141 Flânerie parisienne ( long )
Alors que l'astre du jour rejoint son lit,
La lune glisse au-dessus de Paris.
Voyez comme la nuit remonte la Seine,
Et la vie transie, sur les quais, qui se traîne.
Cent fois je suis passé sur ce pont Mirabeau,
Tel Apollinaire regardant sur les eaux
Une barge, une barque, un bateau, une voile,
Dans les reflets, légers, fragiles des étoiles.
Cent fois entendu le bruit délicieux
De l'onde vibrant sous les larmes des cieux.
Ce soir, encore, mes pensées déambulent,
Sur le fil tendu de mon cœur funambule.
Je vais lentement au port de Javel,
Le vent dans mes cheveux poivre et sel
Sur l'île aux cygnes aux branches, perchés,
Moineaux, pigeons, merles sont cachés
Je les sais dormir à ces heures tardives
Là-bas, dans les feuillages sur l'autre rive.
A la lumière des réverbères en feu
J'avance mon pas sur l'asphalte bleu
Rien ne me comble plus, en cet instant,
Que ce silence si trouble et si vivant.
Voyez, comme joyeuse vers le ciel
Tend sa tête pointue, la belle d'Eiffel.
Je m'approche, mon souffle est court,
Jusqu'aux quatre pieds de la grande tour.
Là, j'ai l'impression étrange d'entendre
Les cris d'une foule, sur l'herbe, s'étendre
D'y voir, aussi, Talleyrand se mouvoir
Et Louis XVI lui donner le pouvoir.
La nuit, parfois, vous détourne la pensée
Du calme serein vers des images insensées,
Les noirceurs vous envahissent le corps,
Elles voyagent en vous, prennent de l'essor,
Elles vous habitent sournoises, trompeuses,
Diablesses jusqu'à votre âme, rieuses.
Alors, je continue à faire aller mon pas
Passant les beaux cavaliers du pont d'Iéna,
Evitant d'un écart une flaque stagnante
Le sol mouillé fait ma marche plus lente.
Au Trocadéro les drapeaux sont baissés
En berne, peut-être, où alors, mal hissés
Le jardin dans la pénombre a disparu
Serait-ce mes yeux qui ne le voit plus ?
Je m'éponge le front maintenant trempé,
Il pleut sans finir par grande lampées
Ici, rien ne semble pouvoir éloigner
Les nuages sombres posés par poignées.
Un bateau mouche remonte la rivière
Projetant, sur moi, ses rayons de lumière
Le son d'un piano, la mélodie d'un hautbois
Puis un violon dans sa coque en bois.
Je tends l'oreille écoutant la musique
Un bout de bonheur presque magique.
Au grand palais elle m'accompagne encore
Elle n'y est plus mais me reste au corps.
Bach, Schumann, ou Albinoni
Une fragrance d'antan au cœur de Paris.
Sur mon chemin quelques lampions
Se balancent place de la révolution
C'est la concorde, vous diraient certains
Mais en seraient-ils vraiment certain
Ne voyez-vous pas en son plein milieu
L'échafaud, les têtes au bout des pieux ?
Une charrette passe sous les cris de joie
Quelqu'un me parle -Tiens, voici le roi-
Mes sens se bercent au chant de l'Histoire
Le règne détruit d'une tête de poire
Tout se joua, peut-être, aux tuileries
Une montgolfière, une famille qui fuit.
Pour l'heure, je traverse par les allées
Le peu qui reste de ces jours envolés
Devant moi, le silence nocturne recouvre
Les colonnes, les arches, le palais du Louvre
Je ne suis plus d'aujourd'hui, je suis d'antan
Voyageur au passé, noctambule du temps
Etrangeté des sens ou bizarrerie de l'âge
Je devrais, à l'évidence, tourner la page.
Mais qu'est-il, vraiment ? De plus ordinaire,
De plus délicieux, de plus doux, de plus salutaire,
Que de se souvenir sur la toile d'un paysage,
De cet avant que l'on soit, et qui fait notre image.
S'il est des nuages qui pleurent là où je passe
Que le tonnerre gronde, que l'éclair me terrasse
C'est que le printemps n'en finit plus de venir
Gardant des traces d'un hiver à mourir
Je vais à présent, sur le quai de Gesvres
Longeant le parapet, le sourire aux lèvres
Là-bas, ce sont des images d'Epinal
Côtoyant les vieux livres, les fleurs du mal.
Les bouquinistes ont fermé leurs devantures
Mis au secret les trésors, la littérature.
Un jour, peut-être, j'irai farfouiller
Les cartes postales pour les en dépouiller
Mais, à l'heure où le froid me transperce
Je ne peux que subir l'orage et l'averse.
Fermés, aussi, les boutiques de plantes
De fleurs envasées et d'animaux en attente.
Je n'aime guère que l'on mette en cage
Les chiens, les chats, juste à étalage.
Que vient donc faire la poule en ces lieux,
Ce coq déplumé que je sais malheureux.
Ne sommes-nous pas en pleine ville ?
Où rien ne pousse sur les trottoirs stériles.
Je traverse les eaux par le pont d'Arcole
Je vais au parvis, j'ai le cœur qui s'affole
Je cherche des yeux, mais l'espoir est vain
Nulle âme ici, pas le moindre romain
La folie me prend sous le nez des grenouilles
-Voyons, voyons, ce sont des gargouilles-
Quelqu'un me parle. Est-ce Quasimodo,
Esméralda ou le père, Victor Hugo ?
Il est des instants passagers en somme
Qui donnent aux oranges un goût de pomme
Le désir, peut-être, de sentir autre chose
Que le sempiternel parfum des roses.
Au frontispice de la belle et grande église
A Notre-Dame plus droite que la tour de Pise
Dans leurs alcôves, les statues de rois
Les unes près des autres sont à l'étroit.
D'ici, j'entends à peine le murmure
Du vent sous les tuiles, sur les toitures.
Le silence recouvre les pavés, la place.
Seule sur le quai une ombre passe
La nuit s'estompe, la pluie se meurt
Les rigoles s'engorgent d'un dernier pleur
Le jour revient dans l'aube qui surgit
Le soleil renait et sort de son logis
La cathédrale s'illumine peu à peu
Paris s'éveille à la lumière des cieux.
Rien ne bouge en cette heure matinale
La pénombre s'estompe, le ciel est pâle
Je tourne la page pour un autre chapitre
Pour une autre histoire, un autre titre
Ce moment est propice au vagabondage
Où la pensée construit des rivages
Qu'une sombre nuit ne permet pas
Et qui montrent leur nez quand elle s'en va
L'espace, le monde semblent revivre
Dans cet instant où le cœur s'enivre
J'exulte repassant au-dessus de la Seine
Laissant la cité en arrière de la scène
Je fais tomber la capuche du haut de ma tête
Découvrant mes joues, mes rouflaquettes
J'entends une calèche, ses roues qui claquent
Sur le sol asséché plus une flaque
Voilà que maintenant me colle à la peau
Cette belle époque sous les chapeaux
Les tournures des femmes élégantes
Le frisson d'un vieux Paris qui m'enchante
Suis-je aujourd'hui ou deux siècles avant
Serait-ce Honoré, là-bas, juste devant ?
Un pigeon, puis deux, puis trois
Vont et viennent du haut d'un toit
La calèche me frôle, Balzac s'approche
Puis une casquette, un sac, Gavroche
Ils s'éloignent, je me retourne, plus rien
Sinon, l'aboiement ténu d'un chien.
Rue du Temple, le café du chansonnier
Sort ses tables, ses chaises en acier
J'aimerais bien m'y asseoir, juste un peu
Alors que le ciel gris redevient bleu
Mais je marche rêveur, le pas au hasard
Un paris beurre, un ballon, plus tard
Si du moins la brasserie est toujours là
S'il reste aujourd'hui de ce temps là
Il résonne, ici, des choses étranges
A République le piédestal porte un ange
Une illusion de plus, une fausseté
Aurait-elle disparu la grande liberté
La sensation bizarre d'être ailleurs
Fait de l'asphalte un champ de fleurs.
Vient de dessous le porche que je passe
Un parfum désuet de patchouli tenace
Je cherche la femme dans cette rue déserte
La porteuse de fragrance, en pure perte
Je ne sais plus mortel que je suis
Si je marche par envie ou par ennui
Je lambine sur le Boulevard Saint Martin
Heureux et triste, un lampadaire s'éteint
La nuit discrètement s'est couchée
Sous le fouet claquant d'un coché
Et voilà que je m'invente une vieille rombière
Terrasse Lègeron-Vetzel buveuse de bière
Puis un autre sur son vélocipède zigzagant
Puis un autre encore, son chapeau et ses gants
Une odeur de croisant et de pain s'immisce
Venant d'un coin de rue, elle se glisse
Envahit l'espace, me monte au nez
Il est, semble-t-il, les cinq heures sonnées
Je roule ma bosse Boulevard Poissonnière
Les immeubles sourient en pleine lumière
A l'hôtel Bréant une hippomobile s'arrête
En sortent un bel homme, une femme fluette
Lui, porte le haut de forme, elle, une ombrelle
Ceux-là, je les ai déjà vu métro bonne nouvelle
Mais était-ce bien eux qui parlaient tout bas
Je ne sais plus ou du moins je ne sais pas
Tant mes pensées se mélangent, s'embrouillent
Mon cerveau résolument va et vadrouille
Je marque un temps place de l'Opéra
Profitant de la chaleur qui tombe déjà
Enfin, le printemps de sa suavité agile
Recouvre de plénitude mon âme fragile
Il est si peu de choses qui offrent du bonheur
Faisant vibrer vos sens et battre votre cœur
Qu'il serait dommage de ne pas prendre
Ici et là quelques miettes que d'attendre
Mon corps se relâche au plaisir délicieux
De lever le regard vers la bleuté des cieux
Il n'est plus d'asphalte, ni de pavés disjoints
Que la blondeur du blé, de la paille, du foin
J'ai la raison perdue et les pieds dans l'herbe
Il n'y a plus de rue sous le soleil superbe
Strauss, ses violons, vont et viennent
En plein Paris des valses de Vienne.
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