Cat's drog - Prologue
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– Ça va faire 10 minutes que j'attends mon verre ! se plaignit un homme sans quitter son téléphone des yeux. Il est passé où encore, ce maudit serveur ?
Levant le bras pour signaler aux autres serveurs sa présence et son impatience, l'inconnu se contorsionna sur son siège et haussa un sourcil en direction d'un serveur resté en retrait.
Adossé contre le mur de la porte, à l'écart des clients « VIP », Minho ne daigna pas lui accorder un regard. Il se retint de lever les yeux au ciel, tout comme il réfréna toutes les réponses cinglantes qui se bousculaient dans sa tête. Si ça ne tenait qu'à lui, l'imbécile aurait à l'heure qu'il est un chargeur collé contre le palais, la détente prête à être lâchée. Mais les règles étaient les règles : pas d'armes dans le bar, pas de tueries injustifiées.
Même avec toute la bonne volonté du monde, Minho se sentait bien incapable de répondre au client sans lui en coller une. Aussi garda-il le silence, attendant tranquillement que Félix revienne de sa pause pour calmer les humeurs du gangster.
– Sûrement occupé à servir un autre trou du cul dans ton genre, ne put-il s'empêcher d'ajouter, le tout sans l'ombre d'un sourire.
L'homme le jaugea un instant en plissant les yeux, avisa la main de Minho cachée dans son dos, puis se rassit sur son tabouret et opta pour une attente plus calme et apaisée. Un sourire discret naquit sur les lèvres du rouquin.
Discrètement, Minho plongea une de ses mains dans la poche et toucha du bout des doigts son paquet de cigarettes. À l'heure actuelle, il donnerait beaucoup pour pouvoir s'en fumer une loin de ce trou à rats. Même lorsque Félix réapparut dans les escaliers menant aux pièces à l'étage, Minho conserva ses doigts posés sur son paquet, ressentant un besoin pressant de s'éloigner de ce comptoir avant de jeter un projectile à la figure d'un client.
– Je prends ma pause, annonça-t-il en passant à côté de Félix.
Devant le regard inquisiteur du plus jeune, il se sentit obligé de sortir son paquet de clopes pour se justifier. Le blond avait depuis toujours cet air investigateur qui donnait cette envie irrépressible de s'innocenter en étalant les preuves. Minho jurerait que dans une autre vie, le jeune manager était flic. Mais depuis quelques semaines, la réelle question qui lui trottait dans la tête, c'était la raison pour laquelle, dans une grande ville où les mignons dans son genre avaient tout pour monter les échelons, Félix était manager dans un vieux bar de racailles, dans un quartier dangereux.
Personne ne se mêlait sans raison aux gangs de la ville, et tous ceux qui s'y frottaient avaient un cadavre dans leur placard. Minho en savait quelque chose, les siens devaient flotter quelque part, ou bien pourrir six pieds sous terre.
Des brides de sa dernière nuit remontèrent à la surface, lui provoquant un frisson d'effroi. Un rêve. Rien de plus. Les morts ne sortaient pas de leur tombe. Les noyés non plus, quand bien même l'eau ne cachait jamais les corps très longtemps.
Il avait besoin de fumer. Maintenant.
Traversant le couloir d'un pas rapide, il ne croisa que quelques employés au visage émacié ou au contraire patibulaire, qui le virent à peine alors qu'ils le dépassaient. Il n'en prit pas ombrage et poursuivit sa route jusqu'à une porte à l'arrière.
Minho accueillit l'air froid comme une délivrance, respirant une grande goulée après des heures au milieu des corps suants et imbibés d'alcool. Même dehors, la musique du bar résonnait à en faire vibrer les murs. Il claqua la porte et s'éloigna pour se dégourdir les jambes sur le parking assombri. La sécurité était à l'avant du bar, gérant au mieux l'afflux des gangs présents ce soir.
Minho ne demandait pas mieux qu'à rester ici dans le froid tandis que chacun se jetait à la gorge de l'autre sous le coup de la colère ou pour mieux ressentir les effets de l'alcool et des drogues.
Des éclats de voix le firent sursauter.
Il n'était pas de nature très curieuse. Sûrement les risques du métier qui rentraient encore, même après tous ces mois de calme plat : mêle-toi de tes affaires, fais ce qu'on te dit sans poser de questions, ou crève. Mais il lui fallait cette clope, et s'il fallait laisser traîner ses oreilles encore quelques minutes pour le faire, alors...
Amenant la cigarette à ses lèvres, il roula le mécanisme de son briquet et l'alluma avant de prendre sa première inspiration. Il ferma les yeux, tentant de passer outre l'altercation qui se déroulait à une centaine de mètres derrière le local à poubelles et les quelques voitures d'employés encore garées.
Puis la curiosité fut trop forte, la quiétude volatilisée. Passant la tête près du mur, Minho repéra une personne s'en prendre violemment à une autre, plus chétive... et emmitouflée dans une grande doudoune blanche. De dos, il ne parvenait pas à l'identifier, mais la silhouette lui était familière. Peut-être un habitué ?
En revanche, il reconnut aussitôt le plus grand, et pas seulement parce qu'il était déjà venu au bar plusieurs fois, mais parce que sa gueule d'ange était partout sur les affiches du métro. Ju-yeong, la star du dernier kdrama.
Acteur célèbre, et protégé d'un gang dont Minho oubliait toujours le nom, Ju-yeong était connu pour ses rôles de bad boy qu'il maîtrisait visiblement aussi bien hors-caméra que sur les tournages. Un physique avantageux, un sourire à vendre son âme au diable, mais un caractère à lui préférer l'enfer. Déjà deux ans qu'il passait au bar les soirs de grand afflux mafieux. Toujours là pour ramener des filles en quête de popularité, ou pour perdre quelques milliers dans l'alcool et les excès. Minho s'était toujours demandé si sa présence au sein d'un gang ne lui ouvrait pas des portes dans le monde du cinéma.
Après tout, personne n'a envie de se faire casser la gueule en sortant, voir sa famille ruinée ou sa maison en feu. Des menaces soufflées dans les bonnes oreilles et les portes des meilleurs réalisateurs devaient lui être grandes ouvertes, le tapis rouge déroulé en prime.
Il tira une nouvelle bouffée sur sa cigarette, songeur.
Il avait toujours été doué pour souffler des menaces. C'était probablement une de ses tâches favorites : insuffler une idée dans l'esprit de sa cible et voir le doute et la peur s'installer sur son visage jusqu'à atteindre ses yeux et la teinte de sa peau. Un sourire sans joie naquit sur ses lèvres. Il était doué pour souffler les menaces, mais n'était-il doué pour rien d'autre ?
Sélectionné alors qu'il jouait le deuxième rôle masculin dans un rom-com qui avait cartonné tout l'été, l'acteur avait visiblement développé la folie des grandeurs. Ou peut-être l'avait-il toujours eue, et son métier n'était que l'accomplissement d'une vie entière à chercher toujours plus.
Bien que Minho n'ait jamais prêté une grande attention à ses choses-là, Félix aimait lui raconter les esclandres de grandes célébrités. Le blond savait probablement qu'il l'écoutait, même s'il n'en donnait pas l'air. Sûrement continuait-il à lui raconter tout ça pour cette raison. Toujours selon le jeune manager, le rôle principal avait été aussi imbuvable que Ju-yeong dans la vraie vie, seulement ça, les spectateurs ne le voyaient pas. Pour eux, il était devenu l'homme à marier, l'homme parfait que l'héroïne rejetait parce qu'elle n'avait rien dans la cervelle et parce que les réalisateurs en avaient décidé ainsi et pas autrement.
Minho n'aimait pas les rom-com de toute façon. Trop de vies édulcorées. Pas assez de réalisme. Sûrement était-ce la raison pour laquelle il ne souhaitait pas intervenir à cette dispute, là, au beau milieu d'un parking de bar, en pleine nuit. Il n'était pas le rôle principal, encore moins un héros. Que la victime de l'altercation se sauve toute seule, pour ce qu'il en avait à faire. Des innocents mouraient bien tous les jours sans que ça ne fasse ni chaud ni froid aux puissants.
– Si tu crois que tu vas t'en tirer comme ça, p'tite saloperie ! Dis-moi qui t'a révélé ça, et arrête de pleurer ! PARLE ! vociféra Ju-yeong.
Un règlement de comptes. Typique d'une dispute à l'arrière d'un bar, et d'un cliché... Minho prit une nouvelle inspiration en fermant les yeux.
Pourtant, lorsque le premier coup de feu partit, il réagit aussitôt et s'élança en direction des deux hommes. L'un d'eux était déjà mort, sur le coup.
Minho eut étonnamment une pensée pour Félix qui, en découvrant le corps d'un acteur détesté et détestable le lendemain au petit matin, serait sûrement partagé entre la fascination morbide et l'horreur. Trop pur pour tolérer la vue d'un cadavre...ou la joie de voir le monde débarrassé d'un énième enfoiré. L'âme immaculée comme le manteau trop blanc du deuxième homme.
Une couleur éphémère, un manteau et une âme trop blancs pour le rester longtemps.
Sans réfléchir et en s'appuyant davantage sur des réflexes jamais oubliés que sur ses capacités actuelles, Minho attrapa par la taille le jeune homme au manteau éclaboussé de sang et le poussa derrière une voiture, évitant de justesse un nouveau tir.
Il ne resta pas immobile pour autant. Il était illusoire de penser survivre en se cachant derrière une banale bagnole. Celui qui voulait abattre l'homme en blanc était toujours présent, près à descendre la deuxième cible de sa liste.
Minho attrapa la main de l'infortuné et dans une tentative désespérée, dégaina son arme pour exploser le verre des cuisines du bar. Des hurlements d'épouvante retentirent aussitôt, suivis de près par des cris, cette fois-ci guidés par la colère et prêts à riposter. Dès le premier homme sorti du bar avec une arme, Minho détala en direction de sa moto, bien décidé à fuir en un seul morceau. Il tira son fardeau sans même lui accorder un regard, son esprit entièrement concentré sur son but, à savoir atteindre son échappatoire, vivant.
De nouveaux cris se firent entendre, des habitués ou clients du bar sortis pour riposter contre un ennemi invisible, et dont l'unique victime gisait au milieu d'un parking. Quelques-uns levèrent leur arme au passage de Minho, mais il changea de trajectoire et fonça sur la route à l'arrière du bar sans un regard, slalomant sur son véhicule pour éviter d'autres tirs.
Une mort plutôt ironique que celle d'être allongé dans une flaque, sur le goudron froid d'un quartier malfamé, et non en train de gravir les escaliers de la gloire, sur le tapis rouge tant convoité, étincelant sous les flashs des appareils photo. Certains diront que c'est le karma, d'autres un drame, d'autres encore, un fait divers. Pour Minho, tout cela n'était que l'œuvre d'une chose : un puissant et sa cible à abattre.
La seconde cible ? Cramponnée à sa taille, le manteau maculé de sang et d'eau sale, le visage caché dans le dos de Minho et les membres tremblant de toutes leurs forces. Une âme trop pure et une couleur éphémère... le blanc ne le restait jamais bien longtemps.
◊◊◊
Minho continua de rouler pendant un long moment. Filant sur l'avenue déserte, seulement éclairé par les quelques néons encore fonctionnels du quartier, il ignorait le froid qui le traversait. Sa veste de moto pendait certainement toujours dans son casier, tandis que le reste du bar était pris d'une folie meurtrière, dirigé par un cocktail explosif d'ivresse et de peur. Les autres serveurs, les cuisiniers, les clients, Félix, tout le monde était probablement sous tension, si ce n'est dehors à tirer sur tout ce qui bougeait.
Les doigts de l'inconnu étaient agrippés à son ventre et n'avaient pas bougé depuis leur fuite précipitée. Minho ne savait pas vraiment ce qu'il devait faire maintenant. Il ne savait pas non plus ce qui l'avait poussé à aider ce parfait inconnu : d'ordinaire, il était celui qui éliminait les menaces, pas celui qui sauvait les cibles de la mort.
Il les emmena vers le centre-ville, là où il savait se trouver le commissariat. C'était une étrange sensation pour lui d'approcher d'aussi près un lieu qui d'ordinaire était évité des gangsters. Les policiers ne constituaient pas une grande menace à leurs yeux, surtout au regard du taux de criminalité de la ville, qui explosait des records depuis des années. Seuls quelques irréductibles avaient leur visage placardé dans les quartiers généraux, les membres actifs demandant fréquemment aux récents arrivants ou aux plus jeunes de suivre ces têtes brûlées pour éviter qu'ils ne fouillent trop dans leurs affaires.
Par précaution, Minho mit pied à terre un peu plus loin dans l'avenue. Il ne figurait pas exactement parmi les membres de gangs les plus reconnus et par extension, recherchés. À vrai dire, il s'était plutôt monté une réputation parmi les gangs eux-mêmes, reconnu pour ses combats et plusieurs affaires retentissantes. Il n'avait donc à priori rien à craindre aux alentours d'un commissariat, mais valait mieux être prudent.
Peu de devantures étaient encore ouvertes, et seuls quelques étages de bureau ou d'immeubles donnaient un semblant de vie à ce centre-ville. Il descendit de sa moto, et aida l'inconnu à enjamber la selle. Celui-ci avait l'air encore retourné par les évènements, les jambes flageolantes et les mains serrées sur ses bras, comme pour se protéger d'une menace désormais inexistante.
– Hey, le commissariat, c'est là-bas.
L'inconnu sursauta et Minho regretta aussitôt son ton désinvolte. Il avait l'habitude de s'adresser de manière assez dure avec les autres membres, mais face à quelqu'un de normal, il devait probablement passer pour la pire des brutes. Il est vrai qu'à bien y regarder, son inconnu avait tout au plus 25 ans, ce qui était bien plus que Jeongin, mais ce dernier était anormal. Minho compara mentalement les deux, et y ajouta même Seungmin qui devait se rapprocher de la tranche d'âge de l'inconnu. En effet, ils n'avaient rien en commun : Jeongin était grossier, surexcité et complètement fou dans sa tête, tandis que le gars en face de lui n'aurait probablement pas fait de mal à une mouche. Quant à Seungmin, il était hors catégorie.
Dans l'optique d'apaiser ce qui ressemblait pour lui tout au plus à un étudiant, il fit un geste vers lui et l'inconnu eut aussitôt un mouvement de recul. Minho s'en serait presque vexé. Mais il convenait que son apparence n'était pas des plus rassurantes : entre ses bras recouverts de tatouages, son regard dur et sa présence dans un bar de mafieux, il avait plus la tête d'un tueur en série que d'un gars sympathique.
– Ok, alors... euh, je veux pas t'effrayer. Juste, le commissariat est là-bas, répéta-t-il en prenant sa voix la plus douce, ce qui l'horrifia au moins tout autant que Seungmin si celui-ci l'avait entendu.
L'inconnu suivit la direction indiquée du regard, et Minho profita de ce moment pour l'examiner. Malgré le manteau blanc parsemé de taches séchées brunâtres, il semblait être intact. Frigorifié, mais intact. Son jean noir était déchiré, mais il doutait que ce soit à cause de sa chute, et si ses membres tremblaient encore, Minho partit du principe que c'était à cause du froid. Il voyait maintenant pourquoi il lui paraissait familier de dos : de taille moyenne, chétif, la taille fine et la bouche naturellement en cœur. Comme Félix. Décidément, le bar regorgeait de mignons qui s'ignoraient.
Il avait fait sa part : le gars était au commissariat, il lui suffisait d'entrer et les agents prendraient plus ou moins soin de lui. S'il eut d'abord quelques remords, Minho secoua la tête pour chasser ses pensées inutiles et grimpa sur sa moto, la main déjà sur le guidon pour attraper son casque.
Ce n'est qu'en sentant une résistance au niveau de sa veste qu'il se retourna. L'inconnu s'était détourné du commissariat, et agrippait fermement un pan de sa veste en le regardant. Minho sut alors qu'il n'avait pas assuré sur ce coup-là, et qu'il n'aurait pas dû l'aider. Il aurait dû rester au bar, ravaler sa fierté, servir cet imbécile de gangster et l'oublier. Il aurait dû rester à l'intérieur, et fumer dans le couloir en ouvrant la fenêtre pour pas se faire prendre par Félix.
– J-je veux pas y aller seul, insista l'inconnu d'un ton qui se voulait ferme et qui n'était finalement que tremblotant et peu assuré.
Minho était faible. Du moins, c'est ce qu'il se dit alors qu'ils atteignaient les portes coulissantes du commissariat, l'inconnu toujours accroché à son bras comme à une bouée de sauvetage. Il était un gangster, au pied d'un poste de police. La situation lui sembla tout à coup surréaliste, surtout quand l'inconnu s'arrêta et se tourna vers lui, ses yeux grands comme des billes. Minho détestait ces yeux, et encore plus lorsqu'ils s'accompagnaient d'une bouche en cœur et d'une expression suppliante. S'il le voyait, Changbin lui filerait déjà deux claques pour lui remettre les idées en place et le faire fuir avant qu'un agent ne le reconnaisse.
– J-je dois faire... une déposition, c'est ça ? balbutia le brun sans le lâcher du regard.
– Ouais, et après les agents ouvriront une enquête.
– Tu peux...rester ? P-pendant qu'ils m'interrogent, je veux dire.
Il renonça à le planter là, au pied du commissariat, et acquiesça en silence, priant pour mettre le plus de distance entre cet étudiant aux allures de poupée et lui. Il ne le repoussa pas non plus lorsqu'il l'enlaça.
– Jisung, chuchota l'inconnu contre lui.
– Minho.
– Merci Minho...
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