Chapitre 6
Si les autres aimaient mon sourire, moi je le détestais depuis le jour où j'ai eu le malheur de rencontrer le boss. Je m'efforçai d'apprécier mes bouchées pendant Franck poursuivait la description de son périple dans le nord du Japon avec Paolo, son acolyte. La plupart du temps, ils travaillaient en binômes et se partageaient l'argent.
Un peu plus tard lors du repas, Hanji se joignit à nous et engagea une nouvelle discussion. Elle avait tombé son tablier, son service étant fini. Elle enchaînait les questions-réponses avec Franck avec une telle simplicité que je n'appréciai que modérément. Après tout, elle était toujours comme ça. Mais ce criminel l'épiait des pieds à la tête. Il la déshabillait à mesure que cette jeune femme s'intéressait à lui. Elle passa un bras autour de mes épaules et je pus lire comme dans un livre ouvert ce qu'imaginait ce type dans son esprit détraqué en nous voyant aussi proches.
— Hanji ?
Erwin arrivait par-derrière, sa bonne humeur envolée pour je ne sais quelle raison. Il se rapprochait d'un pas déterminé et son regard tomba sur l'homme baraqué sur la chaise. Franck esquissa un sourire et appuya son coude sur le marbre. Hanji, elle, retira son bras et combla l'écart qui la séparait de l'homme d'affaires. Ce dernier n'attendit pas une seule seconde de plus pour la tirer contre son torse et la décréter sienne sous nos yeux.
La surprise marquait mes traits, mais surtout ceux de Hanji où le rouge lui montait aux joues. Elle retroussa ses lèvres, incapable de sortir le moindre mot. Seul son sourire lumineux parlait pour elle. A contrario d'Erwin qui gardait une prestance glaciale que je ne lui pensais pas capable. Ou du moins, pas aussi intimidante. C'était un fait. Les personnes les plus gentilles sont souvent les plus terrifiantes. Il en était la preuve sous mon nez. Il était prêt à sauter au cou de Franck s'il dédaignait continuer à mater la demoiselle à son bras.
Face à cette tension, Hanji oscilla entre ses deux hommes et secoua sa tête pour retrouver ses esprits.
— Oh oui, excuse-moi. Erwin, je te présente... euh...
— Ken Fujita, mentit Franck en lui présentant une poignée de main.
Le PDG plissa ses yeux et répondit à sa poignée de main d'une manière qui me semblait douloureuse pour moi si cette prise m'était destinée.
— Erwin Smith.
Espérant calmer ce nuage noir sous nos têtes, Hanji caressa le torse d'Erwin pour capter son attention. Ce fut la première fois qu'il détourna son regard afin de se concentrer sur elle. Cependant, comme si cette situation n'en était pas assez tendue, Livaï Ackerman se rajouta dans ce cercle, une aura plus écrasante que d'ordinaire. De suite, ses iris se portèrent sur ma personne et comme deux aimants joints ni lui ni moi ne rompîmes cette connexion.
— Tu es prête à y aller ? l'interrogea Erwin
— Oui. (T/P), tu pourras te débrouiller pour rentrer ?
Je descendis de ma chaise, attrapant mon sac, et entrouvris la bouche jusqu'à ce que Franck, non, plutôt Livaï, nous devança.
— Elle rentrera avec moi.
Sans voix, je me statufiai sur place. À quoi cet homme pensait-il ? Voulait-il me faire regretter mes dires après cette morale que je lui ai donnée aux enchères ? Du coin de l'œil, Franck étira la commissure de ses lèvres. Intérieurement, je me liquéfiais. Il savait. Il avait deviné. Livaï Ackerman était ma cible. Il se redressa de sa chaise et tira sur sa veste pour la lisser. D'un geste possessif, il me tira contre lui en m'agrippant une épaule et se pencha en avant, sa bouche à quelques millimètres de mon oreille. Livaï le foudroyait, les muscles de son cou tendu à leur maximum.
— On va bien s'amuser, me chuchota-t-il
Je serrai le poing et me dégageai d'un pas sur le côté. Franck salua les deux hommes et insista sur le nom de famille de Livaï. Avec un sourire arrogant, il passa sur son profil et le provoqua d'un simple regard. Ackerman gardait son calme même si une veine naissait et tressautait le long de son cou. Sa mâchoire se contractait, retenant les mots qui lui brûlaient la langue. L'aura qu'ils dégageaient en était des plus écrasantes et Franck faisait tout pour l'élever à son paroxysme et faire craquer son adversaire. Mais aujourd'hui, il semblait avoir trouvé une personne à sa hauteur.
J'accompagnai Erwin et Hanji à la réception. Nous récupérâmes nos vestes et le tueur à gages s'en alla en premier, non sans y semer une vague d'angoisse qui détruira ma journée et réduira à néant mes chances de trouver le sommeil pour les nuits à venir.
— (T/P), on se revoit dans deux semaines. On te prépare une petite surprise, déclara-t-il en souriant.
Hanji se figea et se précipita à mes côtés en s'immisçant ente nous jusqu'à ce qu'il déguerpisse. Elle frotta mon dos et releva mon menton avec ses deux doigts fins. Je croisai ses prunelles inquiètes et elle me demanda à voix basse si elle voulait qu'elle reste.
— Non. Ça va aller.
Elle hocha la tête avec peu de conviction et m'embrassa avant de partir au bras de son ami. J'enfilai ma veste et au côté de cet homme d'affaires particulièrement silencieux, je quittai ce restaurant. Franck venait de plonger mon moral au plus bas. Pourtant, je devrais lui prouver qu'il avait tort, que mon retour ne se ferait jamais, mais moi-même, je n'y croyais pas.
Une balle dans la tête, c'est tellement plus simple. Je m'étais promis de ne jamais tuer. Je ne voulais pas que ça change. Comment pourrais-je être capable de me regarde en face sinon ? De plus, dans le contrat, c'était stipulé : mort par suicide. Si je changeais le procédé, jamais mon client ne me donnerait le compte.
Sous un ciel grisâtre, Livaï sortit ses clefs de voiture de son pantalon noir. Il la déverrouilla à distance et ouvrit la portière du côté passager. Ce geste courtois me fit m'arrêter brutalement. Je l'observai de haut en bas à la recherche d'une quelconque arme cachée ou d'autres choses qui pourraient me faire regretter de l'avoir suivi. Mon insistance ne sembla pas lui plaire.
— Dépêche-toi, je ne vais pas jouer le portier indéfiniment, s'énerva-t-il
Le revoilà. Le Livaï déplaisant et exécrable. Je croisai mes bras contre ma poitrine et coinçai mes mèches derrière mon oreille, soulevées par le vent.
— Je constate que ce que je vous ai dit la dernière fois ne vous a pas le moins du monde poussé à la réflexion.
— C'était le but ?
Il adossa ses avant-bras au sommet de la portière, signe que la tournure de cette conversation éveilla son intérêt. J'imaginai qu'après une réunion d'affaires barbante, je devais être son divertissement de la journée. Soit.
— Une mise en garde, le repris-je
— Voyez-vous ça. Et contre quoi ?
— Votre avenir me semble une bonne réponse.
— Mon avenir ? répéta-t-il en pestant, tu devrais plutôt penser au tien. Ce n'est pas moi qui bouffe les restes du restaurant.
Je retins cette boule de rage dans ma gorge par tous les moyens possible. Je serrai les dents, plantai mes ongles dans ma peau. Je contemplai le verni noir de son véhicule en tentant d'oublier ce qu'il venait de m'envoyer à la figure et replongeai droit dans ce bleu océan agité.
— C'est très bas de votre part. Je vous savais égocentrique, mais pas élitiste.
Avec lenteur, il referma la portière et diminua de deux pas cette distance qui nous protégeait des intempéries à venir.
— Tu ne sais rien de moi. Alors il serait préférable que tu choisisses avec soin les prochains mots me qualifiant qui sortiront de ta bouche.
— Je croyais que cela ne vous atteignait pas ? tiquai-je
Dans le mille. Je recevais des éclairs avec amusement. Ses iris brillaient de colère et son torse se gonflait pendant que la pointe de sa langue lécha sa fine lèvre inférieure. Mes yeux suivirent d'eux-mêmes cette action jusqu'à ce qu'elle disparaisse, puis ils remontèrent vers ses deux perles, translucides par ce mauvais temps. J'empiétai dans sa zone de confort. Plus rien ne pouvait s'infiltrer entre nous et je me rendis compte que c'était bien la première fois que je me retrouvais si près d'un homme, et ce, non intentionnellement.
Son eau de Cologne caressait mes narines et me nouait l'estomac. Avec cette proximité soudaine, je surpris Livaï se figer et des petits plis entre ses sourcils se formèrent d'incompréhension. Je relâchai mes bras le long de mon corps et entrouvris mes lèvres en échappant uniquement mon souffle pour lui faire perdre patience. Enfin, je décidai à ma voix d'intervenir et je lui susurrai :
— Vous devriez prendre en compte mes propos et les adopter. Comme on dit, un malheur est si vite arrivé, monsieur Ackerman.
À son nom de famille prononcé, son souffle chaud se mélangea au mien avec son parfum ambré. Je le voyais chercher ses mots avec le plus grand soin de peur de perdre le contrôle. Une scène de ménage dans un parking était une aubaine pour les journalistes. Ceux-là devaient se cacher dans des buissons à l'afflux d'une prise croustillante à publier dans les journaux du lendemain. Il devait en avoir l'habitude, le pauvre.
Je pris appui à l'aide du toit de la voiture et oscillai entre sa peau blanche et son regard sombre.
— Quelque chose me dit qu'il est déjà là, constatai-je
Son champ de vision tomba subitement sur mes lèvres et d'une légèreté surprenante, il survola une de mes mèches puis glissa le long de mon cou.
— Je ne te le fais pas dire. Et tu n'imagines pas ce que je lui réserve comme traitement.
À la sensation de ses doigts contre ma peau, je l'empoignai par réflexe et le mitraillai avant de le libérer. Je reculai aussitôt afin de retrouver mes distances de sécurité et mon souffle que je ne pensais pas avoir perdu.
— Je vais prendre un taxi. Merci quand même de vous êtes proposé.
Je lui tournai le dos et marchai avec prestance en direction de la sortie du parking. Je sentais le poids de son regard m'accabler et m'empêcher de rester naturelle. Tous mes membres étaient raides et parcourus de frissons à la suite de son toucher froid sur mon cou. Au bruit de son moteur, je soufflai de soulagement et détendis mes muscles. Mais je me remis sur mes gardes lorsque je l'entendis ralentir à ma hauteur. Il baissa sa vitre et malgré tout, je continuai ma marche.
— Viens me voir à l'entreprise mercredi soir, m'ordonna-t-il
— « S'il te plaît », crachai-je dès la fin de sa phrase.
Un long silence entre nous s'éternisa et au STOP du parking, je m'arrêtai et m'orientai vers la vitre. J'attendais sans grande espérance pendant qu'il tapait son index contre son volant. Je tendais l'oreille et après un profond soupir, il me surprit à répéter cette politesse. Ma mâchoire manqua de se décrocher en regardant la voiture s'engager sur la route et disparaître dans la circulation.
Je ne réalisai que plus tard qu'un sourire franchissait mes lèvres.
***
Je préparai le repas du soir en attendant l'arrivée d'Hanji. Celle-ci avait décidé d'écourter sa soirée avec Erwin après ce qui s'était passé au restaurant. Je n'avais pas eu mon mot à dire et à vrai dire, j'appréciais un peu de compagnies pour ce soir.
Une petite heure après, la voilà, toute pimpante et un sourire ineffaçable sur son joli minois. Elle jeta son sac par terre et accrocha son manteau par la manche. Dans quelques secondes, il sera au sol et servira de serpillères.
Elle s'affala sur le canapé en retirant ses chaussures et saliva en voyant ce que je lui apportais sur la table basse.
— Oh des makis ! Tu lis en moi.
Elle s'empara de ses baguettes et en avala deux après les avoir bien saucés. Je m'installai à ses côtés et l'imitai en adossant mon dos sur ce canapé moelleux.
— Tu es rentrée avec Livaï ?
— Non. J'ai préféré prendre un taxi.
Elle cessa ses mastications et posa son attention sur mon profil.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Disons que c'était mieux pour nous deux que l'on ne se retrouve pas seuls dans un habitacle aussi étriqué.
— Parce que sinon vous allez vous sauter dessus, ajouta-t-elle
— Oui, mais pas dans le sens où tu l'entends.
Hanji gloussa et se leva pour chercher une bière. Elle m'en proposa une, mais je refusai. Elle la décapsula au comptoir et tira le portrait de ce Livaï.
— Mystérieux, dangereux, imprévisibles sont les trois caractères que les femmes aiment chez lui. Parce qu'un homme est du côté obscur, elles croient qu'elles peuvent être en sécurité. Flirter avec le mal est source d'excitation, expliqua-t-elle
— Je flirte bien avec la mort tous les jours et il n'y a rien d'excitant. Et tu oublies les mots pleins aux as et puissants dans son descriptif pour plaire aux femmes.
Je l'entendis grogner dans sa barbe et d'un air hautain et moqueur, elle m'ordonna de me taire et de la laisser finir. Je haussai les sourcils et me concentrai sur ma nourriture avec tout de même une oreille attentive.
— Erwin me parle de lui. Livaï dévoile le pire de lui-même. En réalité, il est généreux, grand cœur et parfois, il sait se montrer aimable.
Je rigolai intérieurement et Hanji m'exposa son regard noir de tueuse. Je ravalai mon sourire et hochai la tête pour lui remercier.
— Je prends en compte ce que tu viens de me dire. Ne t'en fais pas.
— Tu as plutôt intérêt, s'énerva-t-elle
J'écrasai les boîtes avant de les mettre à la poubelle. Ma colocataire passa un coup d'éponge sur la table en chantonnant pendant que je vidai le lave-vaisselle.
— Comment ça se passe avec Erwin ? demandai-je, curieuse.
Inutile de me retourner pour sentir son large sourire se graver sur elle. J'ouvris un placard et rangeai les bols.
— Je vis un conte de fées. Enfin, version plus de dix-huit ans, plaisanta-t-elle
Je donnai un coup de pied à la porte du lave-vaisselle pour la refermer et me dirigeai dans ma chambre en sentant une nausée posséder ma gorge.
— Tant mieux pour toi, répondis-je rapidement.
Je me précipitai dans les toilettes et eus le temps d'atteindre la cuvette pour vomir le succulent repas du midi et les makis même pas encore digérés. Les pas de Hanji accoururent à la porte.
— Mon chat, ça va ?
Je m'essuyai avec le papier toilette et tirai la chasse. Je lui répondis dans un murmure et me rinçai la bouche dans le lavabo. J'en profitai pour me laver les dents et me mettre en pyjama. En sortant, je tombai nez à nez avec Hanji. Je m'attendais à ce qu'elle me fasse une énième fois la remarque d'aller voir un médecin, mais cette fois-ci, elle se tut et me suivit dans ma chambre. Je m'allongeai doucement dans mon lit et elle m'aida à me couvrir.
Sa main me caressa le front d'une légèreté qui me faisait penser au toucher brève de Livaï. Ses yeux inquiets m'examinaient et je fermai les miens pour ne pas avoir à les croiser.
— Un jour, tu vivras la même chose, s'exprima-t-elle soudain d'une voix attendrissante.
Je ne pipai pas mot et tentai de trouver le sommeil à mesure que ses doigts me berçaient en survolant mon profil de haut en bas.
— Tu le mérites, (T/P). De ton point de vue, tu te dis que c'est impossible après tout ce que tu as fait, mais de mon point de vue, tu es une personne formidable, alors ne réduis pas ta vie à un ramassis d'erreurs consécutives.
Je pestai et entrouvris la bouche pour en sortir un son rauque.
— Je tue, Hanji. Ça résume bien la personne que je suis.
Elle souffla d'agacement et un froid s'installa à la place de ses caresses. J'ouvris les paupières et ne pus voir que son dos, mais j'imaginai ses yeux larmoyants derrière cette touffe de cheveux.
— Hanji, même si, par je ne sais quel miracle, je rencontre un homme et que je lui avoue mon passé, il s'éloignera le plus loin possible et me dénoncera.
Elle bondit du lit, des larmes noyant ses prunelles marron, et agita ses bras en faisant les cent pas dans ma petite chambre.
— C'est totalement faux, (T/P). Théoriquement, tu n'as jamais tué quelqu'un. Tu les conduis vers la mort...
— Je les aide, la coupai-je
— Ferme-là ! gueula-t-elle, ce sont eux qui décident de leur sort. Tu les analyses, observes. Tu trouves leurs points faibles. Tu y es certes pour quelque chose, mais tu leur dis à chaque fois la vérité. Et ce sont eux qui en arrivent à cette conclusion. Plein d'autres personnes dans son monde sont comme toi sans s'en rendre compte ! Ils poussent des gens à la mort. Toi, quand ton contrat sera fini, tu seras une toute nouvelle personne. Tu as déjà pensé à ton avenir ? Que feras-tu quand tout sera fini ?
Je gardai le silence. Mon avenir était un gros et grand point d'interrogation. Je n'avais pas le droit d'y penser. Si j'imagine toutes les choses magnifiques, incroyables que je pourrais avoir et que finalement, je n'aurais jamais, je ne sais pas si j'arrivais à tenir.
— Tu ne voudrais pas fonder une famille ? m'interrogea-t-elle
Un fort haut-le-cœur m'envahit. Mon corps se raidit dans la seconde et mes poings se serrèrent. C'était justement à ça que je ne devais jamais penser.
— Tu auras ta famille, (T/P). Parce que tu le mérites, s'exclama-t-elle sûre d'elle.
Mon champ de vision maintenait un point noir sur mon plafond et mes dents agressèrent mes joues. Comment pourrais-je le mériter ? Et même si je le méritais, je n'y arrivais jamais.
— Pour ça, il me faudrait...
— Un miracle ? m'interrompit-elle
— Un miracle.
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