Chapitre 15 : Ombre dorée (partie 1)
Gladys aurait bondi sans hésitation au lendemain. Sa hâte et sa hargne allaient sans doute lui faire perdre le sommeil. Restait à espérer que le siège ne s'éternise pas. Allons, tout irait bien, Son Altesse les avait parfaitement menés lors des derniers affrontements et la générale avait sans doute un plan.
Gladys avait confiance en ses ressources et en ses amies. Elle guiderait ses troupes à travers n'importe quelle situation. Ce serait néanmoins son premier affrontement urbain. Il faudrait faire attention aux pièges, aux rues étroites. L'on pourrait aisément les prendre pour cible depuis les habitations. Aussi avait-elle donné des instructions en ce sens.
La nausée et la colère se mêlèrent à cette idée.
« Combien d'habitants y perdront la vie ? Au final ce sont toujours les mêmes qui trinquent. »
Arrivée aux abord des quartiers de Dimitri, sa route croisa par surprise celle de Byleth.
— Vous venez voir Son Altesse ? questionna la générale après les salutations de rigueur.
Gladys lui répondit par l'affirmative et Byleth l'autorisa à passer avec un hochement de tête complice. Eh bien, c'était une bonne chose si on la laissait ainsi aller !
— Ma dame, la salua Dimitri avec affabilité. Avez-vous besoin de quelque chose ?
Gladys aimait qu'il l'appelle ainsi, même s'il s'agissait purement de politesse. Elle croyait y déceler une pointe d'affection et se sentait ainsi grande et estimée, comme s'ils étaient les protagonistes d'un roman de chevalerie.
— Non, Votre Altesse, le rassura-t-elle. Je tenais simplement à vous voir pour vous encourager. J'espère ne pas vous importuner.
— Pas le moins du monde, merci d'être venue.
L'accessibilité de Gladys le mettait toujours en confiance. Il remarqua pourtant sa pâleur. Les rubans noirs dans sa chevelure en absorbaient tout l'éclat, ressemblaient à des serpents. Ses gants dissimulaient sans doute des mains aussi gercées, abîmées, que les siennes.
— N'ayez crainte, lui affirma-t-il. Je ferai en sorte d'en finir au plus vite..
— Moi de même. Mais ne vous en faites pas, j'ai l'habitude de cette vie-là désormais, soupira-t-elle avec désinvolture.
— Vous semblez en effet très proche de vos soldats et ils paraissent vous respecter en retour, complimenta-t-il.
— Disons que je sais comment m'adresser à eux et que...je n'ai pas oublié d'où je venais.
Une vive lueur brilla dans les yeux de Gladys tandis que son maintien reflétait une fierté tranquille.
Peut-être jouait-elle trop vite ses atouts. L'heure était cependant venue de lui dire. Dimitri finirait par l'apprendre tôt ou tard, une enquête rapide suffirait. Aussi, sa décision était-elle prise. Elle avait eu le temps d'évaluer son attitude et le prince comptait de plus dans son cercle un roturier Duscurien et le fils adoptif du seigneur Lonato.
— Je serai honoré de connaître votre histoire, si vous le souhaitez, l'encouragea-t-il.
— J'ai vécu jusqu'à mes quinze ans hors de la maison de mon père, il ignorait tout de moi à ce moment-là. J'ai d'abord servi dans les troupes avant de lui faire connaître mon existence et qu'il me légitime, résuma-t-elle, sans trace de honte.
Gladys se prépara par réflexe à l'assaut. Des remarques semblables à une avalanche de coups, de jets de pierres l'avaient accueillie lorsque Eadric l'avait présentée à sa famille. Toute l'hostilité de la pièce s'était pointée vers elle, comme un coucou qui tenterait d'infiltrer le nid. Peut-être certains d'entre eux s'étaient-ils déjà vus hériter et faisaient leur deuil de cette possibilité.
— Es-tu sûr qu'elle est de toi ? avait commencé une cousine.
— Elle a mes yeux, avait répondu le seigneur. C'est évident.
Difficile en effet de le nier, la femme s'était rabattue sur un autre argument :
—Elle se manifeste seulement maintenant ? C'est une petite arriviste qui est là seulement pour le titre.
— C'est ma fille et je m'occuperai d'elle quoi qu'il arrive, avait martelé le maître des lieux.
Les autres avaient secoué la tête, sous-entendant que son envie d'être père le poussait à gober n'importe quoi.
Son entrée au le château, au crépuscule, l'avait également marquée. La tête lui tournait alors, partagée entre fatigue et ivresse du triomphe. Eadric l'avait menée à une servante et avait ordonné que l'on baigne Gladys et la vête selon son rang. La femme n'avait su contenir sa surprise. Elle se trouvait face à une égale une simple petite soldate à peine enrôlée, avec ses vêtements reprisés. Pourtant, Gladys possédait désormais le pouvoir de lui donner des ordres.
Cette cousine n'avait pas eu tort, cela dit. Seule l'envie de survivre l'avait poussée à la porte du seigneur et elle ne s'en était pas souciée jusque-là. Amalia ne lui en avait pas parlé, mais l'identité de son géniteur ne l'avait guère intéressée. Pourquoi courser une ombre lorsque l'on avait le meilleur père du monde ? « S'il fallait, je le referais encore, aurais-je dû laisser ma mère dépérir ? Aurais-je dû rester dans le froid et la précarité ?» jeta-t-elle à la face des voix qui lui reprochaient ses calculs.
Gladys n'avait jamais eu peur de se battre. Elle s'était promis de leur tenir tête à tous, elle avait déjà porté des coups et tué avant de venir au château. Son esprit était bien incapable de restituer les circonstances de ce premier sang, comme s'il désirait laisser mourir ce souvenir. Se retrouver dans la cohorte des gens en armes, alors que son visage était si juvénile, sa silhouette si menue avait en effet été une transition brutale.
L'on avait dit qu'elle était une renarde, entrée dans la maisonnée pour faire son festin. Gladys se souvenait de la manière dont les goupils semblaient rire lorsqu'elle les chassait du poulailler la nuit. C'était pour cela qu'elle avait demandé à Vigdis d'orner son escarcelle de cet animal, un avertissement quant à la manière dont elle comptait traiter ses ennemis.
Dimitri fit le lien avec ses propos du soir où elle lui était venue en aide. Il avait d'abord songé que la femme meurtrie dont elle lui avait parlé faisait partie des gens de son père. Ce n'était donc pas le cas. Il lui avait fallu un courage considérable pour s'imposer dans un nouveau monde et combler ses lacunes ! Voilà qui expliquait pourquoi le seigneur avait préféré attendre pour l'envoyer à Garreg Mach.
Le prince admirait également sa volonté d'utiliser son statut pour améliorer celui des plus humbles. Ses origines devenaient une force, lui gagnaient la loyauté de ses troupes car elle connaissait leurs douleurs et s'employait à y remédier. Gladys avait tout d'une héroïne d'un récit épique, élevée parmi les roturiers pour ensuite se révéler et décrocher l'étoile de son destin. Il espérait converser plus tranquillement et à tête reposée dans le futur et avoir ainsi en apprendre plus sur son passé.
— Qu'importe d'où vous venez, pour moi vous êtes parfaitement à votre place. Votre perspective m'est intéressante et précieuse, j'espère que nous pourrons continuer à échanger, déclara-t-il avec franchise.
Gladys s'apaisa, revint au présent et avisa le chemin parcouru. Tout ceci paraissait dater d'hier mais elle avait entre-temps accompli des progrès considérables. Elle espérait que ses actions et sa réputation finiraient un jour par dépasser les préjugés.
Une chaleur bienfaisante l'envahit tandis qu'un sourire sincère, radieux, amical, naissait sur ses lèvres. Il lui avait rarement été donné de rencontrer une personne aussi résiliente, courageuse et attentionnée que Dimitri. Sa volonté de mieux faire s'imposait dans toutes ses décisions.
« Ne vous en faites pas, promit-elle intérieurement. Je serai à vos côtés demain et je vous défendrai coûte que coûte. »
— Comme toujours Votre Altesse, promit-elle avec enthousiasme. Mais d'abord, gagnons cette bataille !
Sur le chemin du retour, elle s'arrêta pour écouter un peu Maeve chanter. Cette dernière avait rassemblé un petit groupe au coin du feu, parmi lesquels se trouvaient Annette ainsi que Dedue Molinaro, le vassal de Dimitri. Voilà qui était intéressant.
— Si les matins de grisaille se teintent
S'ils ont couleur en la nuit qui s'éteint
Viendront d'opales lendemains
Reviendront des siècles d'or cent fois mille et mille aurores encore...
Gladys rejoignit le cercle et laissa opérer la magie de son amie.
*
Resté seul, Dimitri revit la veille de son départ pour Garreg Mach. Il n'avait alors aucune idée de ce qui l'attendait, de la violence de la chute. La proximité du palais royal le ramenait cinq ans en arrière.
— Mon oncle ?
La pièce était plongée dans une pénombre crépusculaire. Les derniers rayons du jour peinaient à s'y glisser. Pourquoi Rufus l'avait-il convoqué ? Un mauvais pressentiment s'invita. Le prince avait hâte de quitter ce lieu oppressant, ce palais putrescent et de revenir pour tout restaurer.
— Mais en seras-tu capable ? chuinta un spectre bien trop réel à son oreille.
— C'est bien, tu es venu me rendre un peu visite, l'accueillit la voix traînante du régent.
Rufus était affalé sur une chaise près de la cheminée, une coupe remplie à la main et un pichet sur la table. Ses gestes malhabiles trahissaient un état d'ébriété avancé et il empestait la vinasse et la sueur. La loque devant lui n'avait plus rien à voir avec l'homme hédoniste, rieur et spirituel d'autrefois. C'était une grotesque caricature de cet oncle qui se gardait loin des intrigues de cour.
Ses épaisses mèches blond Derdriu étaient en désordre, ses yeux verts vitreux et un sourire railleur tordait ses lèvres. Le teint de Rufus était sale, brillant et fiévreux, ses traits prématurément vieillis par ses excès.
— Mon oncle ! Comment pouvez-vous vous laisser aller ainsi ? Votre conduite est indigne d'un régent ! s'indigna vivement le jeune homme.
— Ah, ne refuse pas à un condamné son dernier plaisir.
Rufus vida sa coupe d'un trait avant de se resservir, manquant de renverser son précieux nectar.
Quelque chose céda en Dimitri. Une colère destructrice l'étreignit, l'aveugla. Qu'il haïssait de se trouver face à ce sourd, cet incapable, qui le laissait seul face au poids de ses responsabilités futures, qui s'enivrait déjà à son retour de Duscur ! Le prince avait perdu son père, sa belle-mère, Glenn...l'horreur était entrée en lui, avait corrompu son esprit.
Il lui suffisait de fermer les paupières pour que la tragédie se rejoue. Pendant ce temps, son oncle l'abandonnait lâchement. Rodrigue savait heureusement lui changer les idées lors de ses visites. Hélas, le duc avait aussi ses propres devoirs et difficultés à gérer.
.— Vous êtes la risée de tous ! continua Dimitri avec vigueur. Vous restez là pendant que le Royaume se délite ! Des vies dépendent de vous, mon oncle !
— J'ai hâte que tu reviennes de Garreg Mach, débita Rufus d'une voix pâteuse. Comme ça tu pourras me libérer de ce trône. Certains disent que j'ai tué mon frère, comme si j'allais faire une chose pareille ! Maintenant Lambert est mort et mon pire cauchemar est devenu réalité. Je n'ai jamais voulu de ce trône et j'ai toujours été content de ma situation. Hors de question de passer derrière mère, je l'aimais, je l'admirais, mais je savais que je n'étais pas taillé pour lui succéder. Quel fardeau, quelle pression que de passer derrière la reine de l'âge d'or ! Tu devras te tenir dans l'ombre dorée de ta grand-mère. C'est à elle qu'on te comparera sans cesse. Je te souhaite bonne chance Dimitri, tu vas en avoir besoin.
L'héritier en était bien conscient. Ce n'était cependant pas une raison pour baisser les bras.
— Gwendolen éprouvait sans doute les mêmes craintes au moment de succéder à ses parents, insista-t-il. Pourtant, elle n'a pas reculé et a réussi à les égaler.
Rufus eut un rictus furieux à la mention de la fille de Loog. Sans prévenir, l'homme renversa la table. Le pichet se brisa en mille morceaux et l'alcool imbiba le précieux tapis.
— J'emmerde Gwendolen, déclara le régent avec un aplomb comme seul en permettait l'ivresse. Je sais que Rodrigue te raconte de belles histoires sur ton père pour te consoler. Qu'est-ce que tu crois, il n'était pas si différent de moi. C'est ta mère qu'il aurait fallu inscrire dans la liste des monarques régnants.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro