La fin de l'été (XIX)
Je ne sais pas pourquoi on voit les personnages de livres ou de films chercher ce qu'ils ont fait la veille en se réveillant d'une nuit pareille ; c'est faux. On se souvient de tout. Et quand bien même vous ne seriez pas certain, la présence d'un autre homme, nu, dans votre propre t-shirt, est là pour dissiper les doutes.
Yoongi, les fesses à l'air, avec mon t-shirt.
Je ne l'avais pas ménagé. Si je me fiais aux bruits qui étaient sortis de sa bouche la veille, ça ne l'avais pas dérangé et j'avais plutôt assuré. "Défonce-moi". C'était bien la dernière chose que je pensais entendre venant de Yoongi-hyung.
Pourquoi était-ce arrivé, comment était-ce arrivé, j'évitai de me poser ces questions inutiles. Les faits étaient là, nous l'avions fait, pour un tas de raisons certainement mauvaises et parce que nous en avions besoin. Je n'aurais pas pu garder ce que j'avais ressenti à l'intérieur à ce moment-là, quand j'ai vu cette photo de elle et lui sur le lit. Et Min Yoongi était là. Rien d'autre.
Quant à lui, Yoongi, je n'étais pas sûr de ses motivations. Peut-être bien que je lui avais toujours plu, peut-être que c'était compliqué avec Hoseok, peut-être surtout qu'il était le champion pour foutre en l'air tout ce qui lui arrivait de bien dans la vie.
Je me levai pour faire du café -Yoongi en avait toujours une tasse sur son bureau à la MDL, je savais que c'était ce qu'il buvait- et sortis deux bols ainsi que des céréales. J'allai prendre une douche brûlante.
En sortant, j'essuyai le miroir couvert de buée et retirai mon pansement à la main. Il était déjà un peu parti avec la douche. J'avais trois petites blessures sur les jointures, rien de grave. Je laissai ma main à l'air libre.
Je n'avais pas pris de vêtements. Je revins dans la pièce principale, ma serviette nouée à la taille, et trouvai Yoongi déjà prêt en train de boire son café, adossé à mon coin cuisine.
- Tu veux prendre ta douche ?
- J'habite en face, marmonna-t-il comme si j'étais attardé.
J'haussai un sourcil et levai les mains pour l'apaiser, peu surpris par son agressivité matinale. S'il s'était pendu à mon cou en m'appelant "chaton", j'aurais sans doute pris peur. Là, il avait l'air normal.
- Merci, ajouta-t-il sans lever les yeux.
Il essayait de se rattraper. J'esquissai un sourire et me tournait face à mon armoire. J'hésitai d'abord sur la conduite à adopter puis, foutu pour foutu, je m'habillai devant lui. Il ne me regardait pas vraiment, ses yeux faisaient la navette entre son café et la fenêtre. Il y avait un arbre, une sorte de platane qui masquait la vue et empêchait de voir son appartement depuis le mien. Tant mieux, je suppose.
- Pour ce qu'on a fait... commençai-je.
- C'est arrivé une fois, ça ne doit plus jamais arriver, et si qui que ce soit l'apprend, je te coupe les couilles.
... sérieusement ? Et moi là-dedans ? J'avais mon mot à dire, non ?
Non. Il avait raison. Nous allions mentir à Hoseok, nous n'avions pas le choix. C'était la seule option et je n'étais pas fier. On se connaissait peu mais je l'estimais, j'étais tombé dingue de son charme à notre première rencontre et nous avions la même passion pour la danse.
Et j'avais couché avec son petit ami, le garçon qu'il aimait et qu'il s'était battu pour avoir.
J'aurais dû me précipiter à ses pieds et implorer son pardon, avouer ma faute, le laisser me frapper si ça pouvait le soulager.
Mais je savais, et Yoongi aussi, nous savions qu'Hoseok ne nous blesserait pas. Il me mettrait une droite, peut-être ? Pas plus. Le reste serait sur lui. Sur sa peau. Des marques, encore plus de marques. Il se punirait lui-même pour ce que nous avions fait. C'était criminel de le mettre au courant.
- Rien ne s'est passé, alors ? demandai-je.
- Ça s'est passé, et ça fait de nous deux beaux salopards. Arrêtons là les dégâts, hm ?
Je hochai la tête. Il vida sa tasse et la posa dans mon évier. Il prit ses affaires, mit ses chaussures et revint vers moi. Je compris qu'il partait.
- Merci pour le café.
- De rien. C'est la moindre des choses. T'es sûr que tu veux pas manger ?
Sa main se déposa sur mon épaule. Il était nettement plus petit que moi. Il avait l'air fragile, perturbé par ce que nous avions laissé se produire. Je voulus le rassurer mais je ne savais pas comment, ni quoi dire. Il leva la tête et planta ses yeux dans les miens.
- Ce qu'il ne sait pas ne peut pas lui faire de mal.
Message reçu. Il s'éloigna de moi et je lui ouvris la porte. Je cru qu'il allait partir sans se retourner, s'enfuir dans l'escalier, mais il s'arrêta. Il se tourna vers moi. Il essaya de me sourire, maladroitement, et il leva la main.
- A... un de ces jours.
- Ouais, soufflai-je, salut.
Et il s'en alla. Je refermai la porte, tournai la clef et me précipitai dans la salle de bain pour ouvrir le robinet d'eau froide à fond. Je mis ma tête entière dessous et j'y restai jusqu'à ce que je sente mes tempes cogner.
J'avais voulu l'embrasser. Avant qu'il parte, sur le palier, quand il s'était retourné. J'avais voulu l'embrasser. J'avais voulu mettre mes lèvres sur les siennes et y récupérer l'arôme du café.
Je changeai les draps du lit, je lavai le t-shirt que je lui avais prêté à la main et le frottai avec vigueur comme pour le désincruster.
Je pris mon petit-déjeuner, assis face au bol vide que j'avais sorti pour Yoongi. Il fallait que j'oublie. Que je passe à autre chose. Ce n'était qu'un événement étrange que je devais digérer. Dans trois ou quatre mois, ça n'aurait plus la moindre importance et dans deux ans, j'aurais du mal à me souvenir que c'était arrivé.
Peut-être que Yoongi et moi pourrions en rire -"on a vraiment fait ça ?!"-, s'il n'était plus avec Hoseok bien sûr. Qu'est-ce que je disais ? Pourquoi il ne serait plus avec Hoseok ?
J'avais besoin d'air. J'enfilai une tenue de sport, je fis la vaisselle pour ne plus avoir la moindre trace de Yoongi à mon retour et je sortis courir.
Je fis un grand parcours, je passai par les quais et par le parc, et par chance je ne croisai personne. Sans parler du duo de traîtres, je ne voulais pas tomber sur Joomi ou quelqu'un de la fac. J'aurais été incapable de faire où de suivre la conversation, et j'aurais pu me montrer désagréable.
La journée fila sans que je m'en aperçoive. Tard dans la soirée, je me décidai à prendre mon téléphone et à faire défiler mes contacts jusqu'à celui d'Eunha. Elle me devait une explication. Il fallait que je sache, qu'elle avoue, je devais l'entendre. De sa bouche. J'appuyai sur la touche d'appel.
Une sonnerie.
Deuxième sonnerie.
Trois-
- Jungkook ?
- Bonsoir.
Ma voix était grave, on aurait dit que j'étais enroué. C'était seulement mon estomac et ma gorge qui faisaient des nœuds. Je n'allais pas flancher. Au fond de moi, je sentais la colère qui revenait.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- J'avais quelque chose à te dire. Mais d'abord, tu vas bien ?
- Oui, ça va, enfin qu'est-ce qu-
- Taehyung est venu chez toi, ce week-end ?
Silence. Puis :
- Oui.
Elle n'essayait même pas de mentir. Elle n'essayait même pas de m'épargner. C'était idiot, bien sûr : si elle avait menti, je l'aurais immédiatement confrontée. J'avais des preuves, la photo que m'avait montré Yoongi ! La photo qui avait tout déclenché.
- Je croyais... que tu ne voulais voir personne ce week-end ? bégayai-je piteusement.
- Ecoute Jungkook, je-
Elle avait pris un ton ferme qui ne plaisait pas du tout, comme pour m'engueuler. J'intervins pour l'empêcher d'avoir le dessus. Si elle prenait la main, j'étais foutu.
- Il est chez toi là ? On est d'accord que tu te fous de ma gueule ?
- Non, il est parti, et oui, je ne voulais voir personne ce week-end ! Ecoute-moi un peu au lieu de piquer ta crise.
Je... piquais ma crise ?!
- J'avais envie d'être seule et de ne voir personne, tu sais que j'en ai besoin et que c'est pas contre qui que ce soit, j'ai besoin de temps pour moi. Taehyung a eu un problème chez lui, il n'avait plus d'eau chaude et on était samedi soir, donc fatalement pas de réparation possible avant lundi. Il a demandé si je pouvais le dépanner et j'ai dit oui.
- Il fait trente putain de degrés dehors, il peut pas prendre des douches froides ?
- Jungkook ! tonna-t-elle dans le combiné. Tu sais pourquoi on n'est pas ensemble, toi et moi ?
Je la voyais tenir mon cœur dans ses mains et serrer, serrer, serrer, jusqu'à ce qu'une purée pulpeuse rouge et rose dégouline d'entre ses doigts. Après, elle crachait dedans.
- Exactement pour ça ! poursuivit-elle sans me laisser le temps de répondre. Pour que je puisse voir qui je veux, et inviter qui je veux chez moi, je ne suis pas ta copine, je n'ai AUCUN compte à te rendre ! C'est clair ?
- O-On... on n'est pas ensemble mais c'est pareil, non ? C'est bien ça qu'on s'était dit, qu'on allait faire les choses bien, et qu'on finirait par être en couple.
- On n'est pas en couple. Là, je te parle de maintenant, on n'est pas en couple ! Je n'ai même pas couché avec lui, si tu veux savoir !
- Je ne veux pas que tu le vois, balbutiai-je d'une voix blanche.
- C'est mon ami. Taehyung et moi, on est amis, c'est une personne que j'aime énormément et que je veux garder dans ma vie !
- Mais je ne veux pas, moi...
- Mais je m'en fiche, Jungkook ! C'est quand même pas toi qui vas décider de ma vie !
Elle était méchante. Tantôt elle criait, tantôt elle me lançait ses mots sur un ton acéré, venimeuse.
- Tu me fais du mal, tentai-je encore.
- C'est toi qui te fais du mal. Je ne sais pas pourquoi tu le détestes. Taehyung n'a rien fait d'autre que de tomber amoureux de moi ! Je ne veux pas de ça, tu comprends ? Je ne veux pas de toi qui m'appelle pour me faire des reproches, parce que tu as été espionner je ne sais où ce qu'on pouvait bien faire !
- S'il est venu pour utiliser l'eau chaude, vous étiez obligés de vous prendre en photo sur ton lit ? Le bisou sur la joue, c'était nécessaire ?
- Tu me fais la morale pour un bisou sur la joue ? Tu te rends compte que c'est ridicule ? La joue, Jungkook ! C'est lui qui a voulu prendre cette photo. Ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas vu, et il aime prendre des photos, c'est comme ça, c'est son habitude ! Tu l'as accusé de ne pas nous faire confiance le jour où il t'a téléphoné, et tu regardes sa story en douce ?
- C'est Yoongi ! balançai-je.
- ... Yoongi ?
Merde.
- Il... il voulait voir à quoi ressemblait Taehyung. On était ensemble hier, on est sorti dans un bar. Il a cliqué sur la story et j'ai vu la photo.
- J'espère que c'est pas ce que je pense.
- Qu'est-ce que tu penses ?
- Que tu t'amuses à me faire passer pour une traînée devant tes potes.
J'émis un rire sans joie. C'était ri-di-cule. Je m'écroulai sur mon lit et regardai le plafond, les jambes contre le mur en angle droit.
Yoongi, je l'ai baisé. Pendant que vous dormiez, Taehyung et toi, j'ai pris son petit cul et il a jouit deux fois de suite, il a adoré ça, et moi aussi j'ai adoré, et je pourrais recommencer des heures et des heures sans penser à toi une seule fois. T'es une sale conne et je te déteste.
- T'es une sale conne et je te déteste.
- Pardon ?
- Ouais, excuse-toi. Demande-moi pardon.
- T'as dit que j'étais une sale conne ?
- C'est ce que j'ai dit.
- Je rêve. J'hallucine ! s'écria-t-elle. Tu sais quoi, quitte à ce que tu m'engueules, j'aurais dû le sucer.
- T'en avais envie, hein ? provoquai-je à mon tour.
- Même pas, mais t'es en train de tout gâcher !
Sa voix se brisa, je me demandais si elle allait pleurer.
- Voir personne, c'est voir personne. Si tu l'héberges, tu devais sois me le dire, sois ne pas t'afficher avec lui sur les réseaux. Tu savais que je pouvais le voir. Tu savais !
- Il fallait que je dise ça ? "Ne la poste pas, Jungkook pourrait la voir" ?
- Oui !
- Tu voulais que je mente ?!
- Je voulais que tu me protèges ! hurlai-je.
J'étais à nouveau debout, au milieu de l'appartement. Je revoyais Yoongi en proie aux remords.
- Ce que je ne sais pas ne peut pas me faire de mal, chuchotai-je.
- C'est une phrase de lâche. La vérité vaut toujours mieux, et elle finit toujours par éclater quoiqu'on fasse. Je suis honnête, désolée, je ne sais pas faire autrement.
On aurait dit qu'elle me sermonnait. J'étais de plus en plus perdu.
Je comprenais enfin qu'elle jouait sur les deux tableaux. Eunha était instable, dans ses émotions et dans son amour. Elle n'aimait pas l'une et l'autre personne à la fois, elle aimait l'une puis l'autre, en changements très rapides, trop pour nous, elle jonglait, incapable de se reposer avec moi ou avec un des autres. Même avec moi. Son cœur se déplaçait indépendamment de sa volonté et elle ne savait pas lutter. Yugyeom avait raison. Elle était toxique.
- Je ne veux pas de tout ça. C'est ce qui me fait peur. Je ne suis pas capable, d'accord, et je ne veux pas m'occuper de toi. Je ne veux pas de responsabilité, je ne veux pas te devoir quelque chose, je ne veux pas être obligée de te donner une quantité prédéfinie d'attention et d'amour.
- Tu m'aimes. Prendre soin de moi devrait être un plaisir, pas une corvée.
- Ce n'est pas ce que j'ai dit...
- C'est exactement ce que tu as dit. Je vais raccrocher maintenant.
- ... d'accord.
Elle ne me retenait pas. Elle ne me retiendrait jamais. Elle souffrait, je souffrais. Ça n'arrêtait pas. Elle m'aimait, et je ne voulais pas être aimé comme ça.
- Au revoir.
Je raccrochai.
Je ne vis personne jusqu'à la rentrée, en dehors de Yugyeom. Fin août, nous avions recommencé à nous inviter et nous regardions des films ou livrions des combats de jeux vidéos acharnés. Nous parlâmes très peu d'Eunha, il me demanda des nouvelles et je répondis vaguement que les choses "suivaient leur cours", sans préciser que cela signifiait qu'elles étaient en train de mourir. J'étais encore amoureux, et ça faisait mal, mais moins qu'avant. Je gérais. On ne se débarrasse pas de presque trois ans d'amour comme ça; j'avais un deuil à faire et je n'étais pas encore prêt. J'évitais seulement d'y penser.
A l'approche de la reprise, je me préparai psychologiquement. Retourner à la fac, c'était retrouver toute la bande et cette perspective -bien que réjouissante- en entraînait une autre. Yoongi. J'allai revoir Yoongi.
Il avait miraculeusement réussi à m'éviter pour le restant des vacances, à croire qu'Hoseok et lui avaient déménagé. Je n'avais aucune nouvelle, ni de l'un ni de l'autre, mais je me doutais que les soirées allaient reprendre et que le couple serait de la partie.
Heureusement que tout était clair. Notre épisode de l'été était une erreur, et nous nous étions juré de ne jamais recommencer.
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