
Chapitre 2 : Rencontre nocturne
Au moment du crépuscule, il fallait toujours avoir atteint son habitation et ne plus en sortir avant les premiers rayons du soleil. C'est ce que, depuis la Séparation, on nous enseigne. La boule de feu appelée Soleil laissait sagement sa place à la Lune qui éclairait alors légèrement la ville et veillait sur les Lunaires. Dès que les volets étaient clos, leurs vies débutaient sous le regard froid mais attentif du cyclope de pierre . Les étoiles l'accompagnant se plaçaient dans le ciel en prenant leurs places respectives comme une chorégraphie. De temps en temps, l'une d'entre elle traversait le ciel. Je n'ai jamais véritablement vu de ciel étoilé à part en photographie. Je savais que le rêve consistant à s'installer dans un champ et regarder le ciel étoilé ne pourra jamais être réalisé.
Les Solaires inventaient depuis toujours des histoires sur les Lunaires. La plupart du temps, des mythes se construisaient autour de ces personnages comme s'ils étaient des créatures mythologiques. On racontait aux jeunes enfants crédules que les formes sombres sortant de leurs placards appartenaient aux Lunaires alors que ce ne sont que les manches d'un simple pull ou le squelette d'un vulgaire porte-manteau.
Si on était assez téméraire, on pouvait entrouvrir discrètement les volets pour voir l'ombre de ceux ayant une autorisation circuler dans la partie de notre ville. Ils vagabondaient dans les rues et on pouvait entendre parfois les cris de joie appartenant aux bandes d'amis qui se réjouissaient d'enfin se retrouver. On les imagine alors marcher sous les néons colorés des boutiques et danser sur des musiques technos mais nos fantasmes étaient vite frappés par la réalité : ils vivaient comme nous. Pourtant, certaines rumeurs disent que les Lunaires seraient plus dissipés et turbulents que nous.
Parfois, quelques sauvages tapaient sur les volets comme sur des tambours. Cela formait une musique de protestation et c'était pour cela que les appartements les plus chers étaient habituellement en hauteur. On garantissait à ceux qui pouvaient se le permettre de ne pas être perturbé dans leurs sommeils par ces actes puérils et barbares. Mon appartement se trouve au 10ème étage, soit dans les premiers étages de l'immeuble, entre une collocation d'étudiants bruyante et un couple de personnes âgées. J'avais donc placé mon lit de leur côté pour ne pas me faire déranger par le bruit de leur beuverie mais cette nuit, je n'arrivais simplement pas à m'endormir. La raison de mon insomnie était la même depuis des années : les Lunaires et ce qui s'ajoutait à cela était le tapage que mes voisins faisaient. Je décidais donc de braver l'interdit en sortant sur mon balcon afin de prendre un peu d'air frais. Sur ma petite balustrade, j'avais installé une table ronde et quelques chaises ainsi que deux pots de fleurs. Celles-ci étaient d'ailleurs fermées et avaient vraisemblablement besoin d'eau. En m'installant sur une chaise, je regardais au loin en tirant sur les manches de mon sweat-shirt afin de me réchauffer. Même si nous étions en fin d'été, un vent frais soufflait sur la ville depuis la tombée de la nuit. Cela permettait de refroidir l'atmosphère lourde tant il avait fait chaud pendant la journée.
Après mon installation dans cet immeuble, je m'étais rendue compte que j'étais proche de la frontière de la ville par pure coïncidence. Je pouvais pour mon plus grand plaisir apercevoir le monde des Lunaires. À la nuit tombée, la plupart travaillait dans des bureaux et on pouvait les voir à travers la fenêtre de leurs immeubles. Cette vision ne satisfaisait que partiellement ma curiosité : je voulais savoir encore plus sur eux. Comment faisaient-ils pour vivre en permanence dans l'obscurité et la lumière artificielle ?
Soudainement, une voix venant d'en bas m'interrompit dans mes pensées. En me penchant, je remarquais un petit groupe de personnes et lorsque je passais ma tête pour mieux les observer, l'un d'entre eux me fit un signe de la main. Ne comprenant pas trop, je répondis à son geste de manière hésitante.
- « Alors on ne se couche pas avec le Soleil ? Serait-on en train de se rebeller ? » me cria-t-il d'une voix moqueuse suivie de rires
Me rendant compte qu'il s'adressait à moi, je me retirais rapidement de la balustrade et fermais immédiatement la fenêtre. Je ne voulais pas être repérée en sortant dehors et ils risquaient d'attirer l'attention sur moi alors que je ne les connaissais pas.
- « On n'allait pas te dénoncer ! On voulait juste faire descendre de sa tour celle qui nous mate ! » s'exclama une autre voix féminine toujours en ricanant
- « On ne mord pas si ça peut te rassurer. » ajouta l'autre
Sa remarque déclencha l'hilarité générale dans son groupe et le petit malin essaya de me héler de nouveau. Je fermais brusquement les rideaux et m'appuyais contre la fenêtre. En posant ma main sur mon cœur, je me rendis compte qu'il battait tellement fort qu'il pouvait sortir à tout moment de ma poitrine. J'entendis une vague de protestation et compris qu'ils avaient sûrement été réprimandé. Je partis me glisser dans mes draps après avoir bu un verre d'eau. Si quelqu'un m'avait vu dehors et surtout en leur compagnie, j'aurais pu être punie sévèrement. Pourtant, cette apostrophe n'avait que piqué davantage ma curiosité : qui étaient-ils et surtout comment les revoir ?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro