Smorbolg
—Seigneur..., murmura-t-il à nouveau.
Je l'ignorai. Mes pensées refusaient d'accepter ce qu'il venait de m'annoncer. Elles refusaient et je ne pouvais que les comprendre. Cela ne pouvait pas être vrai, ne devait pas être vrai.
J'avais haï cette annonce. De tout mon cœur, de tout mon être. J'avais haï cet homme et ces dieux. J'avais haï les humains qui s'étaient aventurés sur mon territoire. J'avais brûlé d'une rage intense, dévorante, qui refusait de s'éloigner. Elle avait été alimentée par une peur sourde et toute deux m'avaient rendu irascible.
—Seigneur, répéta-t-il plus fort.
Il me sortit de ma torpeur trop violemment à mon goût. Je fis volte-face et lui lançai le regard le plus glacial dont j'étais capable. Mes yeux le foudroyèrent et lui intimèrent de se taire. À cet instant, personne ne se serait senti capable de me défier, de me refuser quoi que ce soit. Et il ne le fit pas.
Il baissa la tête, s'inclina et disparut. Lorsque le bruit régulier de ses pieds frappant le sol s'estompa, je m'affalai dans mon fauteuil. Je me recroquevillai dessus, dans une position si faible que si l'un de mes gardes m'avait vu ainsi, il aurait perdu foi en notre cause et en ma puissance.
Mais qui oserait venir me déranger, moi, Smorbolg le grand, seul et unique baghros survivant, empereur et dernier descendant de la lignée des Krokassêrés ? Personne. Alors je me permettais d'avoir l'air démuni, et cela, je l'étais.
On venait de m'annoncer une tentative d'invasion de la part des stupides humains sur mon territoire. Je n'avais jamais cherché à leur nuire, ils avaient fini par oublier ma présence et s'étaient permis de rentrer dans mes terres. MES terres, MA possession, leur étaient interdites. Et ce geste ne pouvait pas rester impuni.
Mais ce dont j'avais peur était de ce maudit Kackling, Aigle, et Dieu accessoirement, qui s'était trouvé un allié cupide et fier, Noal. Noal, pauvre sauveur dont les pouvoirs étaient presque risibles.
Lui, ne m'inquiétait pas. Mais les Aigles... Ils avaient tué ma famille, anéanti mon nom, exterminé tous les baghros. Et lorsque j'irais tuer les humains m'ayant envahi, ils ne manqueraient pas de venir achever leur tâche : m'ôter la vie.
Ces considerations parvinrent à me mettre de mauvaise humeur. Je me levai brusquement et quittai la salle au plus vite. J'envoyai un message mental à mes généraux : tuez-les. Ceux qui sont chez-nous et leurs familles. Je ne veux plus d'humains vivants dans un périmètre de trente kilomètres au delà de nos frontières. Je vous rejoins sur place dans vingt minutes, je veux tuer les plus résistants de ma propre main. Que celui qui me retire ce plaisir, le regrette !
Les réponses ne tardèrent pas. Dans une synchronisation militaire, je reçus un oui affirmatif de la part de mes dix commandants.
Je relâchai une partie de la pression accumulée depuis l'annonce en songeant déjà avec délice au plaisir que le spectacle me procurera. Oh oui, je m'imaginais déjà les pauvres proies courir en tout sens, s'affoler, hurler... Et j'entendais sans peine les supplications désespérées, les hoquets de peur, les sanglots bruyants des hommes. Et quoi de plus apaisant que de songer au sang qui coulerait sur le sol... Un sang rouge, évidemment, pas celui brun de mes gobelins.
Toute pression évacuée par ces simples pensées, je repris mon chemin à travers le palais, plus serein. Je me dirigeai vers la sortie, les battants des portes s'ouvrirent devant moi sans que je n'ai quoi que ce soit à exiger.
***
Mes troupes avançaient dans une nuée de poussière aveuglante qui parvint à me satisfaire. Je me concentrai sur mes sbires qui avançaient en cadence, armés de la tête aux pieds. Ils étaient capables d'effrayer et surtout de massacrer. Cela me convenait. Nous serions efficaces. Les humaines ne se doutaient sûrement pas qu'ils se trouvaient sur le territoire d'un baghros, sinon ils ne s'y seraient jamais risqués. Ainsi, nous avancerions et les tuerions par surprise.
Même les enfants ? demanda une voix innocente dans ma tête. La tête de ma petite sœur apparut, et disparut tout aussi vite.
Je grognai. Je détestai me rappeler que parfois, je tuais des enfants innocents. Je détestais avoir une si grande faiblesse. Alors, je me devais de la camoufler et personne n'échapperait au massacre. Ni enfants, ni vieillards, personne. Je devais me couper de mes sentiments lorsque je m'avancais aux côtés de mon armée. Cœur de pierre, griffes acérées, crocs retroussés, prêt à tuer.
Une trompette résonna et mes troupes s'arrêtèrent, à l'affût. Je passai entre les rangs organisés pour rejoindre mes commandants en chef. Tous m'acceuillirent au garde à vous ; leurs peaux gluantes m'arrachèrent une petite déception, cette armée avait beau être efficace, elle était laide. Les gobelins étaient laids. Leurs yeux globuleux étaient laids. Leur allure était laide.
Je secouai la tête, affligé par cette constatation et annonçai :
—Bien. À présent, enroulez les armes dans les tissus et que je n'entende plus un seul bruit ! Pas question que notre arrivée soit remarquée.
Je marquai une pause, puis ma voix tonna :
—Est-ce clair ?
—Oui mon Seigneur ! affirmèrent tous les commandants en chœur.
Un large sourire se permit d'étirer mes lèvres. Je hochai la tête et supervisai la suite des opérations. Haches, épées, boucliers, lances, furent emballées avec soin, bottes emmitouflées également afin de ne plus faire aucun bruit. Le calme du moment nous enveloppa, les souffles se bloquèrent dans les gorges. Nous retenions notre respiration, nous avancions en rythme. Parfait.
Un hurlement brisa le silence. Un cri, un cri d'alerte, perçant, vrillant mes timpans. Ils nous avaient repérés. L'attaque allait commencer.
Grognements gutturaux firent écho aux ordres lancés à tout va, gobelins avancèrent face aux hommes désemparés, haches cognèrent contre bouts de bois, gouttes de sang s'écoulèrent au sol en même temps que les larmes.
Je ne me mêlai pas tout de suite au combat. Je jetai un regard vers le ciel, en direction du soleil qui brillait au dessus de nous. Il veillerait sur moi. J'en étais certain.
Alors seulement je m'élançai. Alors mes pouvoirs jaillirent et détruirent ce qui m'entourait. Alors peur, angoisse et déception disparurent et seule ma concentration resta.
Attaquer. Esquiver. Rester à l'affût. Ne jamais se précipiter. Attaquer avec prudence et efficacité. Je me lassai d'envoyer des sorts en dégainai mes poignards. Je les lançais avec précision, ils me revenaient ensuite tachés de sang.
Une chevelure brune apparut dans mon champ de vision. Je l'observai, analysai, armai ma main. Et tirai. Je continuai ainsi durant des heures, encouragé par notre victoire qui s'annonçait déjà écrasante.
Jusqu'à un cri.
Un cri d'enfant.
—Papa ! hurla la voix aiguë.
Je me tournai vers sa provenance. Une petite fille tenait fermement un doudou et fixait un groupe un peu plus loin. Mes yeux s'y dirigèrent, un gobelin planta une griffe dans l'épaule d'un homme.
Je m'élançai vers mon allié, me jetai dessus et le plaquai contre le sol. D'un coup rapide, je lui tranchai la gorge. À mes côtés, l'homme blessé me fixait, ahuri, plongé dans l'incompréhension.
—Fuyez ! Et ne répétez cela à personne !
Il partit à reculons, main plaquée contre sa blessure et attrapa sa fille avant de continuer sa course folle.
S'ils s'en sortiraient ? Je n'en savais rien. Si ma réputation en patirait ? Cela n'arriverait point, je me débarrasserai des témoins dérangeants.
Mais au moins, pour la première fois de ma vie, je me sentais moins sale. Je comprenais ce que tous ces sauveurs n'avaient cessé de hurler : la gloire et l'honneur, sauver des innocents, cela procurait une joie intense. Le bonheur était à ma portée. Il suffisait de défendre les plus faibles...
Mais l'honneur devrait primer sur le bonheur.
Alors, je combattrai et massacrerai jusqu'à ce que l'honneur de ma lignée soit rétabli. Qu'importe le coût.
*******
Texte écrit pour un concours de MiladyCoulter
Petit bonus à Okitio puisque Smorbolg est le "méchant" principal du livre :)
J'espère qu'il vous a plu,
Bisous
Dream
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro