À Toi
Tu étais là, debout, mains dans les poches, un air désinvolte sur le visage. Tu ne pleurais pas, ne riais pas. Tu étais juste là. Pourquoi ? Pourquoi étais-tu venu ?
Tu n'aurais jamais dû rejoindre ce cimetière, ni observer la tombe de ton père avec autant d'intensité dans le regard. C'est elle qui t'a trahi, cette légère lueur de douleur qui s'est allumée dans tes prunelles.
Tu aurais dû le savoir, te douter que ton masque d'impassibilité ne pouvait survivre face à la vue de sa dépouille. Tu aurais dû deviner qu'ils attendaient ta venue avec une impatience malsaine. Mais tu l'ignorais, ou voulais faire comme si c'était le cas.
Ta rage s'est vue immédiatement, tu as serré les poings avec tant de force que la marque de tes ongles s'est imprimée dans tes paumes. Tes lèvres se sont mises à trembler, tes yeux se sont noircis. Tes prunelles, noirs charbon, lançaient des éclairs.
Tu as même hurlé. Un son rauque s'est échappé des profondeurs de ta gorge pour résonner dans le cimetière avec force. Tout ton désespoir a quitté tes lèvres, s'est répercuté longtemps dans la nuit sombre. Et ils t'ont repéré aussitôt.
Leurs pas prudents de prédateurs ont écrasé l'herbe, franchi les buissons, évité les tombes et t'ont encerclé. Tu ne les as pas entendus, trop concentrés sur la tombe de ton père.
Quand tu les as vus, tu n'as pas craint pour ta vie, tu as tenté de le venger. Venger un mort, bel acte de bravoure mais quelle stupidité ! Tu as pris tant de risques pour venger un mort, ton père qui pourtant, lui, n'a jamais fait aucun sacrifice pour toi.
Tu as sauté sur le premier homme que tes yeux ont repéré. Tu as a agrippé sa tunique, le regard fou. Il a souffert, son visage abîmé par les coups de poing que tu lui envoyais avec force. Son nez s'est brisé dans un craquement à faire froid dans le dos mais il ne s'en préoccupait pas. Il s'est laissé faire jusqu'à ce que ses acolytes t'attrapent, te plaquent au sol et te frappent avec colère.
Ils t'ont battu à sang, tu n'avais même pas la force de hurler. Tu as rapidement perdu conscience, t'es yeux révulsés ne voyaient plus, ton odorat ne t'offrait rien d'autre que l'odeur âcre du sang, ton palais n'avait que le même goût sur la langue.
Le sang, la douleur, la colère, tout se mélangeait en toi, j'ai même cru que la force de tes sentiments allait te réveiller... Mais il était trop tard, l'inconscience t'avait déjà ouvert ses bras réconfortants et tu t'étais précipité dedans.
À ce moment là, je ne peux deviner ce qu'ils t'ont fait. Ils t'ont torturé, c'est certain. Ils t'ont détruit mentalement et physiquement. Comment ? Je n'en sais rien.
Mais quand tu m'es revenu, tu étais méconnaissable.
Ton dos, labouré de traces sanglantes et cicatrices vieilles comme récentes m'a longuement répugnée. Tes yeux hagards, fuyant constamment tout contact m'ont énervée. Ton air effrayé, tes balbutiements incessants, tes cauchemars la nuit, te voir trembler dès qu'une main se posait sur toi, tout cela m'a fait fuir.
Je t'ai aimé plus que tout. J'étais tombée amoureuse du garçon mystérieux, au regard noir et de ce côté si attentif et doux qu'il avait. De ce garçon fort, fier et drôle. De ce forgeron doué de ses mains, plein de rêves dans la tête et si attentionné envers moi. Mais j'ai fui. J'ai fui l'ombre que tu étais devenue.
Je t'ai abandonné. Seul, blessé, brisé. Tu n'as pas survécu longtemps.
Ô si tu savais comme je m'en veux de t'avoir abandonné ! Ô mon amour, pourquoi t'ont ils fait du mal ? Où avaient-ils caché le vrai toi ? Où l'avaient-ils enterré ?
Je suis venue pleurer sur ta tombe mais je savais que ce n'était pas la bonne, c'était celle d'un fantôme. Moi, je voulais pleurer ta mort à toi, le vrai toi !
Je t'en supplie, où que tu sois, ne m'en veux pas ! Tu aurais dû voir l'être que tu étais devenu, tu comprendrais ma lâcheté...
Le temps n'a pas effacé la douleur. Les heures ont défilé sans répit, cruelles, lentes parfois et horribles à chaque instant. Mais jamais je n'ai fait mon deuil de toi.
Cela fait trois ans que tu es mort pour moi, les autres prétendent que tu t'es éteint il y a deux ans. Oui, il y a deux ans, ta vie s'est éteinte. Mais il y a trois ans c'est le goût savoureux qu'avait la vie qui a disparu.
Ce qui est vrai, ce qu'il faut croire, je n'en sais rien. Le corps ou l'esprit, qui est celui qui détermine la fin ? Je n'ai pas la force d'y réfléchir, ce que je veux c'est en finir.
Tuer mon corps à présent. Car mon esprit, lui, s'est éteint en même temps que le tien. En même temps que mes yeux se sont posés sur tes blessures, au moment où ton regard a fui le mien. Au moment où j'ai caressé ton dos pour te rassurer et que tu t'es mis à trembler, sangloter.
Cela m'a tuée de l'intérieur. Il est temps pour moi de te rejoindre. Au fond, j'espère rejoindre le bon toi, où que la mort me mène. Je prie pour qu'elle soit clémente, malgré mon suicide.
Je t'aime mon amour, je n'ai jamais cessé de t'aimer. De tout mon être, de tout mon cœur, de tout mon corps. La douceur de ta peau, la vigueur de tes caresses, ton souffle chaud contre ma nuque, mon corps n'a cessé de le réclamer. Mais tu n'étais plus là.
À présent, je m'en vais.
Je me prépare à la nuit sans réveil possible, le voyage sans marche arrière possible.
À mon amour perdu,
À toi, Hadrian.
Lisa
****
Texte écrit pour le tournoi des 24 plumes :)
Bisous,
Dream
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro