon lit à la vitesse de l'éclair. La sueur perlait sur mon visage tandis que mon t-shirt collait contre ma peau. Je sentais des gouttes ruisseler le long de mon dos.
Je repensais aux rêves récurrents que je faisais chaque nuit et à la vision que j'avais eue dans le musée. Ce rêve était différent de celui qui me hantait tous les soirs depuis l'âge de huit ans. Ou bien, était-ce juste l'angoisse de ce qui m'attendait dans deux mois, qui provoquait ces états de transe et ces songes ? Je n'en savais strictement rien.
Quittant mon lit, je me dirigeai vers la fenêtre. Je devais prendre l'air, mon esprit bouillonnait de questions et de contradictions. L'ouvrant en grand, pour laisser entrer l'air frais de janvier. Mon corps frissonnait au contact de la brise sur mon t-shirt trempé de sueur. Mes pensées se remettaient en place à chaque respiration.
Enfermer six mois aux Enfers et revenir six mois sur terre...
Hélène, avait-elle raison ? Et si, j'étais la réincarnation de Perséphone ?
Tout deviendrait clair, Hadès, l'enlèvement, le grain de grenade, les rêves, les visions... La seule personne qui avait les réponses, c'était moi et celui que je voyais dans mes rêveries depuis plusieurs années n'était autre que le dieu des Enfers.
Hadès...
Le moniteur 3D affichait trois heures quarante-cinq du matin. Le réveil allait s'annoncer sportif. Je fermais la fenêtre avant de changer de t-shirt à partir du bracelet. Ma mère allait me tuer, lorsqu'elle découvrirait la pile de linge en fin de semaine. Mais cette préoccupation ne m'affligea pas davantage. Mon seul désir était de retourner dans mes draps dans l'espoir de me plonger dans une léthargie sans rêve.
Mais impossible... Ce rêve me trottait dans la tête. Si je revivais le mythe de Perséphone, pourquoi Hadès m'avait-il appelé Coré ?
Tout me semblait si compliqué.
Jeme tournais et remuais encore dans mon lit, sans pouvoir trouver à nouveau lesommeil.
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