Chapitre 9.4
Hanji accepta de me déposer au centre commercial avant de partir travailler. Elle bâillait toutes les cinq secondes. Erwin lui accaparait toute son énergie. Quand elle revenait à la maison, elle se reposait, loin de cet homme qui lui demandait visiblement trop d'attention. Pour être honnête, je le remerciais, car maintenant, je fréquentais plus le côté fou de Hanji.
— Je rentrerais sûrement tard, ne m'attends pas pour manger, m'informa-t-elle
J'opinai du chef. Je n'avais pas besoin de détail pour comprendre où elle serait. Je claquai la portière, balançai mon sac de sport dans mon dos et entrai dans cet immense gratte-ciel. Je me dirigeai vers l'escalateur central et me laissai emporter jusqu'au cinquième étage. Je grimpai ensuite les quelque marches pour arriver à la salle de sport.
Je saluai d'un hochement de tête la jeune femme à l'accueil au nombril à l'air et lui présentai mon badge sous une fausse identité. Je m'enfermai dans les vestiaires, extirpai mes baskets du sac, ainsi qu'une serviette et une bouteille d'eau. Puis, je m'attachai les cheveux et m'aventurai dans la salle de combat où seuls quelques rares membres avaient l'autorisation d'entrer.
Dès que j'eus franchi la porte, les regards se levèrent dans ma direction. Un combat intense sur ma droite cessa. Celui du coach. Baraqué, gonflé à bloc, les yeux noirs, les traits sombres et le crâne rasé, il était le premier à m'avoir accepté dans le groupe. Et il était aussi le premier à connaître mon identité. Il m'avait observé boxer contre un punching-ball. C'était juste après avoir pris un savon par mon boss. Mon visage ne ressemblait plus à rien. Ayant eu marre qu'il me relooke, je lui avais demandé de remplacer le pauvre perchoir qui recevait des coups depuis une demi-heure.
Il garde sa défaite en travers de la gorge bien qu'il m'ait laminée deux fois de suite.
Je hochai la tête, il me répondit. J'enjambai le grand tatami principal au centre de cette luxueuse salle, posai ma bouteille près d'une machine, ma serviette sur un banc, et montai sur le tapis de course.
Écouteur aux oreilles, j'activai la musique sur mon portable et débutai ma marche tranquillement. Rien qu'au niveau un, mon cœur s'emballait pour un rien. J'adoptai une respiration régulière, mais avec un rythme cardiaque aussi agité, la tâche me semblait compliquée. Je n'avais plus fait de sport depuis deux mois. Depuis que mon état s'était aggravé. Quand je rentrais à la maison après une séance de sport, je m'écroulais dans mon lit et ne me réveillais parfois que dix heures plus tard. Je n'osais pas dire à Hanji qu'en fait, j'avais perdu connaissance. J'avais arrêté de fournir des efforts le jour où elle avait appelé le secours. M'en débarrasser n'avait pas été de tout repos.
Je marchai sur le tapis, la musique dans les tympans. Je m'oubliai dans la mélodie du violon, de beaux yeux bleu glaçant incrustés dans mon esprit, impossible à les chasser. Je les revoyais s'embraser au-dessus de ma prestation. Je retraçais mentalement le parcours de ses mains sur mon corps. J'entendais sa voix vibrante se déformer par le désir que je lui prodiguais. Nouveau. Exaltant.
— Chérie ! Quelle belle surprise !
Je sursautai sur moi-même. Un écouteur tomba le long de mon épaule. J'appuyai sur le bouton stop, mon palpitant se remettant doucement de cette voix masculine exécrable.
— Qu'est-ce que tu fais là ? On se voit trop souvent en ce moment.
Franck s'accouda sur la machine, un mauvais sourire dévoré par sa barbe noire. Son tee-shirt trempait de sa sueur et se moulait à ses muscles gonflés à leur paroxysme. De longues veines arpentaient ses bras colossaux. Il pourrait me broyer le cou d'une simple poignée de main.
— C'est la seule salle de sport où je suis encore accepté, m'expliqua-t-il
— Ravi pour toi.
Je descendis du tapis, ma séance interrompue par une thermite. Je récupérai ma bouteille d'eau, avalai une bonne gorgée et m'essuyai la bouche d'un revers de main. Puis, je jetai ma serviette sur une épaule et lui tournai le dos, m'orientant vers d'autres machines.
— Tu m'en veux pour l'autre soir, c'est ça ? m'interrogea-t-il
Je roulai des yeux et un soupir bruyant fendit l'air. Je lui jetai une œillade noire et son sourire s'élargit de satisfaction. Oh que oui, je lui en voulais. Je m'étais écroulée devant Livaï et ma vulnérabilité lui avait permis de prendre l'ascendant sur moi.
— Arrête de l'emmerder, mec.
Je fermai les paupières, m'imaginant sur une île paradisiaque où le monde me foutrait la paix. Pourquoi était-ce si compliqué ? Je me retournai vers cette deuxième voix grave qui n'avait rien de comparable à celle qui résonnait maintenant dans ma tête à longueur de journée.
— Navré. Il a du mal à accepter les refus. Je suis Furlan Church. Enchanté.
Il arrivait du tatami, son visage préalablement essuyé dans sa serviette noire. Ses yeux bleus, virant aux gris, s'implantaient dans les miens. Vide de réactions. Et mon manque de répondant le déstabilisa. Je prêtais plus attention à Franck, un brin irrité par son apparition. Néanmoins, je lui serrai la main et lui donnai mon prénom.
— Tu devrais apprendre à lâcher l'affaire quand il le faut, Shawn.
Le dénommé tiqua. Je l'imitai, mais pas pour la même raison. Furlan coiffa maladroitement sa mèche blonde foncée sur son front. Il me détaillait de haut en bas avec un air plutôt appréciateur. Ça changeait du regard que Livaï m'avait porté dans le magasin de robe.
— Vous venez souvent ici ? me questionna-t-il
Il rangea ses mains dans les poches de son jogging gris, tandis que Franck se renfermait dans un mutisme intriguant. Je le surveillai du coin de l'œil et répondis à son ami.
— J'ai fait une petite pause pendant un moment.
— La reprise n'est pas trop difficile ? s'interrogea-t-il
— Je reprends doucement.
Ma concentration se bloquait sur l'autre sur sa gauche. Et soudain, comme s'il eut une illumination, ses lèvres s'étirèrent jusqu'à ses oreilles. Ses yeux s'arrondirent, nourris par une révélation qui ne me présageait rien de bon. Il tapa des mains et passa un bras autour des épaules de Furlan, un sourcil levé.
— Vous savez quoi vous deux ? Vous allez continuer cette magnifique conversation gênante autour d'un délicieux repas.
Je pâlis. Je lui ordonnai du regard de cesser immédiatement ses conneries, mais il m'ignora et ajouta :
— (T/P) sera libre à dix-neuf heures. Furlan, tu passeras la prendre. Elle est célibataire. Il est célibataire. Ne me remerciez pas. C'est cadeau.
À quoi jouait-il, bordel ? Il donna une tape à cet homme moins choqué que moi par le culot de cet abruti, puis ce dernier partit dans les vestiaires, sa mission accomplie. Il me laissa affronter le blanc le plus malaisant auquel je n'avais jamais assisté de ma vie. Furlan le combla d'un rire gêné et se massa la nuque en bafouillant.
— Désolé, je... je ne sais pas ce qui lui a pris...
J'esquissai un sourire pour le rassurer et aussi pour cacher mon mal-être. Rien ne me traversait la tête, hormis de décamper d'ici au plus vite. Ainsi, je le saluai d'un geste de main, fis trois pas en arrière et me retournai. Seulement, il lâcha la question que j'espérais ne pas entendre.
— Vous voulez ? Je ne veux pas vous forcer...
Je mordis mes lèvres et pivotai sur mes pieds dans sa direction. Voyant mon air décontenancé, il précisa aussitôt qu'il m'attendrait au restaurant Raito au lieu de venir me chercher. Ça me rassurait, mais ça n'allait pas me faire accepter. Je ne pouvais pas et je n'en avais pas le droit. Me retrouver avec un homme, en tête à tête, m'était interdit. Je mettrais sa vie en danger et la mienne si mon boss l'apprenait. Et puis, si Livaï le découvrait, qu'en penserait-il ? Il ne me prendrait plus au sérieux. Tout le baratin que je lui avais sorti n'aurait plus aucune crédibilité. Déjà qu'il ne me croyait pas... Ceci dit, sa réaction hier face à la vidéo pourrait me faire penser le contraire. Il avait osé entrer dans ma chambre par effraction, empiété sur mon territoire. Pourquoi ? Pour une simple vidéo. Disproportionnée, mais tellement révélatrice. En agissant ainsi, il me montrait que je l'avais atteint. Il me surveillait et il n'hésiterait pas à me marquer encore comme sa propriété si je recommençais à me jeter dans les bras du premier venu.
Ce dîner n'était peut-être pas une si mauvaise idée finalement. Livaï ne devait pas me prendre pour acquis. Sinon, il prendrait le dessus et ce ne serait plus moi qui le tiendrais en laisse.
— C'est d'accord.
Je me servais de cet homme, mais c'était pour une bonne cause. De plus, s'il pouvait me faire passer un moment agréable et me faire oublier les lèvres de ce PDG contre ma peau, ça m'arrangerait.
Je le quittai avec un doux sourire. Je rangeai mes vêtements dans le sac et dehors, je hélai un taxi. À la maison, j'abandonnai mes affaires dans l'entrée et m'enfermai dans la chambre. Je m'écroulai sur le lit et expirai tout l'air négatif de mes poumons. Dix-sept heures avant, je vivais mon premier orgasme, offert par autre chose que mes doigts. D'ailleurs, ceux-là glissaient trop dangereusement vers mon bas-ventre sans mon autorisation. Mais j'avais l'impression que sa main forte s'y trouvait encore, que son eau de Cologne m'ensorcelait, que son toucher suivait mes courbes dans une caresse des plus frissonnante.
— Putain...
Je partis sous la douche. À la sortie, je répétai mon rituel ; badigeonnage de fond de teint sur le cou et ma clavicule. J'essayai de cacher mes cicatrices les plus marquées et m'habillai d'une robe ras du cou et manches trois quarts. Je me maquillai comme Hanji me l'avait appris, me coiffai et réalisai soudain devant le miroir que pour la première fois de ma vie j'allais partager un repas avec une personne sans avoir de mauvaises intentions à son égard. Une petite panique me gagna alors. Comment devais-je me comporter ? Que devais-je lui dire ? Cet homme s'apprêtait à passer la soirée la plus ennuyante de sa vie...
Non. On allait passer un bon moment, sans prise de tête, sans recherche de point faible. Un dîner en toute innocence de cause.
Le taxi stationna à l'entrée du restaurant. Furlan me remarqua et réduisit notre distance de quelques enjambées dans un beau costume bleu. Le stress parut aussitôt dans mes membres et me gratifia d'agréables crampes d'estomac.
— Vous êtes ravissante, me complimenta-t-il
Sa tenue lui conférait un air décontracté avec le premier bouton de sa chemise déboutonné. Il n'avait pas mis de cravate, sans doute pour casser la sévérité de ce costard. Je lui en remerciais. Il donnait à ce rendez-vous une note moins officielle. Il me faisait me sentir plus à l'aise.
— Je vous retourne le compliment.
Un large sourire illumina son visage rasé. Il me tendit une main en direction de la porte d'entrée et j'activai le pas. Un maitre d'hôte nous ouvrit et je me renfermai sur moi-même en découvrant l'élégance de cet intérieur. Je longeai la décoration pourtant chaleureuse avec une tapisserie à l'image du pays. Un beau lustre éclairait la salle. Le restaurant portait bien son nom.
Furlan nous dirigea à notre table. J'accrochai la bandoulière de mon sac à la chaise et m'y installai. Le serveur nous tendit de suite le menu et mon partenaire commanda une bouteille de vin.
Nos verres remplis d'une sombre couleur rouge, Furlan trinqua.
— À notre rencontre.
J'entrechoquai nos verres où un son cristallin vibra autour de nous. La conversation démarra timidement. Je me forçai à répondre par de longues phrases ouvertes pour qu'il puisse enchaîner par d'autres. Je voulais éviter les blancs. Et ça marchait. La soirée se passait sans encombre. Il me racontait son travail, ses nombreux voyages d'affaires. Son ras-le-bol de ces derniers. Je lui demandai la raison et il m'expliquait qu'il approchait les trente-cinq ans et qu'il aimerait fonder une famille. Je hochai la tête et mes pensées se tournèrent vers Livaï. Lui aussi, il arrivait à cet âge et il n'avait pas l'air de trop s'inquiéter sur ce détail.
Putain, hors de question de penser à lui. J'interrogeai à nouveau Furlan.
— Pourquoi maintenant ? Pourquoi tu n'as pas pu plus tôt ?
Nous commandâmes nos plats et il me répondit.
— Soit je n'étais jamais à la maison, soit je rentrais à des heures tardives. Comment fonder une famille ? Je n'aurais jamais vu ma femme et n'aurais pas vu mes enfants grandir. C'est inadmissible. Je les aurais perdus. Mais maintenant, je suis prêt.
Je piquai ma fourchette dans une crevette, l'enroulai d'une sauce épaisse rosée autour de mon assiette et la portai à mes lèvres. Un plateau de fruits de mer arriva dix minutes après.
— Je peux te poser une question indiscrète ?
— Bien sûr.
Je m'essuyai la bouche avec ma serviette et l'aplatis sur mes genoux.
— Tu as dit que ta carrière ne te permettait pas de t'engager, mais j'ai l'impression qu'autre chose t'en empêche. Ai-je raison ?
Il arrêta sa mâche. Je venais de viser juste. À l'entendre, je comprenais que son travail n'était pas la seule cause qui le freinait. S'il avait vraiment souhaité une famille, il aurait fait son maximum pour limiter ses déplacements. Il se serait montré disponible. Je commençais à le cerner. Il était le genre d'homme à tout lâcher pour sa famille, alors son job n'était pas la raison principale à son problème.
— Je... Tu as vu juste, rigola-t-il gêné, mais aujourd'hui, j'ai envie de me battre et ne plus laisser ce risque me piétiner et voler ma vie.
— Quel est ce risque ?
J'avalai une gorgée de ce vin pour que je cesse d'enfoncer le couteau dans sa plaie. Je ne pouvais pas m'empêcher de poser des questions intimes. Mais, il fallait voir le bon côté des choses : il ne m'avait toujours pas interrogé sur ma vie.
Il cherchait sa réponse, ou du moins à la formuler. Je voulais lui rassurer, lui dire qu'il n'était pas obligé d'en dire plus. Seulement, je désirais l'entendre. Il souffla du nez, relâcha la tension dans ses épaules. Puis bascula son dos sur son dossier en m'avouant après mûre réflexion:
— Le risque est mon frère.
J'acquiesçai, heureuse de sa confiance, mais encore plus confuse.
— Pourquoi votre frère vous emboîterait le pas ?
Il marqua un temps avant de parler.
— Depuis la mort de notre sœur, nous ne sommes plus en très bon terme. Il s'amuse à me retirer ce que j'ai de plus précieux. Une fois qu'il a obtenu ce qu'il veut, il les jette comme un déchet et passe à une autre. Étrangement, ça fait un peu plus d'une semaine qu'il n'a rien fait pour me barrer la route.
Je savourai ma dernière crevette, un rictus au coin de mes lèvres.
— Ça m'a tout l'air d'un vrai gamin.
— Oui. Mais un gamin qui a l'habitude de tout posséder. Un gamin qui sait exactement ce qu'il fait et qui obtient tout à n'importe quel prix. Il est sans cœur, dépourvu de tout sentiment. À la mort de notre sœur, il était resté de marbre. C'en était terrifiant. Il vous attire comme une araignée dans sa toile. Il attend que vous veniez à lui, et à ce moment-là, vous êtes finis. Il vous laisse croire que vous êtes la seule à ses yeux, que vous pouvez réussir à percer sa carapace d'homme mystérieux. Mais il n'en est rien.
Je lâchai un wouah. Il haussa les épaules en guise de réaction, l'air de me dire que cette attitude lui passait au-dessus de la tête. Néanmoins, je sentais que ce comportement l'affectait.
— Il s'en voudra un jour, le rassurai-je
— Tu penses ? Ce type possède tout. Le charisme, la supériorité, la popularité, la richesse. À quoi bon, tiqua-t-il
— Mais il est seul.
Blanc. Celui que je redoutais. L'étincelle dans ses iris s'estompa. Je m'excusai sans attendre, honteuse d'avoir pris la défense d'un homme aussi exécrable envers sa famille.
— Tu es intrigante, lâcha-t-il, magnifique et intrigante.
Le rouge colora mes joues. Je ne commentai pas, à court de mots. Nous continuâmes alors à manger dans une ambiance conviviale à parler de Franck/Shawn, de ses performances en développé/couché. Nous ne partions plus dans des conversations trop personnelles. Nous discutions de choses légères, agréables. Comme cette soirée. Jusqu'à ce qu'il me demande :
— Combien de questions vas-tu me poser pour que je n'en pose aucune sur toi ?
— Autant qu'il le faudra, plaisantai-je
Il rigola et se pencha sur la table. Il me déshabilla du regard de ses yeux profonds, pensif. Moi, je perdis ma bonne humeur et me mis sur mes gardes.
— Tu crois qu'à la salle de sport, je n'ai pas remarqué tes marques, tes cicatrices ?
Son pouce caressa mes phalanges. Je tombai mon attention dessus, le cœur serré.
— Si tu étais à moi, personne ne serait autorisé à poser ses mains sur toi, déclara-t-il d'une voix sombre.
Je retirai mon bras et lui balançai :
— Mais je ne le suis pas et je te conseille de ne pas t'immiscer dans ma vie.
La tension monta autour de la table. Il me scruta d'une lueur possessive qui m'horripilait. Pourquoi les hommes étaient-ils tous les mêmes ? À toujours vouloir posséder ?
— Depuis le début de la soirée, j'ai beau te trouver des défauts, rien ne me déplaît chez toi. Tu es une femme élégante, simple, réservée, particulièrement intrigante. Un critère qui a le don de me rendre fou.
Je déchiquetai l'intérieur de ma bouche. Je n'avais jamais eu de rendez-vous avec un homme en tout bien tout honneur. J'ignorai à quoi m'attendre, mais je ne prévoyais pas de devoir en arriver là...
— Tu veux que je te dise ? lançai-je, tu es une personne bien avec de bonnes intentions. Mais tu n'arriveras jamais à te construire. Ton frère possède tout ce que tu désires avoir. Tu auras beau te démener, tu n'arriveras pas à atteindre son niveau. Il aura toujours une longueur d'avance sur toi. Que ce soit dans le cadre professionnel ou personnel, il te dépassera toujours. Et tu ne peux le supporter. Voilà pourquoi tu refuses de t'engager. Ce n'est pas de la faute de ton travail. Ça, c'est juste une excuse. Bien que tu lui en veuilles, tu l'aimes. Tu ne te l'avoues pas, mais tu es fier de lui. Fier de ce qu'il est devenu. Car d'après ta petite cicatrice peu visible à la jugulaire, ton enfance n'a pas dû être de tout repos. Tu as échappé à la mort, sans doute t'a-t-il sauvé. Tu dis que ton frère est sans cœur, mais je ne pense pas. Tu en as juste marre que tout lui réussit, et qu'il ne te prête pas l'attention que tu mérites d'avoir. Toi, le grand frère. Et regarde ! Tu t'en tires bien ! Tu passes d'une maison banale à une villa de rêve, des vêtements troués en costume sur-mesure, d'une nourriture à prix réduit, peut-être volé, à un plateau de fruits de mer, un verre de vin excessivement cher servi dans un restaurant où je ne pourrais même pas me payer une tranche de pain. Tu as ce que le quart de ce globe désire avoir et pourtant tu n'as pas l'air heureux. Tu affiches un sourire joyeux, mais derrière ça, se cache un être en manque d'affection, d'attention. Tu cherches la compagnie d'une femme, de cette douceur que seule elle pourrait t'apporter. Mais tu as peur de la perdre... Perdre l'être que tu aimes le plus au monde. Tu voudrais la protéger... la protéger de ce monde infect... de ton frère, quitte à faire n'importe quoi pour la garder... Voilà pourquoi, tu n'arriveras jamais à fonder une famille...
Ferme ta gueule ! Assez ! Tu vas trop loin ! C'était ce qui résonnait dans ma tête tout du long de ma tirade et pourtant, je ne l'écoutais pas. C'était censé être une belle soirée et mon travail a repris le dessus. Il s'était liquéfié à mesure que je touchais son point faible, se renfrognant contre sa chaise, se faisant de plus en plus petit. J'avais tout gâché.
— Je... je suis désolée. Je suis allée trop loin...
— Non...tu... tu as visé juste...
Il se massa la nuque, la commissure de ses lèvres relevée pour se donner bonne conscience. Puis, il posa sa serviette blanche sur la table et déclara :
— Je vais régler la note.
J'opinai du chef et lorsqu'il partit, je soupirai en jurant. Je coinçai la bandoulière de mon sac sur mon épaule et sortis de table. Je le rejoignis et à l'extérieur, je fus surprise qu'il me propose de me ramener chez moi. Par politesse, j'acceptai. Je pouvais bien survivre à vingt minutes de gêne en plus.
— Je te remercie pour ce repas. J'ai passé un agréable moment, lui révélai-je tout de même.
Au volant de sa voiture de luxe, je le sentis me guetter du coin de l'œil pendant que je gardais mon attention sur la route et les luminosités printanières.
— À t'entendre, on dirait que tu l'appréhendais.
— Non, du tout, mentis-je
Il se gara dans la ruelle en face de la maison. Il tomba une main sur sa jambe et hésita un instant avant de parler.
— Je pars demain pour un séminaire en France. À mon retour, j'aimerais te revoir.
Il lut l'étonnement déformer mes traits. Moi qui pensais avoir tout foiré...
— Je... je ne suis pas sûre que...
Ses doigts glissèrent dans ma nuque. Sa force me rapprocha de son visage et ma respiration se coupa à ses lèvres contre les miennes. J'empoignai son avant-bras, choquée par cet élan, désorientée, tandis que sa main me tira davantage vers lui et approfondit ce baiser. Je plaquai alors ma paume sur son torse et le repoussai. Néanmoins avec délicatesse. Il recula à cette pression sur son pectoral, mais garda un pied dans ma zone de confort.
— Ne refais plus jamais ça. Tu ne dois pas t'immiscer dans ma vie, lui rappelai-je
— Je vais avoir du mal. Tu me plais vraiment, (T/P).
Je retroussai mes lèvres. Je toisai ses iris, gorgés d'un désir inexplicable, puis me redressai, une main sur la poignée.
— Au revoir Furlan.
Dans mon lit, sur les couvertures, mon portable devant les yeux, je lus en diagonale les nombreux messages de Hanji. J'ignorai sur mon téléphone professionnel le message de Franck, curieux du déroulement de la soirée, suivi d'une magnifique photo d'un homme ensanglanté pour me narguer. Il venait de terminer son contrat. Je l'effaçai sur le champ et m'attardai sur les réseaux sociaux en utilisant le profil de ma colocataire. Je consultai la page officielle de Livaï. Beaucoup trop longtemps. Je louchai sur sa photo, mes doigts effleurant d'eux-mêmes mes lèvres.
Mon cerveau comparait ce baiser à celui d'Ackerman. Je m'énervais. Comment pouvais-je comparer ? Il n'y avait rien de comparable. Putain, c'était terrifiant. Pourquoi ressentais-je tout ça ? Je devrais avoir oublié, être passée à autre chose. Pourquoi je m'inquiétais alors ?
Le portable vibra soudain. Mes yeux dérivèrent sur le nom du contact en haut de l'écran et mon rythme cardiaque s'affola. Mon palais s'assécha brutalement et mon estomac se contracta d'excitation. Je pestais face à mes réactions. Ce n'était qu'un message bordel... Un message que je m'empressais de lire.
« Mon chauffeur passera te prendre mercredi à 17 heures. Prépare tes affaires pour trois jours. »
Mes dents coincèrent mes lèvres pour qu'elles ne forment pas un sourire débile. Je pivotai sur le flanc, tombant le bras sur mon matelas et je traçai un chemin sur le clavier du bout de mon pouce pour lui envoyer :
« S'il te plaît. »
Je devinai son irritation lorsqu'il le lut. J'attendis impatiemment et après une minute, la minute qui lui fallait pour prendre sur lui, il me répondit.
« S'il te plaît. »
Un rire éclata dans ma chambre. Je rigolai, heureuse d'avoir gagné. J'enfonçai ma tête dans mon oreiller et l'encerclai en abandonnant mon portable. Je ne réussis pas à calmer cette hystérie dans ma poitrine. Je ne parvenais pas à estomper cette sensation chaque fois qu'il mettait un pied à terre. Jouissif. Et je ne pouvais pas effacer sa voix de ma mémoire, ses mains douces et habiles sur un corps si abîmé, si violenté.
— Qu'est-ce que vous me faites faire ?
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