Chapitre 9.2
Une besace à la main, je m'aventurai dans le repère d'Ackerman. Les employés terminaient leur journée et quittaient l'entreprise. Il n'empêchait pas que le hall gardât encore une bonne fréquentation. Je n'avais côtoyé que deux personnes en ce lieu. Deux femmes dont je devais par tous les moyens éviter si je ne voulais pas utiliser la manière forte. Je saluai avec politesse le vigile posté à l'entrée de la porte centrale et m'éloignai du bureau d'accueil où la secrétaire de ma première visite ici parlait avec un homme. Je m'orientai vers l'accès aux employés et repérai les portiques de sécurité, ainsi que les badges aux mains des travailleurs.
Pendant ce temps, Hanji observait mon avancée dans la voiture, garée à une rue parallèle. Elle suivait mon parcours grâce à son ordinateur portable et mes lentilles connectées. Un gadget que je détestais porter. Il m'irritait les yeux.
Je me dirigeai vers un comptoir en recoiffant la frange de ma perruque et accentuai mon sourire à mesure que je me rapprochais d'un homme en costard noir derrière cette construction en marbre. À sa hauteur, il m'accosta en premier avec un rictus au coin des lèvres.
— Madame, que puis-je faire pour vous ?
— Bonjour, j'espère que vous pourrez m'aider. J'ai reçu un appel en urgence de Monsieur Ackerman. Je dois impérativement donner ce dossier à sa secrétaire. Et dans la précipitation, j'ai oublié mon badge.
Le sien m'apprenait qu'il s'appelait Yuri Shimizu et qu'il était responsable de sécurité. Je ne pouvais pas être mieux tombée.
— Êtes-vous nouvelle ? me demanda-t-il amusé.
— Ma situation vous fait rire ? répliquai-je avec humour.
Son sourire me dévoila une belle dentition. Il devait accumuler les rendez-vous chez le dentiste pour un blanchiment, car la blancheur de ses dents me paraissait artificielle. Surtout en comparaison à son bronzage.
— Le badge n'est qu'une simple formalité. Il vous suffit de donner votre nom et prénom et nous verrons que vous êtes employés ici.
— Le voilà le problème. Je ne suis pas employée ici. Monsieur Ackerman m'avait confié ce badge au cas où il aurait besoin de mes services. Et telle l'idiote que je suis, je l'ai oublié.
Je passai une main lourde sur mon visage et réalisai que j'avais sur mon faciès, une tonne de maquillage. Je poussai un long soupir d'exaspération et ancrai mes prunelles dans ses yeux marron bridés.
— Heureusement qu'il est en Chine. Il m'aurait incendié, rigolai-je
Des petites rides se dessinèrent dans les coins de son regard et m'indiquèrent que je visais juste.
— À qui vous a-t-il demandé de donner le dossier, précisément ? Je vais l'avertir de votre arrivée.
— Oh. Il ne m'a pas donné de nom. Il m'a juste dit le mot « secrétaire », ainsi que je devais confier ce dossier à personne. Il a beaucoup insisté dessus.
Je sortis ledit dossier du sac et l'agitai sous son nez. Il hocha la tête, les yeux fixés sur cette chemise marron qui ne contenait que des feuilles blanches et contourna le comptoir.
— Je vois. Dans ce cas, suivez-moi, je vais vous faire passer la sécurité. Vous pourrez le déposer au vingt-quatrième étage, bureau du secrétariat. Mademoiselle Watanabe vous recevra.
— Super, je vous remercie.
Je marchai derrière lui avec ces talons vertigineux. Je devais me concentrer à chaque pas effectué pour ne pas tomber. Ma colocataire m'avait habillée comme toutes ces femmes. Une chemise blanche, entrée dans une jupe crayon. Cet accoutrement me mettait mal à l'aise. La seule chose que je rêvais de faire était d'écarter les jambes pour déchirer la fente et me sentir libéré.
Un point positif dans ce déguisement ; mon visage. J'avais pu admirer l'exploit qu'avait réalisé Hanji avec le maquillage. Il ne montrait plus mes imperfections, non pas que ça me dérangeait, mais pendant un court instant, j'avais aimé me voir dans la glace.
— Déposez votre sac, ainsi que votre téléphone dans la boîte, et passez le portique, me demanda-t-il
Je lui obéis et guettai les différents ordinateurs où un autre homme plus âgé ne loupait pas un détail de ce qui passait sous les rayons. Je déposai mon portable et mon sac dans une boîte et les laissai partir sur le tapis pendant que je franchissais le détecteur de métaux après le responsable.
Je récupérai mes biens et il me montra la direction à suivre d'un geste de main. Je hochai la tête avec une mine heureuse, mais celle-ci se transforma en inquiétude lorsqu'il coinça sa paume dans le bas de mon dos. Toute ma retenue ne me suffit pas pour ignorer ce geste, ainsi, je capturai son poignet d'un toucher qui me semblait délicat, et l'éloignai de ma personne.
— Navrée, j'ai toujours eu du mal avec la proximité, inventai-je en rigolant nerveusement. C'est pour cela que ma patronne fait peu appel à mes services dans cette entreprise. Je trouve qu'il y a trop de monde. Ça m'oppresse.
Son torse tressauta par son rire grave et il me tourna le dos pour poursuivre sa trajectoire vers l'ascenseur. Devant ce dernier, il appuya sur le bouton et la peur qu'il me suive jusqu'en haut me gagna. Je devais m'en débarrasser dès maintenant.
À l'ouverture des portes, je lui emboîtai le pas pour qu'il s'arrête et lui balançai :
— Je serais rapide. Ma femme m'attend à la maison. Si je ne rentre pas avant vingt heures, je m'expose à une engueulade des plus salée. Et j'ai mieux à faire avec elle que de me disputer.
Il me suffit d'un bon sous-entendu, accompagné d'un clin d'œil pour lui fermer son clapet. Je m'engouffrai dans la cage en essayant de ne pas faire attention au fou rire de Hanji. Je contemplai le jeune homme et frôlai mon pouce sur le numéro vingt-quatre. Les portes se verrouillèrent.
— À tout de suite.
Bien que la cage m'apporte un peu d'intimité, je n'oubliai pas la présence de caméra. Je restai droite, plantai sur mes talons, même si l'envie de remettre ma culotte me démangeait. Et le plus dur fût de supporter en silence les arrêts incessants à chaque étage. Je me persuadais que Livaï devait avoir un ascenseur privé. Il péterait un câble avant d'arriver tout en haut.
Au vingt-quatrième niveau, je fis mine de suivre tous ces gens et juste avant de poser un pied dans le couloir, évitant les caméras, je reculai dans le fond de cette cage, direction le dernier étage. La vie semblait s'être arrêtée à l'ouverture des portes sur ce couloir déprimant. Cet endroit respirait la peur, la domination. Je plaignais les employés convoqués par ce type. Ces longs mètres à parcourir étaient un excellent moyen pour leur faire anéantir, pas après pas, tout leur courage.
Je plissai mon front en découvrant que sa porte était déverrouillée. Avec lenteur, je l'entrouvris au cas où un intrus y serait et passai ma tête pour guetter les alentours. Vide. Comme ce décor impersonnel. Je n'allumai pas et me précipitai vers son bureau. Je n'avais que cinq minutes avant d'être repérée, ou peut-être moins. Je m'affalai sur sa chaise confortable, puis, je déviai mon attention sur cette vue dont je ne me lasserais jamais.
— C'est magnifique, s'exclama Hanji
— Oui. Probablement la plus belle, répondis-je
Je fermai les yeux, soufflai un bon coup et commençai mes recherches. J'ouvris un placard et sortis un gros bloc de feuilles, étiqueté par une vignette bleue. Je le feuilletai en n'y comprenant pas un mot. Ce n'était que des chiffres, des données sans intérêt pour moi.
— Pourquoi tu n'as pas sonné avec l'oreillette ? m'interrogea Hanji
— C'est du plastique, répondis-je
— Oh, ingénieux.
Je continuai et attrapai une feuille dans un porte-document. Je le lis en diagonale.
— C'est quelle langue ?
— Du français. C'est une clause de confidentialité concernant Monsieur LeDuc.
Ça faisait bien longtemps que je n'avais pas pratiqué le français. Ç'avait beau être ma langue natale, je perdais vite. Je longeai ce bout de papier et la retournai.
— La signature doit être faite ce jeudi-ci, compris-je
— 52 ans, PDG de l'entreprise « Bleu France », il est à la tête de milliards d'euros. Elle date de 1981, m'informa-t-elle
Hanji me lut ce qu'elle trouvait sur Internet et se demanda si Livaï avait l'intention d'étendre son entreprise à l'international. Je me disais que c'était probable et que, par malchance pour moi, il allait se rendre en France cette semaine. Ça ne m'arrangeait pas.
Je rangeai la feuille et en récupérai une autre dans le coin de son bureau. En la retournant dans le bon sens, je me figeai dès le premier nom inscrit.
— (T/P), ce nom c'est...
— Personne, la coupai-je
Je lâchai le papier et affrontai ces sueurs froides longer ma colonne vertébrale.
— Tu étais au courant qu'il travaillait ici ?
— Comment je pourrais le savoir ? m'énervai-je
— Livaï aurait fait des recherches sur toi ?
Oui, il en avait fait des recherches, et il n'avait rien trouvé. Alors c'était impossible, même inimaginable qu'il eût réussi à faire un lien entre mon père et moi. Il m'avait dit qu'il ne lui suffisait pas plus d'une semaine pour savoir qui j'étais. Je ne l'avais pas cru. Et je refusais de le croire.
Nous vivions en France avec ma mère. À sa mort, mon père l'avait remplacée par une Japonaise que je ne portais pas dans mon cœur. Et c'était réciproque. Mon père s'était remarié avec elle quand j'avais sept ans. Pour moi, il trahissait ma mère. Il acceptait tous les caprices de cette femme et à cause d'elle, mon père avait tout abandonné. Il avait vendu notre maison une bouchée de pain, car cette salope voulait reprendre de zéro et démarrer une nouvelle vie où ma mère n'aurait jamais existé. De là, nous avons déménagé au Japon. Et j'y avais rencontré Eren. C'était le seul point positif de toute l'histoire parce que plus les jours passaient en compagnie de ma belle-mère, plus elle me montrait son vrai visage en l'absence de mon père. Elle disait que je le faisais souffrir, parce que je ressemblais à ma mère. C'était à cause de moi qu'il avait du mal à repartir de zéro. Ainsi, il ne lui restait plus qu'un détail à régler : me faire disparaître de leur vie.
— Toute ma vie a été effacée. C'est mon boss qui s'est chargé de tout ça.
— Il a peut-être omis un détail ?
Il ne négligeait jamais ces choses-là. Certes, Livaï était l'homme le plus puissant du Japon, mais à moins qu'on l'ait aidé, il n'aurait jamais pu faire un rapprochement avec mon paternel. Je regardai sa biographie en détail et analysai sa photo. Il avait un visage amaigri au teint pâle, des yeux marron creusés, cernés et ridés et un crâne dégarni. Il avait pris un sacré coup de vieux.
— Il travaille depuis treize ans dans la boîte, lut mon amie
Ce n'était pas ce qui m'intéressait le plus, mais le fait qu'il avait un gosse de sept ans. Je sentais la colère manquer de tout renverser sur ce carrelage. Ce connard avait engrossé cette salope. Il me dégoûtait encore plus. J'en avais assez appris. Je rangeai toutes les preuves de mon passage et décampai de cet endroit. J'entrai dans l'ascenseur et celui-ci s'arrêta aussitôt à l'étage d'en dessous. Je jurai entre mes dents et en voyant le nombre de personnes prêt à s'introduire, je baissai le regard pour fuir leur expression surprise et interrogatrice et sortis avant de subir leur question.
Je me baladai dans un grand couloir blanc laqué. C'était le jour et la nuit comparé à celui-ci du haut. L'endroit était désert. Ce groupe devait être les derniers à partir. Je longeai le couloir en lisant les pancartes sur les portes. Tous commençaient par « Directeur ». Je guettai une salle de réunion au mur intérieur transparent. Quelques feuilles vierges traînaient sur les tables. Puis, je poursuivis mon inspection. Je marchai quelques mètres avant de capter des bruits particuliers. Je ralentis et avançai sur la pointe des pieds jusqu'à une porte mal-fermée. Je lus directeur informatique sur la plaque en or et des sons aigus naquirent dans cette pièce avec de lourdes respirations.
— Oh mon dieu...
Je reculai d'un pas en entendant le claquement d'un meuble contre un mur. Hanji explosa de rire en comprenant ce qui se passait et je m'apprêtai à rebrousser chemin jusqu'à ce que la voix de la femme gémisse un prénom qui m'arrêta net.
— Livaï...
Je perdis l'air de mes poumons et une crampe désagréable tordit mon ventre. Ma poigne serra à son maximum la bandoulière de mon sac et ma mâchoire trembla par cette nouvelle dose de colère circulant dans mes veines. Une horrible sensation s'écoula au plus profond de mes tripes. Les battements de mon cœur s'accélèrent dès l'instant où ce prénom entra dans mon oreille.
— Encore... plus fort ! Livaï !
Je voyais noir. J'imaginais mes ongles la défigurer. J'imaginais ma force briser ses membres. J'imaginais mes doigts lui coudre les lèvres entre elles pour qu'elle ne prononce plus jamais ce prénom. Je ne me rappelais plus la dernière fois où j'avais ressenti une telle envie de meurtre contre quelqu'un.
— Oh oui ! OUI !
Lorsque Hanji réalisa ce que j'étais sur le point de faire, elle me hurla à l'oreille de foutre le camp. J'étais juste en face de la porte. Une petite épaisseur me séparait de cette connasse pour la faire taire, elle, ainsi que ce type qui se prenait pour ce qu'il n'était pas. Je bouillonnai, alors que je n'avais aucune raison d'être dans cet état. Je fermai les paupières et me tapai le chemin inverse jusqu'à l'ascenseur.
Arrivée à destination, je repassai les portiques et expliquai à ce Yuri que je m'étais arrêtée pour discuter avec une ancienne collègue. Je lui souhaitai une bonne soirée et foutus le camp de cet enfer. Je traversai la rue et me précipitai dans la voiture.
— Démarre.
Je retirai mon oreillette, la perruque, et m'enlevai ces lentilles. Je soufflai un grand coup et m'échouai dans mon siège en sentant l'adrénaline redescendre. Nous ne parlions pas durant tout le trajet.
***
Je me redressai à la vue de toutes ces véhicules garées le long de notre rue. Du coin de l'œil, j'épiai Hanji au volant et celle-ci s'efforça de dissimuler un sourire gêné. Je pris une bonne inspiration et quittai cette voiture en trombe pour faire décamper ce monde au plus vite de chez moi. Cependant, ma colocataire attrapa mon bras et se positionna devant la porte.
— Hanji... je t'avais prévenu !
— Je sais...
Je me retins d'exploser. Elle savait, mais elle organisait tout de même des fêtes ? Elle croyait que je n'avais que ça à faire ? M'éclater ? Elle m'offrit un sourire rassurant, qui pour moi, ne m'inspirait qu'un début de problème. Elle tourna la poignée et lorsque je passais le seuil de la porte dans le noir, la lumière du salon éclaira une trentaine de tête inconnue.
— SURPRISE !
Je me figeai et Hanji m'entraîna dans ses bras en m'expliquant qu'aujourd'hui, cela faisait six ans, jour pour jour, que j'avais emménagé ici. Je ne répondis pas à son étreinte, sous le choc, et elle me garda près d'elle de peur que je me tire. Mais, en aucun cas, je n'allais partir. C'étaient eux qui allaient quitter mon domicile.
Hanji déclara la fête ouverte et sans perdre une seconde de plus, la musique explosa dans mes tympans, la lumière jaunâtre disparut pour des jeux de lumière multicolore et l'alcool ne tarda pas à faire des ravages.
— La gâcheuse de soirée ! L'ennuyeuse de service. On se retrouve.
Je n'émis aucun commentaire face à ce type arrogant et levai mon regard au fur et à mesure qu'il empiétait dans ma zone de confort. Je l'avais déjà aperçu aux soirées de ma coloc. Après tout, comment ne pas le voir ? Son tee-shirt moulait ses biceps, la vallée de ses abdominaux d'acier. Dès qu'il portait sa bière à ses lèvres fines, ses grosses veines apparaissaient et faisaient languir la majorité des filles. Il surplombait chaque personne et il avait cette fâcheuse tendance à toujours garder ses prunelles translucides dans celles de son interlocuteur.
— Toujours rayonnante de bonheur, remarqua-t-il
Avant que j'eus le temps de mettre mon poing dans sa face, Hanji me tira jusqu'à ma chambre en laissant cet homme me dévorer sans scrupule. Lui, il allait souffrir. Elle ferma la porte et s'empressa de fouiller dans mon dressing. Elle me jeta une robe à la figure et m'ordonna de l'enfiler. Je la fusillai et doucement, elle posa ses mains sur mes épaules.
— Tu te souviens quand tu as frappé à ma porte ? Tu cherchais une colocation alors que tu n'avais que seize ans. Tu étais la gamine la plus flippante que j'avais jamais rencontrée. Aucune expression ne se dégageait de cette bouille. Tu savais ce que tu voulais, tu ne perdais pas de temps. Tu as visité ma maison en trente secondes et tu m'as donné un chèque pour deux ans de loyer. C'était effrayant. Quand j'ai refusé, ça t'a énervée et je t'ai proposé de me verser l'argent juste pour le premier mois, histoire de voir si la collocation pouvait marcher entre nous. Et elle a été...
— Exténuante ? l'interrompis-je
Elle hocha la tête avec un petit sourire et plongea ses yeux marron dans les miens.
— Qui aurait cru que je logeais une tueuse à gages ?
— Je rêvais que tu sois la prochaine sur ma liste.
Son rire diminua et son regard s'attendrit. Cette fille était pire qu'un gamin. Elle fourrait son nez partout dans mes affaires. Elle me poussait à bout. Je devais toujours l'avoir à l'œil. Malgré tout, je ne regrettais pas notre rencontre.
— Je sais. Et qui t'a fait changer d'avis ?
— Personne. Je ne voulais pas rechercher un autre endroit pour dormir.
— Dis plutôt que tu ne pensais pas tomber sur une fille aussi géniale que moi !
Je pestai et elle m'attira subitement contre son corps. Elle me serrait plus que d'habitude. Je ressentais toute sa peur, son angoisse à l'idée de me perdre.
— Je t'aime, (T/P).
Je me redressai et la poussai avec douceur. Les larmes dans ses yeux m'aidèrent à lui tourner le dos. Je pris la robe sur mon lit et lui ordonnai de quitter cette chambre.
— À force de tout garder pour toi, tes sentiments éclateront sans que tu puisses t'en rendre compte. Et si ce n'est pas moi qui te ferai craquer, une autre personne s'en chargera, m'avertit-elle sérieusement.
— Fous le camp, lâchai-je en souriant.
La porte claqua et je m'écroulai sur le lit. Je posai ma main sur mon ventre douloureux et relâchai la tension dans mes membres. Je m'enfonçai dans le matelas et entendis le boucan de l'autre côté. Le regard vide, j'observai le verre d'eau sur ma table de nuit encore un peu rempli. Je ne pouvais pas croire que Livaï s'était inquiété pour moi. Il voulait juste que je sois sur pied pour pouvoir continuer à s'amuser après son retour de Chine.
Je grognai bruyamment et me redressai avec la robe en main. Malgré la musique, j'avais toujours les cris de cette femme en tête. Je n'arrivais pas à les retirer de mes pensées et une rage épouvantable bouillonnait dans ma gorge. Je désirais la voir souffrir pour une raison méconnue. Je voulais entendre ses gémissements d'une tout autre manière. Bordel, je n'étais pas bien...
Je me désapai et enfilai la robe décolletée. Dans le salon, je me pris un verre et tombai sur les iris pesants de l'arrogant. Chaque fois, il me disait son prénom, chaque fois, je l'oubliais. Pour moi, il était l'arrogant à la belle gueule. Je bus cul sec le fort liquide et me rapprochai de son groupe. Hanji ne pourra pas me reprocher que je ne fasse pas d'effort pour être sociale. Cependant, le brun déserta sa bande de potes et me domina de sa stature près du canapé.
Je le toisai comme à mon habitude et avec un sourire carnassier, il se pencha vers mon oreille. Je retenais mes mains pour ne pas l'éloigner, mais le volume de la musique nous empêchait de communiquer, ainsi je le laissais faire. Je sentais son souffle alcoolisé s'échouer contre mon cou et je me surpris à le comparer à celui de Livaï. En fait, ce n'était pas comparable. Et cette rapide conclusion en était étrange. Mon corps ne réagissait pas du tout comme avec ce PDG.
Je piquai un autre verre sur la table basse et le vidai.
— Bois autant que tu le veux. Tu te souviendras de cette nuit, me prévint-il
— Toi aussi.
***
Je m'orientai dans le salon avec une fanfare dans la tête. Mon corps ne supportait plus son poids. Je la soutenais d'une main sur le front et cachais mes yeux des rayons du soleil. Je contournai le comptoir et attrapai un verre dans un meuble. Je le remplis d'eau et enfournai une aspirine dans ma bouche avant de m'abandonner sur le canapé.
Je massai mon cuir chevelu, les yeux fermés, et essayai de me souvenir d'une seconde de cette soirée. Je me rappelais avoir parlé à l'arrogant et d'avoir enchaîné les verres. Mais le reste, c'était le trou noir. La bonne nouvelle était qu'aucun cadavre ne traînait au sol. Tout le monde semblait avoir retenu la leçon.
— Holà, la belle gueule de bois !
Deux bras m'enlacèrent par-derrière et une bouche s'écrasa contre ma joue. Je grognai et une quinte de toux enrouée me prit. Je bus le restant d'eau et suivis ma colocataire d'un œil. Elle s'installa sur la table basse dans son gros peignoir rouge et me regarda avec une mine compatissante. Dire qu'il n'y a pas si longtemps, je me trouvais à sa place... Mon Dieu, mais qu'est-ce qui n'avait pas tourné rond chez moi, hier ?
— J'imagine que tu ne te rappelles de rien ? me sourit-elle
— Je cherche encore, dis-je avec un timbre enroué.
D'après mon timbre de voix, j'avais hurlé à m'en briser les cordes vocales. Cependant, en observant la pâleur du visage de Hanji, je constatais que je n'avais pas fait que ça. Elle se gratta la nuque, se dandina sur la table en baissant le regard. Elle accroissait mon impatience. Et après une inspiration, elle m'avoua.
— Toi et Kei, vous êtes allés assez loin. À un moment, tu as vu que quelqu'un vous filmer, alors tu lui as arraché le téléphone et tu as fait quelque chose que je n'ai compris que plus tard. Tu t'es envoyé les vidéos pour les renvoyer ensuite à une autre personne...
Elle sortit mon portable de sa poche de peignoir et me le tendit. Je me redressai pour le prendre et grimaçai en contractant les abdominaux. Je glissai mon pouce sur l'écran déverrouillé et allai sur ma messagerie. Mon cœur s'arrêta de battre. Ma vie se brisa en petits morceaux pour mieux les piétiner. Je mourus en quelques secondes dès que je vis le nom du contact le plus récent. Ackerman. Je plaquai une main moite contre ma bouche et ma jambe droite débuta ses tremblements. J'ouvris la fenêtre et me liquéfiai en découvrant l'envoi de sept fichiers vidéos.
— Putain, grommelai-je
Je soupirai et fus obligée d'en actionner une pour voir l'ampleur de ma connerie. Je manquai de hurler en m'apercevant à califourchon sur ce Kei, mes lèvres sous l'emprise des siennes. J'ondulais sur lui et brutalement, il nous basculait sur le canapé en passant une main sous ma robe. J'en profitais pour nouer mes jambes à son bassin et enfoncer mes talons dans son fessier.
J'arrêtai la vidéo. Je ne pouvais pas en voir davantage. J'en avais la nausée. Comment avais-je pu laisser ce truc se produire ?
— Dis-moi qu'on n'est pas allé au bout... chuchotai-je
— Pas d'inquiétude là-dessus. Il est parti de la soirée : frustré et énervé après avoir reçu un bon coup de poing dans l'estomac qui l'a fait dégueuler.
Bordel, à quoi pensais-je ? Pourquoi m'étais-je mise à boire de la sorte ? Je tremblai comme une feuille à l'idée de savoir que Livaï avait sûrement visionné toutes les vidéos à cette heure. Je ne m'étais jamais sentie aussi mal dans ma peau de toute ma vie. Je ressentais de la honte, de l'humiliation. Je m'étais ridiculisée aux yeux d'un homme d'une telle élégance. Pourquoi cela m'affectait-il autant ? Dans quelques jours, il sera mort...
Je défilai les vidéos et fixai l'intrusion d'un message entre deux films. Je défaillis.
« Dites-moi à quel jeu vous voulez jouer et faites-moi tourner la tête. »
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