~Livai~

La bibliothèque de l'école est un lieu où il fait bon d'être. Pièce vaste et tranquille, les hautes étagères garnies de livres divers permettent aux élèves de s'isoler pendant leur lecture ou leurs travaux. Des dessins en lien avec le contenu de chaque rangée trônent au sommet des tablettes, donnant un côté enfantin, mais charmant.

Assis à une table auprès de Erwin, je le regarde silencieusement terminer des exercices de mathématique. Lorsqu'il se concentre, mon blond ne dit pas un mot, ce qui m'a forcé à prendre un livre aléatoire pour passer le temps. Ce dernier s'appelle « l'Épreuve : le labyrinthe » et il a inspiré un film que je suis allé voir au cinéma il y a un certain temps. Bien que les personnages soient relativement semblables, l'histoire n'est pas comparable d'une œuvre à l'autre. Contrairement à ce film qui m'avait laissé sur un avis mitigé, le roman est captivant.

Alors que mes yeux parcourent les lignes, ma main est agrippée à celle d'Erwin sous la table. Nous nous trouvons dans un coin isolé, loin des potentiels regards indiscrets. De toute façon, si quelqu'un osait se moquer de notre couple, il recevrait mon pied entre les yeux avec toute la gentillesse dont je peux faire preuve. Ma vie privée ne regarde personne.

Notre confort est ébréché par l'arrivée de la binoclarde qui se positionne face à notre table, les mains plaquées sur la surface plane. Un large sourire couvre les lèvres de Hansi alors que ses cheveux sont en bataille, lui donnant un air de folle tout droit sortie de l'asile. Dans une autre vie, elle a dû passer beaucoup de temps enfermé entre quatre murs capitonnés.

Erwin et moi levons la tête en sa direction, mais nous n'osons pas lui demander la raison de sa visite. Veut-on réellement le savoir? Pourtant, elle n'attend pas de nous voir ouvrir la bouche avant de déposer une petite boite en carton vert et blanc et sur la table. Mon amoureux la soulève pour en lire le nom, puis il fronce les sourcils. Cette folle nous présente son laxatif.

-Hansi, si tu as du mal à chier, tu n'as pas besoin de nous le montrer, grogné-je avec dégout.

-Hein? Ah, non, non, ce n'est pas pour moi! En fait, hier, j'ai pris la décision de mettre mes mains à la patte. J'ai préparé de succulents petits muffins allégrement assaisonnés aux laxatifs. J'y ai mis le paquet!

-Tes délires louches, je ne veux pas les connaitre.

-C'est pour les jeux! réplique-t-elle en se dandinant joyeusement. Ce midi, j'ai pensé offrir ce petit cadeau à Sasha de l'équipe adverse! Il parait que c'est une vraie goinfre, donc je suis certaine qu'elle va accepter. Je peux le faire, Erwin? Aller, dis oui!

Erwin fixe la boite de laxatifs, peu motivé par cette idée sadique. Il finit par soupirer :

-Fais ce que tu veux, Hansi...

-Youpi! Merci, Erwin, tu es le meilleur!

Avec entrain, la binoclarde ramasse son médicament, puis elle tourne les talons, suivis par Moblit qui était resté en retrait pendant cette discussion. Comment fait-il pour être amoureux d'une telle tarée? À sa place, je serais déjà fou, en proie à d'irrésistibles envies de meurtre. Hansi est comme une bouteille d'alcool. À petite dose, ça va, mais lorsqu'on en abuse on finit par faire des conneries.

Erwin soupire avant de laisser tomber sa tête entre ses mains. Inquiet et voyant qu'aucun regard indiscret ne nous épis, je glisse mon bras sur son dos avec l'espoir de le réconforter, quel que soit le problème.

-Ça ne va pas? l'interrogé-je. 

-Je ne sais pas... tout ça, ça ne me plaît absolument pas. J'aimerais abandonner les jeux, Livai. Tu m'as encouragé à participer pour prouver que j'en suis capable, mais je n'y arrive pas! Je me suis senti mal de voler les vêtements à ces garçons ou même de donner du laxatif à cette fille. Ce n'est pas moi, faire tout ça! Tout ce que je voulais, c'était profiter de ma dernière année de lycée avec toi avant que j'aille à l'université.

En l'écoutant parler, la culpabilité m'engloutit. C'est de ma faute si l'homme de mes rêves se retrouve à pieds joints dans ce bourbier. J'étais tellement en colère contre les imbéciles qui l'ont inscrit dans le but de se moquer de lui que je n'ai pas sus réfléchi avec ma tête. C'est vrai que cette folie n'est pas le genre de Erwin. Malheureusement, il est trop tard pour faire marche arrière.

-Tu ne peux pas abandonner, soufflé-je.

-Pourquoi? Je n'aime pas ça et je n'ai pas digéré ce qu'ils t'ont fait en t'inscrivant sur ce site de rencontre obscène. ILS ONT FAIT PASSER MON PETIT AMI POUR UNE PUTE!

Réalisant qu'il a levé la voix pour me parler, Erwin baisse les yeux en s'excusant. Il sait que je hais entendre les gens crier. Ayant grandi auprès d'un oncle vulgaire et colérique, je n'ai aucune envie que mon amoureux partage ce caractère qui m'a répugné tant d'années. Mon blond le sait et c'est pourquoi il fait de son mieux pour ne jamais perdre son calme. Il faut croire que ces jeux l'affectent énormément pour parvenir à le mettre dans un tel état. Je ne peux pas lui en vouloir.

-Pourquoi tu dis que je ne peux pas abandonner? demande Erwin avec embarras. Ce n'est pas comme si les jeux étaient sacrés. Je n'ai fait aucun pacte de sang.

-Tu n'as jamais assisté à l'humiliation que doit subir l'équipe perdante? C'est horrible à voir.

-L'humiliation? C'est quoi? J'en ai déjà entendu parler, mais je n'y ai jamais assisté.

-L'équipe gagnante peut humilier les perdants de la façon qu'ils le souhaitent. Il y a deux ans, ils portaient tous une couche pour adulte et ils avaient une tétine dans la bouche. Ils étaient reliés par une laisse, par le cou, à la manière de chiens et cette dernière était tirée par les vainqueurs qui les promenaient dans l'école entière. Si des passants voulaient les « nourrir » avec de la nourriture à animaux, ils devaient s'arrêter pour y gouter. Il est hors de question que je vive ça et je refuse que tu le subisses!

Erwin ouvre grands les yeux, le visage livide. Il passe ses mains dans ses cheveux avec panique, effrayé par mon annonce. Avant de l'encourager à participer, j'aurais dû lui raconter cette histoire.

-On doit gagner, dans ce cas, souffle-t-il.

Lorsque vient l'heure de retourner en cours, nous rangeons nos affaires, puis nous quittons la bibliothèque. Je m'arrête à l'entrée dans le but de louer le roman que j'ai entamé, curieux de connaitre la suite de cette œuvre dont les personnages sont fort intéressants.

Alors que nous marchons côte à côte dans le couloir, un géant blond fonce en notre direction, les joues rouges de colère. Mike? Sur son passage, les élèves s'éloignent comme s'il était porteur de peste. Certains se bouchent le nez avec leurs mains ou leur t-shirt, tandis que d'autres lâchent des : « EURK! ». Qu'est-ce qui se passe?

C'est seulement lorsque Mike s'arrête face à nous que je comprends la situation. Un terrible haut-le-cœur m'afflige alors qu'une odeur intense d'urine de moufette m'envahit.

-Erwin, Livai, je vous cherchais, halète-t-il. J'ai un gros problème!

-Tu t'es fait arroser par une moufette malade? me risqué-je. Tu empestes.

-Merci pour la remarque, mais je le sais! Après ma séance d'entrainement, j'ai mis mon parfum, puis cette odeur est apparue. J'ai essayé de me laver, mais mon savon aussi est contaminé et ça n'a fait qu'empirer le tout! J'en suis imprégné de la tête aux pieds!

C'est la première fois que je vois l'homme calme qu'est Mike à ce point paniqué. Adorateur de tout ce qui sent bon, il collectionne les produits corporels comme des joyaux. Le parfum qu'il dégage est toujours exquis et succulent, parfois un peu agaçant cependant. À ses yeux, l'odeur que dégage une personne suffit à refléter sa personnalité, c'est pourquoi il a tendance à renifler les gens qu'il rencontre. Certains diront que ce grand blond est un peu fou, mais cette obsession n'est en rien un défaut. Qui aime passer du temps avec quelqu'un qui empeste la sueur ou la cigarette?

Ne supportant pas son odeur nauséabonde, je fais quelques pas à reculons. Rien n'y fait. Mike a dû essayer de mettre du parfum par-dessus la senteur de moufette, ce qui crée un mélange infernal.

Dans l'espoir de calmer la victime, Erwin pose une main sur son bras, mais il la retire aussitôt en réalisant qu'il peut être contaminé par sa puanteur. C'est certain que tout ça, ce n'est qu'un méfait. S'en prendre au parfum de Mike, c'est sadique, mais bien pensé. Que je le veuille ou non, il faut admettre que cette équipe a bien fait ses recherches sur nos joueurs.

-Je vais te prêter du savon et mes vêtements de sport, déclare Erwin. Je t'aurais bien offert d'aller te porter chez toi, mais je vais attendre que l'odeur soit un peu dissipée pour ne pas contaminer ma voiture.

-Erwin, je me donne envie de vomir et je ne peux même pas me fuir...

-Ça va aller, ne t'inquiète pas.

Peu soucieux d'arriver en retard en cours, nous reconduisons Mike au casier de mon petit ami où il pourra voler son sac de sport. L'avantage de marcher en présence d'une bombe puante, c'est que les gens s'éloignent pour nous laisser passer. Face à ce chemin libéré de tout obstacle, je me sens comme une célébrité. Ce n'est pas désagréable.

-Je ne crois pas que l'odeur va partir au complet, soupire Mike. Je vais me tremper dans du jus de tomate... Le problème avec le jus de tomate, c'est que ça me donne des gazes. Vraiment, ce n'est pas une bonne idée. En plus, ça va me couter cher. Il faut combien de conserves pour remplir un bain? Elles ne doivent pas être en rabais.

Mike n'est pas un garçon bavard, mais lorsqu'il ouvre la bouche, les pires absurdités en sortent. Pourtant, il est sérieux. Il ne réfléchit simplement pas avant de parler. J'apprécie cette personne étrange, malgré le fait qu'il a la fâcheuse tendance à coller mon petit ami. Erwin m'a expliqué qu'à ses yeux, son ami d'enfance est comme un gros chien blond de six pieds et quatre. Ce dernier aime donner de l'affection et renifler les gens, sauf qu'il faut bien le prendre puisqu'il s'agit de sa manière de montrer qu'il nous aime.

Erwin tend à Mike son sac de sport qu'il agrippe en le remerciant.

-Si tu as besoin de quoi que ce soit d'autre, tu sais dans quelle classe me trouver. Veux-tu rentrer chez toi après ou tu vas être correct pour aller en cours?

-Je vais être correct, je crois. Merci beaucoup, Erwin!

Mike tourne les talons, prêt à nous quitter lorsqu'une fille aux cheveux bruns passe en courant près de nous avant de s'engouffrer dans la salle de bain réservée aux demoiselles. Sasha? On dirait que Hansi a réussi son méfait.