Chapitre 1 : Quatre guerrières (part.2)
Gladys manqua de renverser la chaise en se réveillant. La pièce lui était inconnue. Son instinct s'éveilla aussitôt : on l'observait ! Dague dégainée, la jeune femme se leva aussitôt.
Il n'y avait personne, juste une ombre paresseuse. Quant au lieu, il s'agissait tout simplement du monastère, Garreg Mach, où les troupes venaient d'arriver dans la journée. La victoire à Gronder avait prélevé son dû et il était capital de reprendre des forces avant la suite de la campagne. La fatigue et la tension lui avaient fait oublier tout cela. Agacée, elle soupira avant de rengainer d'un geste sec.
La dame s'affala sur le siège, se concentra sur sa respiration, l'énergie meurtrière reflua. Le mal des guerriers avait-il germé dans son esprit ? Elle se rassura, il était normal d'être à cran après tout ce qu'elle venait de traverser: Ailell, Gronder... les batailles s'étaient succédé depuis son départ du Royaume à la suite de messire Rodrigue, toujours plus violentes et exigeantes. Et le duc était désormais...mort. Cette injustice lui donna envie de frapper quelque chose.
Gladys avisa l'aiguière et prit conscience que la soif lui brûlait la gorge. Elle emplit la timbale à ras bord et se désaltéra, vorace, ignorant l'eau qui dégoulinait sur son menton. Cette simple sensation la ramena à la réalité. Elle s'aspergea généreusement le visage, se purifiant de l'empreinte des songes.
Dormir l'avait malgré tout revigorée. Gladys n'avait plus l'impression d'avoir eu les os brisés à coup de masse. Les doutes au goût de bile demeuraient.
Un pion, une seigneuresse impuissante, voilà ce qu'elle était désormais, contrainte d'attendre les ordres d'un prince assoiffé de vengeance, qui se ruait dans la mêlée sans se soucier de sa sécurité. Et pendant ce temps, le Royaume ployait toujours sous le joug impérial. Combattre pour son prince aurait dû l'emplir de fierté. Or, l'inquiétude s'enroulait comme un lierre autour de son cœur.
Son Altesse avait passé cinq ans en fuite, dans la douleur et la solitude. Rien de surprenant à ce que sa raison ait capitulé. Les seules personnes capables d'empêcher le naufrage étaient messire Rodrigue et la générale Byleth. Hélas, ce dernier n'était plus là. « Je dois vivre, se promit Gladys, poing serré à s'en faire blanchir les jointures, je rentrerai chez moi ».
Sur cette résolution, elle partit en quête d'une autre âme et trouva sa mère occupée à fourbir ses armes.
— Je suis contente que tu aies pu dormir un peu, tu en avais besoin, approuva Amalia.
— Je pense que ça m'a fait du bien. J'ai fait quelques rêves étranges...mais rien de dramatique, opina Gladys.
Le silence, même bref, épaississait l'atmosphère, la transformait en une lourde chape. L'angoisse était prompte à occuper le vide.
— Où sont Vigdis et Maeve ? questionna la dame.
— Elles sont parties s'installer de leur côté, elles devraient bientôt revenir. Aimerais-tu que je te fasse monter quelque chose à manger ?
— Non, je propose que nous allions toutes au réfectoire. Ce sera plus agréable. Vigdis ne va pas tarder à réapparaître avec le soir qui tombe et Maeve avec elle, répondit Gladys avec un sourire complice.
Une étincelle de joie s'alluma à la perspective d'un repas en commun. La compagnie de ses amies saurait sans nul doute la distraire.
*
Pendant ce temps, Vigdis et Maeve traversaient le monastère. Le moine les conduisait à travers un étroit et bas couloir où régnait une humide fraîcheur. Contemplant les dalles usées par le passage des anciens résidents, Maeve se demanda combien l'avaient précédée. Le monastère faisait en tout cas honneur à sa réputation : un dédale de couloirs et de secrets, capable de résister à la fin du monde.
C'était la première fois que Vigdis s'aventurait ainsi dans ses entrailles. La troupe n'avait fait qu'effleurer la surface pendant son passage. Les répétitions avaient de plus occupé la majorité de leur temps. Garreg Mach prenait désormais pour elle une toute autre signification : c'était un cœur palpitant, le terreau de l'espoir.
Maeve rajusta son paquetage mais n'émit aucune plainte. Peut-être Amalia avait-elle raison de lui dire qu'elle transportait trop d'objets... Enfin, le moine aux joues creusées lui désigna une porte parmi la rangée qui s'étendait devant elle.
Il plissa les yeux et marqua une hésitation, comme hésitant sur le ton à adopter.
— Voici votre chambre.
La jeune femme y était habituée, consciente que ses manières lui permettaient de passer aisément pour une noble. Elle inclina gracieusement la tête.
— Je vous remercie, nous allons nous occuper du reste maintenant.
— Juste un petite mise en garde, il se murmure que cet endroit serait hanté, plusieurs étudiants en ont témoigné...,
Le moine leva les yeux au plafond, tandis qu'un rictus déformait le coin de sa bouche. L'homme se tut et laissa planer le mystère, savourant par avance l'effroi qu'il venait de semer. D'un geste vif mais discret, Maeve signifia à Vigdis qu'elle s'en occupait.
— Comme on s'y attend de la part d'un lieu si chargé d'histoire, contra-t-elle avec un sourire affable.
Vigdis jeta un regard glacial au religieux, faisant bon usage de sa haute stature et de son air peu amène.
La chambre était spartiate. Un lit et un coffre en formaient tout l'ameublement. La première chose que fit Maeve fut de chercher une place pour son luth tout en comblant le silence avec des banalités. Aux yeux de Vigdis, l'instrument était indissociable de son amie. Il s'agissait du seul vestige que la magicienne possédait de son ancienne vie. L'épéiste s'imaginait l'arrivée de Maeve au château par un matin d'hiver, se la représentait avec son trésor blotti dans ses bras, fleur incarnate sur la neige.
Un gémissement plaintif, un triste sanglot, se fit entendre. Les deux femmes regardèrent autour d'elles avant de décider qu'il s'agissait sans doute du vent se faufilant entre les pierres.
— Voilà notre fantôme, plaisanta l'enchanteresse.
Vigdis eut un haussement d'épaules dédaigneux.
— Il suffit d'ajouter un groupe d'étudiants impressionnables et voilà le départ d'une légende.
— Tu n'aimes vraiment pas ce genre d'histoires, n'est-ce pas ? pointa Maeve avec douceur.
— Disons, que les gens ont tendance à beaucoup trop s'affoler à cause de ces dernières, feignit l'épéiste.
Un frisson dévala son échine, écho d'une crainte superstitieuse. Le problème avec les fantômes était que l'on ne pouvait pas les affronter. Les vieilles bâtisses n'étaient pas les seules à être hantées. Son esprit l'était déjà, à traîner le poids de ses douleurs, des doigts froids se posaient parfois sur son épaule, la mélancolie qui murmurait à son oreille. « Je serai toujours avec toi » avait promis Jaufré. Certes, mais comme de l'eau froide dans ses poumons, comme la morsure d'une lame.
— Tu as raison, mais ce moine a voulu simplement voulu nous impressionner. N'en parlons plus.
Maeve connaissait désormais bien son amie, le gel dans ses yeux, la raideur dans sa posture. Elle la comprenait. Il était facile de donner le change lorsque les flammes brûlaient haut. Quand venait le silence sépulcral du coucher, ses angoisses surgissaient en dévouées visiteuses. Enid apparaissait dans ses cauchemars avec un visage hâve, des chairs bleues de noyée ou tout autre immonde souillure. Le champ de bataille lui fournissait une liste infinie d'horreurs à mettre en scène.
Dans certaines histoires, il était possible de discuter avec les spectres, de raisonner avec eux, même. Maeve se demanda si une telle issue était possible pour les siens. Elle se devait de la trouver. La veille, elle avait encore importuné Vigdis avec ses angoisses alors que sa camarade subissait la situation comme elle. Ses efforts n'étaient pas suffisants, Maeve se devait de lutter, de prendre les spectres à bras le corps et de leur hurler qu'elle était aussi forte qu'eux, ou du moins qu'elle allait le devenir. Et surtout qu'ils ne l'empêcheraient pas de continuer.
Leur rangement terminé, toutes deux partirent retrouver Gladys.
*
Le jour déclinait et les ombres projetées par les chandelles croissaient. Vigdis sortit son nécessaire à couture et Maeve admira la minutie, l'immense patience que requérait cet art. Ces mains souvent trempées de sang, étaient aussi démiurges. Ces yeux entrevoyaient des motifs complexes. S'ensuivait un défi que la musicienne connaissait bien, retranscrire sa vision, la faire naître en ce monde sans la diminuer ou la trahir.
La curiosité de la magicienne l'emporta :
— Qu'est-ce que tu brodes ?
— Derdriu, répondit simplement Vigdis en piquant de nouveau l'aiguille.
— Je n'y suis jamais allée, Gladys bondit sur cette opportunité de s'évader. Tu pourrais nous en parler un peu ? Enfin si tu veux, bien entendu.
Maeve approuva, désireuse de retrouver par-là les récits de sa mère.
— C'est une ville avec beaucoup d'eau, lâcha Vigdis d'un ton neutre, factuel, le visage inexpressif.
— Incroyable ! Je ne m'en serais pas doutée, ironisa la dame.
Le masque de l'épéiste se fissura et un sourire amusé se dessina au coin de ses lèvres :
— C'est une ville avec beaucoup d'eau et de nombreux canaux. Le mieux pour la visiter est de prendre une barque. Tu passes par de grandes artères, parfois par des petites rues si dissimulées que tu te demandes ce que tu vas trouver...le grand marché est impressionnant. Il y a des denrées qui viennent de tout Fodlan et en dehors...,
Si le visage de Vigdis s'animait, son débit de parole restait contrôlé, tant elle cherchait les bons mots.
Elles voguèrent ainsi pendant les minutes qui suivirent, bercées par le doux murmure des flots, pour oublier qu'elles attendaient les prochains ordres, les prochains mouvements, dans la paume du hasard.
*
Quelques jours plus tard, la lumière transperça enfin l'obscurité de l'attente. Le prince Dimitri émergea de sa réclusion et annonça qu'il reconnaissait s'être dévoyé et s'emploierait désormais à libérer la capitale. Mieux encore, il paraissait soudain lucide, comme si avoir bu la coupe jusqu'à la lie l'avait écœuré et réveillé. Incrédules, toutes les quatre souhaitèrent de toutes leurs forces qu'il ne s'agisse pas d'une fausse promesse. C'était comme sentir la fièvre tomber après une longue nuit de souffrance. L'épuisement demeurait mais le jour effleurait l'horizon.
Le futur restait incertain, mais les cartes avaient été rebattues. Un nouveau chapitre pouvait commencer.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro