~Erwin~

Tel un automate programmé pour répéter les mêmes actions jour après jour, je quitte ma classe, mon sac sous les bras et les yeux rivés vers le sol. Je n'ai eu la force de n'écouter aucun mot prononcé pendant le cours, tourmenté par les évènements de la veille. Les choses n'auraient jamais dû dériver vers une tournure aussi dramatique. Bien que j'ai tenté d'arrêter Auruo dans sa folie, la culpabilité me ronge de l'intérieur. Et si j'avais forcé l'arrêt de l'ordinateur dès le début? Si j'avais poussé le fautif hors de sa chaise avant qu'il puisse commettre l'irréparable?

Les « si » sont faciles à penser une fois que le mal est fait.

Malheureusement, les dés sont tombés et malgré toute ma volonté, je suis dans l'incapacité de revenir en arrière pour effacer l'horrible geste qui a été commis. J'ai beau tenter de chasser ces pensées, de me convaincre que j'ai tout fait pour remédier à la situation, une voix me rappelle que je mens. C'était insuffisant et maintenant, je dois en assumer les conséquences en tant que chef d'équipe. La culpabilité du bourreau n'a aucun prix lorsqu'il est question de vengeance. Il aura beau supplier, répéter inlassablement qu'il n'est pas le fautif, tant que du sang tâche ses mains il restera la cible.

Ces jeux sont inhumains. Ils vont beaucoup trop loin et même si je tente de me retenir, je suis attiré vers le fond de l'abysse, incapable de remonter à la surface. Je coule, je me noie et je subis.

Alors que je range mon sac dans mon casier, Livai se glisse à mes côtés, collant son front contre mon épaule dans un soupir. Mes yeux se posent sur sa chevelure couleur corbeau et sur ce corps dont je suis dépendant. Sans mon petit ami pour me soutenir dans cette terrible épreuve, qui sait ce que je deviendrais. Sa présence est mon unique raison de me lever chaque matin, ma motivation dans la vie. Il m'est déjà arrivé de visualiser une réalité sans lui, simplement par curiosité. Même en essayant très fort, aucune image n'a pu se loger dans ma tête puisque je ne peux exister sans ce garçon. Il est mon meilleur ami, mon âme sœur et mon confident.

Ma main glisse dans ses fins cheveux soyeux qu'il coupe lui-même, trop têtu pour faire appel aux services d'une professionnelle. Parfois, l'arrière de sa tête est inégal, fait à la vas-vite. Ce défaut reste attirant dans mes yeux d'homme amoureux.

-Tu sembles de mauvaise humeur, remarqué-je.

-Ne m'en parle pas! J'ai croisé Eren aux chiottes et il s'est mis à se plaindre de sa vie de merde. Est-ce que j'ai la gueule d'une personne sur qui on peut pleurer sur l'épaule? Je ne suis même pas son ami!

-J'admets que c'est mal te connaitre. Laisse-moi deviner, si tu étais à la salle de bain, c'était encore pour sécher?

-Je ne sèche pas, je prends de longues pauses aux toilettes. Les cours de philo me sont inutiles et l'enseignante est convaincue que j'ai des problèmes de constipation. J'en profite.

Je ris en refermant mon casier, appréciant être le seul à qui Livai parle de cette façon. Si au début je trouvais son langage cru et dénué de politesse, j'ai appris à l'aimer ainsi. Ce garçon n'a pas été élevé avec des pincettes, apprenant les mots de la bouche d'un oncle vulgaire.

Parfois, je ressens l'envie de lui tenir la main à l'école, de l'embrasser passionnément devant un public afin de montrer au monde entier que le cœur de ce garçon magnifique m'appartient. Pourquoi ai-je peur de faire le premier pas? Je n'ai aucunement honte de notre relation, mais je crains que Livai ne désire pas l'afficher publiquement, qu'il préfère la discrétion. Qu'on le veuille ou non, il existera toujours des préjugés vis-à-vis les personnes non hétérosexuelles.

-Au fait, je crois que Eren va préparer une grosse vengeance, déclare sombrement Livai.

-C'est aussi ce que je pense... J'ai beau avoir tenté de mettre un terme à ce méfait odieux, mais ça ne signifie rien à ses yeux. Je reste le méchant, que ce soit vrai ou pas. Il t'a dit quelque chose pour te le faire aussi croire?

-Les discours qu'il tenait aux chiottes voulaient tout dire. Je lui ai dit que Auruo est l'unique responsable, mais mes mots sont allés dans l'oreille d'un sourd. Il est têtu comme une mule et ça me fait chier. Au fait, est-ce que t'as vu Auruo aujourd'hui? Moi, quand je l'ai croisé ce matin, il a fui comme une grosse poule mouillée. Il fait dans son froc depuis que tu t'es mis en colère.

Hier, après la distribution de la vidéo, je n'ai pas retenu mes mots contre Auruo. Mes joues bouillaient de colère alors que la haine déferlait dans mes paroles brutales et crues. Je n'ai pas l'habitude de crier ou d'être méchant, mais cette fois, quelque chose a éclaté dans ma tête. Si Hansi et Mike ne s'en étaient pas mêlés pour m'apaiser, le fautif se serait probablement fait dans le pantalon.

Nous rejoignons nos amis dans le salon étudiant, à notre table habituelle. Seuls Auruo et Petra manquent à l'appel. Je profite du camouflage qu'offre la table pour saisir la délicate main de Livai et la presser entre mes doigts. Ce dernier répond au geste, libérant une douce chaleur dans mon cœur.

-Dis, Erwin, qu'est-ce que tu veux pour ton anniversaire? me questionne soudainement Hansi. Mike et moi, on se demandait quoi t'offrir pour ta fête surprise!

-Hansi! Tu ne sais vraiment pas tenir ta langue, s'offusque Mike en laissant tomber sa tête entre ses mains. C'est censé être une fête surprise... On s'en est longuement parlé.

-Oups?

Je fronce les sourcils alors que Livai lance un regard assassin à la fille qui a trop parlé. Un anniversaire surpris? Pour moi?

-La prochaine fois, je crois qu'il sera préférable de ne pas la mettre dans la confidence, soupire Moblit.

-Mais, je ne pensais pas que la soirée chez Mike était un secret!

-Vous me préparez une fête surprise? me mêlé-je. Ce n'est pas nécessaire, vous savez...

-Plus vraiment une surprise, marmonne Livai. Tu vas avoir 18 ans et tu ne nous demandes jamais rien. On s'est dit que ça te ferait plaisir de passer une bonne soirée avec nous.

Je souris, sincèrement touché par cette attention. C'est la première fois de ma vie où j'ai le sincère sentiment d'être entouré par des gens qui tiennent à moi et sont réellement mes amis. Bien sûr, avant les jeux j'étais déjà très proche de Mike et Hansi. Cependant, ils ne passaient pas tant de temps en ma compagnie. Peut-être que cette folie nous a rapprochés? Il n'y a pas que du négatif à tout cela.

-C'est très gentil de votre part, affirmé-je.

-Donc tu veux quoi comme cadeau? demande à nouveau Hansi. Une pince à épiler?

-Tu veux que j'éclate tes lunettes sur ta tête, la binoclarde? crache Livai en se levant de sa chaise.

-Oh, calme-toi Lili! Je ne fais que des suggestions. Tu es lourd, à toujours te mettre en colère pour un rien. Souris, la vie est belle!

Pour accompagner la fin de son discours, elle fait un large sourire forcé. Si elle continue à provoquer ainsi Livai, la guerre va éclater et ce n'est pas moi qui tenterai d'y mettre un terme. Ce duo se chamaille fréquemment, mais ils s'aiment profondément. Lorsque l'un ou l'autre a un problème, le second est toujours là pour le supporter. Ça, c'est une vraie amitié.

Pour une rare fois depuis plusieurs semaines, je parviens à cesser de songer aux jeux, uniquement heureux à l'idée de passer du temps en compagnie de mes proches pour mon anniversaire. Cette soirée sera une véritable bénédiction. Je vais pouvoir me détendre.