~16~ Répercussions.
~Eren~
Mon cœur est plus lourd que s'il avait été retiré de ma cage thoracique, laissant à sa place un amas de pierres. C'est douloureux, insupportable.
Assis du côté passager de la voiture à ma mère, cette dernière m'a forcé à quitter le confort de ma chambre, m'empêchant ainsi de faire l'école buissonnière. J'aimerais pourtant tellement rester caché sous mes draps et ne plus jamais en sortir. M'aimerait-elle autant si elle voyait cette horrible vidéo? Elle serait dégoutée par la sexualité de son fils, honteuse de le voir pleurer comme un bébé dont la couche est pleine.
J'ignore ce que ma mère pense de ce sujet, mais je n'ai pas le courage de demander son opinion. Cette femme est très gentille, toujours à l'écoute et souriante. Cependant, parfois, ses idéaux sont influencés par ceux de son mari dont la mentalité est restée encrée dans les années 1900. J'aime mes parents. Je ne peux pas risquer d'être rejeté de la maison, de devenir le mouton noir.
Tous les messages haineux que j'ai reçus au cours de la nuit étaient horribles.
Je suis conscient qu'il aurait été préférable de ne pas regarder, d'ignorer ce déversement de haine. Malheureusement, je n'ai pas su résister à la tentation. Comment des gens peuvent-ils être si méchants? J'ai même jeté un œil à la monstrueuse vidéo qui a été diffusée. Avant, je croyais qu'il était possible de pirater une webcam seulement dans les films, mais maintenant, un papier collant noir cache la lentille. J'ai songé à pulvériser mon ordinateur à titre de précaution, mais le prix m'a fait changer d'idée.
Est-ce que Erwin se rend compte qu'il gâche ma vie avec ce méfait? Sortir du placard sans en être prêt, c'est une chose horrible. Ce n'est plus une blague, mais de la méchanceté gratuite. Ce connard aux gros sourcils va me le payer cher et cette fois, je ne mettrai pas de gants blancs. La guerre a été déclarée et je compte riposter avec force. Personne n'a le droit de s'en prendre à Eren Jager!
-EREN! Comment tu te sens?! J'ai vu cette horrible vidéo et j'ai essayé de t'écrire, mais tu n'as pas vu mes messages... Il était passé minuit, donc tu n'as pas répondu au téléphone non plus. Si ma grand-mère ne m'avait pas empêchée de sortir, je serais venu te voir directement. Eren... Comment tu te sens? Je... J'ai envie de péter la gueule à cette limace!
Perdu dans mes pensées, je n'ai pas vu Floch foncer sur moi tel un missile. Ses bras entourent mon cou qu'il serre avec force, forçant mon visage à s'écraser contre ses pectoraux, ce qui m'étouffe légèrement. Au moins, la chaleur et le soutien de mon ami me font du bien, me font sentir moins seul. Ce roux est l'allié le plus fidèle au monde. Je lui rends l'étreinte.
-C'est gentil, soufflé-je. Désolé de ne pas avoir répondu. J'avais tellement de messages que je n'ai pas vu le tien.
-Pas la peine de t'excuser! Avec moi, tu n'auras jamais besoin de donner des excuses. OK?
Derrière lui, Armin, Annie, Reiner et Bertholdt s'approchent. L'inquiétude est lisible sur leur visage, hormis celui de l'unique fille qui se moque de tout. Si une météorite fonçait sur la Terre, elle n'en ferait aucun cas et elle s'installerait sur une chaise longue pour profiter du spectacle.
-Eren, comment tu vas ce matin? s'inquiète Armin. J'ai vu la vidéo...
-Je vais bien, mentis-je.
-Eren, je sais que c'est faux... ce qu'ils t'ont fait, c'est dégoutant, immoral! Pourquoi tu ne m'as jamais dit que tu aimes Jean? Je ne savais même pas que tu aimais les garçons et je suis censé être ton meilleur ami!
Je me retire doucement de l'étreinte de Floch afin de respirer à nouveau. J'ai trop honte pour croiser le regard de Armin, effrayé à l'idée d'être jugé. C'est d'une voix faible que je trouve le courage de lui répondre :
-Je... je ne voulais pas que tu me juges et me rejettes... puis pour Jean, ça n'a plus la moindre importance.
-Comment tu as pu penser ça, Eren? Je suis ton meilleur pote depuis qu'on a quoi, six ans? Tu crois vraiment que je pourrais te rejeter pour si peu?
-Je ne sais pas...
-Tu es stupide si c'est vraiment ce que tu crois!
Le petit blond me sourit d'un geste réconfortant. Croit-il réellement ce qu'il dit? En ce moment, je suis tellement perdu que tout me semble faux, comme si chaque humain qui m'entoure porte un masque derrière lequel se cache de la haine. J'ai peur. Je suis terrifié.
Une large main se pose sur mon épaule. Il s'agit de Reiner :
-Si quelqu'un veut se moquer de toi, je vais être le premier à leur botter les fesses. Tu n'auras qu'à me le dire et je serai là.
-De plus, après une semaine, tout le monde aura oublié cette vidéo, ajoute Bertholdt.
Je souris faiblement au couple, touché par leur soutien. Lorsque l'échalote brune ouvre la bouche pour parler, il est encore possible d'apercevoir les traces noires qui couvrent ses dents à la suite du méfait contre lui. Le pauvre ne voulait plus mettre les pieds à l'école après s'être retrouvé les dents entièrement teintées d'une encre qui n'a toujours pas disparu après deux semaines. Quand il rit, Bertholdt doit placer sa main devant ses lèvres afin de cacher les dégâts.
Entourés de mon groupe, nous marchons jusqu'au salon étudiant dans l'attente du début des cours. Sur notre passage, je ne peux m'empêcher de remarquer les regards braqués en ma direction. Certains se moquent, d'autres chuchotent. Jamais je ne me suis senti aussi petit, à ce point comme un clown. Ma vidéo a diverti tous ces curieux qui sont heureux d'avoir pu assister à une peine d'amour en direct. Si tout s'était bien déroulé, personne n'en aurait fait de cas.
L'Homme est un mammifère qui s'amuse du malheur de ses semblables.
Quand la cloche sonne, je pars avec Floch en direction de ma classe de mathématique. Un imposant boulet semble accroché à mes chevilles, rendant chaque pas ardu et douloureux. Pourquoi le trajet parait-il si long? Croiser Jean me terrifie. Malgré la présence de mon ami roux à mes côtés, je suis incapable de rester calme, de ne pas redouter ce cours pourtant habituellement si ennuyant.
En temps normal, je suis l'un des derniers à mettre le pied en classe, et ce, seulement lorsque je ne suis pas en retard. Cette fois cependant, je suis l'un des premiers assis à mon bureau. Quelqu'un est déjà là. Jean est assis au fond du local, des écouteurs dans les oreilles et les yeux rivés vers la fenêtre. À quoi songe-t-il? Souffre-t-il autant que moi depuis la diffusion de cette vidéo? J'aimerais qu'il me prenne dans ses bras comme il l'a fait lors de ma crise de panique. Le garçon m'a serré tellement fort qu'à la fin que je me suis endormi contre son corps brulant. Est-ce normal que je sois incapable de cesser de l'aimer malgré son rejet?
Si un jour l'on m'avait dit que mon cœur battrait pour Jean Kirstein, jamais je ne l'aurais cru. Ce garçon avec qui je me battais parfois dans la cafétéria, celui que je ne cessais d'insulter est aujourd'hui le seul que je désire.
Pourquoi l'amour doit-il absolument être douloureux? Ne pourrait-ce pas être facile, comme dans les films à l'eau de rose ou les animes « pour filles » que Floch aime tant visionner? Après lui avoir dit les grands mots, Jean aurait dû me répondre la même chose. Nous aurions ensuite dû faire l'amour, nous répéter des mots mielleux, puis rester blottis l'un contre l'autre pendant des heures. Il n'aurait jamais dû me dire qu'il est amoureux de quelqu'un d'autre! Ce n'est pas censé fonctionner de cette façon.
Choisissant de ne pas baisser les bras malgré son rejet, je me dirige vers le bureau voisin au sien, sauf qu'un grand brun me contourne afin de voler cette place que j'avais trouvée : Marco. L'envie de faire disparaitre cet atroce sourire niais et lui arracher chacune de ses immondes taches de rousseur germe en moi. Qu'est-ce que Jean peut-il lui trouver d'attirant? Ce type n'a aucun sens de l'humour et il reste toujours dans son coin, sans bouger, à la manière d'une limace sur le gazon après la pluie.
Ouais, ce garçon est une limace que je vais écraser.
Floch finit par me guider vers un bureau à l'écart, là où nous pouvons nous installer côte à côte. Mes yeux vagabondent vers Jean dont l'attitude reflète son profond malaise d'être assis auprès de la personne à qui il a fait, sans le vouloir, une déclaration d'amour. Qui sait, peut-être que l'idée de partager cette vidéo provient de cette fraise afin de me mettre hors-jeu? Oui, je suis convaincu qu'il s'agit de son plan. Tout comme gros sourcil, il ne perd rien pour attendre!
Le cours commence, mais je n'arrive pas à me concentrer. J'ai l'impression d'entendre rire, que des gens chuchotent en m'observant. Est-ce mon imagination? Mes doutes se concrétisent lorsque de petits morceaux de gommes à effacer frappent ma tête à répétition. Si je les ignore, ils vont arrêter... Ne pas se défendre est difficile. Mes poings se serrent, mais je tente de conserver un semblant de calme.
Puisque l'enseignante nous parle du célèbre auteur anglais Oscar Wild, dès que le sujet de son emprisonnement à cause de son homosexualité fait surface, les garçons derrière moi pouffent. Il n'y a rien de drôle.
-Tu entends ça, Jager? demande un garçon. Si tu avais vécu en Angleterre dans ce temps-là, tu aurais pu faire de la prison!
-Il est vraiment homo? s'étonne quelqu'un dans la classe. Je ne m'en serais pas douté!
-Tu n'as pas vu la vidéo, crétin? Il s'est carrément jeté sur Jean avant d'être rejeté.
En les écoutant parler, mes doigts craquent tant je les serre fort. Il y a des abrutis partout. Sous la rage, je me lève de ma chaise, la faisant vaciller. Mes yeux haineux se posent sur eux, mais aucun mot ne parvient à quitter mes lèvres. Je n'arrive même pas à me défendre moi-même.
-Laissez-le tranquille, se mêle un garçon nommé Porco. Vous êtes vraiment méchants avec Eren.
Je lance à mon sauveur un sourire pour le remercier. Enfin, quelqu'un de sympathique.
-Tu le défends vraiment? s'étonne l'une des grandes gueules.
-Oui, car si vous continuez, il pourrait recommencer à pleurer comme un gros bébé.
Là, c'est trop. Je ne le supporte plus. Les yeux vitreux sous la colère, je quitte la classe à pas rapides avant de commettre une bêtise, laissant tout mon matériel sur le bureau. Pourquoi l'enseignante n'est-elle pas intervenue? Je crois entendre Floch prendre ma défense, mais je n'y porte aucune attention. Est-ce si mal d'être homosexuel et de pleurer après s'être fait briser le cœur? Ces garçons qui se sont moqués ouvertement de moi, ils étaient mes amis, des gens avec qui je riais en classe. Savoir que leur opinion à mon sujet a pu changer si facilement, c'est blessant.
Sur cette horrible vidéo, j'ai l'air de violer Jean. C'est un fait. Lors des évènements, j'étais guidé par le désir et l'amour, au point de ne pas remarquer les grimaces agacées de mon amant. Ce dernier se laissait faire sans répondre à mes caresses, tel un prisonnier cherchant l'occasion de fuir sa cage. Ce détail m'a sauté aux yeux lors de mon visionnement et il m'a donné l'effet d'une gifle. Il s'agit peut-être de la véritablement raison de ce déversement de haine à mon égard. D'ailleurs, la manière dont j'ai ensuite pleuré est le comble de l'humiliation.
Voilà que ça recommence...
Mes yeux se remplissent d'eau et je fonds en larmes une nouvelle fois. Je me laisse tomber au pied d'un mur, entre deux casiers éloignés. Je suis un vrai bébé, un faible. Qu'est-ce que ma mère va dire quand l'enseignante va l'appeler pour l'informer de mon départ en plein milieu du cours?
Le monde qui m'entoure semble tourner au ralenti, me faisant perdre le fil du temps. Lorsque des pas viennent en ma direction, je me redresse en essuyant mes yeux bouffis, puis je tends curieusement l'oreille. Une voix me parvient, celle de Jean. Est-il sorti de la classe pour me retrouver? J'ignore ce qu'il dit ou même à qui il parle, mais sa présence me réchauffe le cœur, m'invitant à sortir de ma cachette. J'ai besoin de me blottir dans ses bras chauds, d'être assailli par ses lèvres délicieuses cherchant à me consoler.
Jean se trouve à quelques mètres, en pleine conversation avec Marco. Mon corps entier se fige lorsque ce dernier se penche afin de déposer ses lèvres contre les siennes, lorsque celui que j'aime répond à ce baiser en glissant ses mains sur ses hanches. Cette vision est un cauchemar. Ma main se place sur mon cœur dont la douleur est si poignante que ma cage thoracique me donne l'effet de fondre. Je n'en peux plus. C'est trop.
L'esprit embrumé par la tristesse, je fuis en direction de la salle de bain où je m'enfonce, espérant y trouver la paix. Jean m'a seulement repoussé hier et déjà, il embrasse Marco. Je n'étais personne à ses yeux.
-On ne peut visiblement jamais être seul dans ce bahut, marmonne une voix masculine.
Mes yeux se posent instinctivement sur celui qui a parlé. Je croyais être seul dans cette pièce, mais un garçon de petite taille aux cheveux couleur corbeau est assis près du lavabo, une jambe repliée contre son corps mince en guise de confort. J'essuie mes yeux humides dans l'espoir qu'il ne remarque pas que je pleure, mais c'est trop tard. Livai Ackerman lève un sourcil avec curiosité. Ce type fait partie des monstres ayant bousillé ma vie.
-Tu n'es pas censé être en classe? craché-je. La salle de bain est un lieu public, je te signale!
-Pas la peine de me parler sur ce ton, gamin. Personne ne vient jamais dans cette salle de bain, donc j'y viens quand le cours m'ennuie. La prof est trop stupide pour comprendre que je ne suis pas vraiment aux chiottes.
-Désolé...
Le garçon lève les yeux au ciel avant de descendre de son perchoir dans le but de quitter la pièce. Je me sens si mal... même un type comme lui refuse ma compagnie. Alors que Livai s'apprête à ouvrir la porte, il s'arrête en soupirant :
-Au fait, je suis désolé pour ce qui est arrivé.
-Hein?
-Je parle de la publication de la vidéo. Erwin ne voulait pas, mais c'est Auruo qui a agi sans nous consulter. Je sais que c'est difficile, mais si tu continues de montrer que tu as honte de ce que tu es, les gens ne vont pas te lâcher. La clé, c'est la confiance. Personne n'ose s'en prendre à quelqu'un qui s'assume pleinement.
Le garçon tourne ses yeux nuageux en ma directement, très sérieux malgré les cernes qui logent toujours sous ces derniers. Il est peut-être petit, mais personne n'est aussi intimidant que Livai Ackerman. Son visage pointu dégage ce quelque chose qui inspire la crainte, une attitude qui convainc les gens de ne pas lui marcher sur les pieds. Il suffit de le voir pour comprendre qu'il est fort et qu'il a un caractère solide.
-Tu ne sais pas ce que c'est, répliqué-je avec agacement.
-Tu crois?
-Je sais que tu sors avec Erwin, mais tu ne l'affiches pas toi non plus. Tu as honte aussi de ce que tu es, donc tu ne devrais pas me donner de conseil sûr comment agir.
-Parce que tu crois que j'ai honte de sortir avec Erwin? Tu ne me connais vraiment pas. Si je ne voulais pas les gens le sachent, tu l'ignorais toi aussi.
Sa voix est plus glaciale qu'une brise hivernale, ce qui me force à ravaler mes mots. Finalement, peut-être que je connais moins mes ennemis que ce que je croyais. Suis-je réellement un bon capitaine? Il est hors de question que j'abandonne, mais je commence à douter de mes chances de réussir à gagner. Si je décroche la victoire, peut-être que les élèves recommenceront à me témoigner du respect. Ils verront qu'ils ont eu raison de voter pour moi.
Peut-être même que Jean se laissera charmer?
Voyant que je me tais, Livai lâche la poignée de la porte, il se lave les mains, puis il s'installe à nouveau sur le comptoir. Il n'est peut-être pas aussi méchant qu'il en a l'air. Mettant nos hostilités de côté, je m'assois à l'autre extrémité du lavabo. J'ai besoin de parler avec quelqu'un...
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