"Embrasse-moi" (III)
J'entrai dans le bar en cherchant des silhouettes familières. Un groupe de jeunes était à l'intérieur, sauf que je n'en reconnaissais aucun. M'étais-je trompé d'adresse?
C'était la première soirée de ma vie d'étudiant. J'avais été à quelques fêtes au lycée, organisées les uns chez les autres puisque nous n'avions pas l'âge requis pour accéder aux bars et aux clubs. Ma vie à la fac se passait bien. Des petits cercles s'étaient formés dans la promo. Il n'y avait plus les embrouilles et les ragots lycéens: nous étions trop nombreux. Il suffisait de rester avec ses amis et d'ignorer ceux dont les têtes ne nous revenaient pas. J'avais appris certains prénoms, pourtant, je découvrais chaque jour une nouvelle personne qu'il me semblait n'avoir jamais vu avant.
Les activités à la Maison des Langues avaient commencé. J'avais fait la connaissance de l'étudiant responsable, Namjoon, qui avait finalement regagné le pays sans passeport -au grand soulagement du suppléant Yoongi. J'avais également passé l'entretien d'évaluation d'anglais et j'avais rejoint un groupe d'étudiants plus âgés. J'en étais assez fier: ça voulait dire que mon niveau n'était pas catastrophique. Les autres n'étaient pas dans mon cursus; j'étais d'ailleurs le seul de ma promo à suivre les cours de la Maison des Langues. On m'avait informé que la MDL proposait régulièrement des soirées pour réunir les différents étudiants. Je ne savais pas à quoi m'attendre. J'avais en tête tous les clichés sur les fêtes à l'université. Allais-je m'en sortir, socialement parlant?
Je m'avançai dans l'établissement, incertain, et tentai de capter l'attention du barman pour me renseigner. Il servit deux pintes à des gens du groupe et longea le bar pour s'approcher de moi.
- Bonsoir ? Qu'est-ce que je te sers?
- Euh, bonsoir, je devais retrouver des amis ici... Kim Namjoon?
Namjoon orchestrait chaque année la traditionnelle "soirée de rentrée". Ça faisait partie de ses attributions de responsable. Le mail disait que le bar nous était réservé, sauf que je ne voyais mes camarades nulle part.
- En bas, tu as un escalier sur ta droite, m'indiqua le barman.
- Merci!
Je vérifiai mon reflet dans le miroir derrière le bar, j'ajustai ma veste et je descendis. Je n'étais pas tellement fêtard. En dehors de ces soirées du lycée, j'avais fait quelques expériences en boîte et Eunha m'avait déjà emmené boire un coup avec elle, sans plus. J'étais loin d'être un expert.
Namjoon-hyung n'avait mis qu'une seule règle: interdiction d'inviter d'autres amis, même les petits copains et les petites copines. Le but était de se retrouver entre nous et d'intégrer les nouveaux. Dommage pour moi, ça m'aurait plu de trimbaler Eunha ou Yugyeom.
Je ne l'avais pas lâché depuis la rentrée, celui-là. Nous passions nos journées ensemble. Plusieurs personnes pensaient que nous nous connaissions depuis le secondaire tant nous étions devenus proches. Lui n'avait pas tardé à se faire d'autres amis mais il ne m'avait pas délaissé pour autant, au contraire. Il me présentait, et me permettait aussi de sympathiser avec eux dès qu'il en avait l'occasion. Il restait avec moi la plupart du temps. J'aimais sa gentillesse. La gentillesse est une qualité qu'on minimise trop souvent.
- Jungkook !
Un petit blond surexcité me faisait de grands signes avec les bras. Rassuré de trouver enfin un visage connu, je me pressai dans sa direction.
- Salut Jimin-hyung !
Il avait deux ans de plus que moi. Nous suivions les cours d'anglais ensemble. Auprès de Park Jimin se trouvait Kim Joomi, également dans notre groupe. Elle avait les cheveux courts et décolorés, sans frange, un visage rond, de grands yeux et un certain charisme. Je l'aimais bien.
- Hello Jungkookie.
- Bonsoir noona! saluai-je en retour.
Ils avaient l'air content de me voir. Nous discutâmes tous les trois du prof d'anglais, du dernier cours et des gens que nous connaissions déjà. Namjoon vint échanger quelques mots avec nous, pour vérifier que tout se passait bien et que je m'amusais. Il me présenta Lisa et Mingyu, tous les deux en première année de licence et qui étudiaient l'espagnol à la MDL. J'avais l'impression de bien me débrouiller. C'était mon défi du jour: passer une bonne soirée. Ne pas ressentir ou créer de malaise. J'étais bien parti.
Mingyu m'expliqua qu'il avait pris une pause d'un an au lycée pour étudier en Espagne, et qu'il avait rejoint la Maison des Langues pour continuer à pratiquer. Étais-je le seul clampin à n'avoir jamais pris l'avion ni passé la frontière? Lisa et moi l'écoutions nous décrire la Sagrada Família et la nourriture locale lorsqu'une petite main agrippa mon bras. C'était Joomi.
- Je vais me rechercher un verre, tu viens?
C'était plus une injonction qu'une question, mais comme je n'avais pas encore commandé... Presque une heure que je discutais sans consommer, c'était franchement incorrect. Je m'excusai auprès de Lisa et Mingyu et suivis Joomi à l'étage.
- De quoi vous parliez?
- De l'Espagne. Je sais désormais qu'il y a un excellent bar à tapas à deux pas du Musée Dali de Figueres!
Si j'allais un jour en Espagne, il faudrait que je m'en souvienne. Ce serait l'occasion d'épater Eunha. Nous prîmes chacun une pinte de blonde et Joomi se hissa sur un tabouret.
- Ça t'ennuie qu'on reste là un peu? En fait, je t'ai attrapé parce que je fuyais quelqu'un.
Je fronçai les sourcils.
-Non, aucun soucis. Un mec un peu lourd?
Qu'elle n'hésite surtout pas à me le dire. Ce genre de choses m'insupportait. J'étais prêt à remettre l'importun à sa place, et dans les règles de l'art.
-C'est Yoongi. Quand il a bu, il est intenable.
Yoongi? Min Yoongi, le responsable adjoint ? Avec ses lunettes et son calme olympien? Bon, calme olympien, j'exagérais un peu. Yoongi-hyung avait rapidement cassé son image d'aîné distant et rigoureux depuis que je fréquentais la MDL. Disons qu'il n'avait pas la sienne dans sa poche, de langue, et qu'il se permettait des remarques acerbes et sarcastiques à la moindre occasion. Tout en trouvant le moyen de rester sympathique, là était la subtilité. Tout le monde l'appréciait. Il avait sa personnalité, mais c'était un bosseur. Il était sérieux. Les professeurs et Namjoon lui faisaient confiance, et par conséquent, nous aussi.
- Tu devrais prévenir Namjoon-hyung, non?
- Non, t'en fais pas. Il a rien fait de déplacé ou quoi, il est juste... collant.
Tiens donc. Je ne l'imaginais vraiment pas comme ça. Joomi orienta la conversation vers mes études, me demandant ce que je pensais de mon premier mois à l'université, si je m'habituais, si mes cours me plaisaient. J'étais content qu'elle s'intéresse à moi. Je lui rendais ses questions, intrigué par son master en Sciences Sociales qui comprenait à la fois de la psychologie et de la sociologie. Nous finîmes par redescendre, avec nos verres bien entamés.
- Vous revoilà! fit Jimin en revenant vers nous. On se demandait où vous étiez passés!
Il était accompagné de Kim Seokjin, le plus âgé de notre groupe. Les discussions reprirent un moment jusqu'à ce que Joomi m'emmène danser sur la piste au centre de la salle. Là, j'étais à l'aise. C'était mon domaine. Joomi se débrouillait très bien aussi, et je me laissai aller à poser les mains sur ses hanches le temps d'une chanson. En toute amitié, évidemment: mes camarades d'anglais savaient tous qu'il y avait une Yoon Eunha dans ma vie. Comme avec Yugyeom, j'avais sorti les photos à la première occasion.
C'est là que je le vis. J'avais laissé Joomi pour rejoindre Mingyu et Lisa et nous dansions tous les trois dans un autre coin de la piste. De là où j'étais, j'aperçus les canapés du fond de la salle, au cuir élimé et aux coussins fatigués. Une fille en jupe grise y embrassait longuement un garçon en chaleur. Je sais bien que les chaleurs ne concernent que les animaux, mais là, je ne voyais pas comment décrire autrement ce qui se déroulait sous mes yeux. Il posait les mains sur ses fesses, les palpait, tirait sur son chemisier en riant pour essayer d'avoir accès à sa peau. Elle ne semblait pas en détresse, et même parfaitement consentante, c'est pourquoi je me gardai d'intervenir. Tous deux devaient être bien alcoolisés, mais tant qu'il ne la déshabillait pas... La fille descendit de ses genoux, révélant le visage de son partenaire. Les cheveux vert menthe. Pourquoi je n'étais pas étonné? Joomi m'avait prévenu.
Je vis Namjoon passer devant moi, éloigner la fille et redresser Yoongi. Je n'entendais rien avec la musique; je décidais de me désintéresser de la scène. Namjoon-hyung était sobre, tout était sous contrôle.
La soirée battait son plein. J'accompagnai Jimin commander un dernier verre, pour moi en tout cas. J'étais conscient de mes limites; trois pintes me suffisaient pour être dans l'ambiance, je n'avais pas besoin de me mettre une murge -ni de vider mon porte-monnaie.
Jimin était plutôt porté sur les cocktails. Le mélange des différents alcools commençait à faire effet. Il parlait fort, prenait des pauses soudaines et posait sa main sur mon bras à chaque fois qu'il enchaînait sur une nouvelle idée. Je suivais ses quasi-monologues avec amusement.
Il m'abandonna pour aller aux toilettes et je retournai dans l'espace privatisé, laissant mon verre vide au comptoir. Je n'allais pas tarder, je voulais prendre les derniers métros. J'avais bien dansé et je sentais le coup de barre venir.
- Zuny! Zuny!
- C'est Joomi, soupira ma camarade.
- Zuny, hey, où tu vas?
Encore lui? Il était tellement bourré qu'il ne pouvait même plus prononcer son prénom. Je m'interposai entre eux.
-Yoongi-hyung.
Il tourna la tête vers moi, abasourdi d'entendre son nom. Je vis qu'il cherchait à me remettre. Il scrutait mon visage en plissant les yeux, comme pour mieux voir.
- Laisse-la, t'es pas bien là, tu devrais rentrer chez toi et te mettre au lit.
- Au lit? répondit Yoongi d'une drôle de voix en s'avançant d'un pas.
Je lui bloquai les épaules mais il se dégagea, et il noua ses bras autour de mon cou.
- Tu danses, Kookie?
Je soupirai. Au moins il me reconnaissait. C'était perturbant, le surnom que me donnait Eunha dans sa bouche. Il me faisait reculer sur la piste de danse. Je ne voulais pas le repousser; j'appréhendais ses réactions et c'était mon hyung. Je ne voulais pas créer de problèmes. Il ne me dérangeait pas. Bon, il sentait l'alcool et ses gestes manquaient clairement de précision mais ses mains surent trouver ma taille rapidement et j'avais surtout l'impression que je lui permettais de tenir debout: il aurait pu s'endormir sur moi que ça ne m'aurait pas choqué. Au lieu de ça, il remit ses bras autour de mon cou et me tira un peu plus contre lui.
- Embrasse-moi.
Ses lèvres s'écrasèrent sur les miennes sans attendre la réponse. Ma bouche s'ouvrit sous la surprise et il en profita pour y faufiler sa langue. Là, j'étais choqué. Mon cerveau plantait, je ne savais pas comment réagir. Je me laissai faire. Il s'éloigna pour reprendre son souffle, cramponné à ma chemise comme un forcené. Ses yeux brillaient.
- Je peux recommencer ?
- J'ai une copine, contrai-je avec fermeté.
Il en fallait bien plus pour l'arrêter.
- Ah. Tu lui transmettras mes condoléances.
Et il fonça à nouveau sur mes lèvres. Sauf que cette fois, j'anticipai le geste et je pus le repousser.
- Non! Ça voulait dire non.
- Oh, fit simplement Yoongi.
Il allait nous faire toutes les voyelles? Joomi nous regardait avec des yeux ronds et je vis Namjoon rappliquer, Seokjin sur les talons.
- Il faut le ramener chez lui.
- Mais c'est putain de loin chez lui.
- On peut pas le foutre dans un taxi, si jamais il arrive pas à ouvrir sa porte comme l'autre fois !
- Il est chiant, maugréa Namjoon.
- C'est où chez lui ? intervins-je.
- Hôtel de ville, soupira Jin en se tournant vers moi.
Coïncidence troublante...
- Métro Hôtel de ville ? C'est chez moi.
- Sérieux ?
A leurs yeux plein d'espoir, je compris que j'avais encore perdu une occasion de me la fermer. Étais-je serviable et généreux ou tout simplement con? J'allais me le coltiner sur toute la ligne; il avait intérêt à me faire des excuses dans les prochains jours.
- Tu crois que tu pourrais...
- Ça nous embête un peu...
- Nam, il lui a roulé une pelle quand même.
- C'est pas grave, répliquai-je avec un haussement d'épaule. De toute façon j'allais rentrer.
Con. Définitivement con. En même temps... Il fallait bien que quelqu'un s'y colle. Hors de question de le laisser avec une des filles, et j'étais le seul à habiter dans le même coin.
D'ailleurs, il n'était plus à côté de nous. Pourquoi les gens bourrés veulent toujours se tirer dieu-sait-où quand on s'organise pour les ramener chez eux en un seul morceau?
- Yoongi ! On va s'arrêter là.
C'était Jin-hyung qui l'avait repéré. Il récupérait un fond de verre laissé au bord de la piste. Heureusement qu'il n'y avait que des gens de la MDL. Boire dans un verre abandonné... hasardeux, inconscient et peu hygiénique. Il cumulait. Je le voyais chouiner après Seokjin, argumentant qu'il allait bien et qu'il voulait juste s'amuser. Ses bras s'agitaient mollement et brassaient l'air autour de lui. Namjoon me lança un regard navré tandis que Jin-hyung ramenait Yoongi vers nous.
- Franchement Kook, tu nous sauves là. On te revaudra ça.
- Il est toujours comme ça?
- Souvent, marmonna Namjoon avec un vague malaise.
L'enfer. On avait quatre ans d'écart, ça lui faisait un an de plus qu'Eunha. Il était temps qu'il apprenne à se contrôler.
- Jungkook va rentrer avec toi, Yoongi, dit Seokjin en cherchant des yeux la veste de celui-ci.
- Okay! déclara-t-il sans opposer de résistance.
L'idée qu'on parte ensemble devait lui plaire, puisqu'il mit sa main dans la mienne et laissa Seokjin lui enfiler sa veste.
- T'as tout hyung? vérifia Namjoon. Téléphone, carte de transport, clefs?
Yoongi tâta ses poches en hochant la tête.
- Ouaaais, tout est là!
- Ca va aller? s'assura Jin-hyung avec une grimace qui m'était destinée.
Je lui répondis par un sourire pincé. Il fallait bien. Je fis le tour de la salle pour dire au revoir à tout le monde, en prenant garde à ne pas perdre Yoongi-hyung. Il tenait toujours ma main.
Pendant le trajet jusqu'au métro, il fut docile. Il ne parlait pas, il marchait à côté de moi, comme perdu dans ses pensées. Ça se gâta en descendant dans la station. Excité par la lumière vive du quai, les affiches colorées ou la présence d'autres usagers, il se mit à brailler la chanson des Aristochats en anglais, avec un accent coréen atroce, le tout en marchant à reculons.
" Everybody wants to be a cat !
Because a cat's the only cat who knooooows where it's at
While playin' jazz you always has a weeeEEeelcome mat
'Cause everybody digs a swingin' cat !"
Il essayait à présent de reproduire seul la mélodie jouée par l'orchestre de jazz. Je le voyais mimer une approximation de saxophone, hilare. Neuf minutes d'attente. Ça allait être très long.
-Hyung, tu veux pas venir t'asseoir au lieu de jouer les Scat Cat? T'es bien près des rails là, soufflai-je en le tirant comme je pouvais vers les sièges.
-Miaaaw, miaula Yoongi en se frottant sur mon épaule.
Je parvins à l'éloigner de la bordure du quai, non sans efforts. Pitié qu'il ne vomisse pas. Ni sur moi, ni dans le wagon. Quand je pense qu'il m'avait embrassé! Ce n'était pas dramatique en soi, il n'en garderait surement aucun souvenir et je bénéficiais d'une immunité avec Eunha. Après tout, nous étions deux à être libres. Et puis... pour un mec bourré, Yoongi embrassait bien.
Je me souvins de l'année précédente, en terminale, lorsque j'avais essayé d'explorer cette fameuse liberté que me laissait ma relation de non-couple. C'était là que j'étais le plus sorti, que j'avais été en boîte pour draguer un peu. Je ne m'en tirais pas trop mal, j'avais du succès. J'attirais les filles autant que les garçons et j'avais couché avec les deux: une autre fille qu'Eunha pour ne pas mourir idiot, et deux mecs -toujours en préservant mon postérieur. Certaines expériences pouvaient attendre, j'étais curieux mais pas pressé.
Je n'étais plus l'adolescent maladroit qu'Eunha avait rencontré sur internet. J'avais pris de l'assurance à son contact, et même si je restais un petit introverti facile à déstabiliser, je savais comment me comporter avec les autres. Où me placer, à quel moment parler, à quel moment me taire, quel visage aborder et avec qui. Eunha m'avait appris qu'une des grandes règles de la vie d'adulte, c'était de faire semblant. Semblant d'avoir confiance en soi quand on tremblait intérieurement, semblant de gérer quand on était débordé, semblant d'y arriver quand tout se cassait la gueule.
Elle m'avait aussi dit que certaines personnes ne faisaient jamais semblant de rien, mais que pour ça il fallait être sacrément fort. Ou sacrément faible.
Je l'aimais. Ça pouvait me frapper à tout instant du jour ou de la nuit, une fatalité incontestable. Un fait, une évidence. J'étais fou amoureux. C'est pour ça que j'avais arrêté de papillonner.
L'exclusivité ne me dérangeait pas, même à sens unique. Je prenais moins de plaisir à aller ailleurs quand je pouvais l'avoir elle.
Je me mis à penser au mec du café. A quoi ressemblait-il? Qu'est-ce qu'elle aimait chez lui? Comment était son appartement? Est-ce que son lit était confortable? Est-ce qu'il allait prendre soin d'elle, lui masser le dos, lui faire à manger? Je voulais qu'il la traite comme la huitième merveille du monde, tout en restant moins bien que moi. C'était la mienne. Lui ne l'avait que pour une durée limitée.
J'avais hâte qu'ils vivent leur petite histoire de deux ou trois nuits et qu'Eunha me revienne. Nos retrouvailles étaient toujours passionnées. Elle réclamait que je la couvre de baisers et de caresses, comme s'il fallait que je marque ma présence sur tout son corps, que j'efface son absence. C'est au cœur de ces étreintes qu'elle me déclarait ses "je t'aime" les plus intenses. Dans ces moments-là, je la sentais prête à s'arracher la peau pour venir me rejoindre sous la mienne. Un véritable brasier, cette fille. Avec ses brûlures et ses étincelles.
Je fis monter Yoongi dans la rame. Il s'était enfin calmé, le menton rentré dans le col de sa veste et les yeux minuscules. L'impitoyable cycle de l'alcool suivait son cours. Au bout de quelques stations, un poids mort s'écrasa sur mon bras. C'était à prévoir: la bouche ouverte, Yoongi-hyung venait de sombrer dans un bienheureux sommeil. Je préférais ça aux chansons Disney. Everybody wants to be a cat... Il me l'avait mise en tête, ce con.
Je le redressai deux stations avant la nôtre, histoire qu'il puisse émerger avant de se remettre sur ses jambes. Je refusais de le porter. Il cligna des yeux plusieurs fois, grogna, mâcha dans le vide avec un bruit pâteux et me lança un regard noir. Regard que je rendis au centuple en découvrant qu'il avait bavé sur la manche de ma veste. J'allais le tuer.
- On arrive, râlai-je, lui faisant comprendre qu'il avait intérêt à coopérer.
Par chance, sa courte sieste l'avait fait redescendre et il semblait plus conscient que tout à l'heure. Il était simplement dans le flou, et dépourvu d'énergie. Un mollusque. Il bailla et étira ses jambes devant nous; elles paraissaient aussi menues que celles d'Eunha.
- Pourquoi tu me ramènes?
- J'habite dans le même coin.
- Jure !
Je le regardai pour qu'il réalise l'absurdité de sa remarque. Il ne croyait quand même pas que je le raccompagnait par pur plaisir ?
- C'est marrant ! lança Yoongi.
- Si tu le dis. Allez, debout.
Je lui tendis le bras mais il se débrouilla tout seul, s'appuyant sur le dossier du siège pour trouver son équilibre pendant que le métro ralentissait progressivement. Nous quittâmes la station pour nous retrouver sur la place de la mairie.
- Mon appart est juste à côté, tu peux me laisser là.
- T'es sûr?
- Mais ouais, c'est à deux pas j'te dis.
- Tu pourras ouvrir ta porte?
Il sortit ses clefs et les garda dans sa main.
- J'suis bourré, pas handicapé.
- Comment je m'appelle?
-Jeon Jungkook. Et si tu lèves ta main pour me faire compter tes doigts, je te les fous dans le cul.
Charmant. Aimable. Un plaisir.
- T'as une drôle de façon de me remercier.
Il mit les mains dans les poches de sa veste, y rangeant ses clefs par la même occasion. Il regardait ailleurs.
-... merci.
J'approuvai de la tête.
- Envoie un message à Namjoon-hyung quand t'es chez toi. On se voit à la fac.
- Ouais, à plus. Rentre bien.
Je m'engageais dans la rue, espérant que j'avais raison de le laisser seul. Sauf qu'il me suivait. A deux pas derrière moi, il avait sorti son portable et marchait à mon rythme. Je tiquai mais ne fis aucune remarque. C'était la rue qui menait au métro, il y avait beaucoup d'immeubles et d'autres intersections, ça pouvait être son chemin. Je m'arrêtai lorsqu'il bifurqua avec moi dans ma petite allée.
- Tu fais quoi là?
Yoongi leva la tête de son téléphone.
- Je rentre chez moi.
- C'est où chez toi?
- Là.
On était devant mon immeuble. J'avais rencontré tous mes voisins et aucun d'eux ne s'appelait Min. Il se payait ma tête.
- Ne me dis pas que tu as oublié où tu habites?
- Non, c'est là je te dis. La question c'est toi, qu'est-ce que tu fous là!
Il avait désigné la rue cette fois, pas seulement mon bâtiment. Est-ce qu'on était... voisins?
- J'habite ici, au numéro deux, clarifiai-je.
- ... depuis longtemps?
- Non, cette année seulement.
Il se mit à rire.
- Je me demandais comment j'avais pu ne pas te croiser! Bah bienvenue alors, je suis au numéro cinq.
Il désigna un immeuble de l'autre côté de la chaussée. Je n'en revenais pas.
- Ça fait longtemps que tu vis là, toi?
- Ça va faire deux ans en janvier, avant j'étais en résidence étudiante mais j'avais besoin de mon espace.
- Je vois.
On restait sous mon porche à se regarder dans le blanc des yeux, ne sachant plus quoi se dire. L'ambiance était bizarre. Yoongi se balançait d'un pied sur l'autre et finit par reculer d'un pas.
- Bon, c'est pas tout ça mais mon lit m'appelle. Salut?
- Salut, dis-je en me secouant pour sortir de cet état étrange.
Moi aussi, il était temps que je retrouve mon lit. Une bonne douche, un bon brossage de dents et pour le reste, on verrait demain.
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