Cela faisait un moment que j'étais dans la file d'attente. J'avais chaud, j'avais soif et j'avais aussi envie d'aller aux toilettes. Et en plus, ça puait la transpiration. Je plaignais ces pauvres filles de supporter ça toute la journée.

Ça allait bientôt être mon tour. La file d'attente était cloîtrée de barrières avec un agent de sécurité qui nous faisait avancer quand c'était notre tour. Le trio était derrière une table avec des stylos, un téléphone calculant les minutes par personne et des goodies. Il y avait aussi des agents à côté d'elles, prêts à surgir si les fans allaient trop loin avec elles.

Quand j'allais être la suivante, j'observais comment ça se passait avec le type qui était devant moi. Il suait et bégayait face aux filles qui elles, souriaient chaleureusement.

"Je me demande depuis quand elles sont debout..." me demandais-je.

Pendant le passage de mon prédécesseur, l'agent a pris la peine de me fouiller, au cas où j'avais une arme blanche. J'étais obligée d'ouvrir ma veste et de retourner mes poches. Mais à part mon portable et mon porte-monnaie, je n'avais rien d'autre.

Et au bout des trois minutes, c'était enfin mon tour. Je voyais le fan partir presque en pleurant, serrant son papier dans ses bras sans le froisser.

"Je ne me laverai plus jamais les mains~ ! Je vous aaaaaaaaime !" hurlait-il en s'en allant.

Je le regardais, ne pouvant m'empêcher d'être dégoûtée. Puis le "suivant" du gorille me faisait signe que c'était mon tour.

Je ne savais pas pourquoi, mais ça me stressait. J'avalais ma salive avant de m'avancer vers les filles.

"Bonjour et bienvenue~ ! Nous sommes ravies de te voir~ !" disaient-elles, les trois en synchronisation.

Un accueil qu'elles répétaient depuis le début de la journée. Mais les avoir en face était si... gênant, que je tirais ma casquette vers l'avant pour cacher mes yeux.

"Hum..." râclais-je la gorge. "Bonjour à vous... J'en ai pas l'air, mais je suis très fan. De vous trois..."

"On est ravie de te compter parmi nos fans !" répondit Aka en souriant.

"Ne sois pas timide ! Souriait Kiiro.

Nous sommes aussi contentes de te rencontrer." ajouta Aoi en me saluant de la main.

Je savais que c'étaient des phrases forcées pour faire plaisir aux fans. Je voyais à leurs visages qu'elles étaient fatiguées et peut-être agacées. Néanmoins, on dirait que je ne les dégoûtais pas.

Je m'inclinais en avant pour les saluer avant de me redresser. Étonnamment, ma gêne prenait sur mes émotions... Sans que ce soit trop remarqué.

"Tu voudrais un autographe ?" demanda la leader en gardant son sourire.

"J'aurais bien aimé." répondis-je en rougissant très légèrement, "Mais je n'ai rien pris pour... Vous remercier pour vos chansons me suffit."

"Ne dis pas de bêtises ! Tu veux qu'on signe ta casquette ?"

"Ma... casquette...? Elle est assez pourrie."

"On s'en fiche, ça te ferait un souvenir !"

Le groupe se regarda un instant comme s'il hésitait aussi sur le fait que j'étais un homme ou une femme. Mais l'idée de signer ma casquette semblait les enthousiasmer.

Personnellement, je n'y voyais aucun inconvénient. Elle était pourrie et je ne comptais pas la réutiliser. Autant l'abîmer avec de l'encre.

Je poussais un soupir en donnant mon accord avant de l'attraper en main et de l'enlever, dévoilant mes cheveux trempés de sueur et mon visage à moitié expressif.

Je posais ensuite ma casquette sur la table devant les chanteuses.

"Oh, mais tu es blonde, toi aussi ! On est rares, hi hi !" rigolait Kiiro en voyant mes cheveux.

"Avec la casquette, tu faisais très garçonne." ajoutait Aoi en gloussant. "Aka, tu signes en premier ?"

Mais alors que les filles se tournaient vers la leader, c'est au dernier moment que je remarquai que quelque chose n'allait pas.

La leader, Aka, me fixait soudainement avec des yeux ronds et son teint était devenu pâle.

Les deux autres idoles remarquaient ce changement chez leur amie et s'en inquiétaient aussitôt :

"Aka ? Ça ne va pas ?" demanda la cadette.

"Hey," prononça la benjamine en posant sa main sur l'épaule de la nommée, "Aka... Qu'est-ce qui se passe ?"

Aucun doute, la leader habillée en orange me regardait bien avec ce visage, au point que même moi je fronçais les sourcils d'incompréhension. On aurait dit qu'elle venait de voir un fantôme, qu'elle n'arrivait même plus à parler.

Je ne comprenais vraiment pas ce type de regard. Autant si cela venait d'une confrontation ou quand je provoque un gang, je veux bien. Mais là... Je commençais à me dire qu'elle me trouvait affreuse.

Évidemment, les fans qui attendaient dans la file commençaient à s'énerver en me huant avec leurs "Qu'as-tu fait à Aka ?!" ou leurs "Éloigne-toi d'elle, tu lui fais peur !". Ce à quoi l'agent de sécurité s'approcha rapidement et commença à m'attraper le bras.

"Allez, éloignez-vous de suite." disait le gorille froidement.

J'ai commencé à m'agiter, mais je n'ai pas eu le temps de me défendre que la flippée prononça soudainement d'une petite voix :

"Suji... C'est toi...?"

En entendant mon prénom, je fis volte-face vers elle et je vis des larmes couler sur ses joues rouges.

En fait, elle était émue.

"Je ne rêve pas... C'est toi..." disait-elle d'une voix tremblante.

Et en voyant ma confusion sur mon visage, elle ajouta en serrant les poings devant elle :

"Tu ne te souviens pas de moi ? J'ai... J'ai beaucoup changé, je sais mais..."

Sur le coup, cela ne me disait vraiment rien et je ne comprenais pas sa réaction. Mais quand l'agent recommença à me pousser vers la sortie, la leader s'agita d'un coup en criant :

"Hey, sale babouin ! Laissez-la tranquille !"

"Mais," répliqua le gorille froidement, "mademoiselle Orenji, cette femme vous a..."

"Arrêtez de dire des conneries ! Et emmenez-la dans le studio ! Et donnez-lui à boire le temps qu'on termine l'événement !"

Ce qui est sûr, c'est qu'Aka avait une grande autorité. On se regarda un instant avec l'agent de sécurité avant qu'il me lâche et qu'il me fasse signe de le suivre. J'ai récupéré ma casquette, toujours le regard confus vers la leader avant de m'éloigner.

"Mais qu'est-ce qui vient de se passer ?" me demandais-je.

...

"Aka... Pourquoi as-tu autorisé cette fille à aller au studio ?"

"J'ai mes raisons, Aoi... Je t'expliquerai plus tard."

"Aka... Tu es sûre que ça va...?"

"Honnêtement ? Mieux que jamais. Je viens de retrouver mon idole !"

...

Cela faisait un bon moment que j'étais assise sur le canapé du studio en question. L'agent m'avait filé une bouteille d'eau et m'avait ensuite laissée seule. Ça faisait trente minutes que je tenais mon crâne, essayant de me remémorer une chose qui n'avait peut-être pas existé.

"Mais d'où elle me connaît ? Elle s'est trompée de personne ? Mais non, elle m'a appelée par mon prénom... Bordel... Je ne me rappelle pas..."

Et au bout d'une trentaine de minutes, la porte du loft s'ouvrit violemment. En relevant ma tête, j'aperçus la leader entrer précipitamment.

"Suji !"

Elle s'approcha rapidement de moi tandis que je me levais du canapé, suivie des deux autres chanteuses qui entraient et fermaient la porte.

Une drôle de tension s'installa alors que la cadette du trio et moi nous fixions dans les yeux. De mon côté, j'étais assez neutre. Mais elle... Elle ne savait pas si elle devait pleurer à vive voix ou retenir ses larmes. Mais en tout cas, la couleur de son visage était revenue et le sourire qu'elle avait était plus que sincère.

"Ça fait tellement longtemps... Tu te souviens de moi ?" demandait-elle d'un ton ému.

"... À part en tant qu'Orenji Aka, non."

Ce fut ma réponse cassante. À mes mots, la fille eut un mouvement de recul avec une respiration accélérée avant de s'agiter lorsqu'elle semblait réaliser quelque chose.

"Ah ! Mais c'est vrai ! Higaisha ! Higaisha Aka ! Tu m'as connue sous ce nom !"

Et c'est à ce moment-là que ça a fait "tilt" dans ma tête, laissant apparaître ma surprise sous un regard ébahi.

"Tu... T'en rappelles...? On était voisines..."

Comment aurais-je pu faire le lien entre la Aka du groupe 6-Shoku et la Aka que je protégeais de ses harceleurs au collège, il y a trois ans ? Elle n'a rien à voir avec la binoclarde de l'époque aussi.

En remarquant ma réaction, qui était la réponse à sa question, elle se remit à fondre en larmes sous le regard incompris de ses amies.

"S-Suji... J-Je pensais ne jamais te revoir..."

Et sans me laisser le temps de prendre la parole, elle sauta littéralement dans mes bras en pleurant de joie, au point de me faire tomber sur le canapé.

C'était la première fois que j'avais une telle réaction venant d'une personne du passé...

Mais étant donné les circonstances, je ne l'ai pas repoussée.